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21/03/2018 | FRANCE | N°16/12003

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 21 mars 2018, 16/12003


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 21 Mars 2018

(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/12003



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Août 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL RG n° F15/00196



APPELANT



Monsieur [A] [B]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 1] 1964 à PARIS (75019)

représenté par M

e Ronald VARDAGUER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1222



INTIMEE



SAS COLORINE

[Adresse 3]

[Adresse 4]

[Adresse 5]

[Adresse 6]

N° SIRET : 775 692 932

représentée par Me Mic...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 21 Mars 2018

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/12003

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Août 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL RG n° F15/00196

APPELANT

Monsieur [A] [B]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 1] 1964 à PARIS (75019)

représenté par Me Ronald VARDAGUER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1222

INTIMEE

SAS COLORINE

[Adresse 3]

[Adresse 4]

[Adresse 5]

[Adresse 6]

N° SIRET : 775 692 932

représentée par Me Michel BOUTHENET, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Janvier 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Christine LETHIEC, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine SOMMÉ, président

Monsieur Benoit HOLLEAUX, conseiller

Mme Christine LETHIEC, conseiller

Greffier : Mme Aurélie VARGAS, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Catherine SOMMÉ, président et par Madame Laurie TEIGELL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits et prétentions des parties

M. [A] [B] a été engagé verbalement par la SAS COLORINE pour y exercer les fonctions d'aide-comptable, à compter du 16 juillet 1984. Par avenant signé des parties le 2 janvier 2008, le salarié a été promu aux fonctions de directeur- superviseur, statut cadre, niveau 9, échelon 1, en contrepartie d'une rémunération mensuelle brute de 5 354.07 € pour 166.67 heures, incluant 15 heures supplémentaires. Le salarié percevait, en dernier lieu,une rémunération mensuelle de 6 140.41 €.

L'entreprise qui employait, au jour de la rupture, plus de dix salariés, est assujettie à la convention collective du commerce de gros.

Par lettre recommandée du 29 octobre 2014, la société COLORINE a convoqué M. [A] [B] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 7 novembre 2014, en lui notifiant, également, une mise à pied à titre conservatoire.

Un licenciement pour faute grave a été notifié à l'intéressé par courrier recommandé du 18 novembre 2014, rédigé en ces termes :

« Ponctuellement certains de nos fournisseurs nous attribuent à titre d'encouragement à la diffusion de leurs produits des chèques cadeaux en fonction du volume des ventes réalisées.

C'est ainsi que notre agence de [Localité 1], dont vous êtes le responsable, s'est vue attribuer le 22 septembre 2014, une dotation de chèques cadeaux pour une valeur totale de 1 265 €, dont il vous appartenait de procéder à la répartition entre les membres de votre équipe en fonction de votre appréciation de leur mérite.

Cette répartition a donné lieu en date du 6 octobre 2014 à l'établissement d'une fiche établie sous votre responsabilité sur laquelle vous mentionniez les noms, prénoms et le montant des chèques cadeaux remis à chacun.

Or, suite à l'intervention de l'un de vos collaborateurs, le lundi 27 octobre, s'étonnant auprès de Mme [L] [D], déléguée du personnel, de n'avoir reçu en octobre aucun chèque cadeaux, il est apparu que vous faisiez signer en blanc les fiches de répartition avant d'y inscrire ultérieurement le montant des chèques cadeaux que vous aviez supposé attribuer à chacun.

Le mardi 28 octobre au matin, Mme [P] [L] a porté à la connaissance des membres de votre équipe la fiche établie par vous, au titre de la répartition individuelle des chèques cadeaux que vous auriez remis le 6 octobre 2014. Force est de constater qu'aucun d'entre eux n'a en réalité reçu un montant de chèques pour une valeur conforme à celle indiquée par vous.

Lors de notre entretien, confronté à cette évidence, vous avez reconnu les faits tout en minimisant la portée et en prétextant qu'il s'agissait d'une malencontreuse erreur de votre part et que la signature en blanc à votre demande des fiches de répartition l'était par un simple souci de facilité.

Après enquête interne, il ressort des témoignages concordants recueillis qu'en dépit de vos dénégations cette pratique loin d'être isolée concerne également les remises de chèques cadeaux effectuées par vous lors des précédentes répartitions.

Ainsi :

- [K] [G] déclare avoir reçu 40 € sur la remise du mois de juin 2014, au lieu de 50 € tels que mentionné par vous,

- [V] [H] atteste ne jamais avoir reçu plus de 200 €,

- [F] [T] déclare ne jamais avoir reçu plus de 70 €,

- [N] [A] déclare ne jamais avoir reçu plus de 150 €,

- [Y] [M] déclare avoir reçu 50 € sur la remise du mois de juin 2014, au lieu de 130 €, mentionnés sur la feuille que vous avez renseignée. Il atteste également ne jamais avoir reçu plus de 300 €,

- [Q] [J] déclare ne jamais avoir reçu plus de 80 €.

De plus, vous avez, lors de notre entretien, reconnu avoir signé la fiche de répartition du 6 octobre 2014 en lieu et place de M. [F] [T].

Par ailleurs, M. [W] [F] atteste que sur les feuilles de répartition des mois de juin 2013, décembre 2013 et février 2014, les signatures figurant en face de son nom ne sont pas les siennes.

Les explications que vous nous avez données lors de notre entretien à savoir : simple erreur de votre part ' oubli ' mensonges de vos collaborateurs ' ne nous ont nullement convaincus.

Pour notre part, ces faits sont d'autant moins excusables qu'ils l'ont été au détriment des membres de votre équipe dont vous avez irrémédiablement trahi la confiance alors même que le vendredi 24 octobre 2014, précédant leur découverte, lors d'une réunion organisée avec votre équipe, vous appeliez chacun d'entre à la loyauté et à une totale transparence (sic : « pas d'embrouilles entre nous ! ! ! »)

Cette situation a suscité de notre part une interrogation quant à votre parfaite intégrité qui nous a conduit à poursuivre nos investigations ; investigations aux termes desquelles, à la date de la présente, il a été porté à notre connaissance ce qui suit :

- Courant août 2013, vous avez demandé à M. [H] [S], magasinier, de charger dans votre véhicule 12 cartons de parquet « insight clic system ranch » de marque GERFLOR.

- En fin année 2013, n'ayant pu obtenir de notre fournisseur une livraison de 12 cartons gratuits en compensation de ceux que vous avez emportés, vous avez, lors de l'inventaire effectué en décembre 2013, demandé à M. [K] [G], magasinier, de « fausser » le stock réel existant en y ajoutant les 12 cartons de parquet manquants (« soustraits » au mois d'août).

- Le 10 février 2014, une commande 60 cartons de parquet « insight clic system ranch » a été effectuée auprès de notre fournisseur la société GERFLOR.

- Le 12 février 2014, livraison et réception de la marchandise, certifiée conforme par le transporteur.

- Profitant de cette livraison pour tenter de combler le trou existant dans les stocks vous avez demandé au magasinier de déclarer aux fournisseurs qu'il manquait 12 cartons.

- C'est dans ce contexte que le 6 mars 2014, la société GERFLOR a réexpédié 12 cartons qui nous ont bien évidemment été facturés dans la mesure où la livraison du 12 février 2014, portant sur 60 cartons était conforme.

L'ensemble des faits exposés caractérise une faute grave.

En conséquence vous cesserez d'appartenir à notre personnel dès première présentation de la présente ...».

Estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [A] [B] a saisi, le 28 janvier 2015, le conseil de prud'hommes de Créteil, Paris, lequel, par jugement rendu le 30 août 2016 a dit que le licenciement était fondé sur une faute grave et a débouté le salarié de ses demandes en paiement de de salaire sur la période de mise à pied conservatoire avec les congés payés afférents, d'indemnités de rupture, d'indemnité pour licenciement abusif et de dommages et intérêts au titre de la portabilité.

Les parties ont été déboutées de leurs prétentions respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le 26 septembre 2016, M. [A] [B] a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 12 décembre 2016, M. [A] [B] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, et de condamner la société COLORINE à lui verser les sommes suivantes :

- 18 421.23 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1 842.12 € au titre des congés payés afférents

- 87 326.87 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

- 4 687.84 € à titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire

- 468.78 € au titre des congés payés afférents

- 80 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 3 600 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la saisine et capitalisation des intérêts.

Le salarié demande également la condamnation de l'employeur à lui remettre un certificat de travail et des bulletins de paye conformes à l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 € par document et par jour de retard, et la condamnation de l'employeur aux entiers dépens y compris les frais éventuels d'exécution de la décision à intervenir.

Une ordonnance de clôture a été prononcée avec effet différé au 13 décembre 2017.

La société COLORINE qui a constitué avocat, n'a pas fait signifier de conclusions par la voie électronique.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions de l'appelant pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens.

SUR QUOI LA COUR

Sur la rupture du contrat de travail

L'article L. 1235-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si un doute persiste, il profite au salarié.

Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; il appartient à l'employeur qui invoque la faute grave d'en rapporter la preuve, alors même que l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties.

L'employeur doit fonder le licenciement sur des faits matériellement vérifiables.

Il convient d'analyser les griefs reprochés à M. [A] [B] qui sont exposés dans la lettre de licenciement notifiée le 18 novembre 2014, qui fixe les limites du litige et lie les parties et le juge.

En l'espèce, l'employeur reproche au salarié de ne pas avoir remis aux salariés de son équipe le montant total des chèques cadeaux qui leur étaient destinés et d'avoir détourné 12 cartons de parquet de marque Gerflor.

* S'agissant des chèques cadeaux, la société COLORINE reproche à M. [A] [B] d'avoir, le 6 octobre 2014, établi une fiche de répartition des chèques cadeaux remis aux salariés de son équipe dont le montant ne correspond pas à celui remis à chaque intéressé, d'avoir fait signer, en blanc, les bénéficiaires, avant d'y inscrire le montant attribué et d'avoir imité la signature d'un salarié et indique que, lors de précédentes répartitions, des pratiques similaires ont été constatées et attestées par des salariés.

M. [A] [B] souligne qu'il ne lui est reproché aucun détournement, à son profit, des chèques incriminés, qu'en sa qualité de directeur d'agence, il avait la libre appréciation de leurs modalités d'attribution et qu'il différait, parfois, cette remise afin de motiver son équipe, en conservant le solde des chèques cadeaux dans son bureau.

Il ressort du dossier que, le 22 septembre 2014, l'agence de [Localité 1], dirigée par le salarié, s'est vu attribuer une dotation de chèques cadeaux pour une valeur totale de 1 265 €.

En l'absence de procédure interne à l'entreprise pour encadrer la remise des chèques cadeaux aux salariés, le directeur d'agence bénéficiait d'une totale indépendance pour les répartir au sein des membres de son équipe.

L'employeur qui ne reproche pas au salarié un détournement de chèques cadeaux à son profit, ne peut lui faire grief de différer l'attribution d'une partie des chèques cadeaux, en fonction des résultats professionnels des bénéficiaires dès lors qu'il n'a, lui-même, fourni aucune clef de répartition à ce titre.

Le salarié qui justifie du caractère discrétionnaire de cette répartition en fonction des mérites de chaque salarié, devait garantir la confidentialité de ces informations, sous peine de créer une certaine tension dans l'équipe, de sorte qu'il avait pour habitude de cacher, sur la feuille de répartition, la colonne des montants lorsqu'il demandait aux salariés d'émarger, et cette pratique est confirmée par M. [F] [T] qui atteste les faits suivants :

« ...Depuis mon embauche en mai 2008, lors de la distribution de chèques cadeaux, M. [A] [B] me faisait signer une feuille de répartition sur laquelle était indiqué le montant qui m'était attribué mais ce montant était toujours masqué par un post-it.... ».

Il en résulte que les salariés ne signaient pas en blanc la feuille de répartition mais qu'ils n'avaient pas accès aux informations concernant leurs collègues.

Par ailleurs, la feuille de répartition du mois d'octobre 2014 mentionne les initiales du salarié H.B et non celles de M. [F] [T], en congés lors de l'établissement de ce document et de sa transmission à la hiérarchie, de sorte que le salarié ne peut se voir reprocher le fait d'avoir signé en lieu et place de M. [F] [T].

A cet égard, contrairement à ses affirmations, l'employeur ne démontre pas la fausseté de la signature de M. [W] [F] sur les fiches de répartition des mois de juin et décembre 2013 et février 2014.

Le caractère systématiquement erroné des montants attribués aux bénéficiaires, pour le mois d'octobre 2014, ne peut se déduire des seules attestations des salariés de l'entreprise, rédigées en termes similaires, qui ne se sont pas plaints des modalités de répartition incriminées, en vigueur depuis plus de sept ans ainsi que l'atteste M. [F] [T] et qui réclament, à nouveau à leur employeur, l'attribution de chèques cadeaux.

M. [A] [B] a admis avoir commis une erreur dans la répartition des chèques cadeaux du mois d'octobre 2014, tout en faisant valoir que détenant, dans son bureau, les chèques cadeaux non attribués, il aurait eu la possibilité de régulariser la situation.

Le 27 octobre 2014, la déléguée du personnel, Mme [L] [D], a reçu une plainte d'un collaborateur de M. [A] [B] pour une absence de remise de chèque cadeaux et suite à une discussion de la nouvelle directrice de l'entreprise, Mme [P] [L], le 28 octobre 2014, avec les salariés de l'agence de [Localité 1], M. [A] [B] a été convoqué à un entretien préalable et il s'est vu notifier une mise à pied à titre conservatoire.

La faute grave, qui est celle rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, ne peut être retenue en l'espèce, considérant l'ancienneté de plus de 30 ans de M.[A] [B], l'absence d'antécédents disciplinaires et enfin l'attitude de l'employeur qui, dès la réception d'une plainte d'un salarié le 27 octobre 2014 n'a pas jugé nécessaire de vérifier les déclarations de son directeur d'agence et l'a, immédiatement, convoqué à un entretien préalable, en lui notifiant une mise à pied à titre provisoire.

* S'agissant des parquets de marque GERFLOR, société COLORINE reproche à M. [A] [B] d'avoir détourné 12 cartons de parquet, en manipulant les stocks afin de masquer leur disparition.

Le salarié conteste le bien fondé de ce grief qui n'a pas été évoqué lors de l'entretien préalable ainsi que l'atteste le compte rendu de l'entretien préalable signé par M. [S] [Y], ayant assisté le salari, et il soulève la prescription de ces faits fautifs survenus au cours de la période d'août 2013 à mars 2014.

Selon les dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail, «aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur a en eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. »

Sous cette réserve, le licenciement disciplinaire prononcé à raison de faits connus de plus de deux mois par l'employeur est sans cause réelle et sérieuse.

Toutefois, ce délai ne court que lorsque l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reproches au salarié.

En l'espèce, il est établi que la réalité de ces faits n'a été portée à la connaissance de la société COLORINE qu'à compter du mois de novembre 2014 de sorte que les faits incriminés ne sont pas prescrits.

S'agissant des 12 cartons de parquet « Insight clic system ranch», M. [A] [B] fait valoir qu'il a bénéficié d'un geste commercial de la société GERFLOR, pratique admise par son employeur, et il conteste tout comportement fautif.

L'attestation de M. [S], magasinier, indiquant avoir chargé les parquets dans le véhicule du salarié, au mois d'août 2013, n'est pas contestée par l'intéressé.

L'attestation d'un autre magasinier, M. [G], aux termes de laquelle M. [A] [B] lui aurait demandé de commander du parquet en février 2014 et de déclarer ensuite l'absence de 12 cartons est contredite par les facturations émises le 6 mars 2014 par la société GERFLOR et le fax de la société COLORINE du 7 novembre 2014.

L'examen de ces documents établit qu'en contrepartie de son précédent geste commercial, la société GERFLOR s'est engagée à livrer 12 nouveaux colis, de sorte que M. [A] [B] les a intégrés dans le stock de 2013 ; cette opération qui ne vise pas à fausser les stocks, ne peut lui être reprochée et lors de la commande de 48 colis en février 2014, il est mentionné la livraison de 12 autres colis qui a fait l'objet d'un avoir de sorte que la société COLORINE ne justifie pas les avoir réglés.

L'employeur ne démontre pas une double facturation de la part de la société GERFLOR ni avoir mis en garde son salarié sur les pratiques de cette dernière de sorte que les griefs allégués ne sont pas caractérisés.

La cour déduit de l'ensemble de ces éléments que les griefs invoqués à l'encontre de M  [A] [B] ne présentent pas un caractère de gravité suffisant pour rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat de travail et qu'ils ne peuvent, même pas, être considérés comme une cause réelle et sérieuse de licenciement, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges dont la décision sera infirmée.

Sur les conséquences indemnitaires de la rupture du contrat de travail

Le licenciement de M. [A] [B] étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié est fondé en sa demande de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire à hauteur de 4 687.84 €, outre les congés payés afférents d'un montant de 468.78 €.

Le salarié dont le salaire mensuel de référence est de 6 140.41 €, est fondé à solliciter une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 18 421.23 € correspondant à trois mois de salaires, outre les congés payés afférents d'un montant de 1 842.12 €, en application de l'article L. 1234-1 du code du travail.

Les dispositions de l'article 4 de l'avenant « cadres » de la convention collective du commerce de gros font bénéficier les salariés d'une indemnité de licenciement correspondant à :

- 3/10 ème de mois par année de présence dans la tranche 0 à 9 ans inclus ;

- 4/10 ème de mois par année de présence dans la tranche 10 à 19 ans inclus,

- 5/10 ème de mois par année de présence dans la tranche à partir de 20 ans.

Si le cadre est âgé de plus de 50 ans et compte au moins 15 ans d'ancienneté, l'indemnité est majorée de 15 %.

M. [A] [B] qui est né le [Date naissance 2] 1964 et a été engagé le 16 juillet 1984, avait 50 ans révolus au jour de son licenciement.

Au regard des 30 années et 4 mois d'ancienneté dans l'entreprise dont il se prévaut, il est fondé en sa demande en paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement de 87.326,87 € ainsi calculée :

- tranche 0 à 9 ans : 16.579,11 € (6.140,41 € x 9 x 3/10)

- tranche 10 à 19 ans : 24.561,64 € (6.140,41 € x 10 x 4/10)

- tranche plus de 20 ans : 33.772,26 € (6.140,41 € x 11 x 5/10)

- prorata 4 mois : 1.023,40 €

Sous total : 75.936,41 €

- majoration 15 % : 11.390,46 €

TOTAL : 87.326.87 €

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise supérieur à dix salariés ,des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [A] [B], de son ancienneté de plus de 30 années, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelles et des conséquences du licenciement à son égard, notamment la signature de contrats de travail à durée précaire moins rémunérés, il y a lieu de lui allouer une somme de 80 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'application de l'article L. 1235-3 du code du travail appelle celle de L. 1235-4 du même code, de sorte que la société COLORINE sera condamnée à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [A] [B], dans la limite de six mois.

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, prévoyant que les créances de nature salariale produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et les créances à caractère indemnitaire produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt.

En application de l'article 1154 du code civil recodifié sous l'article 1343-2 par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière.

Il sera ordonné à l'employeur de délivrer au salarié un certificat de travail et des bulletins de salaire conformes au présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte ne soit nécessaire.

Il convient d'infirmer le jugement qui a débouté le salarié de ses demandes en rappel de salaire, indemnités de rupture et indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les autres demandes

M. [A] [B] ne critique pas les dispositions du jugement qui l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts relatifs à la portabilité des garanties de la prévoyance. Il convient par conséquence de confirmer ce chef de dispositif.

La société COLORINE, qui succombe à titre principal, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et elle sera condamnée à verser à M. [A] [B] une indemnité de 3 000 € au titre des frais irrépétibles exposés, en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [A] [B] de sa demande de dommages et intérêts relatifs à la portabilité ds garanties de la prévoyance ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

DIT que le licenciement pour faute grave, notifié à M. [A] [B] le 18 novembre 2014 par la SAS COLORINE, est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la SAS COLORINE à verser à M. [A] [B] les sommes suivantes :

- 4 687.84 € à titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire

- 468.78 € au titre des congés payés afférents

- 18 421.23 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1 842.12 € au titre des congés payés afférents

- 87 326.87 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation

- 80 000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière ;

ORDONNE à la SAS COLORINE de délivrer à M. [A] [B] un certificat de travail et des bulletins de salaire conformes au présent arrêt ;

CONDAMNE la SAS COLORINE à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [A] [B], dans la limite de six mois ;

CONDAMNE la SAS COLORINE à verser à M. [A] [B] une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la SAS COLORINE aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 16/12003
Date de la décision : 21/03/2018

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°16/12003 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-03-21;16.12003 ?
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