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13/03/2018 | FRANCE | N°15/11092

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 13 mars 2018, 15/11092


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRÊT DU 13 Mars 2018

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/11092



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 septembre 2009 par le conseil de prud'hommes de CERGY PONTOISE sous le RG n° F 08/00518, infirmé partiellement par la cour d'appel de VERSAILLES par arrêt du 09 mars 2011 sous le RG n° 09/04376 dont la décision a été cassée par arrêt de la Cour de Cassation

en date du 25 septembre 2012 à la suite du pourvoi n° 11-18.352 qui a ordonné le renvoi devant la cour d'appel de VERSAILLES autrement composée...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRÊT DU 13 Mars 2018

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/11092

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 septembre 2009 par le conseil de prud'hommes de CERGY PONTOISE sous le RG n° F 08/00518, infirmé partiellement par la cour d'appel de VERSAILLES par arrêt du 09 mars 2011 sous le RG n° 09/04376 dont la décision a été cassée par arrêt de la Cour de Cassation en date du 25 septembre 2012 à la suite du pourvoi n° 11-18.352 qui a ordonné le renvoi devant la cour d'appel de VERSAILLES autrement composée, laquelle a à nouveau rendu un arrêt le 28 novembre 2013 sous le RG n° 12/04394 qui a été cassé par la Cour ce cassation dans un arrêt du 22 septembre 2015 à la suite du pourvoi n°14/11.382, l'affaire ayant alors été renvoyée devant la Cour d'appel de PARIS.

APPELANTE

Madame [O] [E]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Roger KOSKAS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137 substitué par Me Eve OUANSON, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137

INTIMEE

SAS NIKE FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 320 367 139

représentée par Me Sabine DE PAILLERETS-MATIGNON, avocat au barreau de PARIS, toque : T01 substitué par Me Charlène LAMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : T01

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Janvier 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de Chambre

Madame Isabelle VENDRYES, Conseillère

Madame Laurence SINQUIN, Conseillère

Greffier : M. Julian LAUNAY, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de Chambre et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [E], engagée à compter du 24 mars 2003 par la société NIKE France en qualité de responsable des relations presse, au dernier salaire mensuel brut de 5 428,80 euros, a été licenciée pour insuffisance professionnelle avec dispense de préavis par lettre du 11 février 2008 énonçant le motif suivant :

'... Il est important de mettre les reproches qui vont être détaillés dans la droite ligne des diffïcultés rencontrées depuis plusieurs années.

En effet, dans le courant des années 2005 et 2006 des anomalies (détaillées pendant cet entretien) ont été relevées (problèmes relationnels, difficultés de communication avec votre hiérarchie et votre entourage, légèreté dans lagestion de votre organisation professionnelle etc) qui auraient déjà pu conduire à une sanction. Cependant Nîke a souhaité à cette époque vous conserver sa confiance et vous donner la chance de vous ressaisir.

Malheureusement, dans le courant de l'année 2007 les choses ont continué à se dégrader. Parmi les éléments évoqués lors de l'entretien,

Email des 05 et 14/062007de Mme [M] [J], relatifs à la nécessité de votre présence au siège social au moins 2 jours par semaine et de recevoir vos plannings hebdomadaires de manière à permettre le suivi de vos activités. Vous persistez en effet à organiser vos plannings et votre présence exclusivement à 'notre studio de [U]' ([Localité 2])=alors que votre lieu de travail contractuel est Saint Ouen l'Aumône, le siège social de NIKE-France. A cette époque, vous n'êtes pratiquement jamais présente au siège social de NIKE France.

Emails du 28/06/2007 relatifs à vos difficultés avec un manager de la direction marketing qui nécessite une intervention de Mme S. [J]. C'est à cette époque qu 'à l'occasion de votre entretien annuel, vous manifestez votre mécontentement de n'avoir reçu que 'Successful' à votre performance de l'année. A cette occasion, Mme S. [J], votre supérieur hiérarchique vous

précisera que si elle a tenu à ce que votre notation soit 'Successful' c'est exclusivement pour vous maintenir suffsamment motivée, alors qu'elle aurait du vous attribuer une notation inférieure.

Email de Mme [J] du 20/07/2007 relatifà l'exécution du film. '[F]' : « Je suis très déçue de-lafaçon dont le dossier a été géré. Vous n'avez rencontré aucun de ces responsables de programmation: Seulement quelques contacts par téléphone. Nous devons améliorer notre réseau de relations...C'est du grand n'importe quoi !'

-Emails de 07/2007 relatifs à l'attribution de Mlle [G] [K], votre collaboratrice, de sa 'sa notation annuelle' sans consultation de votre hiérarchie, alors même que vous savez pertinemment que le 'rating' ne peut être décidé unilatéralement par vous-même. Vous ne pouvez ignorer l'existence d'une procédure connue de tous les managers de NIKE. Votre réponse est d'ailleurs confondante puisque vous précisez que l'année précédente, vous aviez déjà agi ainsi!

Email du directeur marketing daté du 31/08/2007 de recadrage sur les weekly reports.

Email daté du 11/10/2007 relatif au recours unilatéral à l'intérim contrairement aux procédures de l'entreprise, email que l'on peut lier à celui du 17/10/2007 du directeur marketing qui s'insurge d'un tel recours compte tenu du nombre de personnes présentes à « [U] '' et rappelle les règles à respecter (procédure, sollicitation de la hiérarchie...). En effet votre hiérarchie ni solliciter la moindre autorisation.

Email du 25/10/2007 de Mme S. [J] qui intervient suite à l'exécution du dossier '[S] [Z]', qui 'aurait aimé que l'on fasse un meilleur travail enéquipe'.

Email du 06/10/2007 de Mme [J] qui se doit de rappeler les règles de base du fonctionnement du département relations presse et votre présence au siège social de NIKE France, en dehors de rendez-vous avec des journalistes (point déjà évoqué à plusieurs reprises).

Email du directeur marketing daté du 08/1I/2007, qui rappelle des règles de base, à savoir faire des bilans par catégories, qui ne sont toujours pas respectées.

Email du directeur des ressources humaines daté du 17/12/2007, qui vous demande de prendre contact pour faire un point sur votre activité, email auquel vous répondez le 02/01/2008. Vous deviez rentrer de vacances le 02/01 mais vous ne rentrerez en fait au bureau que le 07/01/2,008.

L'entretien se tiendra finalement le 10/01/2008. S 'il estadmissible que vous ayez rencontré des problèmes de voiture, il est curieux que le responsable des relations presse de NIKE, passant ses .vacances en France, puisse ne pas s'intéresser à sa messagerie pendant plus de 15 jours calendaires.

Notamment des éléments précités, il ressort que vous rencontrez :

des problèmes de comportement et de collaboration avec votre environnement en complément des problèmes rappelés plus haut, on ne peut pas ne pas rappeler l'attitude inadmissible adoptée lorsque vous avez finalement obtempéré et êtes venue dans les bureaux de Saint Ouen l'aumône, à l'automne 2007. En effet, vous avez pris place dans l'open space de la direction marketing et utilisé des boules Quiès et un Ipod sur les oreilles, jusqu 'à ce qu 'il vous soit demandé de cesser.

Rappelons également que lorsque le 10/01/2008, vous rencontrez le directeur des ressources humaines pour faire le point souhaité (voir éléments détaillés plus haut), vous tenez à préciser 'Tout le monde m'adorel' et rappeler vos performances extraordinaires!'. Cependant une fois l'entretien terminé, vous montez voir Mme S. [J], votre supérieur hiérarchique pour lui dire que vous en avez assez des relations presse : 'Je ne veux plus travailler aux R. P. J'en ai fait le tour. [A] (le D.R.H.) va me trouver un autre job!' Quel exemple pour un manager important de NIKE! Nous ne pouvons pas non plus oublier cette phrase écrite dans votre Cfe 2007 (évaluation annuelle) : ' [O] doit améliorer sa coopération avec l'équipe marketing, maintenir une communication régulière sur l'évolution des projets, entretenir un dialogue respectueux et professionnel...' Ce que vous n'avez jamais contesté jusqu'à présent ;

des problèmes réguliers de respect des règles de reporting, vis-à-vis de votre hiérarchie (Cf emails précités), par ailleurs que penser de vos horaires, qu'il s'agisse de ceux pratiqués pendant des mois à « [U] '' ou de ceux de Saint.Ouen l'Aumône quand finalement vous obtempérez et venez vous y installer. Est-ce l'exemple que nous attendons d'un manager de-votre niveau ' : [...]

Ces arrivées, pour le moins tardives, ne peuvent s'expliquer par des rendez-vous professionnels matinaux. Quel exemple donnépar un manager de votre niveau, àl'entreprise et notamment à vos collaborateurs.

Il est manifeste que votre attention a été régulièrement attirée sur ces manquements dans le but de vous permettre de redresser la barre. Malheureusement vous n 'avez pas souhaité vous adapter, vous intégrer au sein de NIKE France.

Devant un tel constat, nous vous notifions notre décision de vous licencier pour :

Insuffisance professionnelle et inadéquation aux exigences de votre poste de responsable de relations presse, dans toute sa dimension managériale et relationnelle interne.

Vous êtes chargée de représenter la marque NIKE, de vous montrer exemplaire dans le domaine de la communication, sensé être votre point fort, notamment en interne. Un comportement marginal, tel que décrit, ne peut qu 'être considéré comme une circonstance aggravante en l'espèce.

Enfin, que penser de la stratégie que vous ébauchez en toute dernière heure ' Cf: votre email du 23/01/2008, adressé à un représentant du personnel, email envoyé la veille de l'entretien préalable dans lequel vous évoquez pour la première fois ' ce harcèlement moral qui porte atteinte à ma santé etc' ' Lors de l 'entretien préalable, Mme S. [J] a précisé sa surprise parce que vous ne vous êtes jamais plainte de vos conditions de travail. Elle a d'ailleurs tenu à vous dire : '[O], s 'il y a eu un harcèlement, il faut en parler aujourd'hui C 'est le moment lors de cet entretien préalable. Nous t 'écoutons.' Vous n 'avez apporté aucun détail, ni aucun fait de nature à nous alerter. Monsieur D. [M] venu vous assister peut en témoigner...'.

Par jugement du 24 septembre 2009, le Conseil de Prud'hommes de Cergy Pontoise a jugé le licenciement de Madame [E] sans cause réelle et séreuse et condamné la société NIKE France au paiement de la somme de 33.000 euros, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Madame [E] a interjeté appel.

Par décision en date du 9 mars 2011, la cour d'appel de Versailles a infirmé le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse et débouté Madame [E] de ses demandes.

Par arrêt du 25 septembre 2012, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé cet arrêt dans toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'Appel de Versailles autrement composée.

Par arrêt du 28 novembre 2013, la cour d'appel de Versailles a déclaré nul le licenciement de Madame [E]...

Par arrêt du 22 septembre 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation a à nouveau cassé et annulé le second arrêt de la cour d'appel de Versailles en toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris

Cette cour, désignée comme cour de renvoi, a été saisie dans le délai de quatre mois prévu par l'article 1034 du code de procédure civile tel qu'applicable à la présente procédure.

Par conclusions visées au greffe le 18 septembre 2017 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Madame [E] demande à la cour d'infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Cergy-Pontoise le 24 septembre 2009, sauf en ce qu'il a jugé que le licenciement de Madame [E] est dénué de cause réelle et sérieuse.

Elle demande de juger que son licenciement est nul et qu'elle a droit à réintégration dans son emploi ou, à défaut, un emploi équivalent. Elle sollicite sa réintégration sous astreinte de 1.000€ par jour à compter du 4ème mois suivant la notification de l'arrêt ainsi que la condamnation de la société NIKE FRANCE à lui verser 514 895,36€ à titre d'indemnité pour licenciement nul.

À titre subsidiaire, Madame [E] demande de juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner la société NIKE FRANCE à lui verser 514 895,36€ à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Enfin, Madame [E] demande par ailleurs :

- 150 000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ;

- 136 896,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de retraite

- 50 000,00 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel

- 85.000 € en réparation du préjudice de santé et de carrière consécutif au harcèlement moral.

- 7.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions visées au greffe le 18 septembre 2017 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société NIKE FRANCE sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement n'est pas nul et que Madame [E] n'a pas fait l'objet d'un harcèlement moral et l'infirmation en ce qu'il a jugé que le licenciement n'est pas fondé. Elle demande de débouter Madame [E] de ses demandes et sollicite 5.000 Euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

Les parties ayant souhaité recourir à la médiation qui leur a été proposée lors de l'audience du 19 septembre 2017, une ordonnance désignant un médiateur a été rendue le 27 septembre 2017 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 22 janvier 2018. Le médiateur Madame [R] a déposé un rapport de mission le 23 novembre 2017 informant la Cour de l'échec de la médiation. L'affaire a alors été mise en délibéré à l'audience du 22 janvier 2018.

****

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

Principe de droit applicable

Il résulte des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés et il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de ces dispositions est nulle.

Application du droit à l'espèce

En l'espèce, le licenciement est présenté dans la lettre de licenciement comme étant motivé par une insuffisance professionnelle. Néanmoins, tant les termes de la lettre de licenciement que l'économie générale de cette lettre, mais aussi l'ensemble des éléments versés au débat démontrent que la dénonciation par Madame [E] d'une situation de harcèlement adressée à un représentant du personnel a été finalement déterminante dans la décision prise par l'employeur de se séparer de la salariée. La dénonciation de harcèlement moral est présentée dans la lettre de licenciement comme une 'stratégie' de 'toute dernière heure'. Le positionnement même du paragraphe concerné dans le texte de la lettre, juste avant l'indication de la décision de rompre le contrat de travail, montre l'importance de ce grief aux yeux de l'employeur.

S'agissant des griefs relevant de l'insuffisance professionnelle, il est d'ailleurs observé que Madame [E] avait près de cinq ans d'ancienneté à la date du licenciement et n'avait pas fait l'objet d'une sanction préalable tel qu'un avertissement sur sa manière de servir.

Les pièces versées au dossier établissent que les qualités professionnelles ont été appréciées au long de son parcours, puisqu'il est produit un certain nombre de messages de félicitations à son endroit concernant le travail accompli, son implication et les bons résultats obtenus émanant notamment du Directeur Marketing de NIKE France, Monsieur [Y], qui écrivait à Madame [E] le 28 octobre 2005 : 'un grand bravo à toi en particulier, car je sais le travail fourni. Pour la seconde fois, les outils mis en place (système samples, équipe, Studio [U], ') prouvent leur justesse et leur efficacité. Well done... ', du Responsable Presse Sport Culture de NIKE Europe, du Directeur Général NIKE France, Monsieur [D] le 12 mai 2006 (... 'Super boulot. Merci ...'), de la Responsable Presse Femme de NIKE Europe le 16 janvier 2007. Les notes d'évaluation de la salariée étaient par ailleurs satisfaisantes tout au long de la relation contractuelle, même si la salariée a parfois contesté sa notation en estimant qu'elle était sous évaluée.

Le fait que la salariée ait finalement dénoncé une situation de harcèlement qu'elle estimait subir depuis des mois après avoir été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement ne caractérise pas la mauvaise foi de l'intéressée qui avait plusieurs mois auparavant fait part à son médecin qu'elle ressentait une situation de harcèlement moral. C'est donc à tort que l'employeur a expressément reproché à la salariée dans la lettre de licenciement qu'elle se livrait ainsi à une stratégie, quand bien même la situation de harcèlement moral telle que ressentie et ainsi dénoncée ne serait pas établie.

Il s'ensuit que le licenciement de Madame [E] tiré au moins en partie de la relation d'agissements de harcèlement moral par la salariée, dont la mauvaise foi n'est pas établie, conduit à déclarer le licenciement nul sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs formulés à l'encontre de la salariée au motif d'une insuffisance professionnelle.

Sur la demande de réintégration

Principe de droit applicable

Lorsqu'un licenciement est nul, le salarié a droit à sa réintégration dans son emploi, ou à défaut, dans un emploi équivalent. Il en résulte qu'en cas de licenciement nul, la réintégration du salarié doit être ordonnée si celui-ci le demande et l'employeur est tenu de faire droit dès lors qu'il n'est constaté aucune impossibilité de procéder à cette réintégration.

Application du droit à l'espèce

Madame [E] expose qu'après plus de 9 années de procédure, elle demande aujourd'hui sa réintégration dans l'entreprise en indiquant qu'il s'agit pour elle d'une nécessité, alors même qu'elle a exercé une activité professionnelle et perçu des salaires chez plusieurs employeurs pendant la période considérée.

Elle fait valoir que la société NIKE dispose d'une excellente santé financière et a la capacité de mettre en place les moyens nécessaires pour la réintégrer. Elle ajoute notamment que cette demande ne présente aucun caractère opportuniste, et que, compte tenu de sa situation précaire et de l'état actuel du marché du travail en France pour les travailleurs seniors, elle est légitime à exercer son droit à réintégration.

En l'espèce, il est observé que Madame [E] n'a pas demandé sa réintégration dans l'entreprise lorsqu'elle a saisi le conseil de prud'hommes en septembre 2008 et ce n'est qu'à partir de I'année 2013, soit plus de 5 ans après son licenciement qu'elle a fini par solliciter une réintégration dans son emploi. Il s'agit là de l'exercice d'un droit et c'est en vain que la société NIKE invoque en l'espèce le fait que l'employeur ne peut être tenu d'assumer les conséquences des souhaits fluctuants de la salariée au gré de ses opportunités professionnelles.

Cependant, au vu de l'ensemble des éléments versés au débat, le poste précédemment occupé par Madame [E] de Responsable Relations Presse Femmes, Mode, Sport et Culture n'existe plus au sein de la société. En effet, un plan de réorganisation a conduit des suppressions de postes au cours de I'année 2012 visant à sauvegarder la compétitivité de la société en France.

Ainsi, 7 postes ont été supprimés dans le Département dont faisait partie Madame [E] et 31 au niveau de l'ensemble de la société. De plus, tous les postes équivalents en termes de rémunération, qualification et perspectives de carrière sont aujourd'hui pourvus. Ainsi, le service communication de la société est aujourd'hui composé de 3 postes pouvant être considérés comme équivalents qui sont tous pourvus :

- Un poste de responsable relations presse football occupé par Madame [P]

- Un poste de responsable relations presse running occupé par Madame [Q]

- Un poste de relations presse sportswear occupé par Madame [C]

En outre, il existe un poste de responsable relations presse dans le département communication de Converse France dont l'activité est rattachée à la la société NIKE, mais ce poste est occupé par Madame [V].

Ainsi, sur la base du registre du personnel, tous les postes équivalents au poste qu'occupait Madame [E] antérieurement sont pourvus.

De son côté, Madame [E] n'apporte pas d'élément précis de nature à remettre en cause les obstacles allégués et justifiés par l'employeur à sa réintégration.

Il s'en déduit que la réintégration de Madame [E] au sein de la société NIKE s'avère aujourd'hui matériellement impossible, de telle sorte qu'il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Sur les conséquences financières de la nullité du licenciement

Madame [E] sollicite la somme de 514 895,36€ à titre d'indemnité pour licenciement nul en procédant à une estimation des salaires dont elle a été privée compte tenu du fait qu'elle indique avoir perçu sur la période considérée entre son licenciement en 2008 et l'année 2017 la somme totale de 462859 euros. La société NIKE conteste le salaire de référence pris en compte dans le calcul en invoquant un salaire de référence de 5077 euros. L'application d'un taux d'augmentation du salaire de base à hauteur de 2,46% est également contestée ainsi que la prise en compte d'une prime de performance, de la participation, de l'intéressement et la valorisation de la voiture de fonction mise à disposition quelques mois avant le licenciement. La société NIKE explique que le montant de la cotisation patronale pour la mutuelle retenu par la salariée est inexact.

Au vu de l'ensemble des éléments versés au débat, après analyse des documents produits et notamment des déclarations d'impôts de Madame [E] sur les revenus mentionnant rémunérations, et sans qu'il y ait lieu à recourir à une expertise, la somme due à la salariée à titre d'indemnité consécutive à son licenciement nul est évaluée par la cour à la somme globale de 210.000 euros..

Madame [E] ne rapporte pas la preuve de préjudices justifiant qu'il lui soit alloué des sommes spécifiques distinctes à titre de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice moral, d'un préjudice de retraite, et d'un préjudice matériel en sus de la somme visée ci-dessus..

Sur la demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral

Principe de droit applicable

Il résulte de l'article L. 1154-1 du code du travail dans sa rédaction applicable à la présente espèce que, lorsque survient un litige relatif à des faits de harcèlement moral, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie adverse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Ainsi, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Application du droit à l'espèce

Madame [E] indique avoir relaté à son employeur en juillet 2007 des faits de harcèlement moral, mais cette affirmation est démentie par l'employeur et n'est pas établie par les pièces versées au débat. L'intéressée invoque des conditions de travail malsaines du fait de sa supérieure hiérarchique [M] [J]. Cependant, à cet égard, Madame [E] n'apporte pas d'élément précis sur un comportement qui pourrait caractériser une situation de harcèlement. Le fait qu'une collègue, Mme [B] ait démissionné de l'entreprise le 16 mars 2006 après avoir évoqué des conditions "malsaines et impropres au développement et à l'équilibre personnel" sans faire état de fait précis n'apporte aucun élément sur une situation dont Madame [E] aurait pu être victime. Il résulte d'ailleurs des pièces versées au débat que Madame [E] n'a pas fait l'objet d'une attitude hostile et les pièces du dossiers ne révèlent pas de propos agressifs, blessants, méprisants ou humiliants tenus à l'encontre de l'intéressée. Par ailleurs, la teneur de certains messages adressés par Madame [E] était assez critique envers des collègues. Les rares messages de Madame [J] exprimant un mécontentement envers Madame [E] ne correspondent pas à un comportement harcelant et il n'est pas établi que Madame [J] ait cherché àa discréditer l'intéressée. Madame [E] fait aussi état d'une absence de soutien et d'aide l'amenant à réaliser des tâches subalternes mais cette accusation imprécise n'est pas étayée par des éléments sérieux. Il en est de même de ce que Madame [E] qualifie de manque de moyens pour mener à bien ses missions, mais aussi de la prétendue rétention d'informations et de la mise à l'écart de certaines réunions ou d'un retrait de responsabilités et de management.

A cet égard, l'arrivée de Monsieur [O] n'a pas modifié les attributions de Madame [E] qui restait en charge des initiatives relations presse Women, sports culture et edge, avec Madame [K]. Les éléments versés au débat n'établissent nullement ne diminution des responsabilités de l'intéressée qui souhaitait, aux termes du projet de réorganisation de sa structure qu'elle a adressé à Madame [J] le 13 avril 2007, que Madame [K] devienne attachée de presse women et sport culture pour qu'elle puisse elle-même s'impliquer davantage sur les autres domaines. Il n'est pas établi que Madame [E] ait été déchargée contre son gré de responsabilités de management.

En revanche, l'intéressée a effectivement fait l'objet d'un contrôle accru, ce qui était justifié notamment par les problèmes qu'elle rencontrait pour inscrire son action dans une démarche collective et compte tenu une tendance à ne pas assister à certaines réunions programmées et à adresser à sa supérieure hiérarchique des plannings et rapports d`activité incomplets. Il ne s'agit cependant pas là d'une situation de harcèlement.

S'agissant de son état de santé, Madame [E] produit un arrêt de travail délivré par son médecin traitant, le docteur [S], pour la période du 6 au 10 août 2017, mentionnant 'surmenage/harcèlement professionnel' ainsi qu'un autre arrêt émanant du même médecin survenant six mois plus tard, du 8 février au 15 février 2008, portant la mention 'anxiété/harcèlement moral et professionnel'. Enfin, près de 10 mois après le licenciement, le même médecin délivrait le 29 décembre 2008 un certificat indiquant que Madame [E] était traitée pour un syndrome anxio-dépressif secondaire à un harcèlement moral professionnel.

Madame [E] produit à nouveau un certificat de son médecin daté du 4 mars 2016 (soit 8années après le licenciement litigieux) qui note un syndrome anxio-dépressif secondaire à un harcèlement moral professionnel sans aucune précision. Par ailleurs, le docteur [N], psychiatre indique avoir suivi l'intéressée de juillet 2012 à début 2013 mais aucune précision n'est apportée quant au motif du suivi de l'intéressée.

Au vu de ces documents, s'il est exact que Madame [E] a été arrêtée en maladie une première fois pendant cinq jours, puis quelques mois plus tard, pendant huit jours, les documents d'ordre médical versés au débat n'établissent pas que Madame [E] a été victime d'une situation de harcèlement moral. En effet, s'il est vrai que Madame [E] a ressenti un malaise d'origine professionnelle, aucun des documents médicaux n'apporte d'élément sur des faits que la salariée aurait pu décrire et attribuer à une situation de harcèlement moral.

Ainsi, en l'espèce, l'ensemble des éléments versés au débat montre une difficulté relationnelle avec sa supérieure hiérarchique, Madame [J], Directrice de la Communication. A cet égard, le malaise de Madame [E] est perceptible dès l'année 2007. Cependant, Madame [E] n'établit pas des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Il s'ensuit que Madame [E] sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,

DIT que le licenciement de Madame [E] est nul

CONDAMNE la société NIKE FRANCE à verser à Madame [E] la somme de 210.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul

DIT n'y avoir lieu à réintégration de Madame [E] dans l'entreprise

DEBOUTE Madame [E] de ses demandes distinctes à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral, de préjudice de retraite, de préjudice matériel et de préjudice de santé et de carrière consécutif au harcèlement moral.

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société NIKE FRANCE à payer à Madame [E] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties du surplus des demandes ,

LAISSE les dépens à la charge de la société NIKE FRANCE

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 15/11092
Date de la décision : 13/03/2018

Références :

Cour d'appel de Paris K3, arrêt n°15/11092 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-03-13;15.11092 ?
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