RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 20 Février 2018
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/03017
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Février 2016 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY section RG n° 13/01689
APPELANT
Monsieur [V] [I]
[Adresse 1]
[Localité 1]
né le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me Didier PETIT, avocat au barreau de PARIS, toque : E1447
INTIMEE
SA ASL AIRLINES FRANCE (anciennement dénommée Europe AIRPOST)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Georges LACOEUILHE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0105 substitué par Me Pierre-Henri LEBRUN, avocat au barreau de PARIS, toque : A.105
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 Janvier 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Conseillère, faisant fonction de Président
Madame Laurence SINQUIN, Conseillère
Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : M. Julian LAUNAY, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure
civile.
- signé par Monsieur Madame Isabelle VENDRYES, Conseillère, faisant fonction de Président et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [V] [I] a été engagé par la société Europe AIRPOST devenue la société ASL Airlines France, en qualité de commandant de bord, catégorie C5, du 14 mars 2007 au 31 octobre 2007, du 11 février 2008 au 30 septembre 2008, du 1er février 2009 au 8 février 2009, du 9 février 2009 au 15 février 2009, du 30 mars 2009 au 30 septembre 2009, du 1er mars 2010 au 30 septembre 2010, du 2 février 2011 au 12 février 2011, du 23 avril 2011 au 23 octobre 2011, du 4 avril 2012 au 4 octobre 2012,
Six des contrats susvisés visent comme motif de recours 'le surcroît d'activité lié à la réalisation de nouvelle lignes provisoires de transport de passagers', deux, 'le remplacement de commandement de bord en congés payés'.
Monsieur [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 24 avril 2013 de demandes fondées sur la requalification des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée
Par jugement rendu le 9 février 2016, Monsieur [I] a été débouté de l'ensemble de ses demandes,
Monsieur [I] a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe social de la cour du 25 février 2016,
Par conclusions visées au greffe le 9 janvier 2018 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Monsieur [I] demande l'infirmation du jugement, la requalification des contrats à durée déterminée successifs en un contrat à durée indéterminée, et sur la base d'un salaire moyen de référence d'un montant de 9889,88 euros, la condamnation de la société ASL AIRLINES à lui régler les sommes suivantes :
- 30'000 € au titre de l'indemnité de l'article L 1245-2 du code du travail
- 29'669,64 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 2966,96 euros au titre des congés payés afférents,
- 57'361,30 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 100'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 197'259,67 euros au titre du rappel de salaire pendant les périodes interstitielles,
- 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Par conclusions visées au greffe le 9 janvier 2018 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société ASL AIRLINES demande la confirmation du jugement et la condamnation de Monsieur [I] à lui régler la somme de 3000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à titre subsidiaire, la réduction des prétentions indemnitaires de Monsieur [I] à de plus justes proportions.
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
MOTIFS
L'article L. 1242-2 du code du travail édicte limitativement les cas de recours au contrat de travail à durée déterminée et retient notamment le remplacement d'un salarié pour absence et l'hypothèse de l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise,
Au caractère limitatif des cas de recours énumérés par cet article L. 1242-2, corollaire du caractère dérogatoire du régime, s'ajoute la règle posée par l'article L. 1242-1 qui dispose qu'un contrat de travail à durée indéterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise;
Le non-respect de cette condition est légalement sanctionné par l'article L. 1245-1 par la requalification de droit du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
La société ASL AIRLINES, à laquelle revient la charge de la preuve du bien fondé des motifs des recours aux contrats à durée déterminée, fait valoir que ceux-ci sont justifiés par un accroissement cyclique d'activité , que cet accroissement est notable durant les périodes d'emploi de Monsieur [I] entre les mois de mars à novembre des années 2008 à 2011, le nombre d'heures de vol augmentant considérablement au cours de ces périodes en même temps que le personnel navigant technique ,
Elle explicite que l'activité cargo est en recul par rapport à celle portant sur le transport de passagers laquelle est en augmentation constante à compter du mois d'avril jusqu'au mois d'octobre et nécessite une mobilisation rapide et massive de pilotes de ligne;
Il doit cependant être observé que la conclusion d'un contrat à durée déterminé pour surcroît temporaire d'activité ne peut venir répondre aux besoins d'une activité normale et non occasionnelle de l'entreprise,
Or, il ressort des pièces produites que l'activité de transport de passagers de la société ASL AIRLINES supplante désormais celle du transport de fret postal, qu'elle est pérenne et essentielle, caractérisée par des lignes régulières en développement et un nombre de passagers transportés variant entre 648'000 et 660'000 par an;
L'activité de vols charters constitue ainsi une des activités normales et prévisibles de la compagnie, faisant l'objet d'un développement régulier chaque année avec la même fréquence et un mode d'organisation identique sans que la société ASL AIRLINES ne justifie d'ailleurs à cet égard de la création de nouvelles lignes provisoires de transports;
Il appartient dans ces conditions à la compagnie d'adapter ses moyens humains aux exigences liées à ses activités , le recours à des contrats à durée déterminée ne pouvant avoir pour effet de pourvoir durablement des emplois liés à l'activité normale et permanente de l'entreprise;
Ces éléments conduiront à infirmer le jugement du conseil de prud'hommes et à faire droit à la demande de requalification de contrats à durée déterminée répétés sur une amplitude de cinq années et demi en un contrat à durée indéterminée à compter du 14 mars 2007,
En vertu de l'article L 1245-2 du code du travail, lorsque le conseil de prud'hommes fait droit à une demande de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, il accorde au salarié une indemnité, à la charge de l'employeur, ne pouvant être inférieure au dernier salaire mensuel perçu, avant la saisine de la juridiction, au sein de l'entreprise qui a conclu le contrat à durée déterminée.;
Compte tenu de la précarité subie par le salarié sur cinq ans, il lui sera alloué une indemnité de requalification d'un montant de 10'000 €,
En conséquence de la requalification de la relation contractuelle, et en l'absence d'une procédure et de motifs de licenciement, la rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
En application des dispositions issues du paragraphe VIII-7.1.1 de l'accord collectif d'entreprise du 20 février 2007, l'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis est équivalente à trois mois de salaires, ce montant étant calculé sur la base de la moyenne des rémunérations totales perçues par le salarié au cours des douze derniers mois ;
Ces dispositions justifiant de soustraire des rémunérations perçues les indemnités représentatives de frais et après décompte de la moyenne susvisée, il est du à Monsieur [I] la somme de 26022,66 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre congés payés afférentes à hauteur de 2602,27 euros,
En application des dispositions de l'article VIII-7-2 de l'accord collectif susvisé, Monsieur [I] a droit à une indemnité conventionnelle de licenciement calculée sur la base d'un mois de salaire par année de service , ce mois étant calculé sur le total des rémunérations des douze derniers mois,
Il est donc du à Monsieur [I] la somme de 47708,21 euros,
Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de son ancienneté, de son retour à l'emploi en 2013 et des conséquences du licenciement à son égard, telles qu'elles résultent des pièces et des explications fournies, il lui sera alloué une somme de 60 000 € à titre de dommages-intérêts.
S'agissant de l'indemnisation des périodes intermédiaires, Monsieur [I] fait valoir ici qu'il est demeuré en attente des sollicitations de son employeur entre le 1er octobre 2008 et le 30 janvier 2009, du 16 février 2009 au 29 mars 2009, du 1er octobre 2009 au 28 février 2010, du 1er octobre 2010 au 1er février 2011, du 13 février 2011 au 22 avril 2011 puis du 24 octobre 2011 au 3 avril 2012;
Il est rappelé que le titulaire de contrats de travail à durée déterminée successifs dont le contrat de travail est requalifié en contrat à durée indéterminée ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées entre plusieurs contrats que s'il justifie s'être tenu à la disposition de l'entreprise pendant ces périodes,
Monsieur [I] justifie ici des lettres que lui a adressées son employeur les 17 septembre 2008 , 28 septembre 2009, 18 octobre 2010 lui proposant d'effectuer des stages de maintien de ses compétences et qualifications afin de pouvoir envisager un nouveau recours à ses services,
Il justifie également des contrats de stage passés avec la société ASL AIRLINES et effectués sans gratifications dans ce cadre du 2 au 4 février 2010, du 17 au 19 février 2010, du 4 au 6 janvier 2011, du 20 au 22 janvier 2011, du 3 au 5 janvier 2012, du 31 janvier au 1er février 2012,
Ces éléments qui justifient de ce que Monsieur [I] est resté à la disposition de l'employeur pendant les périodes interstitielles susvisées conduiront à condamner la société ASL AIRLINES à lui régler, sur la base du dernier salaire perçu avant chaque période de coupure, la somme totale d'un montant de 197'259,67 euros.
Il est rappelé que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes et que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Requalifie les contrats à durée déterminée effectués par Monsieur [I] à compter du 14 mars 2007 en un contrat à durée indéterminée,
Condamne la société ASL AIRLINES à payer à Monsieur [I] les sommes suivantes:
10'000 € au titre de l'indemnité de l'article L 1245-2 du code du travail,
26022,66 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 2602,27 € au titre des congés payés afférents,
47708,21 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement
60'000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
197'259,67 euros à titre de rappel de salaire pendant les périodes interstitielles,
Dit que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter du 29 avril 2013 et celles de nature indemnitaire à compter du 20 février 2018;
Vu l'article 700 du code de procédure civile
Condamne la société ASL AIRLINES à payer à Monsieur [I] en cause d'appel la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les autres demandes,
Condamne la société ASL AIRLINES aux dépens.
LE GREFFIER LA CONSEILLERE FAISANT FONCTION DE PRESIDENT