RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 20 Février 2018
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/03853
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Octobre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 14/08800
APPELANT
Monsieur [R] [I]
[Adresse 1]
[Localité 1]
né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 2] (91)
représenté par Me Sophie MAURA, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
SA SAVILLS
[Adresse 2]
[Localité 3]
N° SIRET : 662 045 517
représentée par Me Quitterie GUILLEMIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0530
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Novembre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Jacqueline LESBROS, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Sylvie HYLAIRE, présidente
Madame Jacqueline LESBROS , conseillère
Madame Valérie AMAND, conseillère
Greffier : Mme Caroline GAUTIER, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Sylvie HYLAIRE, présidente, et par Mme Caroline GAUTIER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [I] a été engagé à compter du 24 mars 2003 par la société Savills qui a pour activité le conseil en immobilier d'entreprise et emploie environ soixante salariés, en qualité de Cadre supérieur, responsable du département Retail, par contrat à durée indéterminée du 27 février 2003.
Il occupait en dernier lieu les fonctions de Co-directeur de l'unité « Transaction » et était titulaire d'une délégation de pouvoir et de responsabilités de Monsieur [Z], Président directeur général de la société Savills France.
Sa rémunération était constitué d'un salaire fixe mensuel qui s'élevait en dernier lieu à 10.630,62 euros bruts outre une partie variable annuelle constituée de deux bonus et d'une prime exceptionnelle.
La relation de travail est régie par la convention nationale de l'immobilier.
Le 19 mai 2014, Monsieur [I] a été convoqué à un entretien préalable à une mesure de licenciement et mis à pied à titre conservatoire puis licencié le 20 juin 2014 pour faute lourde. Il lui est reproché d'avoir manqué à son devoir de loyauté et à ses obligations professionnelles, en favorisant la société La Foncière des Parcs, dans le cadre de deux mandats de ventes confiés à la société Savills en 2013 et 2014, d'avoir mis les moyens de la société Savills au service de la société La Foncière des Parcs pour l'élaboration d'un projet de développement, sans avoir reçu de mandat et sans contrepartie financière et d'avoir participé à la rédaction du renouvellement d'un bail dérogatoire sans avoir reçu de mandat.
Contestant les motifs de son licenciement, Monsieur [I] a saisi le 30 juin 2014 le conseil de prud'hommes de Paris aux fins de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir diverses sommes à titre indemnitaire.
Par jugement du 12 octobre 2015, le conseil de prud'hommes a requalifié le licenciement pour faute lourde en faute grave et a condamné la société Savills à payer à Monsieur [I] la somme de 1.098 euros pour absence de mention du DIF, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, débouté Monsieur [I] du surplus de ses demandes et la société Savills de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Monsieur [I] a interjeté appel de ce jugement.
A l'audience, les conseils des parties ont soutenu les conclusions déposées et visées par le greffe.
Monsieur [I] demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a exclu la faute lourde et condamné la société Savills à payer la somme de 1.098,00 € au titre de l'indemnité pour le droit individuel à la formation,
- écarter des débats les pièces adverses numérotées 11, 29, 30, 31, 33bis, 34, 35, 47, 48, 49, 54, 55, 53 et 54,
- condamner la société Savills à lui payer la somme de 10.209 € (7.226,63 + 2.982,46) indûment prélevée sur la fiche de salaire du mois de juillet 2014 ,
- condamner la société Savills à lui payer la somme évaluée à 100.000 € correspondant au bonus sur les affaires en cours à la date de la rupture du contrat,
- dire que le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- condamner la société Savills à lui payer les sommes suivantes :
57.502,86 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
5.750,28 € au titre des congés payés afférents,
56.304,94 € à titre d'indemnité légale de licenciement,
22.410,06 € à titre de rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied à titre conservatoire soit du 19 mai au 21 juin 2014,
2.241 € au titre des congés payés afférents,
460.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil des prud'hommes,
- condamner la société Savills à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Savills aux entiers dépens.
La société Savills demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'existence des man'uvres déloyales commises par Monsieur [I],
- l'infirmer en ce qu'il a jugé que ces man'uvres constituaient une faute grave et non une faute lourde,
Statuant à nouveau,
- dire et juger que Monsieur [I] a commis des fautes lourdes dans le cadre de l'exécution des mandats relatifs aux biens immobiliers situés [Adresse 3]à [Localité 4] et [Adresse 4] à [Localité 5],
- dire et juger que son intention de nuire est établie,
En conséquence,
- débouter Monsieur [I] de toutes les demandes se rapportant à la rupture de son contrat de travail,
- débouter Monsieur [I] de sa demande de rejet de pièces,
- dire et juger que Monsieur [I] n'est éligible à aucun bonus, bonus additionnel et prime,
En conséquence,
- confirmer la décision entreprise, le débouter de sa demande de rappel de salaire y afférent,
En tout état de cause,
- le condamner à payer à la société Savills la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens.
La cour se réfère expressément aux conclusions des parties pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions qu'elles ont soutenus.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le licenciement
La faute lourde est celle qui résulte d'un fait imputable au salarié constitutif d'une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis et qui traduit une intention de nuire à son employeur, laquelle ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise mais de la volonté du salarié de porter préjudice à l'employeur dans la commission du fait fautif.
Sur le premier grief
Par actes du 9 décembre 2011, la société Locafimo a confié à la société Savills un mandat exclusif de vente de biens immobiliers à usage commercial et de bureaux portant sur les lots [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] d'un ensemble situé [Adresse 3] à [Localité 4](95) ainsi qu'un mandat exclusif de recherche de locataire pour le lot n°[Cadastre 4] qui pouvait également être proposé à la vente au prix de 1.000.000 d'euros.
Le mandat prévoyait notamment que la société Savills devait informer le mandant des actions commerciales réalisées, de la clientèle prospectée, de l'avancement des négociations, lui communiquer les éléments susceptibles d'influencer la vente notamment en matière de prix et de conditions de marché et de transmettre au mandant toutes propositions et manifestations d'intérêt.
Les lots [Cadastre 2] et [Cadastre 3] ont été vendus. Les lots [Cadastre 4] et [Cadastre 1] ont fait l'objet d'une offre d'achat de la société La Foncière des Parcs le 25 avril 2013 au prix de 2.300.000 euros, droits et honoraires inclus que la société Locafimo a accepté le 28 juin 2013 avec engagement de vente exclusive d'une durée de trente jours. La promesse de vente a été signée entre les parties le 25 septembre 2013 avec faculté de substitution. L'acte de vente a été signé le 18 décembre 2013 par substitution à la société La Foncière des Parcs de la SCI Géronimo pour l'acquisition du lot n°[Cadastre 1] au prix de 1.100.000 euros et de la SCI Pierrelaye, dont le gérant est Monsieur [N], pour l'acquisition du lot n°[Cadastre 4] au prix de 1.200.000 euros.
La société Savills reproche à Monsieur [I] :
- d'avoir négocié cette vente au profit de la société La Foncière des Parcs à des conditions avantageuses pour elle, en obtenant l'accord de la société Locafimo pour un prix de vente de 2.300.000 euros au lieu de 2.700.000 euros qu'elle pouvait attendre au vu de l'estimation des biens;
- de ne pas avoir exécuté le mandat de vente loyalement en n'informant pas Locafimo de l'intérêt de la société [L] -qui a pour gérant Monsieur [N]- pour le lot [Cadastre 4] qu'elle était susceptible d'acquérir à un prix de convenance supérieur au prix du marché;
- d'avoir négocié une baisse de prix du lot [Cadastre 1] en invoquant abusivement un défaut de permis de construire permettant ainsi à la société La Foncière des Parcs d'obtenir un engagement de vente exclusif à un prix intéressant, puis une promesse de vente avec faculté de substitution qui lui a permis d'acquérir le lot [Cadastre 1] au prix de 1.100.000 euros alors qu'il était estimé à 1.500.000 euros.
Il est précisé que ces opérations ont bénéficié à Monsieur Gautier, gérant de la société La Foncière des Parcs, ancien salarié de la société Savills et ami de Monsieur [I] avec lequel il est associé dans trois sociétés civiles immobilières par l'intermédiaire de la société Foncière du Lac que dirige Monsieur [I].
Les faits auraient été dénoncés à la société Savills par Monsieur [U], directeur adjoint du département Industriel au sein de Savills.
A l'appui de ses griefs, la société Savills produit des échanges de mails entre Monsieur [U], Monsieur [I] et Monsieur Gautier depuis leurs messageries personnelles et qui font l'objet des pièces visées au bordereau de pièces sous les numéros 29, 30, 31, 33bis, 34, 35, 47, 48, 49, 54, 55, 53 et 54.
Monsieur [I] demande que ces pièces soient écartées des débats : il rappelle à cet effet que ces pièces ont été obtenues par la société Savills en vertu d'une ordonnance sur requête rendue le 7 mai 2014, qui a été rétractée par ordonnance du 9 juillet 2014, laquelle a ordonné la destruction du procès-verbal d'huissier établi à l'occasion de l'exécution de la mesure d'instruction et interdit à la société Savills de faire état des éléments recueillis, ordonnance confirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 1er mars 2016.
Il ajoute par ailleurs que la société Savills s'est engagée dans sa Charte Informatique à ne pas conserver les traces informatiques au delà de trois mois, excluant ainsi la production des messages échangés entre ses salariés en 2013 et 2014.
Toutefois, suivant l'argumentation développée par Monsieur [I] à l'appui de son recours contre l'ordonnance sur requête, la cour d'appel a, pour confirmer l'ordonnance de rétractation, retenu que la société Savills s'était réservée la possibilité dans sa Charte informatique de consulter, de manière générale, les traces informatiques de tous les contenus de l'ordinateur du salarié, y compris ceux enregistrés sur le disque dur après effacement, de sorte que le risque de déperdition des informations qu'elle avait invoqué pour obtenir une mesure non contradictoire n'était pas avéré.
Monsieur [I] ne peut donc soutenir, après avoir fait plaider que ces pièces étaient librement consultables par l'employeur, que la société Savills ne peut produire aux débats ces mails, dont rien n'indique qu'ils résultent de la saisie pratiquée par l'huissier de justice, ni lui opposer, sauf à priver l'intimée de tout moyen de preuve, les dispositions de la Charte selon lesquelles la société s'interdit de conserver les traces informatiques au-delà d'un délai de trois mois. Il n'y a donc pas lieu d'écarter les pièces précitées.
Sur le fond, Monsieur [I] conteste les faits et soutient que les deux transactions ont été traitées de manière normale par lui-même et ses collaborateurs, qu'elles ont donné lieu à la recherche active et transparente d'un acquéreur aux meilleurs prix et conditions pour les mandants et ont abouti, dans les deux cas, à des ventes satisfaisantes tant pour les mandants que pour la société Savills qui a perçu les commissions prévues.
Il conteste que ses relations d'amitié avec Monsieur Gautier aient influé de quelque manière que ce soit sur les conditions de transaction, rappelant que la société La Foncière des Parcs était un client important et régulier de la société Savills.
Il indique par ailleurs que son licenciement est intervenu à une période de tension dans ses relations tant avec la direction Savills de Londres qu'avec Monsieur [Z], Président directeur général de Savills France et que, dans ce contexte, la présentation particulière de ces deux affaires par la société Savills était destinée à motiver son licenciement rapide à moindre coût.
La société Savills produit aux débats, outre des échanges de mails de Monsieur [U], Monsieur [I] et Monsieur Gautier (pièce 29,30,31,33bis, 34 et annexes), un document dactylographié de Monsieur [U] (pièce 11), dont Monsieur [I] demande le rejet des débats, motif pris de sa non-conformité aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile en ce qu'il ne comporte pas la mention du lien de subordination de Monsieur [U], ni de la connaissance de son auteur de ce que cette pièce est destinée à être produite en justice, ni des sanctions prévues en cas de faux témoignage. Monsieur [I] ajoute que cette dénonciation a été obtenue à un moment où Monsieur [U] était menacé dans son emploi.
Il ne résulte d'aucun élément produit aux débats, notamment d'une attestation que Monsieur [U] aurait pu établir au profit de Monsieur [I], que ce document aurait été délivré par Monsieur [U] dans des conditions susceptibles d'affecter la valeur et la sincérité de son contenu.
Par ailleurs, s'agissant non pas d'une attestation mais d'un document établi par Monsieur [U] à l'intention de son employeur dans lequel il détaille les conditions de la commercialisation des biens menée par Monsieur [I], document auquel une copie de sa pièce d'identité a été annexée pour en authentifier l'auteur dans le cadre de la procédure, les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile ne trouvent pas à s'appliquer. Il n'y a donc pas lieu d'écarter ce document des débats.
Il résulte des éléments produits que Monsieur [I] a effectivement mené la commercialisation des biens appartenant à la société Locafimo dans l'intérêt de la société La Foncière des Parcs, en négociant la vente à des conditions avantageuses pour cette dernière.
Il est en effet établi que les biens proposés par la société Locafimo au prix de 2.450.000 euros étaient évalués par la société Savills au 30 juin 2012 à 832.000 euros pour le lot n°[Cadastre 4] et à 1.525.000 euros pour le lot [Cadastre 1] (la société Sofity ayant d'ailleurs fait le 30 mai 2012 une offre d'achat au prix de 1.500.000 euros), soit à un prix global de 2.357.000 euros, ces montants s'entendant net vendeur ( pièces 27 et 28 de l'intimée).
La société Locafimo a accepté le 25 juin 2013 de vendre les deux lots à la société La Foncière des Parcs pour un montant global de 2.300.000 euros, inférieur à ses attentes, après avoir été convaincue par Monsieur [U] qui rendait compte des termes de la négociation à Monsieur [I] et à Monsieur Gautier par mail du 25 avril 2013 (pièce 29) via leurs boîtes mail personnelles, que le lot [Cadastre 4] serait difficile à vendre faute de locataire, sans jamais informer la société Locafimo qu'une offre locative avait été faite par Monsieur [N], gérant de la société [L], que Monsieur [U] mettait en avant pour déterminer le vendeur le fait que le lot [Cadastre 1] était édifié sans permis de construire, alors qu'il résultait d'un courrier de la mairie [Localité 4] du 29 avril 2013 que la situation de l'immeuble ne posait pas de problème en terme d'urbanisme en dépit de l'absence d'autorisation d'urbanisme (pièce 35 de l'appelant).
Il ressort ainsi de son mail du 25 avril 2013 que Monsieur [U] négociait auprès de la société Locafimo une diminution du prix de vente au profit de la société La Foncière des Parcs et indiquait à ce propos « (') Je lui ai remis en main propre la proposition. Bien entendu, il m'a dit que c'était trop bas car il attendait 2.450.000 € net vendeur. Je lui ai dit que l'acquéreur n'avait pas beaucoup de marge de négo. Je lui ai dit qu'on avait de la chance d'avoir un acheteur qui ne demandait pas de garantie locative mais il m'a dit que si on remontait notre prix il était d'accord pour nous accorder un an de garantie de loyer sur la base de 50.000 €/an (').Bien entendu, je lui ai indiqué que cela n'intéressait pas l'acquéreur», alors même que la société [L] avait manifesté son intérêt pour louer les locaux, comme le révèle le même mail de Monsieur [U] qui écrit « pour ce qui est de l'aspect locatif, le soldeur est accroché et attend une offre locative.» Il est ainsi établi que le but recherché n'était pas l'optimisation de la vente au profit du mandant mais bien la négociation au seul profit de la société La Foncière des Parcs d'une baisse de prix.
Dans le document qu'il a remis à son employeur (pièce 11), Monsieur [U] expliquait qu'il avait fait visiter le local objet du lot [Cadastre 4] au représentant de [L] dès le 15 avril 2013, que celui-ci avait souhaité faire une offre d'acquisition mais que Monsieur [I] avait demandé à Monsieur [U] de différer son offre, après avoir fait visiter le bien à Monsieur Gautier dans l'attente de son offre pour les deux lots, que Monsieur [I] lui avait demandé de ne plus présenter l'immeuble à d'autres clients et de « garder au chaud Monsieur [N]», qu'une rencontre avait été organisée immédiatement après que la société Locafimo ait accepté le 28 juin 2013 l'offre de la société La Foncière des Parcs, entre Monsieur [N], Monsieur Gautier et Monsieur [I], et que ce dernier lui avait demandé de présenter Monsieur Gautier comme le propriétaire du lot n°[Cadastre 4].
Il résulte d'un mail adressé le 11 juillet 2013 par Monsieur [U] à Messieurs [I] et Gautier (pièce 33 bis), que lors de cette rencontre le 10 juillet 2013, le lot n°[Cadastre 4] a été proposé à Monsieur [N] au prix de 1.600.000 euros; Monsieur [U] y explique avoir justifié ce prix jugé trop élevé par [L] par le fait que le propriétaire ne souhaitait pas vendre initialement le bien de sorte qu'il fallait faire «une proposition qui tienne la route», alors qu'il convient de rappeler que la société Savills avait évalué ce bien un an plus tôt à 832.000 euros et que la société Locafimo l'estimait dans son mandat de vente à 1.000.000 d'euros.
Il est par ailleurs établi par les mails adressés à Monsieur Gautier que Monsieur [I] a communiqué à ce dernier le 5 juillet 2013 de nombreux documents confidentiels lui permettant d'optimiser les négociations : un mémorandum destiné à Locafimo, un chiffrage Capex, un résumé des baux et un comparatif de loyers ( pièce 34 et annexes).
C'est dans ces conditions que Monsieur [N] faisait parvenir à Monsieur [U] le 19 juillet 2013 une offre d'achat au prix de 1.200.000 euros et que la société La Foncière des Parcs confirmait par courrier du 26 juillet 2013 à la société Savills en la personne de Monsieur [U], son souhait de concrétiser la promesse de vente qui sera signée le 25 septembre 2013 pour la somme de 2.300.000 euros, acte en main, avec faculté de substitution (pièce 39).
Aux termes de l'acte de vente du 18 décembre 2013, le lot n°[Cadastre 1] a été acquis par la SCI Géronimo se substituant à la société La Foncière des Parcs dont elle est l'associée principale, au prix de 1.100.000 euros hors droits et honoraires au lieu de 1.525.000 euros selon la valeur d'expertise et que le lot n°[Cadastre 4] a été vendu à la SCI Pierrelaye représentée par Monsieur [N] se substituant à la société La Foncière des Parcs au prix de 1.200.000 euros, de sorte qu'en définitive la société La Foncière des Parcs bénéficiait à la fois d'une baisse du prix de vente et de l'optimisation du lot [Cadastre 4] pour acquérir son lot à un coût moindre.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, c'est vainement que Monsieur [I] fait valoir que :
- l'opération relevait principalement de Monsieur [U] qui était adjoint au directeur du Département Industriel et Logistique et n'était pas soumis à son autorité hiérarchique, alors que la délégation de pouvoir dont il dispose précise qu'en sa qualité de Co-Directeur de l'unité de travail «Transaction», ses fonctions recouvrent le département Industriel auquel appartenait Monsieur [U] ; en outre, il est établi qu'il est intervenu tout au long des négociations dont Monsieur [U] lui rendait compte ;
- la société Locafimo n'a subi aucun préjudice ayant perçu le prix de vente qu'elle avait accepté et étant informée par la promesse de vente de la répartition des sommes entre les deux lots, alors qu'il lui est reproché de n'avoir pas donné toutes les informations utiles à la société Locafimo, société appartenant au groupe STE, client important de Savills, en vue d'optimiser la vente mais d'avoir négocié une baisse de prix, en ne mettant pas en concurrence, dès le début, l'offre de Monsieur [N] et en obtenant une baisse injustifiée du prix de vente du lot [Cadastre 1] au motif fallacieux de l'absence de permis de construire;
- l'estimation du lot [Cadastre 1] par la société Savills était surévaluée car ne tenant pas compte du fait que les constructions avaient été édifiées sans permis de construire, ce qui diminuait nécessairement la valeur du bien, aucune prescription administrative n'étant acquise et l'acquéreur étant toujours exposé à l'aléa d'un refus de régularisation, alors qu'il résultait d'un courrier de la mairie [Localité 4] du mois d'avril 2013 repris par le notaire que la situation du bien ne posait pas difficulté en ce sens que l'immeuble ne faisait l'objet d'aucun recours, que des autorisations de travaux étaient délivrées pour les commerces existants, ce qui confirme que la diminution de prix n'était pas totalement justifiée par la situation du bien;
- l'offre de la société [L] date du 19 juillet 2013, soit postérieurement à l'acceptation de l'offre de la société La Foncière des Parcs par la société Locafimo, alors qu'il a été démontré que l'offre de la société [L] avait été retardée par Monsieur [I] pour permettre à la société La Foncière des Parcs de présenter son offre sans concurrent ; l'attestation de Monsieur [N] (pièce 39 de l'appelant) selon lequel Monsieur Gautier ne s'est pas présenté comme propriétaire du lot n°[Cadastre 4] lors de leur rencontre mais bien comme bénéficiaire d'un engagement exclusif de vente, «sans avoir pour objectif une quelconque revente totale ou partielle et prioriser plutôt la location» est contredite par le témoignage de Monsieur [U] d'une part (pièce 11) et par son mail du 11 juillet 2013 puisqu'il est démontré que le bien a été proposé à un prix de 1.600.000 euros à Monsieur [N] et que c'est bien à Monsieur Gautier que l'offre a été adressée et non à la société Locafimo ; l'opération réalisée a permis à la société La Foncière des Parcs de bénéficier de l'optimisation du bien en transférant une partie du prix de vente négocié sur la SCI Pierrelaye,
Il en résulte que le premier grief est établi à l'encontre de Monsieur [I].
Sur le second grief
Par acte du 4 juin 2013, la Sagep représenté par la société Corio a donné mandat à la société Savills pour la vente au prix de 2.850.000 euros hors droits mais honoraires inclus d'un actif immobilier situé [Adresse 4] (91), avec autorisation de négocier à un prix supérieur.
Il est reproché à Monsieur [I] d'une part, d'avoir négocié ce mandat au profit de la société La Foncière des Parcs au prix de 2.600.000 euros sans chercher à optimiser la vente par une mise en concurrence des sociétés qui avaient manifesté leur intérêt, d'autre part, d'avoir travaillé avec son équipe et l'agence immobilière Starkley et Weldorf, dirigée par Monsieur Gautier, avant même la signature de la promesse de vente, à la mise en place d'un projet de redéploiement du site en vue de sa valorisation et de sa revente à la société Ciloger, et ce sans mandat ni honoraires pour la société Savills.
Monsieur [I] conteste ces griefs et produit aux débats un mail que lui a adressé Monsieur [W], représentant de la société Corio, le 13 avril 2015, en forme d'attestation (sa pièce 49), dans lequel Monsieur [W] s'étonne des accusations portées contre Monsieur [I], estimant que le traitement de cette affaire a été normale et a donné lieu au même niveau d'information et de reporting que les autres dossiers traités par Savills ; il y indique également que la société Strauss n'avait jamais manifesté son intention d'émettre une lettre d'offre pendant le processus de consultation et que l'acceptation de l'offre de la société La Foncière des Parcs avec une période d'exclusivité excluait la possibilité d'accepter une offre tardive de la société Strauss qui aurait pu avoir une incidence négative sur le planning de cession imposé.
Cet élément à lui seul, établi manifestement pour les besoins de la cause, ne peut obérer le fait que Monsieur [I] avait été destinataire d'une offre de la société Saint Maclou le 26 avril 2013 au prix de 3.500.000 euros, marque d'intérêt réitérée par mail du 30 avril 2013 à laquelle aucune suite n'a été donnée par Monsieur [I]. En outre, la société Scbsm a interrogé Monsieur [I] le le 21 mai 2013 sur les informations qu'il avait données selon lesquelles le bâtiment devait être rasé, aucune suite n'étant donnée sans que Monsieur [I] ne s'en explique. Enfin, la société Strauss, expressément mentionnée dans le mandat de vente comme prospect, a manifesté son intérêt en mai 2013 ; Monsieur [I] l'a ignorée n'apportant aucune réponse aux mails de son collaborateur des 24 juin et 9 juillet 2013 lui demandant la réponse à faire à la société Strauss qui le relançait, Monsieur [I] n'apportant aucune explication sur ce point.
Cette situation permet par conséquent à la société Savills de reprocher à Monsieur [I] de ne pas avoir cherché à optimiser la vente, en ignorant les potentiels acquéreurs et en ne procédant à aucune mise en concurrence -Monsieur [W] n'évoquant d'ailleurs dans son mail ni Saint Maclou, ni Scbsm de sorte qu'il n'est pas établi qu'il ait été informé des manifestations de ces sociétés- et de n'avoir présenté le 17 juillet 2013 que la seule offre de la société La Foncière des Parcs à un prix inférieur au prix attendu.
Il résulte par ailleurs des pièces produites que Monsieur [I] a suivi avec la collaboration de salariés de la société Savills la préparation du projet de redéploiement du site en cours d'acquisition par la société La Foncière des Parcs en assurant notamment :
- le suivi de la faisabilité d'une extension du bâtiment avec le bureau de dessin de Monsieur [P] [S] (Pièces n°55,56, 57),
- l'obtention d'un foisonnement des parkings de Carter Cash et Kiabi pour faciliter les accès au site en cours d'acquisition (Pièce n°58),
- à partir de janvier 2014, une recherche de locataire pour les bâtiments commerciaux et un bail à construction via une négociation avec plusieurs enseignes suivantes (Pièces n°59 à 63),
- les négociations avec Ciloger pour l'acquisition du bien immobilier avec le projet de développement des locaux commerciaux, ce qui aboutira à une offre, faite le 5 mars 2014, au titre d'un volume d'investissement maximal de 6.120.000 €, actes en mains et honoraires de Savills, compris (Pièce n°64).
C'est donc vainement que Monsieur [I] soutient :
- que l'assistance au projet de la société La Foncière des Parcs s'inscrivait dans le cadre normal de son rôle d'apporteur d'affaires, permettait la réalisation du mandat de cession et ménageait à Savills un rôle de conseil et d'intermédiaire dans les transactions à venir ;
- que le mandant était parfaitement informé de ce rapprochement avec Ciloger que ses statuts n'autorisait pas de mener à bien les opérations d'aménagement et de redéploiement nécessaires à la valorisation du bien, alors qu'il lui est reproché, étant salarié de Savills, d'avoir développé entre septembre 2013 et mai 2014, une activité pour le compte de la société Foncière des Parcs, sans avoir reçu mandat pour ce faire et sans contrepartie financière pour Savills.
Le grief est par conséquent établi à l'égard de Monsieur [I].
Compte tenu des fonctions et du niveau de responsabilité de Monsieur [I], les faits retenus caractérisent une faute grave et non une faute lourde en ce qu'il n'est pas démontré qu'ils ont été déterminés par l'intention de nuire à l'employeur.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une faute grave et a débouté Monsieur [I] de ses demandes de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les autres demandes
En cause d'appel, Monsieur [I] forme diverses demandes au titre d'un rappel de salaire, du calcul de son salaire de référence et du versement de sa rémunération variable.
Monsieur [I] sollicite la somme de 10.209 euros représentant le montant des retenues sur son salaire du mois de juillet 2014, au titre de la mise à pied conservatoire à hauteur de 7.226,63 euros, alors qu'une somme de 15.183,43 euros avait été retenue à ce titre au mois de juin 2014, et de 2.982,46 euros au titre d'une « retenue E/S».
La société Savills indique avoir régularisé ce paiement qui a fait l'objet d'un bulletin de paie au mois de septembre 2015 produit aux débats, ce qui n'est pas contesté par Monsieur [I]. Il y a lieu en conséquence de rejeter la demande.
Monsieur [I] demande à la cour de réformer le jugement qui a fixé son salaire mensuel moyen des douze derniers mois à la somme de 15.500,95 euros sans tenir compte du bonus qu'il a perçu en juillet 2013 et de fixer son salaire de référence à la somme de 19.167,62 euros.
Toutefois, il apparaît que les sommes versées au mois de juillet 2013 l'ont été au titre du bonus 2012 et n'ont donc pas à être prises en compte dans la moyenne des douze derniers mois précédant le licenciement intervenu en juin 2014, l'intégration du bonus dû au titre de l'année 2013 et versé en mai 2014 établissant le salaire de référence sur la période de juin 2013 à mai 2014 à la somme de 15.000,95 euros. Il y a lieu en conséquence de rejeter la demande.
Monsieur [I] sollicite la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts correspondant au montant des bonus sur les affaires en cours à la date de son licenciement, faute pour la société Savills de lui avoir communiqué les documents permettant le calcul de sa rémunération variable pour 2014 et les éléments permettant le calcul de la prime exceptionnelle que l'employeur s'est engagé à lui verser au titre du développement de l'Unité Transaction.
La partie variable de la rémunération de Monsieur [I] était constituée d'un bonus pool assis sur le bénéfice réalisé par le département Commerce et d'un bonus additionnel ; par avenant du 1er juillet 2013, il a été accordé à Monsieur [I] une prime exceptionnelle de 20% sur les résultats des départements Commerce et Industries au 31 décembre 2015 payable au 31 mars 2016.
Or il résulte de la lettre de notification des modalités de versement des bonus pool et additionnel en date du 1er juillet 2013 que le versement de ces bonus est soumis à l'absence de notification de la rupture du contrat de travail au 31 mars suivant la période de référence (l'année civile) et qu'en cas de non-respect de cette condition, aucun bonus n'est dû même prorata temporis.
Monsieur [I] qui a perçu ses bonus au titre de l'année 2013 mais a été licencié en juin 2014 ne peut prétendre à aucune rémunération variable au titre de l'année 2014.
Il en est de même pour le versement de la prime exceptionnelle, l'avenant précisant que le versement de cette prime payable au 31 mars 2016 est conditionné à l'absence de notification de rupture du contrat de travail de Monsieur [I] à cette date, le versement prorata temporis étant exclu si cette condition n'était pas remplie, de sorte qu'aucune somme n'est due à Monsieur [I] à ce titre.
Il n'y a donc pas lieu de faire droit à la demande de dommages-intérêts de Monsieur [I] au titre de la rémunération variable.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Succombant en cause d'appel, Monsieur [I] sera condamné aux dépens. Il paraît équitable de ne pas laisser à la société Savills la charge intégrale de ses frais irrépétibles et il lui sera alloué à ce titre la somme de 1.500 euros.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DÉBOUTE Monsieur [I] de sa demande en paiement de la retenue de salaire de 10.209 euros régularisée par la société Savills au mois de septembre 2015,
DÉBOUTE Monsieur [I] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la rémunération variable,
CONDAMNE Monsieur [I] à payer à la société Savills la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire,
CONDAMNE Monsieur [I] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT