RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 31 Janvier 2018
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/06659
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Mai 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLENEUVE SAINT GEORGES RG n° 577/2013
APPELANTE
Madame [B] [J]
[Adresse 1]
[Localité 1]
née le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 2]
comparante en personne, assistée de Me Annick PEROL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0312
INTIMEE
SAS SARETEC
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Anne MARICHEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : R210
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Novembre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Benoît HOLLEAUX, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Benoit HOLLEAUX, conseiller faisant fonction de président
Mme Christine LETHIEC, conseillère
Madame Laure TOUTENU, vice-présidente placée
Greffier : Mme Laurie TEIGELL, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur Benoit HOLLEAUX, conseiller faisant fonction de Président et par Madame Laurie TEIGELL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges du 11 mai 2015 ayant :
-constaté que « la rupture du contrat de travail entre les parties est intervenue d'un commun accord »
-dit et jugé que « le protocole conclu le 20 juin 2012 entre les parties constitue un accord de rupture amiable »
-condamné en conséquence la Sas SARETEC FRANCE à payer à Mme [B] [J] les sommes de :
7 321,56 € de solde d'indemnité compensatrice de préavis
23 395,04 € à titre de rappel de prime de performance pour l'année 2012
3 071,65 € d'incidences congés payés sur les sommes précitées
1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
avec intérêts au taux légal et leur capitalisation
-ordonné à la Sas SARETEC FRANCE la remise à Mme [B] [J] des bulletins de paie rectifiés (juillet/septembre 2014) et d'une attestation Pôle emploi conformes
-débouté Mme [B] [J] de ses autres demandes
-rejeté les demandes reconventionnelles de la Sas SARETEC FRANCE
-condamné la Sas SARETEC FRANCE aux dépens ;
Vu la déclaration d'appel de Mme [B] [J] reçue au greffe de la cour le 1er juillet 2015 ;
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 22 novembre 2017 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de Mme [B] [J] qui demande à la cour :
-de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions de condamnations, et en ce qu'il a débouté la Sas SARETC de ses demandes reconventionnelles
-de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, dire qu'elle a bien fait l'objet d'un licenciement lui ayant été notifié par une lettre datée du 29 juin 2012 puis expédiée le 2 juillet, juger nul le protocole transactionnel signé avec la Sas SARETEC FRANCE le 20 juin 2012 avec mention d'une date au 13 juillet, et juger nul son licenciement intervenu en violation du statut protecteur lié à son mandat de conseiller prud'homal qui est toujours en vigueur
-en conséquence, de condamner la Sas SARETEC FRANCE à lui régler les sommes de :
42 174 € de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement (convention collective nationale des ingénieurs, assimilés et cadres du bâtiment) « en denier ou quittance »
334 491,48 € de dommages-intérêts pour licenciement illicite, ou subsidiairement 332 910 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
724 731,54, ou subsidiairement 557 473,80 €, à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur en tant que conseiller prud'homal
7 321,56 € de complément d'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis
23 395,04 € de rappel de prime de performance sur l'année 2012
3 071,65 € de congés payés afférents sur le préavis et la prime de performance
5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
avec intérêts au taux légal et leur capitalisation
-d'ordonner à la Sas SARETEC FRANCE la remise des bulletins de paie rectifiés (juillet/septembre 2012), ainsi qu'une attestation Pôle emploi conformes conforme, sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document
-condamner la Sas SARETEC FRANCE aux entiers dépens ;
Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 22 novembre 2017 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de la Sas SARETEC FRANCE qui demande à la cour de :
-confirmer le jugement entrepris en ses dispositions de débouté de Mme [B] [J]
-l'infirmer partiellement ne ses dispositions de condamnation au titre du complément d'indemnité compensatrice de préavis (7 321,56 € + 732,15 € d'incidence congés payés), du rappel de prime de performance sur l'exercice 2012 (23 395,04 € + 2 339,50 €), ainsi que sur l'article 700 du code de procédure civile et, en conséquence, statuant à nouveau, condamner reconventionnellement Mme [B] [J] à lui rembourser les sommes suivantes qu'elle a indument perçues :
.63 404,19 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement (convention collective nationale UPEIMEC)
.7 321,56 € (+ 732,15 € de congés payés afférents) au titre de l'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis
.23 395,04 € (+ 2 339,50 €) au titre du rappel de prime de performance sur l'exercice 2012
-condamner Mme [B] [J] en tout état de cause à lui verser la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS :
La Sarl SARETEC, devenue ultérieurement la Sas SARETEC FRANCE, a recruté Mme [B] [J] dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein ayant pris effet le 20 mars 1989 en tant qu'adjointe au chef comptable, position A de la convention collective nationale des ingénieurs, assimilés et cadres du bâtiment, moyennant un salaire de 10 715 francs bruts mensuels, outre une prime mensuelle brute de 535 francs, une prime conventionnelle de vacances et un treizième mois.
Suivant un avenant applicable au 1er mars 1999, la rémunération mensuelle brute de Mme [B] [J] a été portée aux sommes de 16 146 francs (salaire de base), 1 645 francs (prime région parisienne) et 989 francs (prime d'ancienneté), y étant en outre convenu que « son revenu annuel incluant les revenus variables (Prime de performance, Intéressement) ne sera pas inférieur à 270 000 francs (valeur 1er janvier 1999) », avec une promotion interne sur un emploi de chef comptable.
Après avoir accédé à compter du 1er janvier 2005 aux fonctions de « DRH adjoint », elle sera promue suivant un dernier avenant à compter du 1er février 2007 au poste de « Directeur des Ressources humaines », position conventionnelle D, classification cadre, avec en contrepartie un salaire de base de 3 500 € et une prime de fonction de 1 000 €, bruts mensuels.
Aux termes d'une lettre du 17 septembre 2008 adressée au MEDEF du Val-de-Marne, Mme [B] [J] a manifesté son intention de se porter candidate aux prochaines élections prud'homales se tenant le 3 décembre 2008, ayant été finalement élue conseiller prud'homme dans le collège employeur de la section encadrement du conseil de prud'hommes de Créteil, et son mandat à ces fonctions avec un terme initial au 31 décembre 2013 ayant été prorogé à deux reprises, une première fois jusqu'au 31 décembre 2015 et une deuxième jusqu'au 31 décembre 2017.
Parallèlement à ses fonctions salariales, Mme [B] [J] a exercé au sein de la Sas SARETEC FRANCE le mandat social de « Directeur Général de la société » sur la période de mai 2009 à avril 2012, mandat qui fut alors repris par M. [F] qui adressait à l'appelante dès le 23 mai 2012 un courrier en ces termes : « ' nous sommes amenés à confier davantage d'autonomie aux Directions Régionales et Directions de Filiales, ce qui entraîne, vous concernant, les modifications suivantes à effet du 1er juillet 2012 : Ainsi, désormais, un certain nombre de tâches qui vous sont dévolues sera directement pris en charge par les Directeurs de région, telles que notamment : le recrutement, la signature des contrats de travail, la mise en 'uvre du pouvoir disciplinaire ' Par ailleurs, en tant que Directeur Général, j'assurerai désormais personnellement et directement les relations avec les représentants du personnel et la présidence des instances représentatives. Votre mission sera en conséquence une mission d'étude, et d'assistance à la préparation des dossiers et tout particulièrement des réunions des instances représentatives. Dans ce schéma, la redéfinition de votre fonction n'implique plus votre participation au Conseil de Direction '. Nous vous demandons de bien vouloir réfléchir à cette proposition et nous faire connaître votre décision pour le 6 juin prochain ' Ceci étant, en cas de refus de votre part, nous tenons à vous préciser que nous serons lors conduits à tirer toutes les conséquences en résultant ' ».
