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03/04/2018 | FRANCE | N°16/06257

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 10, 03 avril 2018, 16/06257


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 10



ARRÊT DU 03 AVRIL 2018



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/06257



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Février 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/15638





APPELANT



MONSIEUR LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE

PARIS

Pôle Fiscal Parisien 1, Pôle Juridictionnel Judiciaire

ayant ses bureaux [Adresse 1]

[Adresse 2]

agissant sous l'autorité de Monsieur le Directeur Général des Finances Publique...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 10

ARRÊT DU 03 AVRIL 2018

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/06257

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Février 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/15638

APPELANT

MONSIEUR LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE PARIS

Pôle Fiscal Parisien 1, Pôle Juridictionnel Judiciaire

ayant ses bureaux [Adresse 1]

[Adresse 2]

agissant sous l'autorité de Monsieur le Directeur Général des Finances Publiques, [Adresse 3]

Représenté par Me Pascale NABOUDET-VOGEL de la SCP NABOUDET - HATET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046

Représenté par M. Olivier BIDARD, Inspecteur des finances publiques en vertu d'un pouvoir spécial

INTIMES

Monsieur [R] [H], décédé

demeurant [Adresse 4]

[Adresse 5]

né le [Date naissance 1] 1936 à TAVERNY

Madame [F] [D] épouse [H]

demeurant [Adresse 4]

[Adresse 5]

née le [Date naissance 2] 1935 à FORT DE FRANCE

agissant en son nom personnel et en qualité de conjoint survivant de Monsieur [R] [H]

Représentée par Me Christophe LEFAILLET de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

PARTIES INTERVENANTES :

Madame [C] [H]

demeurant [Adresse 4]

[Adresse 5]

née le [Date naissance 3] 1964 à SURESNES

agissant en qualité d'héritière de Monsieur [R] [H]

Monsieur [Q] [H]

demeurant [Adresse 6]

[Adresse 5]

né le [Date naissance 3] 1966 à NEUILLY SUR SEINE

agissant en qualité d'hériter de Monsieur [R] [H]

Représenté par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

Représenté par Me Christophe LEFAILLET de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Février 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Edouard LOOS, Président

Mme Sylvie CASTERMANS, Conseillère

Mme Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Sylvie CASTERMANS dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Edouard LOOS, président et par Madame Cyrielle BURBAN, greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

M. [R] [H] et Mme [F] [D] sont propriétaire d'un immeuble de rapport situé situé [Adresse 4] et seuls associés de la société civile agricole du Domaine de Brinon, elle même propriétaire de terrains et d'un château situé à [Localité 1], dans le département de la Nièvre (58)

Monsieur et Madame [H] ont déposé les déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune au titre des années 2004 à 2010.

Par actes du 30 décembre 1981, 18 décembre 1991, 21 décembre 2001, ils ont apporté à la société civile agricole du domaine de Brinon l'usufruit temporaire de l'immeuble parisien pour des durées successives de 10 ans.

Par une proposition de rectification du 21 décembre 2010, l'administration a contesté l'opération d'apport d'usufruit temporaire en considérant qu'elle constituait un abus de droit.

L'administration estimait que l'opération d'apport temporaire d'usufruit de l'immeuble de rapport relevait d'une construction juridique élaborée dans le seul but d'éluder l'impôt, en permettant aux époux [H], en leur qualité de nu-propriétaires, de soustraire l'essentiel de la valeur de l'immeuble de l'assiette de leur ISF . par le biais des dispositions de l'article 885 G du code général des impôts.

Le caractère abusif de la transmission temporaire d'usufruit a été recherché selon les modalités prévues à l'article L 64 du L.P.F.

Les évaluations de l'immeuble parisien et nivernais ont été réalisées selon la méthode comparative. La commission départementale de conciliation a admis la méthode par revenus. La commision départemantale de la Nièvres a minoré les évaluations retenues par l'administration.

Par courrier du 15 novembre 2013, l'administration a informé les contribuables que, malgré l'avis des commissions, elle maintenait les impositions complémentaires.

Par acte d'huissier de justice du 29 septembre 2014, M. et Mme [H] ont fait assigner l'administration fiscale afin d'obtenir la décharge de l'imposition.

Par un jugement rendu le 5 février 2016, le tribunal de grande instance de Paris a fait droit à la demande de dégrèvement des époux [H] et ordonné la restitution intégrale des sommes versées par les époux [H].

L'Administration fiscale a interjeté appel de ce jugement le 14 mars 2016

Par conclusions signifiées le 29 décembre 2017, l'administration demande à la cour de :

Dire et juger le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département

de [Localité 2] recevable et bien fondé en son appel du jugement rendu le 5 février 2016 par le

Tribunal de Grande Instance de PARIS,

Y faisant droit,

Infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 5 février 2016,

Confirmer que la procédure est justiciable de l'abus de droit ;

Ordonner le rétablissement des impositions déchargées sauf prise en compte des propositions de l'administration concernant les valeurs vénales à savoir retenir la valorisation de la commission de conciliation de la Nièvre pour le [Localité 3] sis à [Localité 1] ;

Confirmer la valeur de l'immeuble parisien retenue par l'administration dans le cadre de la procédure de contrôle ;

Prendre acte que l'administration n'est pas opposée à corriger le montant des rappels de

droits maintenus à l'issue de la procédure d'abus de droit en tenant compte du plafonnement

de l'ISF si applicable, après transmission par les intimés des éléments permettant son calcul ;

Débouter les intimés de toutes leurs autres demandes ;

Les condamner aux entiers dépens de première instance

Par conclusions signifiées le 18 janvier 2018, Mme [F] veuve [H] , Mme [C] [H] et M [Q] [H] demandent de :

A titre principal, déclarer l'appelant mal fondé en son appel ;

- L'en débouter, ainsi que de toutes ses demandes, ;

- Confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions ;

- Vu l'acte de notoriété établi par Me Xavier Grosjean, en date du 22 mars 2017 ;

- prononcer la mise hors de cause de madame [C] [H] et monsieur [Q] [H]

- à titre subsidiaire, déclarer la procédure comme prescrite et la déclarer nulle, confirmer l'annulation des AMR ;

- à titre subsidiaire, déclarer la procédure comme nulle en raison du manque de motivation de la proposition de rectification du à l'absence d'éléments de comparaison intrinsèquement similaires

- à titre subsidiaire, déclarer que l'opération d'apport temporaire d'usufruit n'est pas constitutive d'un abus de droit ;

- à défaut, écarter les éléments de valorisation retenus par l'administration fiscale et considérer que la procédure est nulle ;

- à tout le moins, retenir les valorisations des commissions départementales de conciliation ;

- à titre subsidiaire, ordonner que le montant du plafonnement de l'isf soit déterminé et liquidé sur le montant des sommes redressées ;

- condamner l'état aux dépens ainsi qu'au versement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

DISCUSSION

Sur l'intervention des héritiers

M. [R] [H] est décédé en [Date décès 1]. L'administration a fait délivrer une assignation en intervention forcée de madame [F] [H] (tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière de monsieur [R] [H]), madame [C] [H] et monsieur [Q] [H] (enfants et héritiers de monsieur [R] [H]).

En application des dispositions du contrat de mariage, l'ensemble des droits et obligations résultant de la communauté universelle a été attribué en totalité au conjoint survivant, à savoir Madame [F] [H].

Par suite, Madame [F] [H] est seule tenue du passif d'ISF et des pénalités et amendes fiscales revendiquées. En conséquence, Mme [C] [H] et M. [Q] [H] seront mis hors de cause.

Sur l'abus de droit :

L'Administration fiscale estime que Monsieur et Madame [H] ont agi dans un but exclusivement fiscal et commis un abus de droit.

En réplique, Mme [H] soutient en substance que l'opération d'apport d'usufruit temporaire répondait à un objectif patrimonial effectif. M. [H] avait mis en place l'apport temporaire d'usufruit dans l'espoir d'obtenir, à terme, un crédit lui permettant de financer les travaux de restauration de leur château. Parallèlement, il a recherché des financements auprès d'autres banques, en particulier le Crédit Foncier, avec lequel il a négocié les modalités d'une éventuelle ouverture de crédit, en prenant pour hypothèse le fait que la SCA [Adresse 7] disposait de ressources suffisantes au service de la dette grâce à l'apport en usufruit. Cette solution a permis à la SCA du Domaine de Brinon de bénéficier de ressources propres, d'un montant suffisant et sur une durée suffisante pour satisfaire au remboursement du prêt et au financement des travaux.

En outre, le surplus de loyers perçu au cours de cette période devait permettre de faire face à certains imprévus liés aux travaux en cours, en particulier à des erreurs d'estimation du coût des travaux, ce qui fut le cas. Cette opération se révèle une solution prudente, caractéristique de la gestion de son patrimoine en bon père de famille par le contribuable.

Le choix de la durée de dix ans avait été fait, initialement à une époque où une telle durée aurait présenté un quelconque intérêt sur le plan fiscal, ce qui permettait d'exclure, que, vingt ans plus tard, la réitération de l'opération pour cette même durée ait eu, cette fois, un objectif purement fiscal.

Mme [H] soutient encore que la preuve des conditions nécessaires à la mise en oeuvre de cette procédure n'est pas apportée par l'administration. A titre subsidiaire, elle soutient que le délai de reprise ne peut excéder trois ans.

Ceci étant exposé,

Aux termes de l'article 885 E du code général des impôts, l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune est constituée par la valeur nette, au ler janvier de l'année, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant aux personnes visées à l'article 885 A, ainsi qu'à leurs enfants mineurs lorsqu'elles ont l'administration légale des biens de ceux-ci

L'article 885 G du code général des impôts dispose que :

Les biens ou droits grevés d'un usufruit, d'un droit d'habitation ou d'un droit d'usage accordé à titre personnel sont compris dans le patrimoine de l'usufruitier ou du titulaire du droit pour leur valeur en pleine propriété. Toutefois, les biens grevés de l'usufruit ou du droit d'usage ou d'habitation sont compris respectivement dans les patrimoines de l'usufruitier ou du nu-propriétaire suivant les proportions fixées par l'article 669 dans les cas énumérés ci-après, et à condition, pour l'usufruit, que le droit constitué ne soit ni vendu, ni cédé à titre gratuit par son titulaire :

a. Lorsque la constitution de l'usufruit résulte de l'application des articles 767,1094 ou 1098 du code civil. Les biens dont la propriété est démembrée en application d'autres dispositions, et notamment de l'article 1094-1 du code civil, ne peuvent faire l'objet de cette imposition répartie.

b. Lorsque le démembrement de propriété résulte de la vente d'un bien dont le vendeur s'est réservé l'usufruit, le droit d'usage ou d'habitation et que l'acquéreur n'est pas l'une des personnes visées à l'article 751 ;

c. Lorsque l'usufruit ou le droit d'usage ou d'habitation a été réservé par le donateur d'un bien ayant fait l'objet d'un don ou legs à l'Etat, aux départements, aux communes ou syndicats de communes et à leurs établissements publics, aux établissements publics nationaux à caractère administratif et aux associations reconnues d'utilité publique.

L'administration fiscale reproche au tribunal d'avoir retenu l'objectif patrimomial allégué par les redevables sans prendre en compte les éléments détaillés dans la proposition de rectification, démontrant la mise en place de la construction juridique destinée à rendre les époux [H] artificiellement nu-propriétaires de l'immeuble locatif parisien alors qu' ils sont destinataires finaux des recettes locatives de ce bien et exercent les prérogatives d'un usufruitier, ce qui leur permettait une économie fiscale substantielle par le contournement de l'article 885 E du code général des impôts et des dispositions de l'article 885 G du code général des impôts.

L'existence de l'abus de droit est subordonnée à la démonstration par l'administration du caractère fictif de l'acte, ce qui permet d'éluder les charges fiscales tirées des textes précités.

Il est constant qu'au moment des faits M. et Mme [H] étaient propriétaires d'un immeuble situé [Adresse 4], composé de 52 appartements, pour partie donnés en location, à l'exception de trois appartements que les époux [H] et leur fille occupaient à titre de résidence principale.

Le foyer fiscal est détenteur depuis 1967 de la totalité des parts de la société SCA, société civile agricole du domaine de Brinon, propriétaire d'un château et de terres dans la Nièvre, le château constituant leur résidence secondaire.

Par acte du 21 décembre 2001, ils ont apporté l'usufruit temporaire de l'immeuble parisien à la SCA du domaine de Brinon pour une durée de 10 ans.

L'actif de la SCA se compose de l'usufruit de l'immeuble locatif parisien et de la propriété nivernaise. Par l'opération de démembrement temporaire commencée en 1981, renouvelée depuis, dont celle de 2001 en litige, l'usufruitier, étant une personne morale non assujettie à l'ISF, la valeur de l'immeuble parisien détenu par les époux [H] et indirectement au travers de la SCA se trouve imposé uniquement sur la valeur de l'usufruit temporaire.

Il résulte de ces éléments, que l'opération a permis une importante économie d'impôt dès lors que 80 % de la valeur de l'immeuble parisien n'est pas prise en compte dans l'actif net imposable à l'ISF du foyer fiscal. En effet, par le démembrement de propriété, les contribuables ont substitué à leur obligation de déclarer la valeur en pleine propriété, la seule valeur de l'usufruit de cet immeuble via la valorisation des parts de la SCA du domaine de Brinon qu'ils possèdent en totalité tout en continuant à percevoir les loyers à travers la SCA.

Les objectifs économiques allégués par les époux [H] et que le tribunal a retenu, à savoir disposer de ressources propres pour financer par le recours à l'emprunt les travaux dans le château, sont démentis par l'analyse effectuée par l'administration fiscale figurant dans sa proposition de rectification.

Il ressort en effet des mentions de l'acte d'apport d'usufruit temporaire, que l'opération devait permettre de bénéficier de ressources suffisantes procurées par la perception des loyers de l'immeuble parisien et d'une ouverture de crédit de 500 000 F soit 77 224 euros pour financer les travaux de réhabilitation.

Or l'étude des déclarations de 2003 à 2009 , sous forme de tabeau déclinant les revenus et les travaux, montre que la perception des loyers de l'immeuble parisien vont bien au delà des besoins de financement pour le château. Les recettes cumulées de l'immeuble démembré sont supérieures aux travaux entrepris. Ce que confirme le comité de l'abus de droit fiscal, qui indique, dans son avis, que les recettes nettes (..) étaient plus de trois fois supérieures au montant des travaux payés dans le château.

Au vu du montant des travaux et des ressources des redevables, il est indéniable que les travaux du château [Établissement 1] pouvaient être financés sans avoir recours à l'apport d'usufruit.

Mme [H] maintient en appel que l'opération d'apport d'usufruit à la SCA répondait à une logique de protection de patrimoine familial sur le long terme.Or, cet argument n'est pas davantage opérant dès lors que comme l'a souligné avec justesse le comité de l'abus de droit fiscal, d'une part l'usufruit temporaire sur une durée de dix ans ne constitue pas un moyen efficace de proctection du conjoint survivant, d'autre part la constitution de la SCA protégeait le conjoint survivant en lui atrribuant toutes les parts en cas de décès.

Elle oppose le fait que l'organisation a été choisie en 1981 avant la création de l'impôt sur la fortune, mais cette assertion est sans objet dès lors que le litige porte sur l'apport réalisé en 2001et qu'en tout état de cause les redevables ont reconduit cette opération en 1991 et en 2001, postérieurement à l'application de l'ISF.

Enfin, le choix de l'usufruit temporaire sur une durée de 10 ans, renouvelable n'était pas neutre dans la mesure où il était plus avantageux d'opter pour ce montage que pour celui d'une période de 20 ou 30 ans car c'est 40 % et 60 % de la valeur de l'immeuble qui aurait été alors prise en compte.

Le caractère fictif de l'opération se dégage ainsi à la lumière des éléments suivants :

- l'usufruit temporaire porte sur un bien immobilier, les nus propriétaires se sont réservés la jouissance de deux appartements à titre de résidence principale et d'un troisième pour leur fille sans que cette situation ne soit prévue dans l'acte d'apport temporaire d'usufruit ;

- la perception de loyers pour le reste de l'immeuble se fait au bénéfice d'une société civile relevant de l'article 8 du code général des impôts, dont la totalité des parts est détenue par les apporteurs

- les associés appréhendant la quasi totalité des revenus produits puisque cette société ne procède à aucun investissement pour son propre compte.

L'ensemble de ces faits ont permis à l'administration de conclure que l'opération de transfert de l'immeuble parisien renouvelée depuis 1981 et notamment sur la période de 2001 ne présentait qu'une préoccupation purement fiscale, à savoir la diminution de la base imposable en matière d'ISF.

La procédure est fondée sur la recherche de la motivation fiscale de ce choix d'organisation de la propriété par le contournement de l'article 885 E et de l'article 885 G du code général des impôts

Le comité d'abus de droit a confirmé l'analyse de l'administration en relevant qu'en faisant échapper l'immeuble de rapport au principe de taxation de l'article 885 E pour le placer artificiellement dans le champ d'exception de l'article 885 G en conférant l'usufruit à une personne non visée par l'article 885 A, les époux [H] ont poursuivi un but purement fiscal.

La démonstration par l'administration de l'abus de droit est suffisamment rapportée au sens de l'article 64 du livre des procédures fiscales.

Sur la date du fait générateur de l'abus de droit

Mme [H] soutient que la procédure engagée par la proposition de rectification du 21 décembre 2010 est nulle car elle repose sur un fait prescrit, l'apport d'usufruit en date du 21 décembre 2001 relevant de la prescription abrégée.

La prescription de contrôle est celle qui se décompte à partir du fait générateur de l'impôt.

La prescription abrégée s'applique si l'acte révélateur établit l'exigibilité certaine des droits omis et si l'administration peut constater immédiatement au seul vu du document enregistré, l'existence du fait juridique imposable.

Si un doute subsiste quant à l'exigibilité des droits et s'il est nécessaire, pour en apporter la preuve, de procéder à des recherches quelconques, notamment par rapprochement de divers actes ou déclarations et examen de circonstances extrinsèques, le court délai de prescription ne s'applique pas.

En l'espèce, l'acte d'apport réalisé en 2001 est le point de départ des opérations de recherches entreprises par l'administration.

La procédure d'abus de droit est fondée sur la recherche de motivation fiscale du choix d'organisation de la propriété de l'immeuble parsisien et le contournement de l'article 885 E précité ; l'administration a engagé son contrôle sur le fonctionnement de la SCA en 2010, l'acte de 2001 ne lui permettait pas de constater au seul vu du document enregistré, l'existence du fait juridique imposable. Ses recherches lui ont montré que le démembrement temporaire de la propriété de l'immeuble réalisé en 2001 pour une durée de 10 ans permettait d'atténuer leur charge fiscale à compter de 2002.

Compte tenu du délai de reprise limitée à 6 ans, en vertu de l'article 186 du livre des procédures fiscales, l'administration a limité les rappels d'ISF de 2004 à 2010.

Les renseignements ont été exploités en 2010 dans les limites de la prescription applicable en matière de droit d'entregistrement. La procèdure est donc régulière.

En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions.

Sur l'évaluation de l' immeuble

L'administration a réintégré la valeur en pleine propriété de l'immeuble situé [Adresse 4] dans le patrimoine imposable des époux [H], tout en revoyant à la baisse la valeur des parts sociales de la SCA déterminée sur le seul actif constitué par le château [Établissement 1], soit :

Actif net imposable déclaré + valeur de la pleine propriété de l'immeuble de [Adresse 8]+ valeur des parts de la SCA du domaine de Brinon au titre de la seule propriété du château [Établissement 1]

- valeur des parts de la SCA déclarées initialement = Actif net ISF imposable rectifié

Elle a utilisé la méthode comparative pour faire une évaluation de l'immeuble parisien et du château nivernais.

La loi n'impose aucune méthode, mais la valeur par comparaison est privilégiée. La valeur à prendre en considération en matière de droits d'enregistrement est la valeur vénale réelle des biens qui est constituée par le prix qui pourrait être obtenu du bien par le jeu de l'offre et de la demande dans un marché réel, compte tenu de l'état de l'immeuble.

L'immeuble, est décrit dans la proposition de rectification : il est situé au [Adresse 4], quartier recherché d'[Localité 4], construit en 1929, composé d'un corps de bâtiment enfaçade sur rue, d'un rez-de-chaussée, de six étages courants et de deux étages sous combles,d'aspect extérieur soigné et équipé d'un ascenseur.

L'immeuble comprend 52 locaux dont 43sont loués. La valorisation de cet immeuble entier a été réalisé sur la base d'une surface SDPHO calculée de 3 868 m2 détaillée dans l'annexe 1 de la proposition de rectification.

Les intimés évaluent la superficie à 3 741 m2. Ils estiment que les caves doivent être pondérées en utilisant un coefficient de 0,2 à 0,3 au lieu de 0,5 retenu par l'administration.Toutefois, ils ne justifient pas que l'état des caves légitimerait un si faible coefficient de pondération.

L'étude comparative à partir de comparaisons similaires est motivée. Les valeurs issues de la méthode comparative retenue par l'administration dans la proposition de rectification sont les suivantes :

Année Valeurs issues de l'étude comparative

2004 : 10 327 000 euros

2005 : 9 963 600 euros

2006 : 10 822 000 euros

2007 : 10 973 000 euros

2008 : 12 087 000 euros

2009 : 11 619 000 euros

2010 : 12 037 000 euros

Les valeurs retenues par l'administration, de 2 670 euros/mé en 2004 à 3 112 euros/m2 en 2010 ne sont pas excessives. Mme [H] critique les estimations qu'elle estime inappropriées. Elle soutient que la proximité du Parc ces Princes constitue une moins value.

Les critiques sont mal fondées dès lors que l'administration a choisi des immeubles entiers, de superficies cohérentes, si possible, situés dans l'ouest parisien, pour certains dans le 16e arrondissement, construits dans des années approchantes du début du siècle. L'antériorité des cessions prise en comparaison par rapport au fait générateur de l'impôt a été respectée.

Les termes de comparaison retenus pour dégager une dominante du marché pour ce type de bien aux dates du fait générateur de l'impôt, ont été sélectionnés pour se rapprocher autant que possible de la qualité intrinsèque de l'immeuble.

La commission de conciliation de [Localité 2] en séance du 17 septembre 2013, a, selon la méthode par capitalisation des loyers, proposée par les requérants, appliqué un taux de capitalisation de 5,5 % aux revenus dégagés par la location de l'immeuble.

L'administration n'a pas suivi cet avis et a maintenu la méthode comparative. Il est admis que pour les immeubles de rapport, la méthode par le revenu pour déterminer une valeur de marché est trop dépendante des conditions particulières de location, tels que loyers de convenance, immeuble loué partiellement. Or, en l'espèce, les époux [H] et leur fille occupaient à titre d'habitation principale certains lots de l'immeuble. Il y a lieu de confirmer la valeur de l'immeuble parisien retenue par l'administration dans le cadre de la procédure de contrôle.

Sur l'évaluation du château situé à [Adresse 9] :

Les époux [H] ont valorisé à l'actif de leur déclaration ISF les parts de la SCA domaine de Brinon après avoir attribué au château situé sur la commune de [Localité 1] des valeurs de :

- 361 000 euros au ler janvier 2004, 286 000 euros (2005), 426 000 euros (2006), 486 000 euros (2007), 528 000 euros (2008), 606 000 euros (2009) 836 000 euros (2010).

Lors de la procédure de contrôle, la valorisation réalisée par comparaison avec des biens d'exception (château, maison bourgeoise) situés pour la plupart dans le même département ,la commission départemantale de Nièvre a arrêté les valeurs à :

- 400 000 euros (2004), 412 000 euros (2005), 472 000 euros (2006), 535 000 euros (2007), 580 000 euros (2008), 625 000 euros (2009) et 672 000 euros (2010).

L'administration fiscale a accepté ces évaluations et a procédé ainsi aux rectification suivantes : 9 452 000 euros en 2004, 9 075 000 euros pour 2005, 9 954 000 euros pour 2006, 10 108 000 euros pour 2007, 11 225 000 pour 2008, 10 724 000 euros pour 2009, 10 959 000 euros pour 2010.

La cour retiendra ces valeurs.

Sur le calcul de l'imposition,

Mme [H] reproche à l'administration de ne pas avoir appliqué le plafonnement dans la proposition de rectfication, mais l'absence de mise en oeuvre de ce dispositif ne vicie pas pour autant l'ensemble de la procédure.

L'administration relève que dans la présente affaire, les époux [H] n'ont jamais invoqué le plafonnement possible de leur cotisation ISF à la suite des rehaussements issus de la procédure engagée le 21 décembre 2010 sur l'ISF. 2004 à 2010, ni revendiqué un montant de plafonnement applicable en considération de leur situation.

L'administration demande de prendre acte de ce qu'elle ne serait pas opposée à corriger le montant des cotisations supplémentaires ISF issues de la procédure pour tenir compte du plafonnement ISF, si les conditions sont remplies. Toutefois pour ce calcul, les revenus nets des années précédant le fait générateur de l' ISF doivent pouvoir être reconstitués. Il appartient à intimée de faire connaître les éléments de revenus permettant de vérifier si elle peut bénéficier du plafonnement. En cours de procédure, les redevables ne démontraient pas pouvoir en bénéficier.

Il est précisé que l'administration ne dispose pas de toutes les informations utiles au calcul sur l'ensemble de la période considérée. En effet, les époux [H] détenaient un compte en [Localité 5] non déclaré d'une valeur de l'ordre de 3 000 000 euros, qui a fait l'objet d'une régularisation en 2015, mais cette régularisation ne couvre pas toute la période du présent litige.

Sur les autres demandes

Mme [F] [D] veuve [H] partie perdante, au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera tenue de supporter la charge des dépens

Il paraît équitable d'allouer à M. Le directeur des régional des finances publiques d'Ile de France et de Paris la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

INFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 5 février 2016,

Statuant à nouveau

MET hors de cause Mme [C] [H] et M. [Q] [H]

DIT que la procédure n'est pas prescrite

DIT la procédure régulière ;

ORDONNE le rétablissement des impositions déchargées sauf prise en compte des propositions de l'administration concernant les valeurs vénales à savoir la valorisation retenue par la commission de conciliation de la Nièvre pour le [Localité 3] sis à [Localité 1] ;

CONFIRME la valeur de l'immeuble parisien retenue par l'administration dans le cadre de la procédure de contrôle ;

DONNE ACTE à l'administration n'est pas opposée à corriger le montant des rappels de droits maintenus à l'issue de la procédure d'abus de droit en tenant compte du plafonnement de l'ISF si applicable, après transmission par les intimés des éléments permettant son calcul ;

REJETTE les autres demandes ;

CONDAMNE Mme [F] [D] veuve [H] à payer à M. Le directeur des régional des finances publiques d'Ile de France et du département de Paris la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE Mme [F] [D] veuve [H] aux entiers dépens d'appel

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

C. BURBAN E. LOOS


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 16/06257
Date de la décision : 03/04/2018

Références :

Cour d'appel de Paris J1, arrêt n°16/06257 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-04-03;16.06257 ?
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