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27/02/2018 | FRANCE | N°15/01330

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 27 février 2018, 15/01330


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRÊT DU 27 Février 2018

(n° , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/01330 (17/6322)



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Décembre 2014 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° 11/16395





APPELANT (et défendeur à la question prioritaire de constitutionnalité RG 17/6322)

Monsieur [D] [K]

[Adresse 1]r>
[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Nathalie BRACHET, avocat au barreau de TOULOUSE



INTIMEE (demandeur à la...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRÊT DU 27 Février 2018

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/01330 (17/6322)

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Décembre 2014 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° 11/16395

APPELANT (et défendeur à la question prioritaire de constitutionnalité RG 17/6322)

Monsieur [D] [K]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Nathalie BRACHET, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE (demandeur à la question prioritaire de constitutionnalité RG 17/6322)

SAS SKYLAR FRANCE anciennement dénommée PRIVEE DE GESTION DE PATRIMOINE (SPGP)

[Adresse 2]

[Localité 3]

RCS 385 304 035

représentée par Me Ghislain BEAURE D'AUGERES, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : NAN701

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Mai 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Roselyne GAUTIER, et Mme Soleine HUNTER-FALCK Conseillères, chargées du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Bruno BLANC, Président

Mme Roselyne GAUTIER, Conseillère

Mme Soleine HUNTER-FALCK, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats

ARRET :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et prorogé à ce jour

- signé par Monsieur Bruno BLANC, Président, et par Madame Chantal HUTEAU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [D] [K], né le [Date naissance 1] 1962, a été embauché par la SAS SOCIETE PRIVEE DE GESTION DU PATRIMOINE (SPGP), désormais dénommée SKYLAR FRANCE, suivant contrat à durée indéterminée du 1er octobre 2007, en qualité de gestionnaire de portefeuille, statut cadre, moyennant une rémunération annuelle fixe de 36000 € ainsi qu'une part variable présentant un caractère annuel.

Le 29 juin 2011, Monsieur [K] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 11 juillet 2011 dans le cadre d'une procédure disciplinaire avec mise à pied conservatoire.

Par courrier en date du 11 juillet 2011, la Société privée de gestion de patrimoine a notifié à Monsieur [K] son licenciement pour faute lourde.

Le 1er décembre 2011, Monsieur [K] a saisi le conseil de prud'hommes afin de contester cette mesure de licenciement et solliciter différentes sommes relatives à la rupture de son contrat de travail à un rappel de commissions et à un remboursement de sommes indûment prélevées sur sa rémunération.

Par jugement du 10 décembre 2014, le Conseil des Prud'hommes de Paris, section encadrement, chambre 2, statuant en sa formation de départage a :

-Débouté Monsieur [K] de toutes ses demandes;

-Condamné Monsieur [K] à payer à la Société privée de gestion de patrimoine au titre de remboursement du prêt du 16 mai 2011 la somme de 34 871,69 € outre les intérêts au taux légal à compter du jugement.

Monsieur [K] a, le 4 février 2015, régulièrement interjeté appel de la décision.

A l'audience du 30 mai 2017 les parties ont été entendues sur la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article L.241-8 du code de la sécurité sociale soulevée par la SAS SKYLAR FRANCE , en présence du ministère public qui a fait connaître son avis.

Les parties ont ensuite été entendues sur le fond.

Vu les conclusions du 30 mai 2017 au soutien de ses observations orales par lesquelles Monsieur [D] [K] demande à la cour de :

' DIRE ET JUGER que le licenciement de Monsieur [D] [K] est sans cause réelle et sérieuse et a été mis en 'uvre de manière abusive et vexatoire,

' DIRE ET JUGER que les déductions litigieuses opérées sur la rémunération du demandeur sont illicites,

' FIXER le salaire mensuel de référence à 26.909 euros bruts,

En conséquence,

' CONDAMNER la Société privée de gestion de patrimoine à verser à Monsieur [K] la somme de 108.848 euros à titre de rappel de commissions, ainsi que les congés payés afférents d'un montant de 10.884,80 ;

' ANNULER la convention de prêt datée du 16 mai 2011 et débouter la SPGP de sa demande reconventionnelle ;

' CONDAMNER la Société privée de gestion de patrimoine à verser à Monsieur [K] la somme de 270.000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

' CONDAMNER la Société privée de gestion de patrimoine à verser à Monsieur [K] la somme de 130.000 euros nets à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral spécifique lié au caractère particulièrement abusif et vexatoire de la procédure ;

' CONDAMNER la Société privée de gestion de patrimoine à verser à Monsieur [K] la somme de 53.818 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

' CONDAMNER la Société privée de gestion de patrimoine à verser à Monsieur [K] la somme de 80.727 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, ainsi que 8.072,70 euros à titre de congés payés sur préavis,

' CONDAMNER la Société privée de gestion de patrimoine à verser à Monsieur [K] la somme de 18.838 euros à titre de rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied injustifiée,

' CONDAMNER la Société privée de gestion de patrimoine à verser à Monsieur [K] la somme de 4.484 euros au titre des congés payés acquis et non pris au titre de la période du 1er juin au 19 juillet 2011,

' CONDAMNER la Société privée de gestion de patrimoine à verser à Monsieur [K] la somme de 299.961,47 euros en remboursement des sommes indûment prélevées sur sa rémunération entre 2008 et 2010, ainsi que les congés payés afférents d'un montant de 29.996,14 euros ;

' CONDAMNER la Société privée de gestion de patrimoine de verser à Monsieur [K] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les conclusions du 30 mai 2017 au soutien de ses observations orales par lesquelles la SAS SKYLAR FRANCE demande à la cour de :

A titre principal,

' CONFIRMER le jugement rendu par la section du départage du 10 décembre 2014 et débouter Monsieur [D] [K] de l'intégralité de ses demandes, qu'il s'agisse des demandes portant sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail ou encore les modalités de calcul de la rémunération variable de l'intéressé,

' CONFIRMER la condamnation de Monsieur [D] [K] au remboursement de la somme de 34.871,96 euros au titre de la convention de prêt en date du 16 mai 2011 aujourd'hui arrivé à échéance (plus le paiement de l'intérêt légal),

A titre reconventionnel,

' CONDAMNER Monsieur [D] [K] à payer au titre du préjudice subi par cette Société du fait des fautes lourdes de l'intéressé- la somme de 837.031 euros (plus le paiement de l'intérêt légal).

A titre subsidiaire, et si la Cour devait retenir tout ou partie de l'argumentation de l'appelant, procéder à une compensation entre les sommes mises à la charge de la Société SKYLAR FRANCE et celles dues par Monsieur [D] [K] au titre du solde du prêt non remboursé à ce jour, et/ou des dommages et intérêts mis à la charge de l'appelant.

En tout état de cause, condamner Monsieur [D] [K] au paiement de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats .

MOTIFS DE LA DECISION

La procédure au fond et la question prioritaire de constitutionnalité ayant fait l'objet d'un enrôlement distinct , il convient dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de les joindre et de dire qu'elles figureront désormais au rôle de la Cour sous le numéro 15/01330.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

La question prioritaire de constitutionnalité, soulevée dans un mémoire distinct et motivé, est recevable en la forme.

La question prioritaire de constitutionnalité est formulée de la façon suivante:

« Les dispositions de l'article L. 241-8 du Code de la Sécurité sociale et l'interprétation jurisprudentielle constante y afférente sont-elles contraires aux principes constitutionnels de liberté contractuelle, de liberté d'entreprendre et de droit de propriété [cf. article 2,4 et 17 de la déclaration des Droits de l'Homme], lorsqu'elles interdisent aux parties à un contrat de travail de prendre en compte - pour la détermination du montant de la rémunération variable (versée en plus d'un salaire fixe supérieur au minimum légal et/ou conventionnel) - les charges patronales payées sur la rémunération des salariés ' » .

Il résulte des dispositions de l'article 23-2 de la Loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 que la juridiction transmet la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

« 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et les dispositifs d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. » L'article L. 241-8 du Code de la Sécurité sociale dispose : « La contribution de l'employeur reste exclusivement à sa charge, toute convention contraire étant nulle de plein droit. »

Le salarié se fondant sur ce texte pour solliciter des rappels de salaires au titre de ses commissions , la disposition litigieuse est bien applicable au litige.

Par ailleurs l'article L. 241-8 du Code de la sécurité sociale n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et les dispositifs d'une décision du Conseil constitutionnel .

Il convient donc de s'interroger sur le caractère sérieux de la question eu égard à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui considère que le législateur peut apporter aux 3 principes constitutionnels que sont la liberté d'entreprendre,la liberté contractuelle et le droit de propriété ,des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi" .

L'existence d'un régime de protection sociale permet une collectivisation des risques sociaux qui contribue incontestablement à l'intérêt général. L'existence d'un tel régime peut donc justifier le fait que les cotisations patronales ne soient pas imputées sur la rémunération acquise par le salarié.

Permettre à une convention de prendre en compte pour la détermination du montant de la rémunération variable versée en plus d'un salaire fixe les charges patronales payées sur la rémunération des salariés équivaudrait à faire peser indirectement sur le salarié, lors du paiement de l'intéressement, le poids des cotisations patronales assises sur ses salaires et constituerait une dérogation à L. 241-8 du Code de la sécurité sociale alors que le législateur, eu égard à l'objectif poursuivi n'a pas prévu une telle possibilité .

Au vu des éléments ci dessus énoncés les dispositions de l'article L 241-8 du code de la sécurité sociale et son application jurisprudentielle à la détermination du montant de la rémunération variable sont pleinement justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnée à l'objectif poursuivi . Dès lors la question prioritaire de constitutionnalité posée par la SAS SKYLAR est dénuée de tout caractère sérieux et il n' y a pas lieu de la transmettre à la Cour de Cassation .

Sur les commissions

Il ressort des éléments du dossier que les conditions de calcul de la part variable des gérants de portefeuille ont été modifiées en 2009 suite à la crise financière de 2008-2009, que ces nouvelles règles professionnelles homologuées par l'autorité des marchés financiers le 23 novembre 2010, dont la portée est définie par l'article L 612-29-1 du code monétaire et financier, excluent de l'assiette de calcul de la rémunération variable les commissions de mouvements et de courtage.

Ces modifications dont le caractère obligatoire n'est pas contesté étaient applicables à compter du 1 er janvier 2011 .

C'est donc à juste titre au regard du caractère réglementaire de ces règles que le jugement relevant qu'elles s'imposaient tant à l'employeur qu'au salarié a rejeté la demande de rappel de salaires de ce chef.

Aux termes de son contrat de travail la rémunération du salarié est composée d'une partie fixe annuelle fixée à la somme de 36000 €, et d'un intéressement s'élevant à 70% du montant des commissions de gestion encaissées grâce au capitaux qu'il aura gérés après déduction:

-de son salaire fixe ;

- de toutes charges patronales liées au salaire fixe et à l'intéressement;

-des frais de déplacement et de représentation du salarié.

Cet intéressement calculé annuellement fait l'objet d'avances trimestrielles.

La part variable de la rémunération du salarié convenue entre les parties dans le cadre du calcul d'un "compte de résultat"est donc déterminée déduction faite des cotisations sociales à la charge de l' employeur et ce en contravention avec les dispositions d'ordre publique de l'article L241-8 du code de la sécurité sociale .

Une telle convention est donc nulle de plein droit et il convient d'infirmer le jugement en ordonnant la réintégration , dans l'assiette de calcul de la part variable de la rémunération , du montant de l'ensemble des charges sociales patronales relevant de l'article L248-1 du code de la sécurité sociale , c'est à dire uniquement les cotisations patronales contribuant au financement du régime général .

La prise en compte des autres charges sociales et d'exploitation patronales et des frais professionnels au titre de l'évaluation de la partie variable de la rémunération annuelle n'est par contre pas illicite car conforme au principe la liberté contractuelle .

Il convient donc sur ce point de confirmer le jugement qui a justement relevé que:

- l'assiette de la part variable était fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur,

- elle ne faisait pas porter le risque d'entreprise sur les salariés et n'avait pas pour effet de réduire la rémunération en dessous des minima légaux et conventionnels ;

-l'employeur justifiait du remboursement des frais professionnels ;

-le salarié connaissait très précisément les modalités de calcul de sa rémunération variable et ne les avait pas contestées jusqu'à la mesure de licenciement.

De même, il n'existe aucun élément du dossier permettant d'établir que les frais d'avocat déduits au titre des charges et contestés par le salarié , l'ont été à raison d'une mauvaise exécution du contrat ou à titre disciplinaire .

Dès lors le contrat de travail prévoyant le calcul de la rémunération variable sur la base d'un compte de résultat propre à l'activité du gestionnaire de portefeuille, et correspondant à la différence entre le chiffre d'affaires généré par le gérant et le coût inhérent à son activité , la prise en compte de ces frais d'avocat liés à une procédure judiciaire avec un des clients du gérant est légitime .

Au vu des tableaux de calcul de la part variable remis trimestriellement au salarié et récapitulant l'ensemble des éléments du compte de résultat et des bulletins de paie , le salarié fait justement observer que les montants retenus au titre de la rémunération variable sur les tableaux ne correspondent pas à ceux figurant sur les bulletins de paie.

L'employeur ne donnant aucune explication concernant les écarts relevés il convient de les réintégrer dans le calcul de la rémunération variable du salarié .

Au vu de l'ensemble des observations ci dessus il y a lieu de fixer le montant des sommes devant être remboursées au salarié au titre de sa rémunération variable à la somme de 191612 € soit :

- 59361,50 € au titre de l'année 2008

- 75078, 90 € au titre de l'année 2009

- 47459,03 € au titre de l'année 2010

- 9712,57 € au titre de l'année 2011

En l'absence de production du tableau de calcul du 4ème trimestre 2010, et le salarié n'ayant pas sollicité de la Cour qu'elle en ordonne la production , faute pour lui de rapporter la preuve de la nature des déductions faites sur ce trimestre, les demandes en remboursement au titre dudit trimestre sont rejetées .

La rémunération variable correspondant à un travail effectif du salarié il est fait droit à sa demande de congés payés de ce chef à hauteur de 19161,20 €.

Sur la qualification du licenciement :

La faute lourde est celle qui, comme la faute grave, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié ,et constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle, qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis. Elle suppose, en outre, l'intention de nuire du salarié.

L'employeur qui invoque la faute lourde pour licencier doit en rapporter la preuve.

Aux termes de la lettre de licenciement du 19 juillet 2011 qui fixe les limites du litige, il est reproché à Monsieur [K] une faute lourde caractérisée pour l'employeur par les griefs suivants:

' (...)A la suite de notre entretien préalable qui s'est déroulé le 11 juillet 2011, nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute lourde.

Comme nous vous l'avons indiqué lors de cet entretien préalable -au cours duquel vous avez choisi de ne pas être assisté- la rupture de votre contrat de travail est justifiée par les éléments suivants :

Votre non-respect délibéré et réitéré des principes réglementaires régissant l'activité de notre société.

La SPGP est, comme vous le savez pertinemment, une société agréée par l'Autorité des Marchés Financiers en qualité société de gestion de portefeuilles de type1 autorisée à fournir des services de gestion de portefeuilles et de conseil en investissement sur instruments financiers pour le compte de tiers. Elle ne dispose pas et ne peut bénéficier en l'état de la réglementation d'aucune autorisation pour exercer d'autres types de services 'investissement» tels que :

- la réception/transmission d'ordres pour le compte de tiers,

- l' exécution d'ordres pour le compte de tiers ,..

L'ensemble de ces autres activités relève d'agréments que la SPGP ne possède pas (et n'entend pas solliciter) ou ne peut posséder (comme la réception/transmission d'ordres pour le compte de tiers) ; étant rappelé que l'exercice non autorisé de l'une ou l'autre de ces activités

constitue une infraction particulièrement grave susceptible d'entraîner :

. des sanctions de la part de l'AMF (pouvant aller jusqu'au retrait d'agrément),

. des poursuites pénales.

Alors que vous avez été embauché par la SPGP en qualité de gestionnaire de portefeuilles pour exercer exclusivement cette fonction, nous constatons avec regret que -loin de vous

cantonner à cette activité- vous avez, pour deux de nos clientes au moins, Madame [E] [B] et Madame [F] [B], réalisé des opérations de réception/transmission d'ordre, puisque :

- vous avez recueilli, à plusieurs reprises, la prétendue souscription des intéressées à des augmentations de capital d'une société non cotée dénommée Société Domaine Les Roques de Caria, quatre bulletins de souscription étant ainsi dans le dossier de 'Madame [E]

[B] (notamment en date du 4 juin 2009 et du 2 juillet 2010...),

- vous avez utilisé les services internes de la SPGP pour transmettre -contrairement à tout principe- ces ordres, les financements étant issus du compte UBS de ces/cette cliente(s),

- les montants en cause sont particulièrement substantiels : près de 700.000 euros au total,

- l'ordre que vous avez transmis concernait un titre financier de société non cotée, ce qui de surcroît était exclu du mandat de gestion de chacune des clientes.

De tels faits sont particulièrement graves et -compte tenu des responsabilités qui sont les vôtres- ne peuvent être tolérés.

Le caractère frauduleux des opérations réalisées à cette occasion. Non content de procéder à des opérations de réception/transmission d 'ordres sans aucun agrément, il apparaît que les augmentations de capital souscrites auprès de la Société Domaine des Roques de Cana n'ont pas toutes été autorisées par Madame [E] [B].

Dans une atiestation en date du 29 juin 2011, l'intéressée a affirmé à la SPGP que trois des bulletins de souscription en cause ne porteraient pas sa signature personnelle.

Qui plus est -outre l'intérêt financier pour le.moins discutable d'une telle opération (compte tenu de l'absence de viabilité avérée de cette entreprise)- nous relèverons que le K-bis de la société Domaine des Roques de Cana ne fait mention d'aucune augmentation de capital à certaines des dates de souscription prétendument réalisées par Madame [E] [B].

Ces éléments nous conduisent en l'état à avoir les plus grands doutes quant à la réalité de ces augmentations de capital sans même évoquer nos craintes quant à la destination réelle de ce prétendu « investissement »,

Il va dès lors de soi que votre comportement s'agissant d'une clientèle dont les portefeuilles d'investissement auprès de la SPG.P (compte ordinaire et PEA) est de près de 4.200.000 euros (déduction faite des 40.000 actions Nestlé d'une valeur de 1.711.000 euros inscrites en nominatif pur auprès de la société émeftrice) [et de près de dix millions d'euros avec sa famille], place notre société dans une situation parfaitement conflictuelle et inadmissible, la cliente :

. envisageant changer de société de gestion,

. souhaitant être indemnisée du préjudice financier subi du fait d'opérations aussi illicites que frauduleuses.

Compte tenu de la gravité de ces différents éléments, SPGP se considère comme victime d'agissements frauduleux et il va de soi que nous étudions très attentivement les suites pénales que notre société pourrait donner à ces agissements.

Vos multiples manquements à vos obligations contractuelles et déontologiques. Comme vous le savez, les obligations déontologiques que doit respecter chaque gérant de portefeuille sont importantes, les intéressés devant agir -en toute circonstance- dans l'intérêt exclusif des clients et éviter ainsi tout conflit d'intérêts.

Vous ne pouvez, à l'évidence, méconnaître la réalité de ces principes, ceux-ci étant précisés dans dés documents tels que :

. l'article L.533-1 1 du Code monétaire et financier,

. le règlement général de l'A MF (article 314-3),

. les termes du règlement intérieur de la SPGP et de son annexe relative à la déontologie,

. le recueil des procédures internes de la SPGP.

Or, il apparaît que :

- vous avez des intérêts directs dans la société Domaine des Roques de Cana, puisque vous apparaissez être l'un des fondateurs de cette société,

Les ordres que vous avez pu transmettre par l'intermédiaire de la SPGP dans le dossier de Madame [E] [B] -pour autant que ces augmentations de capital soient réelles-n'avaient donc pour but que de procéder à des « investissements » dans une société au sein de laquelle vous avez un intérêt personnel. La situation de conflit d'intérêts est ainsi manifeste.

-vous avez créé avec Monsieur [W] [U] une société dénommée MONTORGUEUIL CAPITAL, étant précisé que ;

. L'activité de cette société est de proposer des investissements selon le régime TEPA-ISF;

. vous apparaissez, sur le site Internet de la société MONTORGUEIL CAPITAL, comme l'un de ses animateurs directs, qui plus est avec ia mention de votre qualité de salarié de la SPGP,

. MONTORGEUIL CAPITAL a créé des filiales et notamment la société MONTORGEU IL 20 IL dont vous êtes le gérant,

. ces différentes sociétés proposent des investissements auprès d'entreprises, telles que : SUPINFO. SMBG, La société du Domaine des Roques de Cana..,

Or, vous n'avez pas hésité à procéder -dans le cadre de vos mandats de gestion auprès des clients de la SPGP- à.des investissements auprès de la société SMBG, et ce alors même que:

. ce titre n'est pas liquide,

. ce titre financier est émis par une société non cotée sur un marché réglementé, ce qui n'entre pas dans le champ des mandats de gestion avec nos clients-

. les demandes d'autres investisseurs sur ces titres sont parfaitement aléatoires, pour ne pas dire illusoires.

Sur ce point, nous relèverons que vous êtes le seul à opérer, en 2011, des transactions sur les titres de SMBG, créant ainsi de façon factice un marché et faisant acheter aux clients de la SPGP ces titres à leur plus haut niveau. Outre qu'ils ne sont pas conformes à l'intérêt des clients, de tels agissements vous place une nouvelle fois dans une situation de conflit d'intérêts particulièrement manifeste.

Vos manquements aux instructions de la SPGP. Nous vous rappelons, à cet égard, que le 4 octobre 2011 vous avez fait l'objet d'une lettre de rappel attirant votre attention sur le fait que : « Il est indispensable dans la période agitée que nous traversons de positionner votre

gestion sur les titres liquides. Nous vous mettons en garde sur l'utilisation trop fréquente de titres de valeur française ou étrangère de petite capitalisation qui connaissent des interruptions temporaires ou définitives de cotation. Outre les pertes éventuelles que

pourraient subir les clients, ces situations sont sources de contentieux que nous ne pouvons tolérer davantage. »

Or, ces instructions n'ont à l'évidence pas été respectées :

- s'agissant du mandat de Monsieur [I], puisque : concernant son compte ordinaire (n° 512 86 75) les titres de petite capitalisation représentent 88% de l'ensemble des valeurs

mobilières composant son portefeuille et concernant son PEA (n° 512 86 76) ceux-ci représentent 15.50% de l'ensemble des valeurs mobilières composant son PEA.

- s'agissant du dossier de Madame [F] [B], puisque : concernant son compte ordinaire (ti° 512 86 51) les titres de petite capitalisation représentent 16,58% de l'ensemble des valeurs mobilières composant son portefeuille et concernant son PEA (n° 512 86 52) ceux-ci représentent 20.58% de l'ensemble des valeurs mobilières composant son PEA.

- s'agissant du dossier de Madame [E] [B], puisque : concernant son compte ordinaire (n° 512 86 10) les titres de petite capitalisation représentent 57,30% de l'ensemble

des valeurs mobilières composant son portefeuille et concernant son PEA (n° 512 86 11) ceux-ci représentent 31% de l'ensemble des valeurs mobilières composant son PEA.

L'ensemble de ces éléments, de par leur multiplicité, leur gravité et l'ampleur des conséquences pour la SPGP démontre votre intention de nuire caractéristique d'une faute lourde.

A ce titre, la date d'envoi du présent courrier constituera la date de rupture de votre contrat de travail pour faute lourde, aucune indemnité ne vous étant due à titre de :

- préavis,

- indemnité conventionnelle de licenciement,

- indemnité de congés payés.

Nous vous rappelons par ailleurs que -conformément à l'article 60 de la Convention collective des Activités de Marchés .Financiers- vous avez la possibilité de saisir, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente lettre, la commission paritaire nationale prévue aux articles 30 et 31 de cette Convention collective, ce recours n'étant pas suspensif.

Qui plus est, et conformément à la convention de prêt conclue le 16 mai 2011, la présente rupture de votre contrat de travail entraîne la déchéance du terme de la totalité de votre prêt de 35.000 euros. ...)'

-Il est donc reproché à Monsieur [K] des griefs relatifs :

- au non-respect délibéré et réitéré des principes réglementaires régissant l'activité de la société;

- le caractère frauduleux des opérations réalisées à cette occasion;

- des manquements à ses obligations contractuelles et déontologiques;

- des manquements aux instructions de la société;

Au vu des pièces du dossier, notamment des procès verbaux issus de la procédure pénale, finalement sans suite ,de l'extrait du rapport d'expertise FINEXI établi à la demande de la Société SPGP le caractère frauduleux des opérations réalisées par le salarié n'est nullement établi.

Par contre, au regard des dispositions des articles L 533-11 et suivants du code monétaire et financier du règlement général de L'AMF ,des termes du règlement intérieur de la SPGP, de son annexe relative à la déontologie du recueil de procédure internes , dont le salarié avait connaissance le jugement a justement relevé que Monsieur [K] a créé de fait, une situation de conflit d'intérêts sans en informer son employeur en procédant pour le compte d'une cliente de la société, Madame [E] [B],à des investissements dans des sociétés non cotées ,la société LES ROQUES DE CANA ,la société MONTORGUEIL CAPITAL la société BATI-ENERGIES et la société CAR DATA alors qu'il avait un intérêt financier dans chacune d'entre elles.

Au vu de son procès verbal d'audition , il a d'ailleurs reconnu ne pas avoir averti son employeur de la réalisation de ces opérations.

De même il a clairement admis avoir été au delà du cadre strict défini par la Société SPGP en investissant dans des sociétés non côtées en bourse.

Ce type d'investissement s'est fait en dépit du courrier de recadrage de l'employeur en date du 4 octobre 2010, et malgré les termes du mandat de gestion signé par Madame [E] [B] qui stipule que:

" Pour la gestion du portefeuille, le mandant autorise le mandataire à exécuter de sa propre initiative les opérations énumérées ci-après:

- négociations au comptant d'instruments financiers français et étranger inscrits sur un marché réglementé ou organisé en fonctionnement régulier..."

Si ces agissements du salariés constituent bien des manquements réitérés aux règles déontologiques et aux instructions de la Société SPGP , constitutif d'une faute grave , la Cour, infirmant le jugement considère que cette seule exécution des faits fautifs ne suffit pas à caractériser l'intention de nuire .

Il convient notamment d'observer que :

- les 3 seuls clients sur un portefeuille de 30, concernés par les faits avaient été apportés par le salarié à la SPGP lors de son recrutement et y sont demeurés après son licenciement;

-le lien créé avec ces clients notamment la famille [B] depuis depuis de longues années impliquait des habitudes relationnelles et des modes de fonctionnement que le salarié n'a pas su changer ;

-les indemnités versés par la SPGP à la famille [B] ont pour fondement une plainte pénale qui a abouti à une ordonnance de non lieu et qui visait principalement des faits de faux , escroqueries abus de confiance dont la réalité n'est pas établie et le portefeuille des titres NESTLE de la famille [B] pour lesquels ,aux termes d'un procès verbal le Directeur Général Délégué, signataire de la lettre de licenciement a reconnu la saine gestion;

-que tous les investissements effectués par le salarié à l'exception de celui relatif à BATI ENERGIES en liquidation, mais qui représente une faible partie du patrimoine des clients ont été maintenus ;

Au vu de ces observations il n'est nullement établi que le salarié a agi avec l'intention de nuire à son employeur .

Le licenciement étant requalifié en licenciement pour faute grave , le salarié est en droit de solliciter le paiement de son indemnité de congés payés . Cependant au vu des bulletins de paie qui mentionnent le paiement de congés payés, il ne justifie pas ne pas avoir été rempli de ses droits de ce chef .

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts

Seule la faute lourde pouvant engager la responsabilité pécuniaire du salarié , il convient ,mais par substitution de motifs de confirmer le jugement , qui a rejeté la demande de dommages et intérêts de l'employeur .

Sur la demande reconventionnelle au titre de la convention de prêt

Au vu des pièces produites , l'employeur a consenti au salarié une convention de prêt du 16 mai 2011 pour la somme de 35 000 € sans intérêt pour une durée de 8 mois et 15 jours à compter du 16 mai 2011 .

Ce prêt qui avait pour objet de permettre à titre exceptionnel au salarié d' assurer le financement de ses besoins de trésorerie personnelle à la suite de la modification des conditions de sa rémunération, prévoyait en son article 8 une clause de déchéance du terme en cas de départ du salarié de la société pour quelque cause que ce soit et plus généralement de l'inexécution par l'emprunteur de l'une quelconque des obligations mises à sa charge au titre du contrat.

Compte tenu de la rupture du contrat de travail intervenue le 19 juillet, 2011, il convient de confirmer le jugement qui a condamné Monsieur [K] à payer à son employeur la somme de 34 871,96 € à titre de remboursement du prêt du 16 mai 2011 après avoir relevé que :

-l'employeur avait adressé une mise en demeure au salarié par courrier recommandé en date du 2 août 2011 puis à nouveau le 20 octobre 2011,

-la créance n' était pas contestée dans son quantum par le salarié ;

-que ce dernier ne pouvait valablement 1 ' analyser comme un élément de sa rémunération alors que l'objet du prêt était expressément de financer à titre exceptionnel des besoins de trésorerie personnelle.

Sur la demande de compensation

En application des articles 1347 et suivants du code civil les deux parties étant débitrices l'une envers l'autre , leurs dettes respectives se compensent.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La SAS SKYLAR FRANCE, anciennement dénommée SOCIETE PRIVEE DE GESTION DU PATRIMOINE (SPGP)est condamnée à payer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

Déclare l'appel recevable ,

Ordonne la jonction des procédures enrôlées respectivement sous les numéros 1706322 et 1501330.

Dit que la question prioritaire de constitutionnalité posée par la SAS SKYLAR FRANCE est dénuée de tout caractère sérieux et qu'il n' y a pas lieu de la transmettre à la Cour de Cassation .

Confirme le jugement , en ce qu'il a :

-Débouté Monsieur [D] [K] de ses demandes au titre des dommages et intérêts et indemnités liés au licenciement et de sa demande à titre de rappel de commissions;

-Condamné Monsieur [D] [K] à payer à la Société privée de gestion de patrimoine désormais dénommée SAS SKYLAR FRANCE, au titre de remboursement du prêt du 16 mai 2011 la somme de 34871,69 € outre les intérêts au taux légal à compter du jugement;

-Débouté la Société privée de gestion de patrimoine désormais dénommée SAS SKYLAR FRANCE de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts;

Infirme le jugement sur le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant ,

-Condamne la SAS SKYLAR FRANCE à payer à Monsieur [D] [K] la somme de 191612 € en remboursement des sommes indûment prélevées sur sa rémunération entre 2008 et 2011, ainsi que les congés payés afférents d'un montant de 19161,20 €;

-Requalifie le licenciement pour faute lourde en un licenciement pour faute grave;

- Condamne la SAS SKYLAR FRANCE à payer à Monsieur [D] [K] la somme 3 000,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile;

-Dit que les dettes respectives des parties l'une envers l'autre se compensent ;

Rejette le surplus des demandes;

- Condamne la SAS SKYLAR FRANCE aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 15/01330
Date de la décision : 27/02/2018

Références :

Cour d'appel de Paris K4, arrêt n°15/01330 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-02-27;15.01330 ?
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