Mme [B] [J] y répondait par un refus le 5 juin 2012 (« Vous comprendrez que je ne peux accepter une telle régression de mon niveau de responsabilité en totale contradiction avec l'évolution de ma carrière que j'ai connue au sein de la société. Je vous laisse le soin d'en tirer les conséquences que vous jugerez utiles »).
Par une lettre du 18 juin 2012, M. [F], en sa qualité de directeur général de la Sas SARETEC FRANCE, convoquait Mme [B] [J] à un entretien préalable prévu le 26 juin et, à l'issue duquel, il lui a été notifié le 29 juin 2012 son licenciement motivé en ces termes : « ' après avoir pris connaissance de votre décision de refus de toute modification de votre contrat de travail exprimée par votre courrier du 5 juin 2012, nous sommes au regret de devoir procéder à votre licenciement pour motif personnel non-disciplinaire. En effet, vous avez refusé les modifications proposées relatives à votre fonction et à votre rémunération ' Lors de l'entretien préalable qui s'est tenu le mardi 26 juin 2012, vous nous avez confirmé votre impossibilité d'accepter une diminution de vos responsabilités et de votre rémunération. Nous en prenons acte. Ceci étant, devant mettre en place la nouvelle organisation qui a été arrêtée et que nous vous avons exposée, nous n'avons malheureusement d'autre issue que de procéder à votre licenciement, que nous vous notifions par la présente ».
L'intimée a dispensé Mme [B] [J] d'exécuter son préavis de trois mois sur la période du 1er juillet au 30 septembre 2012, en le lui payant sous la forme d'une indemnité compensatrice aux dates d'échéance de la paie.
Dans le dernier état de la relation contractuelle de travail, l'appelante percevait une rémunération en moyenne de 18 582,46 € bruts mensuels.
Il est produit aux débats un « Accord transactionnel » conclu entre les parties et daté du 13 juillet 2012, aux termes duquel il est, d'une part, rappelé les sommes d'ores et déjà réglées à Mme [B] [J] dans le cadre de son solde de tout compte - article 2 - (7 826,59 € d'indemnité compensatrice de préavis, 34 000 € de reliquat de prime de performance 2012, une indemnité compensatrice légale de congés payés sur la base de 39 jours ouvrés acquis au 30 septembre 2012, un arriéré de prime de vacances et de 13ème mois, 121 821 € d'indemnité de licenciement, un solde de prime de performance) et, d'autre part, convenu entre les parties qu'« à titre de concession ' et en contrepartie de sa renonciation à toute instance ou action ' [l'intimée] accepte de verser à Madame [B] [J] à titre transactionnel forfaitaire et définitif une indemnité globale et forfaitaire d'un montant de 42 174 € bruts, portant ainsi le montant total de l'indemnité de rupture à 163 995 €, correspondant à l'application de la Convention Collective Nationale du 23 juillet 1956 des Ingénieurs, Assimilés et Cadres du Bâtiment ' indemnité transactionnelle qui ' vient en sus des sommes versées à l'article 2 ' ».
Aux termes d'une correspondance du 18 mars 2013, le conseil de la salariée entendait contester le licenciement « dénué de cause réelle et sérieuse mais également vicié par la violation du statut protecteur attaché au mandat de conseiller prud'homal qu'elle exerce depuis plusieurs années », avec le reproche fait à la Sas SARETC FRANCE d'une absence de concession au titre du protocole transactionnel précité « dès lors que tout en imputant sa rémunération durant le préavis, elle s'est contentée de verser le solde de l'indemnité de licenciement qui [lui] était contractuellement due ».
Dans sa réponse du 28 mars 2013, le président de la Sas SARETEC FRANCE, en la personne de M. [F], considère que Mme [B] [J] a donné son plein accord et en toute connaissance de cause à l'accord transactionnel du 13 juillet 2012, et que « la nature même de ses fonctions et la maîtrise de la matière qu'elle implique confirment sa parfaite appréciation de sa situation et de la réalité des concessions consenties ».
Sur la qualification juridique de la rupture du contrat de travail :
Pour considérer en définitive que ladite rupture serait intervenue en l'espèce d'un « commun accord » des parties, la Sas SARETEC FRANCE évoque « la volonté claire et non équivoque de Madame [J] de quitter » l'entreprise en rappellant que le 23 mai 2012 le conseil d'administration a pris acte de sa démission de son mandat social de directeur général pour être remplacée par M. [F], que Mme [B] [J] a également fait part de son intention de cesser d'exercer ses fonctions salariées de directrice des ressources humaines sans pour autant donner sa démission compte tenu de son ancienneté et de son souhait d'être indemnisée au titre de l'assurance-chômage, que c'est dans ce contexte bien particulier que Mme [B] [J] lui a en fait proposé « d'organiser la rupture de son contrat de travail, non pas dans le cadre d'une rupture conventionnelle, mais dans le cadre d'un licenciement qui serait fondé sur son refus de modifications de ses fonctions et de sa rémunération », que c'est Mme [B] [J] qui a mis au point les courriers antidatés et le calendrier de la procédure en vue de son « licenciement », de sorte que, selon la société intimée, ce licenciement « ne constituait qu'un simple habillage d'un départ négocié, librement et en parfaite connaissance de cause, à l'initiative de Madame [J], et excluant de ce fait l'existence d'un quelconque différend entre elle et Saretec France, d'une part, et entre elle et Monsieur [F], d'autre part ».
En réponse, Mme [B] [J] observe qu'aucun accord de rupture amiable du contrat de travail n'est intervenu avec la Sas SARETEC FRANCE dans le cadre plus précisément d'une procédure légale de rupture conventionnelle, que le protocole transactionnel daté du 13 juillet 2012, et que les premiers juges ont qualifié par erreur d'« accord de rupture amiable », s'inscrit formellement à la suite de son licenciement survenu le 29 juin 2012, que son licenciement est intervenu ensuite de son refus d'une modification de son contrat de travail concernant ses fonctions et sa rémunération, qu'il s'agit d'un mode de rupture unilatérale du contrat de travail à la seule initiative de l'employeur et qui lui reste imputable, a fortiori quand le caractère injustifié et inacceptable de la modification proposée place le salarié dans l'impossibilité de l'accepter, qu'elle a élaboré les trames de courriers et le calendrier de la procédure de licenciement sur les instructions expresses de Monsieur [F] qui sans autre délicatesse lui a ordonné de s'en charger elle-même, et que « c'est la société SARETEC France, en dehors de toute intervention [de sa part], qui a modifié et complété avec son conseil, Maître [B], les trames de courriers préparés par [elle] ».
Nonobstant le fait que Mme [B] [J] ait pu courant juin 2012 rédiger des projets de courriers ayant pour objet la procédure de licenciement qui sera menée ensuite à son encontre, ce qu'elle ne conteste pas dans ses dernières écritures en pages 15/16, il ressort des éléments versés aux débats, comme elle le rappelle, que cela s'est produit à l'instigation et à la demande de M. [F] qui cumulait alors les fonctions de directeur général et de président de la Sas SARETEC FRANCE - pièces de la salariée, numéros 51 et 52.
Comme le relève à juste titre l'appelante, en toute hypothèse, cette seule circonstance reste inopérante du point de vue de la rupture du contrat de travail devant recevoir en l'espèce la qualification de licenciement, soit le mode de rupture unilatérale du contrat de travail dont dispose tout employeur, seule qualification juridique possible à retenir sous peine de dénaturation des pièces soumises à débat devant la cour, à savoir la lettre de convocation à l'entretien préalable du 18 juin 2012 et la lettre de licenciement du 29 juin 2012, toutes deux signées par M. [F], ès qualités - pièces 18 et 19 de la salariée.
C'est donc à tort que la Sas SARETEC FRANCE persiste à se retrancher derrière la qualification juridique de « rupture d'un commun accord ».
*
Le jugement déféré ne pourra donc qu'être infirmé sur ce point de droit.
Sur la validité de la transaction :
L' « Accord transactionnel » daté du 13 juillet 2012, qui ne peut davantage être qualifié de rupture d'un commun accord contrairement à ce que soutient encore l'employeur et comme l'ont retenu à tort les premiers juges, lequel avait bien pour objet de régler les conséquences d'un licenciement, a de fait été conclu entre les parties dès le 20 juin 2012, ce que démontre la salariée dans sa pièce 53 où il est en est question à cette même date avec le conseil de la société intimée, ce qu'en définitive la Sas SARETEC FRANCE ne conteste pas dans ses écritures quand elle déclare en page 15 : « Cet accord régularisé par chacune des parties a été, en outre, remis en main propre, sous pli fermé, par Madame [J] en personne à Maître [R] [R], Huissier de justice, le 20 juin 2012», et ce qui est confirmé par le procès-verbal de constat d'huissier du même jour - pièce 9 de l'intimée.
Il en ressort que le protocole transactionnel a été postdaté au 13 juillet 2012, sachant qu'à cette même date Mme [B] [J] n'était plus physiquement sur place pour avoir quitté la région parisienne dès le 12 juillet suite à sa dispense de préavis comme elle en justifie - sa pièce 54 -, ledit protocole remontant bien de fait au 20 juin 2012, antérieurement à la notification de son licenciement par lettre en recommandé du 29 juin 2012 dont elle a accusé réception le 2 juillet suivant.
Il est de principe que la transaction ne peut être valablement conclue qu'une fois la rupture du contrat de travail intervenue et définitive, que dans la mesure où elle a pour objet de prévenir ou terminer une contestation le salarié ne peut la conclure que lorsqu'il a eu connaissance effective du ou des motifs de son licenciement par la réception de la lettre de rupture prévue à l'article L. 1232-6 du code du travail, et qu'en conséquence est nul tout protocole transactionnel intervenu en l'absence d'une notification préalable du licenciement dans les conditions posées par le texte précité.
*
Infirmant le jugement entrepris, il y a donc lieu de dire nul l'accord ou protocole transactionnel intervenu entre les parties.
Sur le statut légal protecteur :
Le salarié, qui est titulaire d'un mandat de conseiller prud'homme mentionné à l'article L. 2411-1 17° du code du travail, ne peut se prévaloir de la protection y étant attachée que si, au plus tard lors de l'entretien préalable à un éventuel licenciement, il a informé son employeur de l'existence de ce même mandat extérieur à l'entreprise, ou plus généralement s'il rapporte la preuve de ce que l'employeur en avait bien eu connaissance.
Contrairement là encore à ce que soutient l'intimée, comme Mme [B] [J] en justifie, tant M. [D], alors président de la Sas SARETEC FRANCE, que M. [F], qui y occupait à l'époque les fonctions de directeur général adjoint, étaient bien informés dès septembre 2008 de ce qu'elle entendait se présenter aux prochaines élections prud'homales du mois de décembre suivant, ce que confirme notamment une autre salariée de l'entreprise en la personne de Mme [U] [N] (« Assistante de la direction générale de Saretec de 2005 à 2010, j'ai collaboré avec [K] [D], p.d.g à partir de 2006. A ce titre, je confirme qu'[X] [F] - directeur général adjoint de 2006 à 2009 - était parfaitement informé de la candidature et de l'élection de [B] [J] en tant que conseiller prud'hommes à Créteil (fin 2008). Il a d'ailleurs approuvé, tout comme [K] [D], cette démarche dans l'intérêt de l'entreprise ' Par ailleurs, [B] [J] notait toutes ses audiences prud'homales sur son agenda professionnel auquel avaient accès tant [X] [F] que [K] [D] ' lorsqu'elle siégeait au conseil qui se tenait dans l'immeuble situé en face de celui qui abritait nos locaux ' » - pièces 38 et 43 de l'appelante.
Elue conseiller prud'homme courant décembre 2008, le mandat initial de cinq ans de de Mme [B] [J], prévu pour s'achever normalement le 31 décembre 2013, a été prorogé à deux reprises, dans un premier temps jusqu'au 31 décembre 2015, et dans un deuxième jusqu'au 31 décembre 2017.
Il en résulte que l'employeur, régulièrement informé par l'appelante de son élection en qualité de conseiller prud'homme courant décembre 2008 pour un mandat d'au moins une durée de cinq ans jusqu'en décembre 2013, en avait donc bien connaissance quand il a convoqué Mme [B] [J] le 18 juin 2012 à un entretien préalable fixé au 26 juin, étant précisé que cette obligation d'information ne s'étend pas aux conséquences pécuniaires attachées à la violation du statut protecteur.
Si seule une fraude du salarié est de nature à le priver de la protection liée à son mandat, comme celui de conseiller prud'homme, fraude dont la charge de la preuve pèse sur l'employeur, comme le fait observer à juste titre Mme [B] [J], aucun comportement frauduleux ne saurait lui être reproché dès lors que la société intimée avait une parfaite connaissance de l'existence de celui-ci depuis décembre 2008 et qu'il lui appartenait donc de solliciter de l'inspection du travail une autorisation préalable de licenciement en application de l'article L. 2411-22 du code du travail, ce dont la Sas SARETEC FRANCE s'est manifestement abstenue, et ce qui constitue une illicéité rendant ce licenciement nul pour violation du statut protecteur.
*
Dans ces conditions, la décision entreprise ne pourra qu'être tout autant infirmée
Sur les conséquences indemnitaires attachées à la nullité du licenciement pour absence d'autorisation de l'inspection du travail :
Dans la mesure où Mme [B] [J], qui est investie d'un mandat de conseiller prud'homme, et dont le licenciement est nul pour les raisons précédemment exposées, ne demande pas spécialement sa réintégration, elle peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'elle aurait perçue depuis son éviction de l'entreprise jusqu'à l'expiration du délai de six mois suivant la date de cessation de ses fonctions, dans la limite de deux ans ou 24 mois correspondant à la durée minimale du mandat de représentant élu du personnel, augmentée de six mois.
A cette indemnité spécifique pour violation du statut protecteur attaché aux fonctions de conseiller prud'homme, Mme [B] [J] est également en droit de revendiquer, outre les indemnités de rupture, des dommages-intérêts qui réparent l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement et d'un montant au moins équivalent à six mois de salaires par référence à l'article L. 1235-3 du code du travail.
*
La période théorique de protection liée au mandat de conseiller prud'homme de Mme [B] [J], après les élections de décembre 2008, va de son éviction effective de l'entreprise le 1er octobre 2012 - à la fin de son préavis de trois mois du 1er juillet au 30 septembre 2012 inclus - jusqu'au 31 décembre 2013 - une durée de mandat de cinq ans -, lequel a été prorogé jusqu'au 31 décembre 2015 - article 7 de la loi n° 2010-1215 du 15 octobre 2010 -, puis finalement jusqu'au 31 décembre 2017, période augmentée de six mois, sachant qu'en toute hypothèse l'indemnité lui revenant pour violation dudit statut, comme précédemment indiqué, est égale à la rémunération qu'elle aurait dû percevoir entre le 1er octobre 2012 et l'expiration de ladite période, cela dans la limite de 30 mois de salaires correspondant aux 24 mois de durée minimale du mandat de représentant élu du personnel, plus 6 mois.
Sur la base d'une rémunération brute mensuelle en moyenne au titre des 12 derniers mois travaillés, soit 18 582,46 €, après infirmation du jugement querellé, la Sas SARETEC FRANCE sera en conséquence condamnée à payer à l'appelante les sommes de :
-557 473,80 € (18 582,46 € x 30 mois) à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur lié à son mandat de conseiller prud'homme ;
-185 824,46 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement illicite, et représentant l'équivalent de 10 mois de salaires compte tenu de son âge (47 ans) et de son ancienneté dans l'entreprise (23 années) lors de la rupture ;
avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.
Sur les indemnités conventionnelles de rupture :
1/ Rappel d'indemnité de licenciement.
Contrairement à ce que prétend Mme [B] [J], il ressort des éléments versés aux débats par l'employeur - sa pièce 1 et les pièces adverses 4, 26, 68 à 70 auxquelles il se réfère - que la convention collective nationale des ingénieurs, assimilés et cadres du bâtiment (IAC du bâtiment) à laquelle il était initialement assujetti a été abrogée pour être remplacée à compter du 1er janvier 2005 par la convention collective non étendue des cadres du bâtiment, que n'étant pas membre de l'une des organisations syndicales patronales signataires de cette dernière convention collective il n'avait donc pas l'obligation de l'appliquer en interne, que c'est seulement en vertu d'un usage d'entreprise qu'il a continué à appliquer volontairement l'ancienne convention collective abrogée des IAC du bâtiment, que dans le dernier avenant au contrat de travail de février 2007, s'il est bien fait mention de la convention collective des IAC du bâtiment, c'est toutefois à titre purement informatif et non définitif sans donc avoir quelque valeur contractuelle que ce soit, que cet usage a été régulièrement dénoncé un an après courant 2008 pour un rattachement désormais compte tenu de son activité principale à la convention collective nationale des entreprises d'expertises en matière d'évaluations industrielles et commerciales (UPEMEIC), laquelle est expressément mentionnée sur les bulletins de paie de la salariée, de sorte que celle-ci ne peut valablement prétendre à un rappel d'indemnité de licenciement sur la base de la convention collective des IAC du bâtiment, et qu'il y aura donc lieu par substitution de motifs de confirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de ce chef (42 714 €).
Dès lors qu'au vu de la convention collective nationale UPEMEIC exclusivement applicable au présent litige, comme précédemment exposé, Mme [B] [J] pouvait prétendre à une indemnité conventionnelle de licenciement de seulement 100 591,81 € suivant un mode de calcul non discuté, sachant qu'elle a de fait d'ores et déjà encaissé une somme de 121 821 € (54 879 € + 66 942 €) à l'examen du dernier bulletin de paie de septembre 2012 - sa pièce sous cote 26 -, après infirmation du jugement entrepris, la cour la condamnera reconventionnellement à rembourser à la Sas SARETEC FRANCE la somme indument perçue de 21 229,19 € (121 821 € encaissés - 100 591,81 € attendus), avec intérêts au taux légal partant de l'audience du bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges du 17 novembre 2014.
2/ Rappel d'indemnité compensatrice de préavis.
Malgré ce que soutient l'employeur, après rappel du principe selon lequel en cas de dispense de préavis à son initiative l'indemnité compensatrice mise à sa charge en application de l'article L. 1234-5 du code du travail est égale à la rémunération - salaire de base et tous avantages ou accessoires - dont l'appelante aurait normalement bénéficié si elle avait continué à travailler, c'est donc à tort qu'il exclut de l'assiette de calcul de cette même indemnité tant la prime contractuelle de fonction avec l'incidence congés payés et le prorata de 13ème mois afférent que l'avantage en nature lié au véhicule de fonction, en sorte que la décision critiquée sera confirmée en ce qu'elle a condamné l'intimée à régler à Mme [B] [J] à titre de reliquat la somme de ce chef non discutée dans son mode de calcul de 7 321,56 €, ainsi que 732,15 € d'incidence congés payés, avec intérêts au taux légal partant du 4 octobre 2013, date de réception par l'employeur de sa convocation en bureau de conciliation.
Sur le rappel de prime de performance :
L'avenant du 5 mars 1999 dont se prévaut Mme [B] [J] - sa pièce 2 - stipule que : « Son revenu annuel incluant les revenus variables (Prime de performance, Intéressement) ne sera pas inférieur à 270 000 francs (valeur 1er janvier 1999) ».
A l'examen des courriels émanant de M. [D] les 8 juin 2009, 28 avril 2011 et 12 avril 2012 - pièces 5, 67 et 85 de l'appelante -, contrairement à ce qu'affirme l'employeur et comme l'indique Mme [B] [J], il ressort que la prime contractuelle de performance a été fixée à 0,55 % du résultat d'exploitation avant revenus variables, lequel résultat d'exploitation est plus précisément obtenu par soustraction des charges d'exploitation des produits d'exploitation.
Au vu du décompte de l'appelante figurant en pages 46/47 de ses écritures, déduction faite de ce qu'elle a déjà perçu, la décision querellée sera ainsi confirmée en ce qu'elle a condamné la Sas SARETEC FRANCE à lui régler un solde à ce titre sur l'exercice 2012 de 23 395,04 € (69 936 € de montant attendu ' 46 540,96 € déjà versés), ainsi que 2 339,50 € de congés payés afférents, avec intérêts au taux légal partant du 4 octobre 2013.
Sur les autres demandes et les dépens :
Il sera ordonné la capitalisation des intérêts au taux légal sur l'ensemble des sommes revenant à la salariée en application de l'article 1343-2 du code civil, tel qu'issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
La Sas SARETEC FRANCE remettra à l'appelante les bulletins de paie rectifiés (les mois de juillet à septembre 2012), ainsi qu'une attestation Pôle emploi conforme au présent arrêt, sans qu'il y ait lieu au prononcé d'une astreinte.
La Sas SARETEC FRANCE sera condamnée en équité à payer à l'appelante la somme complémentaire de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR
CONFIRME le jugement entrepris en ses seules dispositions sur les rappels d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis, et de prime de performance sur l'exercice 2012, ainsi que sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens ;
L'INFIRME pour le surplus et, STATUANT à nouveau :
-DIT que la rupture du contrat de travail entre les parties procède d'un licenciement, annule le protocole transactionnel formellement daté du 13 juillet 2012, juge illicite et donc nul ce même licenciement ainsi intervenu en violation du statut protecteur de Mme [B] [J] résultant de son mandat de conseiller prud'homme, en conséquence, CONDAMNE la Sas SARETEC FRANCE à lui payer les sommes de :
557 473,80 € à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur
185 824,46 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement illicite
avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt
-DIT seule applicable au présent litige la convention collective nationale des entreprises d'expertises en matière d'évaluations industrielles et commerciales (UPEMEIC), en conséquence, CONDAMNE reconventionnellement Mme [B] [J] à rembourser à la Sas SARETEC FRANCE la somme indument perçue de 21 229,19 € à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2014 ;
Y AJOUTANT,
DIT que les sommes allouées à Mme [B] [J] au titre des rappels d'indemnité compensatrice conventionnelle de préavis, et de prime contractuelle de performance, sont assorties des intérêts au taux légal partant du 4 octobre 2013
ORDONNE la compensation à due concurrence entre les créances respectives des parties
ORDONNE la capitalisation des intérêts au taux légal sur l'ensemble des sommes revenant à Mme [B] [J] en application de l'article 1343-2 du code civil, tel qu'issu de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016
ORDONNE la remise par Sas SARETEC FRANCE à Mme [B] [J] des bulletins de paie rectifiés sur les mois de juillet à septembre 2012, ainsi qu'une attestation Pôle emploi conforme au présent arrêt
CONDAMNE la Sas SARETEC FRANCE à payer à Mme [B] [J] la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Sas SARETEC FRANCE aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRESIDENT