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04/04/2018 | FRANCE | N°16/06248

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 3, 04 avril 2018, 16/06248


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 3



ARRET DU 04 AVRIL 2018



(n° 2018/62 - 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/06248



Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Janvier 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/05839





APPELANTE



Organisme CPAM DE L'ESSONNE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 488

813 262 00034



Représentée et assistée de Me Rachel LEFEBVRE de la SELARL KATO & LEFEBVRE ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901





INTIMEE



SA GMF ASSURANCES

[Adresse 2]

[Adress...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 3

ARRET DU 04 AVRIL 2018

(n° 2018/62 - 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/06248

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Janvier 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/05839

APPELANTE

Organisme CPAM DE L'ESSONNE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 488 813 262 00034

Représentée et assistée de Me Rachel LEFEBVRE de la SELARL KATO & LEFEBVRE ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

INTIMEE

SA GMF ASSURANCES

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 398 972 901

Représentée par Me Gilles GODIGNON SANTONI de la SELARL DOLLA - VIAL & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0074

Assistée de Me Francisco BRIGA avocat plaidant, de la SELARL DOLLA - VIAL & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0074

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Février 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thierry RALINCOURT, Président de chambre, chargé du rapport et Mme Clarisse GRILLON Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Thierry RALINCOURT, Président de chambre

Mme Clarisse GRILLON, Conseillère

Mme Sophie REY, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Mme Zahra BENTOUILA

ARRET : Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Thierry RALINCOURT, président et par Mme Zahra BENTOUILA, greffier présent lors du prononcé.

******

Le 21/12/1981, [G] [M], né le [Date naissance 1]1928 et alors âgé de 53 ans, a été victime d'un accident corporel de la circulation (accident du travail) causé par un véhicule conduit par [H] [S] et assuré par la société GMF.

Par jugement du 26/09/1986, le Tribunal de Grande Instance d'Evry a, essentiellement :

- dit que [H] [S] devra indemniser la totalité du préjudice subi par [G] [M] du fait de l'accident du 21/12/1981, et le préjudice subi par ses proches,

- liquidé son préjudice corporel,

- statué sur la créance de la CPAM de l'Essonne.

Par arrêt 12/02/1988, la présente Cour d'appel a confirmé le jugement entrepris sur la responsabilité et l'a infirmé partiellement sur l'indemnisation d'[G] [M] et la créance de la CPAM de l'Essonne.

[G] [M] est décédé le [Date décès 1]1990.

Sur le recours formé, selon assignation du 3/04/2014, par la CPAM de l'Essonne à l'encontre de la société GMF en remboursement de la rente de réversion servie à [Y] veuve [M], le Tribunal de grande instance de Paris a, par jugement du 11/01/2016 (instance n° 14/05839) :

- constaté la prescription de l'action de la CPAM de l'Essonne des suites de l'accident de la circulation survenu le 21/12/1981,

- déclaré irrecevables les demandes de la CPAM de l'Essonne,

- condamné la CPAM de l'Essonne à verser à la société GMF assurances une indemnité de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la CPAM de l'Essonne aux dépens.

Sur appel interjeté par déclaration du 11/03/2016, et selon dernières conclusions notifiées le 18/12/2017, il est demandé à la Cour par la CPAM de l'Essonne de :

- condamner la société GMF Assurances à lui verser une somme de 810.833,25 € avec intérêts au taux légal à compter :

$gt;du 25 juin 2013 sur la somme de 580.051,12 €,

$gt; à compter de ses conclusions d'appel du 27/02/2017 sur la somme de 700.901,85 €,

$gt; puis au fur et à mesure de leur engagement pour les arrérages à échoir au 1er avril 2016 à défaut d'option pour un versement en capital qui portera alors intérêt au prononcé de l'arrêt à intervenir,

le tout en application de l'article 1231-6 du Code Civil,

-ordonner la capitalisation des intérêts par année entière à compter de l'assignation délivrée le 3/04/2014 et en application de l'article 1343-2 du Code Civil,

-condamner la société GMF Assurances à verser à la CPAM de Paris (sic) l'indemnité forfaitaire de gestion qui s'élève à 1.055 € au 1er janvier 2017, due de droit en application des dispositions d'ordre public de l'article L.376-1 du Code de la sécurité sociale, fixée annuellement par arrêté ministériel, au moment où interviendra le règlement,

-condamner la GMF Assurances à verser à la CPAM de l'Essonne une indemnité de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Selon dernières conclusions notifiées le 4/12/2017, il est demandé à la Cour par la société GMF Assurances de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et déclarer la CPAM de l'Essonne sinon irrecevable à tout le moins mal fondée en ses demandes à l'égard de la société GMF,

- rejeter l'ensemble des demandes de la CPAM de l'Essonne à l'égard de la société GMF,

- condamner la CPAM à payer à la société GMF une indemnité de 7.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS de l'ARRET

1 - sur la fin de non-recevoir tirée par la société GMF du défaut de qualité ou d'intérêt à agir de la CPAM

La société GMF fait valoir :

- que les prestations sociales dont la CPAM sollicite le remboursement correspondraient, non pas à des postes de préjudices d'[G] [M] ouvrant droit à recours subrogatoire, mais à des prestations sociales versées à sa veuve,

- que le recours de la CPAM ne serait pas davantage un recours subrogatoire en réparation des préjudices de son épouse, dès lors :

$gt; que la caisse demanderesse ne justifierait pas de ce que le décès d'[G] [M] serait imputable à l'accident dont il avait été victime dix ans plus tôt, ni, par conséquent, de ce que les sommes versées à [Y] [M] découleraient de l'obligation indemnitaire pesant sur la CPAM en sa qualité d'organisme social,

$gt; que les prestations versées ne correspondraient pas à l'indemnisation d'un préjudice personnel de la veuve, dont celle-ci aurait sollicité et obtenu l'indemnisation, puisque [Y] [M] n'aurait jamais sollicité une indemnisation d'un quelconque préjudice économique découlant du décès de son conjoint,

$gt; que la CPAM ne pourrait donc pas justifier de ce que les sommes qu'elle réclame auraient pour assiette des préjudices indemnisables de [Y] [M], de sorte que son recours n'entrerait dans le champ d'application ni de l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985, ni de l'article L.376-1 ou L.454-1 du Code de la Sécurité Sociale.

La CPAM de l'Essonne fait valoir en réplique :

- qu'elle aurait qualité à agir en application de l'article L.454-1 du code de la sécurité sociale,

- qu'en application des articles L.443-1 alinéa 4 et D.443-1 du code de la sécurité sociale, le décès d'[G] [M] serait présumé résulter des conséquences de l'accident du 21/12/1981,

- que la réversion servie à [Y] [M] ne serait qu'une conversion de la rente d'accident du travail servie, de son vivant, à la victime directe [G] [M],

- que cette réversion servie à la veuve constituerait une prestation pour laquelle les organismes payeurs disposeraient d'un recours, étant précisé que cette réversion serait la conséquence de l'accident du travail qui aurait entraîné l'incapacité permanente complète - puisqu'à 100 % - d'[G] [M], puis aurait entraîné son décès,

- que la société GMF soutiendrait en méconnaissance de la jurisprudence que l'article 29 de la loi du 5/07/1985 ne viserait pas les indemnisations servies aux ayants droit.

L'article 122 du code de procédure civile dispose : constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt (...).

Il n'est pas contesté : qu'à la suite de l'accident du travail survenu le 21/12/1981, la CPAM a versé à [G] [M] une rente d'accident du travail en application des articles L.434-1 et suivants du code de la sécurité sociale ; qu'à la suite du décès d'[G] [M] survenu le 1/04/1990, la CPAM a versé à [Y] veuve [M], à compter du 2/04/1990, une rente de réversion en application des articles L.434-7 et suivants du même code.

La CPAM a expressément indiqué qu'elle a exercé son recours subrogatoire à l'encontre de la société GMF pour le remboursement, à compter du 2/04/1990, de la rente de réversion servie à [Y] [M], ayant droit de feu [G] [M], assuré social crédirentier d'une rente d'accident du travail, en application cumulative :

- de l'article 29 alinéa 1er et § 1 de la loi n° 85-677 du 5/07/1985 qui dispose : seules les prestations énumérées ci-après versées à la victime d'un dommage résultant des atteintes à sa personne ouvrent droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur : 1 - les prestations versées par les organismes, établissements et services gérant un régime obligatoire de sécurité sociale ;

- de l'article 30 de la même loi qui dispose : les recours mentionnés à l'article 29 ont un caractère subrogatoire ;

- de l'article L.454-1 alinéas 1 et 2 du code de la sécurité sociale qui dispose :

Si la lésion dont est atteint l'assuré social est imputable à une personne autre que l'employeur ou ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles de droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre.

Les caisses primaires d'assurance maladie sont tenues de servir à la victime ou à ses ayants droit les prestations et indemnités prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident.

L'article 29 alinéa 1er et § 1 précité de la loi du 5/07/1985 ouvre aux organismes de sécurité sociale un recours subrogatoire pour les prestations servies tant à la victime directe qu'à ses ayants droit, victimes par ricochet, dès lors qu'il n'édicte aucune distinction ou restriction quant à la partie subrogeante (victime d'un dommage résultant des atteintes à sa personne).

La CPAM justifie ainsi de sa qualité et de son intérêt à exercer son recours subrogatoire à l'encontre de la société GMF.

Cette dernière soutient de manière inopérante, à ce stade de la discussion, que la preuve de l'imputabilité du décès d'[G] [M] à l'accident du 21/12/1981 ne serait pas rapportée, alors qu'en application de l'article 122 précité du code de procédure civile, il n'y a pas lieu, pour l'appréciation de la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité ou d'intérêt de la caisse à agir, d'examiner la question relevant du fond, tendant à déterminer si la rente de réversion était juridiquement due à [Y] veuve [M] en application des règles du droit de la sécurité sociale.

La société GMF soutient de manière également inopérante, à ce stade de la discussion, que l'éventuel préjudice subi par [Y] veuve [M] ne serait pas établi, et que cette dernière n'a pas engagé d'action indemnitaire, de sorte que le recours exercé par la CPAM serait privé d'assiette, alors :

- qu'en premier lieu, l'inaction de la victime ne fait pas obstacle à l'action en remboursement de la caisse à l'encontre du tiers responsable ou de son assureur, compte tenu du droit propre qui lui appartient d'obtenir le remboursement des prestations qu'elle a servies suite à l'accident du travail, après fixation du préjudice de la victime constituant l'assiette de son recours ;

- et qu'en second lieu, cette fixation constitue en elle-même une question de fond qui n'a pas à être examinée au stade préalable de l'appréciation d'une fin de non-recevoir visant l'exercice du recours du tiers payeur.

Il résulte des motifs qui précèdent que la première fin de non-recevoir soulevée par la société GMF est écartée.

2 - sur la fin de non-recevoir tirée par la société GMF de la prescription de l'action de la CPAM

La société GMF fait valoir :

- concernant la durée du délai de prescription :

$gt; que le délai de prescription du recours du subrogé serait celui de l'action indemnitaire du subrogeant,

$gt; que ce délai serait décennal en vertu de l'article 2226 du code civil depuis la loi du 17/06/2008, et, antérieurement, également décennal en vertu de l'ancien article 2270-1 du même code,

$gt; que l'entrée en vigueur de ladite loi du 17/06/2008 n'aurait pas eu pour effet de retarder le terme du délai décennal de prescription de l'action de la CPAM,

- concernant le point de départ du délai de prescription :

qu'il se serait situé soit à la date de la consolidation d'[G] [M] (23/12/1983), soit à la date de son décès (1/04/1990) et serait en toute hypothèse expiré à la date de délivrance de l'assignation de la CPAM (3/04/2014),

que, contrairement aux affirmations de la CPAM, l'arrêt rendu le 12/02/1988 ayant liquidé le préjudice corporel d'[G] [M] serait sans incidence sur le cours de la prescription du recours subrogatoire de la CPAM afférent à la pension de réversion qu'elle sert à [Y] veuve [M] et qui s'imputerait sur le préjudice économique susceptible d'avoir été subi par cette dernière en qualité de victime par ricochet du fait du décès de son conjoint, alors que, distinctement, le recours subrogatoire afférent à la rente d'accident du travail servie en son vivant à [G] [M] aurait été imputable sur les postes de perte de gains professionnels futurs, incidence professionnelle et déficit fonctionnel permanent,

- concernant le cours du délai de prescription :

que sa correspondance adressée le 6/11/2012 à la CPAM ne vaudrait pas reconnaissance de la créance de cette dernière et ne serait pas interruptive de prescription, dès lors que, dans cette correspondance, la société GMF aurait au contraire opposé la prescription quinquennale de l'article 2277 du code civil.

La CPAM de l'Essonne fait valoir en réplique que son action ne serait pas prescrite, aux motifs :

- concernant la durée du délai de prescription et son point de départ :

$gt; que le décès d'[G] [M] n'aurait été que le fait générateur de la réversion, laquelle aurait pour fondement la rente servie au titre l'accident du travail dont aurait été responsable l'assuré de la société GMF, rente qui a définitivement été mise à la charge de cette dernière par l'arrêt du 12/02/1988,

que le délai de prescription de l'exécution des décisions de justice aurait été, sous le régime antérieur à la loi du 17/06/2008, de 30 ans, étant précisé que la société GMF n'aurait pas réglé les arrérages échus depuis le 1/04/1990, date du décès d'[G] [M],

que le délai trentenaire de prescription aurait donc eu pour point de départ l'arrêt du 12/08/1988 et pour terme le 12/02/2018,

que la réduction de cette prescription à un délai décennal par l'effet de l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17/06/2008 serait sans incidence sur le terme de ce délai, dès lors que la prescription trentenaire initiale viendrait à terme le 12/02/2018, avant le terme du délai décennal (19/06/2018),

que, de même que le droit à remboursement de la rente d'accident du travail au profit de la CPAM a été tranché par l'arrêt du 12/08/1988, la simple conversion de cette rente en réversion ne modifierait par l'assiette du recours de la CPAM, lequel demeurerait le préjudice corporel de la victime entré dans le patrimoine de son épouse,

- concernant le cours du délai de prescription :

qu'en application de l'article 2248 ancien du code civil, ce délai aurait été interrompu par la correspondance de la société GMF en date du 20/11/1991 aux termes de laquelle cette dernière aurait pris acte de la conversion de la rente en réversion sans aucunement prétendre à la prescription

2.1 - sur le délai de prescription.

La CPAM de l'Essonne soutient à tort que son recours serait régi par la prescription trentenaire au motif que son action procéderait de l'arrêt du 12/02/1988, alors :

- que la caisse n'agit pas en exécution de cet arrêt puisque, d'une part, elle n'a pas saisi le Juge de l'exécution, et que, d'autre part, elle demande la condamnation de la société GMF au paiement d'une créance (remboursement des arrérages de la rente de réversion versée à [Y] veuve [M]) différente de la condamnation prononcée par ledit arrêt, tendant au remboursement, par la société GMF, "des arrérages de la rente accident de travail plus tierce personne" versée à [G] [M],

- que ces deux prestations versées successivement par la CPAM à [G] [M] puis à [Y] veuve [M] sont de montants différents, fixés par des règles du code de la sécurité sociale distinctes pour la victime de l'accident du travail (actuellement : articles L.434-1 et suivants) et pour les ayants droit (actuellement : articles L.434-7 et suivants),

- que, si la caisse fondait sa présente action sur le titre exécutoire constitué par l'arrêt du 12/02/1988, elle serait irrecevable, pour défaut d'intérêt à agir, à demander l'obtention d'un second titre exécutoire.

La société GMF soutient à tort que le recours de la CPAM serait régi par la prescription décennale de l'action indemnitaire de la victime subrogeante.

La subrogation légale instituée au profit du tiers payeur par l'article 30 précité de la loi n° 85-677 du 5/07/1985 a essentiellement pour effet de provoquer, par le paiement à la victime de prestations énumérées à l'article 29, l'extinction, à due concurrence, de la dette indemnitaire du tiers responsable envers ladite victime.

Corrélativement, la créance fondant le recours subrogatoire du tiers payeur a une cause (application du droit de la sécurité sociale) distincte de celle de la créance indemnitaire de la victime (responsabilité civile), de sorte que, pour l'exercice de ce recours, le tiers payeur exerce un droit propre, et que le délai de prescription de son action récursoire est régi par la nature de sa créance et non de la créance indemnitaire de la victime.

Il résulte des motifs qui précèdent que, dès lors que le recours exercé par la CPAM à l'encontre de la société GMF tend au remboursement des arrérages de la rente de réversion qu'elle a servie à [Y] veuve [M] depuis le 2/04/1990, ce recours était régi, à cette date, par la prescription quinquennale édicté par l'article 2277 alinéas 1 et 3 du code civil qui disposait, dans sa rédaction alors en vigueur : se prescrivent par cinq ans les actions en paiement : (...) des arrérages des rentes perpétuelles et viagères.

A compter de l'entrée en vigueur (19/06/2008) de la loi n° 2008-561 du 17/06/2008 portant réforme de la prescription en matière civile, cette ancienne prescription quinquennale spéciale s'est confondue avec la nouvelle prescription quinquennale de droit commun édictée par l'article 2224 nouveau.

Au demeurant, la société GMF a adressé le 6/11/2012 à la CPAM la correspondance suivante (pièce n° 10 de cette dernière) : "nous vous opposerons les termes de l'article 2277 du code civil, à savoir la prescription quinquennale des arrérages de rentes".

2.2 - sur le(s) point(s) de départ du délai de prescription

En droit, en principe, le point de départ d'un délai de prescription à l'expiration duquel une action en paiement ne peut plus être exercée se situe à la date d'exigibilité de la créance qui lui a donné naissance ; en particulier, lorsqu'une dette est payable par termes successifs (telle qu'une rente servie par arrérages périodiques), la prescription de l'action en paiement se divise comme la dette elle-même et court à l'égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance.

2.3 - sur le cours du délai de prescription

En premier lieu, la CPAM invoque une reconnaissance de dette de la société GMF, qui résulterait de sa correspondance du 20/12/1991 (pièce n° 5 de l'appelante) ainsi rédigée : "pour ce qui concerne la rente ayant droit allouée à Mme [M], s'agissant d'une nouvelle créance, nous transmettons votre demande à notre service contentieux pour suite à donner".

Cette correspondance ne vaut pas reconnaissance de dette, dès lors que, si la société GMF n'a pas opposé de fin de non-recevoir à la demande de la CPAM, elle n'a pas pris position à cet égard et, essentiellement, ne s'est pas engagée, fût-ce implicitement, à rembourser la caisse.

A supposer, pour les seuls besoins du raisonnement, que cette correspondance ait valu reconnaissance de dette et ait été interruptive de prescription en application de l'article 2248 ancien du code civil, elle aurait fait courir un nouveau délai quinquennal de prescription qui serait expiré le 20/12/1996, dès lors qu'il résulte a contrario de l'article 2274 ancien du même code que la prescription quinquennale de l'article 2277 ancien n'était pas susceptible d'interversion.

En second lieu, la correspondance précitée de la société GMF en date du 6/11/2012 ne vaut pas davantage reconnaissance de dette, puisque ledit assureur a opposé la prescription à la CPAM.

Le premier acte interruptif de prescription a donc été l'assignation introductive d'instance en date du 3/04/2014.

Il résulte de l'ensemble des motifs qui précèdent que l'action de la CPAM est irrecevable pour les arrérages de la rente de réversion servie à [Y] veuve [M] échus antérieurement au 3/04/2009, et est recevable pour les arrérages échus à compter de cette date, et à échoir.

3 - sur le fond

3.1 -La société GMF fait valoir, à titre subsidiaire en cas de recevabilité de l'action de la CPAM :

- que cette dernière ne pourrait agir sur le fondement de l'article L.376-1 ou L.454-1 du code de la sécurité sociale dès lors qu'elle ne démontrerait pas l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les prestations dont elle demande le remboursement et l'accident du 21/12/1981,

- que la CPAM ne produirait aucun élément médical susceptible de démontrer que le décès d'[G] [M] serait une conséquence directe et certaine de l'accident du 21/12/1981, étant observé que ce décès est survenu près de 10 après l'accident et près de 8 ans après la consolidation.

La CPAM fait valoir en réplique :

- qu'en vertu de l'article L.434-8 du Code de la Sécurité Sociale, la rente d'accident du travail dont bénéficiait [G] [M] de son vivant a été reversée, à son décès, à son conjoint survivant,

- qu'il importerait donc peu de savoir si le décès était ou non en lien avec l'accident, puisqu'il serait présumé l'être en application de l'article L.443-1 du même code,

- qu'en d'autres termes, la rente d'accident du travail n'a été reversée qu'en raison de l'accident du 21 décembre 1981 sans lequel elle n'aurait pas été attribuée à [G] [M] puis à sa veuve.

- que le décès n'aurait donc été que le fait générateur de la réversion, laquelle aurait eu pour fondement la rente servie au titre l'accident du travail dont l'assuré de la GMF a été jugé responsable.

L'article L.434-7 du code de la sécurité sociale, régissant l'indemnisation de l'incapacité permanente, revenant aux ayants droit d'un accidenté du travail, dispose : en cas d'accident (du travail) suivi de mort, une pension est servie, à partir du décès, aux personnes et dans les conditions mentionnées aux articles suivants.

3.1.1 - L'article L.443-1 alinéas 3 et 4 du même code, invoqué par la CPAM, dispose :

En cas de décès de la victime par suite des conséquences de l'accident (du travail), une nouvelle fixation des réparations allouées peut être demandée par les ayants droit de la victime, tels qu'ils sont désignés aux articles L. 434-7 et suivants.

Dans le cas où la victime avait été admise au bénéfice des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 434-2 (allocation d'une prestation complémentaire pour recours à tierce personne) et, à la date de son décès, avait été titulaire, pendant au moins une durée fixée par décret, de la prestation complémentaire pour recours à tierce personne, le décès est présumé résulter des conséquences de l'accident pour l'appréciation de la demande de l'ayant droit qui justifie avoir apporté effectivement cette assistance à la victime pendant la même durée. A défaut pour la caisse, d'apporter la preuve contraire, l'imputabilité du décès à l'accident est réputée établie à l'égard de l'ensemble des ayants droit.

L'article D.443-1 du même code dispose : La durée minimale prévue au quatrième alinéa de l'article L. 443-1, pendant laquelle la victime doit avoir été titulaire de la prestation complémentaire pour recours à tierce personne, est fixée à dix ans.

Il résulte de la combinaison de ces deux textes que l'existence de la présomption légale d'imputation du décès de l'accidenté du travail à son accident est conditionnée par l'existence d'une durée au moins décennale d'attribution audit accidenté de la prestation complémentaire pour recours à tierce personne.

En l'occurrence, dès lors qu'[G] [M] a été accidenté le 21/12/1981 et est décédé le 1/04/1990, moins de 10 ans plus tard, la condition chronologique d'application de cette présomption légale n'est pas remplie.

3.1.2 - La CPAM a adressé à la société GMF les correspondances suivantes (pièces n° 4 et 5 de l'appelante) :

- le 11/12/1991 : "Je porte à votre connaissance le décès de Monsieur [M], survenu le [Date décès 1] 1990. (...) Le décès étant en rapport direct avec l'accident du 21 décembre 1981, notre service des rentes a alloué à Madame veuve [M] une rente ayant droit dont je vous communique ci-après les caractéristiques" ;

- le 19/05/1993 : "vous m'avez demandé en son temps les pièces médicales afférentes à l'accident du 21 décembre 1991. J'invite votre conseiller technique médical à prendre contact avec notre médecin conseil pour un examen conjoint sur pièces".

Essentiellement, la CPAM a adressé le 4/08/1993 à la société GMF la correspondance suivante (pièce n° 8 de l'appelante) : "contentieux arrérages [M] - Lors de l'examen conjoint du 2 juillet 1993, votre expert médical technique a accepté la relation du décès avec l'accident".

Dans ses conclusions sus-visées, la société GMF n'a ni contesté la teneur de cette correspondance, ni produit une correspondance portant démenti d'acceptation, qu'elle aurait adressée à la CPAM.

La détermination de la cause d'un décès est un fait juridique dont la preuve peut être rapportée par tous moyens.

Par la correspondance précitée du 4/08/1993, non contestée, la CPAM rapporte la preuve de ce que le fait dommageable dont [G] [M] a été victime le 21/12/1981 a été un accident du travail suivi de mort, au sens de l'article L.434-7 précité du code de la sécurité sociale, de sorte qu'elle verse à bon droit à [Y] veuve [M] une rente de réversion en application de l'article L.434-8 du même code.

Le recours exercé par la CPAM à l'encontre de la société GMF est dès lors exactement fondé sur les articles précités L.454-1 alinéas 1 et 2 du code de la sécurité sociale et 29 alinéa 1er et § 1 de la loi n° 85-677 du 5/07/1985.

3.2 -L'examen du recours subrogatoire exercé par la CPAM à l'encontre de l'assureur du tiers responsable de l'accident impose de déterminer préalablement l'assiette de ce recours, et donc de fixer le préjudice de la victime subrogeante sur lequel la créance de la caisse est imputable.

L'article 31 alinéa 1er de la loi précitée du 5/07/1985 dispose, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2006-1640 du 21/12/2006 : les recours subrogatoires des tiers payeurs s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.

En droit, ce texte est applicable aux dommages survenus avant son entrée en vigueur dès lors que le montant de l'indemnité due à la victime n'a pas été effectivement fixé.

En fait, il n'est pas contesté que le préjudice par ricochet susceptible d'avoir été subi par [Y] veuve [M] du fait du décès de son conjoint n'a été fixé ni judiciairement ni transactionnellement.

En conséquence, en vertu du texte précité, applicable au présent litige, le poste sur lequel le recours subrogatoire de la CPAM s'exerce pour le remboursement de la rente de réversion qu'elle verse à [Y] veuve [M] est l'éventuel préjudice économique par ricochet susceptible d'avoir été subi par cette dernière du fait du décès de son conjoint.

En complément de la notification du décès d'[G] [M] adressée le 11/12/1991 à la société GMF par la CPAM, cette dernière a énoncé, dans cette correspondance précitée (pièce n° 4 de l'appelante) :

"Le décès étant en rapport direct avec l'accident du 21 décembre 1981, notre service des rentes a alloué à Madame veuve [M] une rente ayant droit dont je vous communique ci-après les caractéristiques.

(...) Je vous propose d'évaluer le préjudice causé par le décès de Monsieur [M] de la manière suivante :

Pourcentage retenu pour l'évaluation du préjudice patrimonial 60 % (veuve sans enfant à charge) - salaire annuel de la victime 297.480 F. - Monsieur [M] au jour de son décès était âgé de 61 ans - franc de rente correspondant à cet âge : 9,749 - préjudice patrimonial :

297.480 * 60 % * 9,749 = 1.740.000 F. (soit 265.261,29 €)

Si cette évaluation vous agrée, j'aimerais connaître vos intentions quant au règlement de ce dossier, sous forme de capital ou de rente annuelle".

Dans ses conclusions sus-visées, la société GMF n'a ni réfuté le calcul précité du préjudice économique de la victime par ricochet subrogeante [Y] veuve [M], ni produit une correspondance portant contestation du chiffrage établi par la CPAM.

En conséquence, ce chiffrage doit être entériné, et le recours de la CPAM doit être accueilli pour les arrérages de la rente de réversion servie à [Y] veuve [M] échus depuis le 3/04/2009 et le cas échéant à échoir, dans la limite d'un montant total de 265.261,29 €.

4 - sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Chaque partie, partiellement perdante, conservera la charge des dépens de première instance et d'appel exposés par elle.

En conséquence, les demandes indemnitaires réciproques fondées sur l'article 700 du code de procédure civile doivent être rejetées.

PAR CES MOTIFS,

la Cour

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Paris en date du 11/01/2016.

Statuant à nouveau,

Dit prescrit et irrecevable le recours subrogatoire exercé par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Essonne à l'encontre de la société GMF Assurances pour les arrérages de la rente de réversion servie à [Y] veuve [M] échus jusqu'au 2/04/2009.

Dit recevable ledit recours pour les arrérages échus à compter du 3/04/2009 et à échoir.

Condamne la société GMF Assurances à verser la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Essonne :

1°- une somme égale au montant cumulé des arrérages de la rente de réversion servie à [Y] veuve [M] échus à compter du 3/04/2009 jusqu'au 19/02/2018, dans la limite d'un montant total de 265.261,29 € (deux cent soixante-cinq mille deux cent soixante et un euros vingt-neuf centimes), avec intérêts au taux légal à compter :

$gt;du 25/06/2013 sur la somme des arrérages échus à cette date depuis le 3/04/2009,

$gt; du 27/02/2017 sur la somme des arrérages échus à cette date depuis le 26/06/2013,

$gt; puis au fur et à mesure de leur engagement pour les arrérages échus entre le 28/02/2017 et le 19/02/2018,

lesdits intérêts étant capitalisables par année entière à compter de l'assignation du 3/04/2014,

2°- en cas de subsistance d'un reliquat sur l'assiette de 265.261,29 € et dans la limite de ce reliquat, une somme égale au montant des arrérages de la rente de réversion servie à [Y] veuve [M] échus à compter du 20/02/2018 et le cas échéant à échoir, à défaut d'option pour un versement en capital qui portera intérêts au taux légal à compter du jour du présent arrêt, capitalisables annuellement,

3°- l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par l'article L.376-1 alinéa 9 du Code de la sécurité sociale, au montant fixé par le dernier arrêté ministériel publié au jour du versement.

Rejette toutes demandes autres, plus amples ou contraires.

Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens de première instance et d'appel exposés par elle.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 16/06248
Date de la décision : 04/04/2018

Références :

Cour d'appel de Paris C3, arrêt n°16/06248 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-04-04;16.06248 ?
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