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27/03/2018 | FRANCE | N°16/09386

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 1, 27 mars 2018, 16/09386


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 1



ARRET DU 27 MARS 2018



(n° , 6 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : 16/09386



Décision déférée à la Cour : Sentence rendue le 16 mars 2016 par le tribunal arbitral composé de MM [P] [U], et [M] [M], arbitres, et de M. [I] [G], président,



DEMANDERESSE AU RECOURS :



Société SAAD BUZWAIR AUTOMOTIVE

CO

prise en la personne de ses représentants légaux



[Adresse 1]

[Localité 1] (QATAR)



représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat postulant du b...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1

ARRET DU 27 MARS 2018

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/09386

Décision déférée à la Cour : Sentence rendue le 16 mars 2016 par le tribunal arbitral composé de MM [P] [U], et [M] [M], arbitres, et de M. [I] [G], président,

DEMANDERESSE AU RECOURS :

Société SAAD BUZWAIR AUTOMOTIVE CO

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 1] (QATAR)

représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0020

assistée de Me Bertrand DERAINS, avocat au barreau de PARIS, toque : P387

DÉFENDERESSE AU RECOURS :

Société AUDI VOLKSWAGEN MIDDLE EAST FZE LLC

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2])

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me Elie KLEIMAN, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : J007

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 février 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Dominique GUIHAL, présidente

Mme Dominique SALVARY, conseillère

M. Jean LECAROZ, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Dominique GUIHAL, présidente et par Mme Mélanie PATE, greffier présent lors du prononcé.

Le 1er juillet 2007, la société de droit qatari Saad Buzwair Automotive Co (SBA) a conclu avec la société de droit émirati Audi Volkswagen Middle East Fze (AVME) un accord portant sur la distribution au Qatar par la première de véhicules Audi et de leurs pièces détachées, ainsi que sur le service après-vente attaché à ces produits. Un accord identique a été conclu le même jour à l'égard des véhicules Volkswagen.

Le 14 mars 2011, AVME a fait connaître son intention de ne pas renouveler ces deux conventions.

Le 8 février 2013, SBA a engagé une procédure d'arbitrage conformément aux clauses compromissoires qui prévoyaient un arbitrage à [Localité 2] sous l'égide de la Chambre de commerce internationale avec application du droit allemand au fond du litige.

Par une sentence rendue le 16 mars 2016, le tribunal arbitral composé de MM [P] [U], et [M] [M], arbitres, et de M. [I] [G], président, a jugé qu'AVME était fondée à ne pas renouveler les contrats, a rejeté les demandes de SBA et condamné cette dernière à supporter les frais d'arbitrage, ainsi que l'intégralité des frais et honoraires d'AVME.

Le 20 avril 2016, SBA a formé un recours contre cette sentence.

Par des conclusions notifiées le 22 janvier 2018, elle demande à la cour d'en prononcer l'annulation pour irrégularité dans la constitution du tribunal arbitral et de condamner AVME à lui payer la somme de 150.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par des conclusions notifiées le 15 janvier 2018, AVME demande à la cour de rejeter le recours en annulation et de condamner SBA à lui payer la somme de 250.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR QUOI :

Sur le moyen unique d'annulation tiré de l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral (article 1520, 2° du code de procédure civile) :

La recourante fait valoir que M. [U] a omis de déclarer les liens existant entre le cabinet d'avocats dont il est associé et des entités des groupes Volkswagen et Porsche et que ces circonstances étaient de nature à créer dans son esprit un doute raisonnable relativement à l'indépendance et l'impartialité de cet arbitre.

Considérant qu'aux termes de l'alinéa 2 de l'article 1456 du code de procédure civile, applicable en matière internationale en vertu de l'article 1506 du même code : 'Il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission';

Considérant, toutefois, d'une part, que suivant l'article 1466 du code de procédure civile, applicable à l'arbitrage international par renvoi de l'article 1506.3° du même code : 'La partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir'; qu'une telle présomption est opposable à celui qui n'exerce pas son droit de récusation dans les délais et suivant les modalités prévus par le règlement d'arbitrage auquel les parties ont convenu de se soumettre;

Et, d'autre part, que l'obligation d'information qui pèse sur l'arbitre doit s'apprécier au regard de la notoriété de la situation critiquée, de son lien avec le litige et de son incidence sur le jugement de l'arbitre;

Considérant que si des informations publiques et très aisément accessibles, que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l'arbitrage, sont de nature à caractériser la notoriété d'un conflit d'intérêts, en revanche, il ne saurait être raisonnablement exigé, ni que les parties se livrent à un dépouillement systématiques des sources susceptibles de mentionner le nom de l'arbitre et des personnes qui lui sont liées, ni qu'elles poursuivent leurs recherches après le début de l'instance arbitrale;

Considérant qu'en l'espèce, à la suite de la requête d'arbitrage qu'elle a déposée le 8 février 2013, SBA a choisi M. [U] en qualité d'arbitre; que le Secrétariat de la Cour d'arbitrage de la C.C.I a envoyé à ce dernier, conformément à l'article 11 du règlement d'arbitrage, une fiche d'information sur le dossier mentionnant le nom des parties à l'arbitrage, ainsi que celui de l'ensemble des entités concernées par le litige, y compris le groupe Volkswagen; que le 12 mars 2013 M. [U] a répondu qu'il acceptait l'arbitrage, en précisant : 'A ma connaissance et après m'être dûment renseigné, il n'existe aucun fait ou circonstance, passés ou présents, de nature à mettre en cause mon indépendance dans l'esprit de l'une des parties et aucune circonstance qui pourrait susciter un doute raisonnable quant à mon impartialité, que je devrais révéler.';

Considérant que la sentence a été rendue le 16 mars 2016, à l'unanimité du tribunal arbitral composé de MM [P] [U], et [M] [M], arbitres, et de M. [I] [G], président;

Considérant que SBA fait valoir qu'après la reddition de la sentence elle a découvert dans l'annuaire allemand des avocats, JUVE, édition 2010/2011, que le cabinet [Adresse 3] (H&M), auquel appartient M. [U], avait représenté un consortium de trois banques, parmi lesquelles la Volkswagen Bank, entité du groupe Volkswagen, dans un litige de concurrence les opposant à la Sparkasse Ingolstadt; qu'interrogé par SBA sur ce fait, M. [U], par une lettre du 23 mai 2016 a reconnu que le cabinet H&M avait représenté la Volkswagen Bank jusqu'à un arrêt de la cour d'appel de Munich en juin 2010, la suite de la procédure devant la Cour suprême fédérale ayant été assurée par l'équivalent d'un avocat aux Conseils français; qu'il a ajouté qu'il n'avait pas été informé de l'existence de ce dossier auquel il n'avait pas personnellement pris part, que s'il en avait eu connaissance, il l'aurait évidemment révélé, et que H&M n'avait 'pas autrement agi pour ou conseillé une société ou entité du groupe Volkswagen, dont le groupe Porsche, de 2011 à ce jour.';

Considérant que SBA expose que le même annuaire professionnel, édition 2015/2016, mentionne la représentation de Porsche, entité du groupe Volkswagen, dans le cadre d'un litige en cours, par le département arbitrage et médiation du cabinet [Adresse 3];

Considérant que AVME prétend que cette mention est erronée et qu'elle résulte vraisemblablement d'un défaut de mise à jour imputable à l'éditeur; qu'elle verse aux débats l'édition 2016/2017 qui ne fait plus état d'une telle collaboration, ainsi qu'une attestation de M. [Y] [C], directeur juridique du département de droit de la distribution de la société Porsche datée du 5 janvier 2017 indiquant 'n'avoir à aucun moment mandaté H&M depuis la date de mon arrivée au service juridique de la société Porsche A.G le 1er octobre 2008 et n'avoir eu connaissance d'aucun mandat substantiel confié à H&M par d'autres collègues du service juridique depuis le 1er octobre 2008 à l'exception (...) d'une mission ponctuelle de droit bancaire en rapport avec le financement des ventes par les centres Porsche autorisés. M. [U] n'était pas impliqué dans ces prestations de conseil qui ont été fournies de juin à novembre 2010 et qui ont été facturées 7.520,80 euros ";

Mais considérant, d'une part, qu'outre le fait que M. [C] n'est pas en situation de neutralité vis-à-vis d'une partie, il apparaît qu'il travaille dans le département du droit de la distribution et ne prétend pas avoir fait de recherches exhaustives des mandats qui auraient pu être accordés par Porsche au cabinet H&M par d'autres départements du service juridique, se bornant à indiquer 'qu'il n'avait pas eu connaissance de mandats substantiels' consentis par ses collègues, ce qui, à proprement parler, n'engage à rien;

Que, d'autre part, la disparition de la mention de Porsche dans l'édition 2016/2017 de l'annuaire JUVE n'a rien à voir avec un erratum pour l'édition précédente et que l'explication alléguée par AVME selon laquelle cette mention résulterait d'un défaut de mise à jour imputable à l'éditeur est démentie par le fait que le nom de Porsche n'apparaît pas dans l'édition 2013/2014;

Considérant, enfin, que SBA verse aux débats le modèle du formulaire envoyé par l'équipe éditoriale de JUVE aux cabinets d'affaires pour établir son annuaire; que l'une des rubriques est relative au 'top 5 des affaires les plus importantes d'un point de vue juridique ou pour le développement du cabinet' et comporte quatre lignes pour indiquer le nom du client, et les caractéristiques de l'affaire;

Considérant qu'AVME ne produit pas la seule pièce qui démontrerait que la mention de Porsche serait une erreur de l'éditeur, à savoir la copie du formulaire qu'elle a renvoyé à JUVE pour l'édition 2015/2016;

Considérant, au surplus, que, contrairement à ce que prétend AVME, cette publication par laquelle les cabinets d'affaires mettent en valeur les affaires les plus flatteuses qu'ils ont eu à traiter et les clients les plus convoités qui les ont mandatés est un élément de communication important qui ne saurait être laissé au hasard;

Considérant qu'AVME ne démontre donc pas que la mention de Porsche parmi ses clients en 2014 et/ou 2015 serait erronée;

Considérant que si l'existence d'un contrat exécuté en 2010 par le cabinet H&M pour la Volkswagen Bank doit être regardée comme notoire du fait de sa publication avant le début de l'arbitrage dans un annuaire professionnel connu de tous les cabinets d'avocats d'affaires allemands, en revanche, AVME n'était pas tenue de poursuivre ses recherches après le début des opérations d'arbitrage et il incombait à l'arbitre d'informer les parties de toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité survenant après l'acceptation de sa mission;

Considérant qu'il est établi qu'en 2014 et/ou 2015, la société Porsche, entité du groupe Volkswagen, a été cliente du cabinet H&M pour une mission suffisamment notable pour que ce cabinet en fasse un élément de sa communication et la fasse figurer dans le 'top 5" de ses dossiers les plus remarquables;

Considérant que cette mission, qui s'est déroulée pendant le cours de l'instance arbitrale, et qui revêtait une incontestable importance aux yeux du cabinet auquel appartient M. [U] était une circonstance de nature à créer un doute raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité de cet arbitre, étant au surplus observé qu'il résulte de l'attestation précitée de M. [C] qu'en 2010 une mission avait été confiée par Porsche à H&M, mission certes de faible importance, mais non déclarée par l'arbitre et non rendue publique par le cabinet;

Et considérant que la circonstance que la sentence ait été rendue à l'unanimité et que l'impartialité des autres arbitres ne soit pas discutée n'est pas pertinente, chaque membre du tribunal arbitral étant également susceptible, par ses questions au cours des débats et par ses arguments au cours du délibéré, d'influencer les autres arbitres;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la sentence doit être annulée;

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Considérant qu'AVME, qui succombe, ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et sera condamnée sur ce fondement à payer à SBA la somme de 100.000 euros;

PAR CES MOTIFS :

Annule la sentence rendue à [Localité 2] entre les parties le 16 mars 2016.

Condamne la société Audi Volkswagen Middle East Fze aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et au paiement à la société Saad Buzwair Automotive Co. de la somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 16/09386
Date de la décision : 27/03/2018
Sens de l'arrêt : Annulation

Références :

Cour d'appel de Paris A1, arrêt n°16/09386 : Annule la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-03-27;16.09386 ?
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