Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 4
ARRÊT DU 28 MARS 2018
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/06783
Décisions déférées à la Cour : Jugements du 12 Mai 2015 et du 15 Décembre 2015 -Tribunal de Commerce de RENNES - RG n° 2014F00484
APPELANTE
SASU CUISINES DESIGN INDUSTRIES, venant aux droits de la société CUISINES ET BAINS INDUSTRIES
Ayant son siège social : [Adresse 1]
[Localité 1]
N° SIRET : 490 462 538 (LA ROCHE SUR YON)
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Représentée par Me Jérôme GAUTIER de la SELARL RACINE, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE
SA SOFISEB, société de droit suisse
Ayant son siège social : [Adresse 2]
[Localité 2] (SUISSE)
N° SIRET : CH-660.0.043.985-6 (GENEVE)
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
Ayant pour avocat plaidant : Me Dominique PONTE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1214
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 Mars 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Irène LUC, Présidente de chambre
Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère,
Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée, rédacteur
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Laure COMTE dans les conditions prévues par l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Greffier, lors des débats : Madame Cécile PENG
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Irène LUC, président et par Madame Cécile PENG, greffier présent lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
La société financière industrielle service exploitation Bonnet a créé en 1984 la société de droit suisse Sofiseb SA, pour assurer la distribution en Suisse de ses produits, à savoir du mobilier de cuisine. Elle en a été l'actionnaire unique jusqu'en 1985, date à laquelle, à la faveur d'une augmentation de capital, M. [M] a acquis 25 % de celui-ci, étant précisé que ce dernier était depuis 1979 l'agent commercial qui commercialisait en Suisse les produits Bonnet selon mandat de représentation. M. [M] est devenu par la suite, le directeur, puis l'administrateur unique de la société Sofiseb SA.
A la suite du redressement judiciaire de la société financière industrielle service exploitation Bonnet en 1996, ses actifs, « dont les titres Sofiseb Suisse » ont été cédés à la société Sofiseb Industries. Cette dernière a changé de dénomination sociale pour devenir la société Cuisines et Bains Industries, ci-après CBI, à compter du 1er décembre 2001.
En mars 2002, la société CBI a proposé à M. [M] de lui racheter les 25% qu'il détenait dans la société Sofiseb suisse pour un montant de 10.000 francs suisses, ce que ce dernier a refusé.
Le 3 avril 2002, la société CBI a demandé à M. [M] de convoquer une assemblée générale extraordinaire de la société de droit suisse Sofiseb afin de pourvoir à son remplacement, lui reprochant des agissements frauduleux entraînant une perte de confiance. Ce dernier a opposé un refus à cette demande en contestant la qualité d'actionnaire de la société CBI.
La société CBI a saisi le tribunal de commerce de Genève d'une demande tendant à être autorisée à convoquer elle-même ladite assemblée.
Le 23 août 2002, le tribunal de commerce de Genève a jugé que la société CBI n'était pas « légitimée à requérir la convocation d'une assemblée générale de SOFISEB » au motif que lors de l'acquisition des titres de la société de droit suisse Sofiseb par la société au nom actuel CDI, le transfert d'actions n'avait pas été validé par le conseil d'administration de la société Sofiseb conformément aux dispositions statutaires. Il en résultait que si la société CBI était bien détentrice des droits patrimoniaux sur 75% de la société de droit suisse Sofiseb, elle ne pouvait être titulaire des droits sociaux correspondants.
La société CBI a interjeté appel de cette décision qui a été confirmée par la cour de justice de Genève le 21 novembre 2002.
Le 24 septembre 2002, la société CBI a déposé plainte contre M. [M] devant le procureur général de Genève pour des faits de gestion déloyale, lui reprochant notamment d'avoir fait souscrire la société de droit suisse Sofiseb à une augmentation de capital de la société GM Cuisines, qui avait notamment pour actionnaire la société Sorimont dans laquelle M. [M] était lui-même associé, par abandon de créances que la première détenait sur la seconde.
Par lettre du 15 janvier 2003, la société CBI a informé la société Sofiseb qu'elle n'était plus autorisée à faire usage des marques Arthur Bonnet Cuisines et bains, Coméra et Nautine à compter du 1er février 2003.
La société Sofiseb a assigné par acte du 17 avril 2003 la société CBI devant le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon en paiement de dommages-intérêts, suite au courrier reçu le 15 janvier 2003.
Par jugement du 13 juillet 2007, le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon a débouté la société Sofiseb de toutes ses demandes.
La société Cuisines Design Industries, ci-après la société CDI, vient aux droits de la société CBI à compter du 30 mars 2009.
Par un arrêt du 2 avril 2010, la cour d'appel de Poitierss a confirmé le jugement du 13 juillet 2007.
Par arrêt du 18 octobre 2011, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société Sofiseb contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitierss.
Le 17 mai 2013, le tribunal de police du canton de Genève a acquitté M. [M] des faits de gestion déloyale aggravée et a ordonné la levée de la saisie de son compte bancaire auprès de Bank Coop AG.
Le 28 août 2013, la chambre pénale de recours de la cour de justice du canton de Genève a rejeté le recours formé par la société CDI contre la décision du 17 mai 2013.
C'est dans ces conditions que, par acte du 19 mars 2012, la société Sofiseb, invoquant des circonstances nouvelles, a assigné à nouveau la société CDI devant le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon, pour rupture brutale des relations commerciales.
Par jugement du 23 septembre 2014, le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Rennes.
Par jugement du 12 mai 2015, le tribunal de commerce de Rennes a :
- constaté que M. [M] a été relaxé du chef de tous les faits qui lui étaient reprochés au pénal devant les juridictions suisses,
- débouté la société CDI de sa fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée au motif qu'un événement est venu modifier la situation antérieurement reconnue en justice,
- débouté la société CDI de sa fin de non-recevoir tirée de la règle de l'estoppel et du principe de la concentration des moyens,
- déclaré recevable l'action engagée par la société Sofiseb,
- enjoint à la société CDI de conclure au fond au plus tard le 30 juin 2015,
- enjoint à la société Sofiseb de conclure en réponse au plus tard le 30 juillet 2015,
- invité la société Sofiseb et la société CDI à se présenter devant le tribunal de commerce de Rennes à l'audience publique du 3 septembre 2015 à 14 heures 30 pour plaider,
- réservé les dépens,
- liquidé les frais de greffe à la somme de 96,26 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.
Par jugement du 15 décembre 2015, le tribunal de commerce de Rennes a :
- constaté la rupture de relations commerciales établies au sens de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce,
- condamné la société CDI à payer à la société Sofiseb la somme de 892.134 euros en réparation de son préjudice du fait de la rupture brutale, et a débouté cette dernière du surplus de sa demande,
- condamné la société CDI à payer à la société Sofiseb la somme de 100.000 euros à titre de réparation de son préjudice moral,
- débouté la société Sofiseb de sa demande au titre de la restitution de documents comptables,
- débouté la société CDI de sa demande de compensation légale entre dettes et créances réciproques,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamné la société CDI à payer à la société Sofiseb la somme de 20.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société CDI aux dépens de l'instance,
- liquidé les frais de greffe à la somme de 70,20 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.
La cour est saisie de l'appel interjeté par la société CDI des jugements rendus par le tribunal de commerce de Rennes les 12 mai et 15 décembre 2015, par déclaration remise au greffe le 18 mars 2016.
La procédure devant la cour a été clôturée le 27 février 2018.
LA COUR
Vu les conclusions du 15 novembre 2016 par lesquelles la société CDI, appelante, invite la cour, au visa des articles 122, 880 et 1351 du code de procédure civile, à :
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 12 mai 2015,
en conséquence,
- déclarer irrecevable la société Sofiseb en raison de la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée de l'arrêt de la cour d'appel de Poitierss du 2 avril 2010 et subsidiairement en raison de la fin de non-recevoir tirée de la règle de l'estoppel et du principe de la concentration des moyens,
en conséquence,
- débouter la société Sofiseb de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- reconventionnellement, condamner la société Sofiseb à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Sofiseb en tous les dépens.
subsidiairement si le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 12 mai 2015 était confirmé,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 15 décembre 2015,
- dire que la rupture des relations d'affaires entre elle et sa filiale Sofiseb n'a pas eu un caractère brutal et qu'elle était fondée à user de sa faculté de résiliation sans préavis,
en conséquence,
- débouter la société Sofiseb de toutes ses demandes, fins et conclusions,
très subsidiairement,
- dire que le préavis de 15 jours fixé par elle dans son courrier du 15 janvier 2003 était un délai raisonnable,
- en toutes hypothèses, diminuer considérablement l'indemnité allouée à la société Sofiseb pour rupture abusive,
- la débouter de toute demande indemnitaire au titre de son préjudice moral,
en tout état de cause,
- ordonner la compensation judiciaire avec sa créance sur la société Sofiseb à hauteur de la somme de 427.481 euros et à défaut condamner la société Sofiseb au paiement de la somme de 427.481 euros,
en toutes hypothèses,
- condamner la société Sofiseb à lui payer la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Sofiseb aux entiers dépens dont distraction au profit de la selarl Lexavoué Paris-Versailles, en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
Elle fait notamment valoir que :
- la présente demande formulée à son encontre par la société Sofiseb est irrecevable, dès lors que dans le cadre d'une première instance opposant les mêmes parties en la même qualité et sur le même fondement, la cour d'appel de Poitierss, par arrêt du 2 avril 2010 passé en force de chose jugée à la suite du rejet du pourvoi en cassation par arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2011, a confirmé le jugement du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon du 13 juillet 2007 qui avait débouté la société Sofiseb de ses demandes, fins et conclusions,
- la procédure commerciale engagée par la société Sofiseb à son encontre tendait à obtenir l'indemnisation du préjudice lié à une rupture prétendument brutale de relation commerciale et c'est essentiellement en s'appuyant sur la perte de contrôle par la maison mère de sa filiale suisse du fait qu'elle ne pouvait « plus exercer ses droits sociaux sur la société qu'elle avait créée pour distribuer ses produits en Suisse » que la cour d'appel de Poitierss a pu constater qu'elle avait été fondée à rompre sans délai ses relations contractuelles avec sa filiale helvétique sans que l'aspect pénal du contentieux opposant les mêmes parties n'ait interféré à aucun moment,
- la relaxe au pénal de M. [M] par les juridictions helvétiques, intervenue postérieurement à ce que l'arrêt de la cour d'appel de Poitierss du 2 avril 2010 soit passé en force de chose jugée, ne saurait caractériser un « événement postérieur venu modifier la situation antérieurement reconnue en justice » de nature à faire perdre à l'arrêt de la cour d'appel de Poitierss du 2 avril 2010 son fondement juridique et par conséquent entraînant la perte d'autorité de la chose jugée de ladite décision,
- la nouvelle instance engagée par la société Sofiseb à son encontre par acte du 19 mars 2012 porte strictement sur la même demande que celle dont avait été saisie la cour d'appel de Poitierss entre les mêmes parties et formée par elle et contre elle en la même qualité,
- il résulte de l'analyse des deux assignations des 17 avril 2003 et du 10 octobre 2012 engagées successivement par la société Sofiseb à son encontre, du jugement du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon du 30 juillet 2007, de l'arrêt de la cour d'appel de Poitierss du 2 avril 2010 et des conclusions échangées par les parties, que les deux instances engagées par la société Sofiseb, sont de même nature, fondées sur les mêmes conventions, opposent les mêmes parties, portent sur les mêmes demandes tout en soutenant deux positions incompatibles, en ce que lors de la première procédure ayant abouti à l'arrêt de la cour d'appel de Poitierss du 2 avril 2010, la société de droit suisse, Sofiseb, a soutenu qu'il n'y avait aucunement lieu de tenir compte de la procédure pénale engagée devant les juridictions helvétiques par la société CDI à l'encontre de M. [M] pour régler la question de l'indemnisation de ses divers préjudices liés à la rupture des relations commerciales entre les parties, et que dans le cadre de la présente instance, la société Sofiseb indique dans son assignation du 19 mai 2011 « qu'il ressort clairement des décisions pénales rendues par les juridictions suisses ayant statué sur l'absence de commission par l'administrateur de la société Sofiseb d'un quelconque acte de gestion déloyale commis au détriment des intérêts de la société CDI, que la notification par la société CDI à la société Sofiseb de la rupture de leurs relations anciennes de plus de 23 ans, sans respect du moindre préavis, et le détournement de toute la clientèle de celle-ci sont caractéristiques d'abus »,
- la présente instance revêt un caractère exceptionnel en ce qu'elle oppose une filiale à sa société mère alors qu'il est de principe qu'il ne peut y avoir de contentieux entre elles, dès lors que la filiale est, par définition, contrôlée par la société mère,
- de 1985 à la rupture survenue de 2003, elle a normalement fourni à sa filiale, la société Sofiseb, dans le cadre d'une politique de groupe définie par elle sur commandes de la filiale, des meubles de cuisine et de salle de bains sous les marques « Arthur Bonnet » et « Comera » qu'elle revendait à une clientèle de détaillants suisses,
- il n'existait aucun accord écrit, aucune clause d'exclusivité territoriale au bénéfice de la filiale ni aucun commissionnement,
- l'exigence de motivation de la rupture n'est pas inscrite dans l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce, l'auteur de la rupture n'a donc pas à justifier des motifs de la rupture ni même des circonstances de celle-ci,
- la perte de contrôle par elle comme société mère de sa filiale suisse Sofiseb caractérise la faute de nature à justifier la résiliation sans préavis des relations commerciales,
- la perte de contrôle par une société mère d'une filiale étrangère dont elle contrôlait l'actionnariat à 75 % pour seul motif de l'absence de mise en jeu de la clause d'agrément prévue aux statuts la privant de ses droits sociaux constitue un motif grave justifiant la résiliation sans préavis des relations commerciales,
- l'existence d'un important encours impayé dans les rapports filiale/société mère, résultant d'agissements fautifs de la filiale ou de son dirigeant, en vue de favoriser le principal client de la filiale au sein de laquelle son mandataire social avait des intérêts directs ou indirects qu'il devait révéler à la société mère seulement en 2002, constitue une faute grave de nature à justifier pleinement la rupture des relations commerciales sans préavis avec le fournisseur,
- il était inimaginable que la filiale suisse contrôlée à 75 % du capital par la société mère puisse vendre autre chose que des cuisines et éléments de salle de bains distribués par ladite maison mère sous les marques « Arthur Bonnet » et « Coméra »,
- le préavis de 15 jours fixé dans son courrier du 15 janvier 2003 est suffisant où à défaut, la fixation d'un préavis de 2 mois serait raisonnable, correspondant ainsi au délai permettant la mise en 'uvre du seul licenciement du salarié à l'effectif de la société Sofiseb ;
Vu les conclusions du 12 février 2018 par lesquelles la société Sofiseb, intimée, demande à la cour, au visa de l'article 122 du code de procédure civile, de :
- confirmer les jugements entrepris en ce qu'ayant rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société CDI, tirée de l'autorité de la chose jugée,
- confirmer les jugements entrepris en ce qu'ils ont considéré que les décisions pénales suisses constituaient un élément nouveau de nature à justifier la procédure menée par elle devant le tribunal de commerce de Rennes et ce en dépit de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Poitierss,
- confirmer les décisions entreprises en ce qu'elles ont rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société CDI, fondée sur la théorie de l'estoppel,
- confirmer les décisions entreprises en ce qu'elles ont considéré qu'elle était recevable et bien fondée en ses demandes d'indemnisation de son préjudice tant moral que financier, subi du chef de la rupture abusive de ses relations contractuelles avec la société CDI,
- confirmer notamment le jugement rendu le 15 décembre 2015 en ce qu'il a considéré que la société Sofiseb avait subi un préjudice moral constitué par l'atteinte à son image de marque et à sa réputation pouvant être chiffré à la somme de 100.000 euros,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas pris en considération la totalité de son préjudice,
- infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas pris en considération le détournement de toute sa clientèle par la société CDI,
- dire que ce détournement justifie qu'il lui soit alloué la somme de 9.852.590 CHF augmentée des intérêts au taux légal décomptés depuis la rupture des relations contractuelles au titre de son préjudice matériel,
- dire que cette somme correspond à deux ans de chiffre d'affaires sur la base de la moyenne des dix dernières années durant lesquelles elle a réalisé un chiffre d'affaires sans cesse croissant,
en tout état de cause,
- dire que son préjudice matériel correspond à une perte de chiffre d'affaires devant être indemnisée sur une période de deux ans correspondant au préavis raisonnable, dès lors que la filiale commercialise les produits de la société mère dans le cadre d'une distribution exclusive depuis 25 ans,
- dire que la présente procédure ne revêt aucun caractère abusif,
en conséquence,
- débouter la société CDI de sa demande formulée à cet égard, d'autant que cette demande constitue une demande nouvelle ne pouvant être reçue sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile,
- condamner la société CDI à lui régler la somme de 20.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société CDI aux entiers dépens dont ceux d'appel ;
Elle explique notamment que :
- les décisions qui ont été rendues par le tribunal de commerce de la Roche-sur-Yon et par la cour d'appel de Poitierss se sont référées à la mise en cause de M. [M] en qualité de gérant,
- il a été mentionné dans le jugement du tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon du 13 décembre 2007 le fait que M. [M] était poursuivi pénalement, référence expresse étant faite aux agissements incriminés, reprochés à ce dernier aux termes de la plainte déposée à son encontre,
- la cour d'appel de Poitiers a indiqué que la rupture des relations se justifiait en raison de la perte de contrôle effectif de la filiale suisse par la société mère, motif retenu par la cour pour débouter l'intimée de ses réclamations,
- la société CDI ne peut soutenir aujourd'hui sans se contredire que les décisions pénales sont sans influence puisque, devant le tribunal de commerce, elle avait sollicité un sursis à statuer,
- la société CDI ne fait état d'aucun préjudice du fait du changement de position concernant la procédure pénale et ne peut dès lors solliciter l'infirmation du jugement du 12 mai 2015,
- l'acquittement de M. [M] devant les juridictions pénales suisses constitue un élément nouveau extérieur modifiant la situation antérieure, permettant de statuer à nouveau dans ce litige, l'autorité de la chose jugée ne pouvant être opposée dans ces circonstances,
- la durée du préavis raisonnable qui a été doublée au regard des dispositions de l'article L.442-6 du code de commerce est de 12 mois ;
SUR CE
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur la recevabilité de la demande de la société Sofiseb
L'article 122 du code de procédure civile dispose que « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».
Aux termes de l'ancien article 1351 ancien du code civil, applicable en l'espèce, « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même; que la demande soit fondée sur la même cause; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ».
Il est de principe qu'il n'y a pas autorité de la chose jugée lorsqu'un fait ou un acte postérieur à la décision dont l'autorité est invoquée, modifie la situation antérieurement reconnue en justice et la cause de la demande.
Dans son arrêt, la cour d'appel de Poitiers du 2 avril 2010 a motivé sa décision de rejet des demandes formulées par la société Sofiseb à l'encontre de la société CDI, et donc son refus d'interdire à la société Sofiseb avec un très court préavis de faire usage des marques dont elle est titulaire, sur la seule circonstance de la perte du « contrôle effectif de sa filiale [par cette dernière], ne pouvant plus exercer ses droits d'actionnaire majoritaire, celle-ci le lui refusant », précisant plus loin que la société Sofiseb « pouvait agir en toute indépendance ».
Il convient d'abord de relever que la cour d'appel a motivé le refus d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente de la procédure pénale menée en Suisse sur le fait que le motif de rupture invoqué par la société CDI est celui de la perte de contrôle de sa filiale par la société mère.
Ensuite, la cour d'appel de Poitiers n'évoque aucunement les griefs invoqués dans le cadre de la procédure pénale engagée en Suisse par la société CDI, mais reprend uniquement le contexte lié au refus de la société Sofiseb de réunir une assemblée générale extraordinaire demandée par la société CBI à la société Sofiseb le 3 avril 2002, et les conséquences que ce refus implique, à savoir la perte de contrôle de la maison mère par sa filiale, les droits sociaux de la société CBI, toujours actionnaire à 75% ne lui ayant pas été valablement transférés, tel que jugé dans la décision ayant acquis force de chose jugée et non contestée de la cour de justice de Genève du 21 novembre 2002. Il apparaît en effet que la faute retenue pour justifier la rupture des relations commerciales sans préavis est caractérisée par le refus par la société Sofiseb de droit suisse d'approuver le transfert des droits sociaux de la société Sofiseb de droit français à la société Sofiseb Industries, pourtant sa société mère détentrice de 75% de son capital et de convoquer l'assemblée générale demandée par elle, ce qui démontre la perte de contrôle par la maison mère de sa filiale. Or, ces faits ne sont pas contestés et ont seuls motivé la décision de la cour d'appel de Poitiers.
En outre, l'issue de la procédure pénale est indifférente à celle de la procédure civile menée tant dans le cadre de cette instance que dans celle initiée le 17 avril 2003, une faute civile indépendante ayant été caractérisée et retenue comme étant suffisamment grave pour justifier la rupture brutale des relations entre les parties.
L'arrêt du 2 avril 2010 ne fonde donc pas sa décision de rejet de la demande de la société Sofiseb sur les éléments invoqués par la société CBI devant les juridictions pénales suisses.
Dès lors, la décision de la cour d'appel de Poitiers du 2 avril 2010 n'est fondée que sur des éléments constants et la décision ultérieure d'acquittement de M. [M] ne peut constituer un acte postérieur pouvant remettre en cause la décision dont l'autorité est invoquée.
Il n'est pas contesté que la société Sofiseb formule en l'espèce les mêmes demandes sur les mêmes motifs à l'encontre de la même société que lors de la procédure précédente, qui a donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2011, ayant rejeté le pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 2 avril 2010.
En conséquence, l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers revêt l'autorité de la chose jugée au regard des demandes formées par la société Sofiseb dans le cadre de cette instance. Les demandes de la société Sofiseb sont donc irrecevables.
Ainsi, le jugement du 12 mai 2005 est intégralement infirmé, tout comme celui du 15 décembre 2015 par voie de conséquence.
Sur la demande reconventionnelle de la société CDI
Aux termes de l'article 1315 alinea 1 ancien du code civil, applicable en l'espèce, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
La société CDI sollicite la condamnation de la société Sofiseb à lui verser la somme de 427.481 euros.
Toutefois, la pièce n°91 que la société CDI a intitulé ' annexe au rapport du commissaire aux comptes fixant la créance de CDI sur la société de droit suisse Sofiseb au 31 décembre 2002 ", ne démontre aucunement à quoi correspond cette somme réclamée, ni son bien-fondé. De même, l'attestation du commissaire aux comptes du 26 octobre 2016 ne suffit pas à justifier la créance réclamée par la société CDI à l'égard de la société Sofiseb.
Il y a donc lieu de rejeter la demande de la société CDI. Le jugement doit être confirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formulée par la société CDI
En application des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile, l'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol. L'appréciation inexacte qu'une partie se fait de ses droits n'est pas constitutive en soi d'une faute.
La société CDI ne rapporte pas la preuve de ce que l'action de la société Sofiseb aurait dégénéré en abus. Elle doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les dépens et application de l'article 700 du code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à réformer le jugement déféré sur le sort des dépens et des frais irrépétibles.
La société Sofiseb, partie perdante en ce que toutes ses prétentions sont rejetées, doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer la somme de 20.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile à la société CDI.
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du code de procédure civile formulée par la société Sofiseb.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
INFIRME intégralement les jugements des 12 mai 2015 et 15 décembre 2015 rendus par le tribunal de commerce de Rennes ;
Statuant à nouveau,
DÉCLARE irrecevables l'ensemble des demandes de la société Sofiseb à l'encontre de la société CDI dans le cadre de cette instance ;
Y ajoutant,
DÉBOUTE la société CDI de sa demande en paiement ;
DÉBOUTE la société CDI de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
CONDAMNE la société Sofiseb aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer la somme de 20.000 euros à la société CDI par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande ;
Le Greffier La Présidente
Cécile PENG Irène LUC