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27/03/2018 | FRANCE | N°16/03596

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 1, 27 mars 2018, 16/03596


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1



ARRET DU 27 MARS 2018



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/03596



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 22 octobre 2015 qui a conféré l'exequatur à la sentence rendue à New Delhi le 14 septembre 2015.





APPELANTE



Société ANTRIX COR

PORATION LIMITED Société nationale de droit indien

prise en la personne de ses représentants légaux



[S] [E], [Adresse 1],

[Adresse 1] (INDE)



représentée par Me Jean-Clau...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 1

ARRET DU 27 MARS 2018

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/03596

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 22 octobre 2015 qui a conféré l'exequatur à la sentence rendue à New Delhi le 14 septembre 2015.

APPELANTE

Société ANTRIX CORPORATION LIMITED Société nationale de droit indien

prise en la personne de ses représentants légaux

[S] [E], [Adresse 1],

[Adresse 1] (INDE)

représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : D0945

assistée de Me Olivier LOIZON et de Me Laure-Anne MONTIGNY, avocats plaidant du barreau de PARIS, cabinet Viguié Schmidt Associés AARPI, toque : R145 et cabinet Curtis Mallet Prevost Colt & Mosle LLP, toque : J 019

INTIMEE

Société DEVAS MULTIMEDIA PRIVATE LIMITED

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Adresse 3] (INDE)

représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0018

assistée de Me Grégoire BERTROU, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : J003

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 février 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Dominique GUIHAL, présidente, et M. Jean LECAROZ, conseiller, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Dominique GUIHAL, présidente

Mme Dominique SALVARY, conseillère

M. Jean LECAROZ, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Dominique GUIHAL, présidente et par Mme Mélanie PATE, greffier présent lors du prononcé.

Antrix Corporation Ltd (ci-après Antrix) est une société nationale de droit indien chargée de promouvoir et de commercialiser les produits et services de l'Agence spatiale indienne. Le 28 janvier 2005, elle a conclu avec la société indienne Devas Multimedia Private Ltd (ci-après Devas) un contrat portant sur la mise à disposition d'un spectre d'environ 70 Mhz sur la bande-S moyennant le paiement en trois échéances d'une somme dénommée 'upfront capacity reservation fees' d'un montant de 40 millions USD, puis le règlement de redevances annuelles de 9 millions USD. Le contrat prévoyait l'application de la loi indienne et le règlement des litiges par voie d'arbitrage. Il était conclu pour une période de 12 années renouvelables. Sa mise en oeuvre était subordonnée à l'obtention de diverses autorisations.

Invoquant la décision du Gouvernement indien de réserver la bande-S à des activités stratégiques, Antrix a notifié à Devas le 25 février 2011 que le contrat prenait fin sans responsabilité de sa part, conformément à l'article 7 (c) relatif à l'impossibilité d'obtenir les autorisations nécessaires, et à l'article 11 relatif à la force majeure. Le 15 avril 2011, Antrix a restitué environ 13 millions USD correspondant à l'intégralité des capacity reservation fees qu'elle avait perçus.

Devas a refusé ce paiement en soutenant que le contrat était toujours en vigueur, et a saisi la Chambre de commerce internationale d'une demande d'arbitrage.

Par une sentence rendue à New Delhi le 14 septembre 2015, le tribunal arbitral composé de MM [D] et [A], arbitres et de M. [F], président a condamné Antrix à payer à Devas la somme de 562,5 millions USD de dommages-intérêts pour avoir abusivement résilié le contrat.

Cette sentence a été revêtue de l'exequatur par une ordonnance rendue le 22 octobre 2015 par le président du tribunal de grande instance de Paris, dont Antrix a interjeté appel le 9 février 2016.

Par des conclusions notifiées le 4 décembre 2017, elle demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise et de condamner Devas à lui payer la somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Antrix invoque l'incompétence du tribunal arbitral et l'irrégularité de sa constitution (article 1520, 1° et 2° du code de procédure civile), la violation du principe du contradictoire et de l'ordre public international en ce que les arbitres ont écarté la force majeure (article 1520, 4° et 5°), la méconnaissance par les arbitres de leur mission et la violation principe du contradictoire en ce qui concerne l'évaluation de l'indemnité (article 1520, 3° et 4°).

Par des conclusions notifiées le 10 janvier 2018, Devas demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise et de condamner Antrix à une amende civile de 3.000 euros pour recours abusif ainsi qu'au versement de la somme de 250.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR QUOI :

Sur le moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral et de l'irrégularité de sa constitution (article 1520, 1° et 2° du code de procédure civile) :

Antrix soutient que la clause compromissoire exprimait la volonté des parties de recourir à un arbitrage ad hoc, le renvoi aux règlements C.C.I. ou CNUDCI ne concernant que l'encadrement de la procédure après la désignation des arbitres et excluant toute administration de l'arbitrage par une institution. Elle tire cette interprétation des termes de la clause, qui s'écartent de ceux qui sont recommandés par la C.C.I., de l'anomalie que constituerait l'option entre un arbitrage administré (par la C.C.I) et un arbitrage ad hoc (sous règlement CNUDCI), enfin du caractère exhaustif des stipulations de la clause compromissoire, ainsi que de leur incompatibilité avec des dispositions substantielles du règlement d'arbitrage de la C.C.I, notamment sur les frais, qui faisait obstacle à la conclusion d'une convention d'organisation de l'arbitrage. Elle en déduit que l'administration de l'arbitrage par la C.C.I l'a privée du droit de désigner un arbitre, et a eu pour conséquence que le tribunal arbitral était irrégulièrement constitué et incompétent.

Devas prétend qu'Antrix ne s'est pas prévalue dans l'instance arbitrale du moyen tiré de ce que la clause aurait prévu un arbitrage ad hoc de sorte que ce moyen est irrecevable devant le juge de l'exequatur en application des articles 1466 et 1506 du code de procédure civile.

Antrix réplique que le moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral était bien dans le débat et que, même si le terme d'arbitrage ad hoc n'avait pas été employé dans ses mémoires, telle était bien la thèse revendiquée.

Considérant que la clause compromissoire du contrat stipule :

'Arbitrage.

aEn cas de litige ou de différend entre les Parties concernant toute clause ou disposition du présent Contrat ou quant à l'interprétation de celles-ci, ou quant à tout compte ou évaluation, ou quant aux droits, responsabilités, actes ou abstentions d'une Partie nés de l'application des présentes ou de quelque manière que ce soit en lien avec le présent Contrat, ce litige ou différend sera porté devant les organes de direction des deux Parties aux fins de résolution dans un délai de trois (3) semaines, à défaut de quoi il sera soumis à un Tribunal Arbitral composé de trois arbitres, un nommé par chaque partie (i.e. DEVAS et ANTRIX) et les arbitres ainsi désignés nommeront le troisième arbitre.

bLe siège de l'Arbitrage est situé à NEW DELHI en Inde.

cLa procédure d'arbitrage sera conduite conformément aux règles et procédures (rules and procedures) de la C.C.I. (Chambre de commerce internationale) ou de la CNUDCI.

dLe Tribunal Arbitral rendra une décision ou une sentence par écrit (laquelle sera adoptée par une majorité des membres du Tribunal Arbitral en ce qui concerne la sentence appropriée ou toute compensation accordée conséquemment au litige, (incluant le montant que la Partie qui indemnise doit à la Partie à indemniser relativement à une demande déposée par la Partie à indemniser).

eDans la mesure du possible, toutes les décisions du panel arbitral seront rendues au plus tard dans un délai de 30 (trente) jours à compter du commencement de la procédure y relative. Le Tribunal Arbitral rendra compte de sa décision par sentence écrite et s'assurera de sa remise aux Parties.

fToute décision ou sentence rendue par le panel arbitral sera définitive, exécutoire et irrévocable à l'égard des Parties, et sera susceptible d'être exécutée par tout tribunal compétent dans les limites fixées par les Lois.

gChaque Partie à l'Arbitrage supportera ses propres coûts et dépenses y relatifs, en ce compris mais s'y limiter ses honoraires d'avocats, le cas échéant, et les frais et honoraires du membre du Tribunal Arbitral qu'elle aura désigné, étant toutefois précisé que les frais et honoraires du troisième membre du tribunal arbitral et toutes autres dépenses du Tribunal Arbitral non susceptibles d'être attribuées à un des membres seront supportés à parts égales par les Parties.';

Considérant que sur le fondement de cette clause, Devas, le 1er juillet 2011, a saisi la Chambre de commerce internationale d'une requête d'arbitrage;

Que le 5 juillet 2011, le Secrétariat de la Cour de la C.C.I a notifié à Antrix que Devas avait opté pour un arbitrage conformément aux règles et procédures de la C.C.I, lui a transmis la requête et les pièces, l'a invitée à conclure en réponse dans les trente jours, conformément au règlement d'arbitrage, l'a informée de ce que la stipulation relative aux frais était une 'dérogation substantielle au Règlement' et lui a indiqué qu'à défaut d'objection dans les cinq jours, les parties seraient présumées avoir renoncé à cette stipulation au bénéfice de l'article 31 du règlement;

Considérant qu'Antrix fait valoir que dès le 11 juillet 2011 elle a répondu qu'elle ne consentait à aucune modification de la convention d'arbitrage, qu'elle estimait que Devas ne pouvait faire choix unilatéralement d'un règlement d'arbitrage et qu'elle considérait que la C.C.I n'avait pas le pouvoir de lui impartir un délai pour conclure en réponse; qu'Antrix ajoute que le Secrétariat de la Cour d'arbitrage de la C.C.I lui ayant indiqué le 18 juillet 2011 que les difficultés qu'elle soulevait seraient soumises à la Cour et lui ayant enjoint de désigner un arbitre au plus tard le 8 août 2011, faute de quoi, la Cour procéderait à la désignation en application de l'article 8.4 du règlement, elle a, par courriers du 30 juillet 2011, réitéré ses objections et indiqué à Devas qu'elle estimait que le contrat étant soumis au droit indien, l'arbitrage était régi par l'Arbitration and Conciliation Act, 1996 suivant lequel, le tribunal arbitral, une fois constitué selon les termes du contrat, déciderait, en l'absence d'accord des parties si l'arbitrage serait régi par le règlement de la C.C.I ou par le règlement CNUDCI; qu'elle a informé Devas qu'elle avait, dans ce cadre, désigné Mme [Q], ancien juge à la Cour suprême indienne, comme arbitre, et que, le 8 août 2011, elle a fait connaître à la C.C.I qu'elle avait saisi le juge d'appui indien afin qu'il nomme un deuxième arbitre dans l'hypothèse où Devas s'en abstiendrait et qu'il convenait de surseoir à la constitution d'un tribunal arbitral sous son égide;

Considérant que le 19 août 2011 la Cour de la C.C.I a décidé de la poursuite de l'arbitrage; que le 13 octobre 2011, elle a nommé M. [A] en qualité d'arbitre pour le compte d'Antrix, et confirmé la désignation de l'arbitre choisi par Devas, enfin, que le 10 novembre 2011, elle a désigné le président du tribunal arbitral, les deux arbitres s'étant abstenus de procéder à cette désignation du fait de la procédure pendante devant le juge d'appui; que le 10 mai 2013, celui-ci a rejeté la demande d'Antrix;

Considérant que par la sentence querellée, les arbitres ont écarté l'objection d'incompétence tirée de l'inapplicabilité de la clause compromissoire qui leur avait été soumise par Antrix;

Que celle-ci soutient devant le juge de l'exequatur que le contrat prévoyait un arbitrage ad hoc, de sorte que le tribunal arbitral désigné par la Cour de la C.C.I était incompétent et irrégulièrement composé; qu'elle ajoute que si le terme d'arbitrage ad hoc n'avait pas été expressément employé par elle devant le tribunal arbitral, cette thèse était comprise dans l'exception d'incompétence présentée aux arbitres, et se déduisait de son comportement procédural, de sorte que le moyen était recevable;

Mais considérant qu'aux termes de l'article 1466 du code de procédure civile, applicable en matière internationale par renvoi de l'article 1506 : 'La partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir';

Considérant qu'il résulte de ce texte que c'est au regard de l'argumentation développée devant les arbitres, et non des péripéties procédurales antérieures ou parallèles à l'instance arbitrale, qu'il convient d'apprécier si une partie est présumée avoir renoncé à se prévaloir d'une irrégularité;

Considérant que si Antrix, à la suite du dépôt par Devas d'une requête d'arbitrage auprès de la C.C.I., a protesté contre l'intervention de ce centre d'arbitrage et saisi le juge d'appui, et si sa thèse, selon l'acte de mission, était que 'la clause d'arbitrage prévoit la désignation du tribunal arbitral par les parties sans intervention du règlement C.C.I ou de tout autre règlement institutionnel' (§ 27), elle a clarifié sa position devant le tribunal arbitral en soutenant dans ses mémoires que la clause compromissoire, en ce qu'elle faisait référence à deux règlements d'arbitrage sans fixer les modalités de choix entre eux, était pathologique, qu'elle était donc inapplicable sans accord préalable des parties, ce qui privait le tribunal de pouvoir juridictionnel;

Considérant que devant le juge de l'exequatur, Antrix allègue que la clause compromissoire organiserait un arbitrage ad hoc dans lequel le règlement C.C.I n'interviendrait qu'après désignation du tribunal arbitral et sans que les organes de la C.C.I. - avec laquelle un contrat d'organisation de l'arbitrage n'aurait pas été conclu -, aient été investis d'un pouvoir d'administration de l'arbitrage;

Considérant que si ce moyen est présenté à la cour sous couvert du double grief d'incompétence et d'irrégularité de la composition du tribunal arbitral, il ne relève en réalité que du second puisque Antrix, contrairement à ce qu'elle avait prétendu devant le tribunal arbitral, ne conteste plus que les parties seraient liées par une convention d'arbitrage dotée par elle-même d'efficacité, mais seulement que le règlement C.C.I. serait inapplicable à la constitution du tribunal, dont les membres auraient donc dû être désignés, en cas de défaillance des parties, par le juge d'appui indien, conformément à la loi régissant le contrat, et non par la Cour de la C.C.I;

Considérant que ce moyen procède d'une interprétation de la clause compromissoire contradictoire avec celle qui avait été soumise aux arbitres; que ceux-ci, en effet, ont été invités à se prononcer sur le caractère pathologique de la clause et non sur le fait que le règlement d'arbitrage de la C.C.I serait divisible et qu'un contrat pour l'administration de l'arbitrage n'aurait pas été conclu;

Qu'Antrix étant réputée avoir renoncé à se prévaloir des irrégularités qu'elle n'avait pas invoquées devant le tribunal arbitral, le moyen est irrecevable;

Sur le moyen tiré de la violation du principe de la contradiction et de l'ordre public international dans l'appréciation de la force majeure (article 1520, 4° et 5° du code de procédure civile) :

Antrix fait valoir que le tribunal arbitral a exclu la force majeure en se fondant, non pas sur les moyens de Devas, qu'il a écartés, mais sur un argument, non débattu par les parties, selon lequel Antrix aurait dû faire en sorte que le Cabinet Committee on Security évite de prendre la décision relative à la bande-S, ce qui, en outre, était un encouragement à la corruption.

Sur la première branche du moyen :

Considérant, en premier lieu, que le principe de la contradiction exige seulement que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n'ait échappé à leur débat contradictoire;

Considérant, en second lieu, que les arbitres n'ont aucune obligation de soumettre au préalable leur motivation à une discussion contradictoire des parties;

Considérant qu'en l'espèce le litige était relatif à la qualification de force majeure de la décision du Cabinet Committee on Security (CCS) de réserver la bande-S à des usages stratégiques; que le débat portait sur l'article 11 du contrat suivant lequel l'événement de force majeure devait être 'hors du contrôle raisonnable de la partie affectée';

Considérant que le tribunal arbitral a retenu que si la décision du CCS était au-delà du contrôle raisonnable d'Antrix une fois qu'elle avait été arrêtée (sentence § 229), en revanche, le président de cette société avait pris diverses mesures (sentence, § 231) qui avaient conduit directement à la décision du CCS d'annuler le contrat (sentence, § 234), qu'il aurait donc pu empêcher l'adoption de cette décision laquelle ne constituait pas, dès lors, un cas de force majeure;

Considérant que la sentence, fondée sur une stipulation contractuelle - l'article 11 de la convention - contradictoirement débattue, et sur les faits exposés par les parties relativement au comportement du Président d'Antrix (sentence, § 215), n'encourt pas le grief de violation du principe de la contradiction;

Sur la seconde branche du moyen :

Considérant que le moyen qui allègue, non pas que la décision des arbitres donnerait effet à un pacte corruptif mais que leur raisonnement serait un encouragement à la corruption, ne contient aucune démonstration d'une violation effective et concrète par la sentence de l'ordre public international;

Considérant que le moyen, en ses deux branches, ne saurait être accueilli;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance par le tribunal arbitral de sa mission et de la violation du principe du contradictoire dans l'évaluation de l'indemnité (article 1520, 3°et 4° du code de procédure civile) :

Antrix soutient, en premier lieu, que le tribunal arbitral n'a pas respecté le droit indien applicable au fond du litige, et qu'il s'est, par conséquent, nécessairement prononcé en équité, alors qu'il n'était pas investi d'une mission d'amiable compositeur. Antrix fait valoir, à cet égard, d'une part, que dans leur évaluation des dommages-intérêts, les arbitres ont indiqué qu'ils étaient requis de faire 'du mieux possible' pour évaluer les pertes et dommages, alors que, selon le droit indien, il n'appartient pas au juge de pallier la carence du demandeur dans la justification du préjudice qu'il invoque, d'autre part, que la Cour suprême de l'Union indienne ayant jugé le 2 février 2012 que l'allocation d'une fréquence du spectre électromagnétique ne pouvait se faire que par mise aux enchères publiques, le tribunal arbitral, en ne tenant pas compte, pour évaluer les dommages-intérêts, du fait que le contrat avait été conclu sans mise aux enchères, a refusé d'appliquer le droit indien.

Antrix fait valoir, en second lieu, que le tribunal arbitral, d'une part, en décidant que le fait que le préjudice soit difficile à évaluer n'était pas une raison valable pour refuser d'allouer des dommages-intérêts, a créé une règle d'indemnisation inconnue du droit indien sans inviter les parties à s'en expliquer, d'autre part, a évalué l'indemnité sur la base d'une valeur supposée de Devas en mars 2008 à laquelle il a appliqué une prime de 50 % qui ne correspondait à aucune des positions des parties ni ne ressortait des pièces qu'elles avaient produites, sans inviter les parties à s'en expliquer.

Sur le moyen pris en sa première branche :

Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient Antrix, les arbitres ont exposé au paragraphe 321 de la sentence les précédents jurisprudentiels sur lesquels ils se fondaient, conformément au droit indien, pour décider que 'le fait que les dommages-intérêts ne puissent pas être estimés avec certitude ne décharge pas le fautif de la nécessité de verser des dommages-intérêts' et que dans cette hypothèse, 'la cour ou le tribunal [devaient] 'faire de leur mieux' en se fondant sur les preuves disponibles'; qu'en énonçant ces principes le tribunal arbitral s'est donc prononcé en droit en non en amiable composition, comme il le souligne d'ailleurs expressément en rappelant qu'il 'n'est pas autorisé à agir 'ex aequo et bono'' (sentence, § 321);

Considérant, en second lieu, que l'argument selon lequel le tribunal arbitral n'aurait pas tenu compte de la jurisprudence de la Cour suprême relative à la mise aux enchères des fréquences, et aurait en conséquence alloué des dommages-intérêts d'un montant excessif, revient à reprocher aux arbitres d'avoir fait une application défectueuse du droit indien, sur laquelle il n'appartient pas au juge de l'exequatur de se prononcer, et non d'avoir statué en équité;

Sur le moyen pris en sa seconde branche :

Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que prétend Antrix, le principe suivant lequel la difficulté d'évaluer le préjudice ne dispense pas la juridiction de son obligation de se livrer à cette appréciation, est reconnu par le droit indien et qu'il était nécessairement dans le débat s'agissant d'un dommage qui dépendait d'événements futurs devant faire l'objet d'hypothèses;

Considérant, en second lieu, que le tribunal arbitral a expliqué aux paragraphes 381 à 386 de la sentence sur quels éléments, fournis par les parties, il se fondait pour apprécier la valeur de Devas en 2008, son évolution de 2008 à 2011, compte tenu des facteurs de risque auxquels l'entreprise était exposée, et les conclusions qu'il en tirait sur les pertes résultant de la décision d'Antrix; que ce faisant, les arbitres, qui n'étaient pas tenus de soumettre au préalable leur motivation à la discussion des parties n'ont pas méconnu le principe de la contradiction;

Que le moyen en ses deux branches ne peut qu'être écarté;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ordonnance entreprise doit être confirmée;

Sur l'amende civile :

Considérant qu'il n'est pas démontré que l'exercice des voies de recours ait dégénéré en abus; qu'il n'y a pas lieu à amende civile;

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Considérant qu'Antrix, qui succombe, ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sera condamnée sur ce fondement à payer à Devas la somme de 100.000 euros;

PAR CES MOTIFS :

Confirme l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 22 octobre 2015 qui a conféré l'exequatur à la sentence rendue à New Delhi le 14 septembre 2015.

Dit n'y avoir lieu à amende civile.

Condamne la société Antrix Corporation Ltd aux dépens et au paiement à la société Devas Multimedia Private Ltd de la somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 16/03596
Date de la décision : 27/03/2018

Références :

Cour d'appel de Paris A1, arrêt n°16/03596 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-03-27;16.03596 ?
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