La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/01/2018 | FRANCE | N°14/09595

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 24 janvier 2018, 14/09595


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 24 Janvier 2018

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/09595



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Novembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 12/00081





APPELANTE



REPUBLIQUE DU GHANA REPRESENTEE PAR MME L'AMBASSADEUR DU GHANA EN FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]


r>représentée par Me Emmanuel CAULIER, avocat au barreau de PARIS







INTIMEE



Madame [F] [Y]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



comparante en personne, assistée de Me Tamar KATZ, avocat au ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 24 Janvier 2018

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/09595

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Novembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 12/00081

APPELANTE

REPUBLIQUE DU GHANA REPRESENTEE PAR MME L'AMBASSADEUR DU GHANA EN FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Emmanuel CAULIER, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

Madame [F] [Y]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Tamar KATZ, avocat au barreau de PARIS, toque : G0236

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 novembre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente de chambre

Madame Françoise AYMES BELLADINA, Conseillère

Madame Stéphanie ARNAUD, vice présidente placée faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 3 juillet 2017,

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Christelle RIBEIRO, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Véronique PAMS-TATU, Présidente et par Monsieur Julian LAUNAY, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [F] [Y] a été engagée par la République du Ghana, représentée par son ambassadeur en France, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er août 2005, en qualité de secrétaire bilingue.

Mme [Y] fait valoir que dès son entrée en fonction, elle a dû faire face à des dénigrements et propos discriminatoires en raison de ses origines et de sa religion de la part de plusieurs salariés de l'ambassade et même de diplomates, que fin décembre 2008, des élections présidentielles et parlementaires ont eu lieu au Ghana et qu'à la suite du changement de gouvernement, l'ambassadeur en place a été destitué et a quitté l'ambassade le 14 février 2009, que dans ce contexte elle a dû faire face à une cabale, a été mise à pied et n'a plus perçu de salaire.

Par lettre du 22 avril 2009 elle a, par l'intermédiaire de son conseil, dénoncé sa mise à pied abusive et sollicité sa réintégration dans son poste et le paiement de ses salaires.

Elle a été licenciée pour faute grave par lettre en date du 24 avril 2009.

Elle a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par un jugement du 6 novembre 2013, a condamné la République du Ghana, représentée par son ambassadeur en France, à lui verser :

- 3 313,32 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 331,33 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- 1 242,50 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 25 000 € à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les créances salariales étant assorties d'intérêts au taux légal.

Par déclaration du 27 août 2014, la République du Ghana, représentée par son ambassadeur en France, a interjeté appel et demande de voir ;

- in limine litis, retenir l'immunité de juridiction de la République du Ghana, prise en la personne de son représentant en France, et l'incompétence des tribunaux français pour juger du licenciement de Madame [Y],

- annuler le jugement,

- débouter Mme [Y], juger que son licenciement est justifié pour faute grave, et la condamner à lui verser les sommes suivantes sous astreinte de 500 € par jour de retard :

* 25 000 € à titre de procédure abusive,

* 5 000 € à titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner le remboursement des sommes des sommes versées au titre de l'exécution provisoire,

- ordonner la communication au parquet sur le fondement de la violation des articles 323'1, alinéa premier, 323'2 du code pénal

.

Mme [Y] demande de voir confirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau en l'infirmant, constater qu'elle a subi des agissements répétés au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail, que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat, condamner la République du Ghana à lui verser 30'000 € en réparation de son préjudice résultant de harcèlement moral, 2000 € en réparation du préjudice né de la perte de son droit individuel à la formation, en tout état de cause, ordonner la remise d'un certificat de travail et d'une attestation pôle emploi et de bulletins de salaire rectifiés sous astreinte de 500 € par document et par jour, condamner la République du Ghana à régulariser sa situation auprès des organismes sociaux sous astreinte de 500 € par jour de retard, la cour se réservant la liquidation des astreintes, la condamner au versement d'une amende civile ainsi qu'à des dommages-intérêts d'un montant de 10'000 € pour appel abusif et une indemnité 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l'immunité de juridiction

La République du Ghana soutient que les tribunaux français ne sont pas compétents pour juger le licenciement de Mme [Y] au motif que l'ambassadeur avait noué avec elle une relation personnelle allant au-delà de sa fonction de secrétaire bilingue et qu'elle était devenue très rapidement, à tout le moins directeur de cabinet de fait, exerçant ainsi des fonctions politiques et qu'elle participait donc à l'exercice d'actes d'autorité.

Cependant, selon sa fiche de poste, Mme [Y] était chargée de l'organisation des activités sociales de l'ambassadeur, la mise à jour hebdomadaire de son agenda, de ses appels entrants et sortants, servir des rafraîchissements aux visiteurs de l'ambassadeur et le déjeuner de celui-ci, l'affranchissement et l'expédition du courrier, gérer les communications avec le corps diplomatique et différents ministères, préparer et saisir toutes les correspondances non-confidentielles en français, faire les réservations de vols et d'hôtels pour l'ambassadeur ....

La République du Ghana ne produit aucun document de nature à établir que Mme [Y] aurait accompli des actes qui participaient, par leur nature ou leur finalité, à l'exercice de la souveraineté des Etats et qui n'étaient donc pas des actes de gestion.

Le conseil de prud'hommes a dès lors exactement retenu que le licenciement de Mme [Y] constituait un acte de gestion, rejeté l'immunité de juridiction de la république du Ghana et retenu sa compétence.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement pour faute grave du 24 avril 2009 invoque les griefs suivants :

«' incapacité à remettre des documents officiels dans les délais à différentes institutions après qu'ils aient été signés par les autorités compétentes, causant ainsi des embarras sérieux pour la mission,

' votre manque de coopération pour délivrer des documents officiels et d'autres éléments officiels en votre possession, y compris les mots de passe/codes officiels des adresses électroniques de la mission au directeur de la chancellerie à l'usage de la mission, insubordination à l'égard de l'autorité compétente et refus délibéré d'obéir aux instructions officielles,

' les investigations ont confirmé les résultats sus indiqués. Elles ont également mis en lumière le fait que vous avez accumulé un important retard de travail, retardant ainsi le fonctionnement effectif de la mission,

' les actes graves de votre part ont presque causé un arrêt de travail de l'ensemble des activités de la mission du gouvernement ghanéen dans leurs relations avec la France, les autres pays accrédités, ainsi que les organisations internationales auprès desquels la mission était accréditée, en obligeant ainsi la mission à modifier son adresse électronique,

' en outre, ces actions, qui ont par la suite causé une violation de la sécurité de la mission, sont au centre du fonctionnement de la mission dans le pays d'accueil et ont eu un impact sérieux sur la mise en 'uvre de ses fonctions ».

L'employeur auquel incombe la charge de la preuve d'un licenciement pour faute grave se borne à produire une attestation de M. [R]. La salariée fait en outre observer que celui-ci était photographe officiel de l'ambassade, qu'il n'a jamais assuré la maintenance informatique laquelle était confiée à un prestataire de services, la société PC dépannage, et que son attestation est mensongère.

Il ne résulte en effet d'aucune pièce que M. [R] était informaticien et assurait la maintenance informatique de l'ambassade.

L'appelant ne démontre pas la réalité des griefs invoqués dans la lettre de licenciement de sorte que celui-ci est sans cause réelle et sérieuse.

Compte tenu de l'ancienneté de la salariée, de sa rémunération et des circonstances de son licenciement, il convient de porter le montant des dommages et intérêts à la somme de 35'000 € nets.

Il y a lieu d'ordonner la remise de documents conformes la régularisation de la salariée auprès des organismes sociaux sans prononcer d'astreinte.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [Y] soutient qu'elle a été victime de propos et d'écrits anonymes dénigrants et discriminatoires en raison de ses origines, de courriels anonymes envoyés sur la boîte mail de l'ambassade ayant pour objet et effet de la déconsidérer et de la déstabiliser, de pratiques d'isolement et d'agissements humiliants, d'un appel téléphonique anonyme d'intimidation sur son lieu de travail, d'un retrait soudain de dossiers importants dont elle avait la charge, d'une mise à pied infondée dans des conditions humiliantes, d'une durée excessive de deux mois et demi la privant de son salaire, et d'une absence de réponse à ses demandes de de clarification puis d'un licenciement sans procédure.

Elle produit :

- trois mails adressés à l'ambassade la dénigrant,

- deux plaintes qu'elle a déposées auprès des services de police pour harcèlement moral,

- une attestation de l'ancien ambassadeur du Ghana indiquant qu'il n'avait pu retrouver une lettre anonyme adressée à sa femme selon laquelle il avait employé une arabe et que par conséquent son épouse courait le risque d'un acte terroriste.

Cependant, les premiers juges ont à juste titre retenu que les auteurs des mails n'étaient pas identifiés, que les plaintes ne contenaient que les déclarations de Mme [Y] et que le témoignage de l'ancien ambassadeur du Ghana était indirect. Ils en ont exactement déduit que l'existence de faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral n'était pas établie.

Quant à la mise à pied, elle a été prononcée dans l'attente de la réalisation d'une enquête et d'un licenciement pour faute grave. Elle ne constitue donc pas un fait laissant présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il convient de débouter la salariée de sa demande à ce titre et au titre d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.

Sur le droit individuel à la formation

Le licenciement ayant été prononcé à tort pour faute grave et la lettre de licenciement n'informant pas la salariée de ses droits acquis en matière de droit individuel à la formation, celle-ci a été privée de la possibilité de formuler une demande à ce titre. Il lui sera accordé une somme de 300 € en réparation de son préjudice.

Sur le caractère abusif de la procédure

L'appelant n'a fait qu'user de son droit d'interjeter appel. La demande au titre d'une procédure abusive sera rejetée.

En revanche, il convient d'accorder à l'intimée 3000 € en application de l'article 700 du code de procédure.

L'employeur occupant au moins 11 salariés et la salariée ayant plus de deux ans d'ancienneté, il convient d'ordonner le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômages versés à celle-ci dans la limite de six mois.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement déféré sauf sur le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse,

Statuant à nouveau,

Condamne la République du Ghana, représentée par son ambassadeur en France, à payer à Mme [Y] les sommes de :

35'000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse

300 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice né de la perte de la possibilité de bénéficier du droit individuel à la formation

3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Ordonne à la République du Ghana de remettre à Mme [Y] un certificat de travail, une attestation pôle emploi et des bulletins de salaire rectifiés, et de régulariser la situation de Mme [Y] auprès des organismes sociaux,

Ordonne le remboursement par la République du Ghana aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à la salariée du jour de son licenciement au jour de l'arrêt dans la limite de six mois,

Déboute Mme [Y] du surplus de ses demandes,

Condamne la République du Ghana aux dépens.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 14/09595
Date de la décision : 24/01/2018

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°14/09595 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-01-24;14.09595 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award