RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 22 Février 2018
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/12442
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 Octobre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY section industrie RG n° 14/00809
APPELANT
Monsieur [E] [P]
[Adresse 1]
[Localité 1]
né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 2] (EGYPTE)
comparant en personne, assisté de Me Marisa DIAS, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 48
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2016/053432 du 22/02/2017 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMEE
SAS SPIE ILE DE FRANCE NORD OUEST
[Adresse 2]
[Localité 3]
SIREN 440056182
représentée par Me Michèle RAYER, avocat au barreau de PARIS, toque : E0159
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Isabelle MONTAGNE, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Bernard BRETON, Présidente,
Monsieur Stéphane MEYER, Conseiller,
Madame Isabelle MONTAGNE, Conseillère,
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Chantal HUTEAU, lors des débats
ARRET :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,
- signé par Madame Marie-Bernard BRETON, Présidente, et par Madame Chantal HUTEAU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2009, [E] [P] a été engagé en qualité d'agent de maintenance par la société Spie Ile de France Nord Ouest qui emploie plus de dix salariés et applique la convention collective des employés, techniciens et agents de maîtrise des travaux publics.
Le 19 janvier 2011, il a subi un accident du travail.
Le 10 janvier 2013, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude au cours d'une seule visite en raison du danger immédiat.
Convoqué à un entretien préalable à un licenciement fixé et tenu le 27 février 2013, au cours duquel il a été assisté, il a reçu notification, par lettre du 26 mars 2013, de son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 17 février 2014, il a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny d'une demande d'indemnités au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Suivant jugement prononcé le 1er octobre 2015, notifié le 6 novembre 2015, cette juridiction l'a débouté de toutes ses demandes. Il a régulièrement relevé appel de ce jugement dans le délai légal.
Suivant conclusions du 9 janvier 2018 reprises oralement à l'audience, sans ajout ni retrait, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement et de condamner la société intimée à lui payer les sommes suivantes :
* 1.895,33 euros à titre de complément d'indemnité compensatrice de préavis (travailleur handicapé),
* 189,53 euros au titre des congés payés afférents,
* 28.437,50 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 10.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat,
* 2.000,00 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Suivant conclusions du 9 janvier 2018 reprises oralement à l'audience, sans ajout ni retrait, la société intimée demande à la cour de confirmer le jugement et de débouter l'appelant de toutes ses demandes.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur le licenciement
L'appelant fait valoir que la recherche de reclassement n'aurait pas été loyale et sérieuse entre l'avis d'inaptitude et le licenciement ; qu'aucune action de formation n'aurait été mise en oeuvre ni même envisagée ; qu'alors qu'il s'est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé en date du 9 mai 2012, l'employeur n'aurait pas entrepris de démarche vers l'Agefiph en vue d'obtenir une aide financière pour l'aménagement du poste de travail ; qu'il aurait obtenu sans aide de l'employeur un diplôme d'études en langue française le 15 novembre 2013 ce qui démontrerait sa capacité à vouloir se former et évoluer.
La société intimée fait valoir que dans le cadre d'un dialogue constant et constructif avec le médecin du travail, elle a consenti de nombreux efforts depuis l'accident du 19 janvier 2011 pour conserver le salarié dans l'entreprise ; qu'à compter du 18 juin 2012, sa reprise a été organisée sur un poste aménagé de façon temporaire, conformément aux préconisations du médecin du travail ; qu'au regard des restrictions émises en dernier lieu et malgré des recherches étendues, il n'a pas été possible de le reclasser ; que la formation en langue française a été intégralement financée par ses soins.
L'article L.1226-10 dans sa version applicable au litige dispose que lorsque à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, que cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise ; que dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation destinée à lui proposer un poste adapté ; que l'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.
La lettre de licenciement est ainsi rédigée :
' Nous sommes au regret de vous confirmer que nous avons pris la décision de procéder à votre licenciement pour les raisons suivantes.
En alternance d'arrêts de travail pour cause d'accident du travail depuis le 20 janvier 2011, et régulièrement prolongé depuis, vous rencontriez le 10 janvier 2013 ( .. .), dans le cadre d'une visite effectuée à votre demande, le docteur [R], médecin du travail. Celui-ci rendait l'avis définitif suivant : 'Inapte définitif au poste d'agent Mgt dans les suites de l'accident du travail du 19 janvier 2011. Vu le danger immédiat, décision applicable dès ce jour, pas de deuxième visite (article R4624-31 du code du travail). Pourrait être affecté à un emploi sans: manutentions de charges à deux mains, utilisation d'outils à deux mains. On recommande un poste sédentaire à horaires fixes (8h - 16h), sans travail de nuit, sans travail le week-end'.
Dès la prise de connaissance de cet avis, nous avons mené des recherches pour identifier les postes disponibles au sein de DMS compatibles avec les restrictions médicales dont vous faisiez l'objet (à savoir impossibilité de vous proposer un poste technique du fait de votre incapacité définitive à vous servir d'outils).
Ces recherches se sont hélas révélées infructueuses.
Les délégués du personnel ont été sollicités le 18 janvier 2013. Il leur a été demandé de formaliser un avis sur l'opportunité de vous proposer des postes sédentaires à vocation administratives, seuls postes compatibles avec vos restrictions. Bien entendu, toutes les ressources formation nécessaires auraient été mobilisées pour vous accompagner.
Nous avons donc poursuivi nos investigations en procédant à une recherche élargie des postes susceptibles de vous convenir au sein du groupe (France et monde). Bien que nous ayons pris des délais plus large pour permettre à nos interlocuteurs de faire les démarches nécessaires, cette recherche n'a malheureusement pas permis d'identifier de postes disponibles pouvant vous être proposé dans le cadre d'un reclassement.
Nous avons donc été dans l'impossibilité de vous faire des offres que ce soit sur un poste ouvert ou sur un poste à aménager en France ou à l'étranger'.
Il ressort des pièces produites aux débats que le 19 janvier 2011, alors que [E] [P] était occupé à curer une canalisation avec un furet motorisé dans le cadre de son activité professionnelle, la machine a happé sa main droite lui occasionnant une fracture ouverte du majeur de la main et une fracture de l'auriculaire ; que par décision de la Cpam du 23 septembre 2011, son taux d'incapacité permanente a été fixé à 5% ; que par décision du 16 mars 2012, la sécurité sociale lui a notifié sa consolidation à la date du 20 février 2012 ; qu'il a fait l'objet d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé en date du 9 mai 2012 jusqu'au 8 mai 2017.
Il ressort encore des pièces produites que l'employeur justifie par la production d'échanges circonstanciés et précis de courriels entre le médecin du travail et divers interlocuteurs de l'entreprise, d'un dialogue régulier avec le médecin du travail à la suite de l'accident du travail jusqu'au licenciement pour inaptitude afin de maintenir le salarié dans ses effectifs au regard de ses capacités et aptitudes ; qu'ainsi, le salarié a-t-il été régulièrement et effectivement accompagné par le service social et la mission handicap de l'entreprise ainsi que par le service des ressources humaines pendant plus de deux ans ; qu'une reprise a été tentée à la suite de l'avis d'aptitude avec réserves du médecin du travail du 28 juin 2012 ainsi formulé : 'apte avec restrictions : pas de manutention de charges à deux mains, pas d'utilisation d'outils à deux mains, prochaine visite prévue courant juillet 2012" ; qu'après visite du poste et validation par le médecin du travail qui a, le 25 avril 2012, qualifié le travail accompli par l'entreprise en faveur du salarié de 'remarquable', l'employeur a proposé au salarié, un poste pour une période de trois mois sur les centres commerciaux [Localité 4], [Localité 5], [Localité 6] et [Localité 7] comportant les missions suivantes: 'relamping, changement de filtres, contrôle des portes, permanence Ssiap en remplacement des salariés Ssiap et entretien et nettoyage des terrasses' ; qu'enfin, l'employeur a accepté un aménagement des horaires pour lui permettre de suivre des séances de kinésithérapie conformément aux préconisations du médecin du travail.
Il ressort en outre des diverses pièces médicales produites par l'appelant que celui-ci rencontrait des difficultés d'ordre social liées à ses grandes difficultés de compréhension de la langue française et qu'il a développé un état dépressif qui n'est pas en lien exclusif et direct avec l'accident du travail, le docteur [U] [E], psychiatre, évoquant le 13 janvier 2012 une 'dépression ancienne non traitée'.
En outre, l'employeur justifie avoir proposé à partir de juin 2012 au salarié par le biais de son service social et sa mission handicap, une formation destinée à l'intégrer dans un milieu professionnel par l'appréhension de la langue française et avoir, face à deux refus de prise en charge du Fongecif, intégralement financé une formation intitulée 'remise à niveau à visée professionnelle' à compter du 11 mars 2013 pour une durée de 833 heures par l'institut de formation, [Établissement 1], pour un montant de 10.829,00 euros, ainsi qu'il ressort des factures acquittées, ce qui a notamment permis au salarié de valider un diplôme d'études en langue française niveau utilisateur élémentaire le 15 novembre 2013.
Il résulte enfin des pièces produites qu'à la suite de l'avis d'inaptitude du 10 janvier 2013, l'employeur a respecté ses obligations dans le cadre de la procédure de licenciement pour inaptitude ; qu'ainsi il établit avoir procédé à une consultation des délégués du personnel le 18 janvier 2013, ceux-ci n'ayant cependant pas émis d'avis ainsi qu'il résulte du procès-verbal de la réunion qui a clairement et précisément exposé la situation du salarié au regard de l'avis d'inaptitude et des recherches de reclassement entreprises ; qu'il justifie par ailleurs suffisamment de ses recherches de reclassement ; que celles-ci complètes, loyales et sérieuses ont été menées au niveau de l'entreprise et des sociétés du groupe auquel elle appartient à partir du 18 janvier 2013 par la diffusion notamment d'une note aux fins de reclassement personnalisé aux diverses entités concernées ; qu'il n'a pas été possible de le reclasser au regard de ses capacités et de son état de santé.
Il ressort de tout ce qui précède que le licenciement notifié le 26 mars 2013, ni tardif, ni précipité, repose sur une cause réelle et sérieuse tirée de l'inaptitude et de l'impossibilité de reclassement.
Par conséquent, le salarié doit être débouté de sa demande au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le complément d'indemnité de préavis
En application des dispositions des articles L.1234-1 et L.5213-9 du code du travail, en cas de licenciement d'un travailleur handicapé, la durée du préavis est doublée sans que cette mesure puisse avoir pour effet de porter au-delà de trois mois la durée de ce préavis.
L'appelant réclame un complément d'indemnité compensatrice de préavis au regard de son statut de travailleur handicapé, à hauteur d'un mois de salaire.
Toutefois, il ressort des bulletins de paie de juin et juillet 2013 que les sommes de 3.500,00 euros et 1.750,00 euros sont mentionnées au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, ce qui, au regard du salaire moyen de 1.750,00 euros, correspond à trois mois de préavis.
Il en résulte que le salarié qui n'allègue pas ne pas avoir été payé de ces sommes, a été rempli de ses droits quant à l'indemnité compensatrice de préavis.
Sur la violation de l'obligation de sécurité
L'appelant prétend que la dangerosité de la machine qui a causé l'accident aurait été connue de l'employeur mais que celui-ci n'aurait pris aucune mesure et aurait ainsi violé son obligation de sécurité de résultat.
Il ne ressort pas du procès verbal extraordinaire du Comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail (Chsct), réuni le 11 mars 2013 consacré à l'accident du travail du 19 janvier 2011 et aux suites données, seule pièce produite par l'appelant au soutien de sa demande au titre du manquement à l'obligation de sécurité, que la machine à l'origine de l'accident aurait causé un précédent accident ni qu'aucune mesure n'aurait été prise à la suite des deux accidents allégués ; en effet, monsieur [U], président du Chsct a indiqué sans être contredit que suite à l'accident du 19 janvier 2011, des consignes ont été données de retirer l'appareil du site et madame [N], responsable Qualité et Sécurité Environnementale a indiqué que son service n'avait pas été informé d'un accident qui serait survenu en 2010.
Il ressort en outre du compte-rendu d'analyse de l'accident du 19 juin 2011 que des propositions de retrait de ce matériel du site et d'interdiction de toute utilisation au sein de la direction maintenance ont été formulées.
Aucun élément ne permettant de retenir que l'appareil aurait été à l'origine d'un accident antérieur au 19 janvier 2011, ni que l'employeur n'aurait pas pris les mesures adaptées pour garantir la sécurité des salariés au regard de la dangerosité présentée par cet appareil, le manquement à l'obligation de sécurité invoqué par le salarié n'est pas établi. Il sera débouté de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement prononcé par le conseil de prud'hommes de Bobigny le 1er octobre 2015,
CONDAMNE [E] [P] aux dépens exposés en cause d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT