Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 4
ARRÊT DU 12 MARS 2018
(n°2018/ , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 17/12359
Décision déférée à la Cour : Décision de rejet du 07 Avril 2017 par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante
DEMANDEURS
Monsieur [V] [P]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1963
Monsieur [O] [P]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
né le [Date naissance 2] 1964
Madame [R] [P] épouse [X]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
née le [Date naissance 3] 1966
Monsieur [A] [X]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
né le [Date naissance 4] 1990
Monsieur [G] [X] (MINEUR)
représenté par ses représentants légaux M. [X] [X] et Mme [R] [P] épouse [X]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
né le [Date naissance 5] 2000
Tous représentés par Me Michel LEDOUX de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0503 substitué par Me Romain BOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0503
DÉFENDEUR
FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE (FIVA)
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représenté par Me Julien TSOUDEROS, avocat au barreau de PARIS, toque : D1215
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Février 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Christine LAGRANGE, magistrate honoraire désignée par décret du 27 novembre 2017 du Président de la République, aux fins d'exercer des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine COSSON, conseillère faisant fonction de présidente
Mme Sylvie LEROY, conseillère
Mme Marie-Christine LAGRANGE, magistrate honoraire, exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : Mme Camille MOLINA
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine COSSON, conseillère faisant fonction de présidente et par Mme Camille MOLINA, greffier présent lors de la mise à disposition.
****
Madame [U] [P] a été au contact de l'amiante au cours de sa vie professionnelle et un mésothéliome a été diagnostiqué le 4 février 2002.
Madame [U] [P] est décédée des suites de sa pathologie le 3 décembre 2006.
Ses ayants droit, Madame [R] [X] et Monsieur [O] [P], ont saisi le Fonds d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante (FIVA) d'une demande d'indemnisation des préjudices subis par leur mère de son vivant et de leurs préjudices personnels.
Par lettre recommandée datée du 30 décembre 2016, le FIVA a fait une offre aux consorts [P] qui l'ont acceptée.
Par lettre recommandée du 23 février 2017, les consorts [P] ont saisi le FIVA d'une demande d'indemnisation du préjudice esthétique de Madame [U] [P] et des préjudices personnels de ses petits-enfants, Messieurs [A] [X] et [G] [X].
Par lettre recommandée datée du 7 avril 2017, le FIVA leur a notifié une décision de rejet au motif que ces demandes étaient prescrites en application de l'article 92 de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 venant modifier l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000.
Monsieur [V] [P], Monsieur [O] [P], Madame [R] [P] épouse [X], Monsieur [A] [X], Monsieur [G] [X], mineur représenté par Monsieur [X] [X] et Madame [R] [P] épouse [X], ont contesté cette décision par déclaration reçue au greffe de la cour le 13 juin 2017.
Par dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 12 février 2018 et soutenues oralement à l'audience par leur avocat, Monsieur [G] [X], mineur représenté par Monsieur [X] [X] et Madame [R] [P] épouse [X], demande à la cour de :
- dire que le rejet d'indemnisation du FIVA notifié le 12 avril 2017 au titre du préjudice moral subi par Monsieur [G] [X] du fait du décès de Madame [U] [P] n'est pas fondé,
- donner acte au FIVA de sa proposition formulée dans ses dernières écritures à titre subsidiaire au titre du préjudice moral subi par Monsieur [G] [X],
- constater, cependant, que le quantum de ce préjudice demeure contesté,
- à titre principal, dire que le délai de prescription de dix ans opposable à la demande tendant à l'indemnisation du préjudice moral de Monsieur [G] [X], mineur, du fait du décès de Madame [U] [P], est suspendu jusqu'à sa majorité,
- constater, en conséquence, que la demande d'indemnisation de Monsieur [G] [X], déposée par ses représentants légaux le 23 février 2017, n'est pas prescrite,
- à titre subsidiaire, dire que le délai de prescription de dix ans opposable à la demande tendant à l'indemnisation de l'intégralité des préjudices subis par les ayants-droit de Madame [U] [P] du fait de son décès a été interrompu par l'offre présentée à ceux-ci le 30 décembre 216 par le FIVA,
- constater, en conséquence, que la demande d'indemnisation de Monsieur [G] [X] déposée le 23 février 2017 au titre de son préjudice moral n'est pas prescrite,
- à titre infiniment subsidiaire, dire que le délai de dix ans opposable à la demande tendant à l'indemnisation des préjudices subis par Monsieur [G] [X] du fait du décès de Madame [U] [P] a été interrompu par le règlement des sommes proposées par le FIVA dans son offre présentée le 30 décembre 2016,
- constater, en conséquence, que la demande n'est pas prescrite,
- en tout état de cause, fixer l'indemnisation du préjudice moral et d'accompagnement de Monsieur [G] [X] à la somme de 10 000 €,
- dire que la somme allouée portera intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt à intervenir,
- condamner le FIVA au paiement d'une somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 12 février 2018 et soutenues oralement à l'audience par son avocat, le FIVA demande à la cour de :
- constater l'accord des parties pour fixer le point de départ du délai de prescription décennale opposable à la demande d'indemnisation du préjudice personnel de Monsieur [G] [X] du fait du décès de sa grand-mère, Madame [U] [P], à la date du 5 décembre 2006,
- dire que la minorité de Monsieur [G] [X] n'a pas pour effet de suspendre le délai de prescription décennal opposable à la demande d'indemnisation du préjudice personnel de Monsieur [G] [X],
- dire que l'offre d'indemnisation du 30 décembre 2016 notifiée par le FIVA aux enfants de Madame [U] [P] ne constitue pas une cause interruptive de prescription opposable à la demande d'indemnisation du préjudice personnel de Monsieur [G] [X],
- dire que les paiements effectués ou qui seront effectués par le FIVA dans le cadre de son offre du 30 décembre 2016 n'ont pas pour effet d'interrompre le délai de prescription décennal opposable à la demande d'indemnisation du préjudice personnel de Monsieur [G] [X],
- constater que Monsieur [G] [X] a saisi le FIVA d'une demande d'indemnisation de son préjudice personnel le 27 février 2017,
- en conséquence, dire que la demande d'indemnisation formée par Monsieur [G] [X] est prescrite,
- confirmer la décision de rejet par le Fonds du 7 avril 2017,
- à titre subsidiaire, confirmer l'offre du FIVA énoncée dans ses écritures au titre du préjudice moral et d'accompagnement de Monsieur [G] [X] à hauteur de 3 300 €,
- en tout état de cause, débouter Monsieur [G] [X] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR
Les parties sont d'accord pour fixer le point de départ du délai de prescription décennale au 5 décembre 2006, date du certificat médical établissant le lien de causalité entre le décès de Madame [U] [P] et sa pathologie liée à son exposition à l'amiante.
Les consorts [P] soutiennent que la prescription décennale est suspendue pendant le temps de la minorité de Monsieur [G] [X], ce que le FIVA conteste en opposant les règles de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics.
Les consorts [P] soutiennent que le délai décennal de prescription est soumis aux règles de droit commun régies notamment par le code civil dès lors que la loi du 20 décembre 2010, en instaurant une prescription de dix ans, a entendu écarter l'application de la loi du 31 décembre 1968.
Le FIVA considère que le régime de prescription applicable, du fait qu'il est un établissement public doté d'un comptable public, ressort de la loi du 31 décembre 1968 et que la loi du 20 décembre 2010 s'est bornée à modifier le délai de prescription sans rien apporter sur le régime de l'interruption ou de la suspension de cette prescription.
Les victimes d'une maladie liée à une exposition à l'amiante tiennent leur droit à réparation directement de l'article 53 de la loi 2000-1257 du 23 décembre 2000. Cet article 53 instaurait initialement un délai de prescription de ces droits à indemnisation de quatre ans pour tenir compte de la loi du 31 décembre 1968 sur les créances à l'encontre des personnes publiques. Il a été modifié par l'article 92 de la loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 qui dispose désormais que les droits à indemnisation des préjudices liés à l'exposition à l'amiante se prescrivent par dix ans.
L'article 53 de la loi du 23 décembre 2000, dans sa version initiale, appliquait au FIVA, établissement public national doté d'un comptable public, le régime spécifique à ce type d'établissement prévu par l'article 1 de la loi du 31 décembre 1968 sur les créances à l'encontre des personnes publiques. En particulier, le point de départ de la prescription obéissait aux règles de ladite loi, c'est à dire qu'il était fixé au premier janvier de l'année suivant la date à laquelle le droit était acquis et non à la date de la consolidation.
La loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 a modifié l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 non seulement en portant le délai de prescription à dix ans afin d'aligner le délai pour les victimes sur celui de l'article 2226 du code civil mais aussi en modifiant, de manière spécifique, les points de départ de ladite prescription de la demande d'indemnisation puisque, désormais, le délai court à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre la maladie et l'exposition à l'amiante, à compter de la date de constatation de l'aggravation en lien de causalité avec l'exposition à l'amiante et, comme en l'espèce , à compter de la date du premier certificat médical établissant le lien entre le décès et cette exposition.
En modifiant complètement le régime de la prescription dans sa durée et dans ses points de départ pour les demandes des victimes auprès du FIVA, le législateur a entendu instaurer un régime spécifique et écarter l'application de la loi du 31 décembre 1968, quand bien même le FIVA est un établissement public doté d'un comptable public, au profit du régime de droit commun de la prescription tel qu'il est régi par les articles du code civil.
C'est donc à tort que le FIVA soutient que le régime de la prescription tel qu'il est régi par la loi du 31 décembre 1968 en ses articles 2 et 3 est applicable en l'espèce d'autant qu'il admet que le point de départ de la prescription est le 5 décembre 2006, date à laquelle le décès de Madame [U] [P] a été établi comme étant en lien de causalité avec sa pathologie liée à son exposition à l'amiante conformément à l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 modifié par la loi du 20 décembre 2010.
En droit commun, et en application de l'article 2235 du code civil, la prescription ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés. Monsieur [G] [X] est né le [Date naissance 6] 2000. Dès lors, le délai de prescription ne commencera à courir que le 24 juin 2018, date à laquelle il aura acquis sa majorité. Sa demande d'indemnisation est donc recevable.
Pour autant, les consorts [P] ne produisent aux débats aucun élément pertinent permettant de majorer l'offre du FIVA, dans ses dernières écritures à titre subsidiaire, à hauteur de 3 300 € en indemnisation du préjudice moral de Monsieur [G] [X], le préjudice d'accompagnement n'étant pas démontré. Il n'y a donc pas lieu de majorer cette offre.
Il est équitable que les consorts [P] n'assument pas les frais qu'ils ont dû engager dans la présente procédure. En application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 800 € leur sera allouée et sera due par le FIVA à la charge duquel sont laissés les dépens.
PAR CES MOTIFS
Dit que la demande d'indemnisation formée par Monsieur [G] [X] représenté par Monsieur [X] [X] et Madame [R] [P] épouse [X], au titre de son préjudice moral n'est pas prescrite et qu'elle est recevable,
Alloue à Monsieur [G] [X], représenté par Monsieur [X] [X] et Madame [R] [P] épouse [X], la somme de 3.300 (trois mille trois cents) euros en indemnisation de son préjudice moral,
Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt,
Alloue à Monsieur [G] [X], représenté par Monsieur [X] [X] et Madame [R] [P] épouse [X], la somme de 800 (huit cents) euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Laisse les dépens à la charge du FIVA.
LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE