Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRET DU 17 JANVIER 2018
(n° 3 , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 17/03370
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 31 Janvier 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/58100
APPELANTE
SA L'ARTISTIQUE [C]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée et assistée de Me Gérard DAGORNO, avocat au barreau de PARIS, toque : E0456
INTIMEES
EURL JEAN-MANUEL DUPONT ACTING PRODUCTIONS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
N° SIRET : 800 714 990
Représentée et assistée de Me Héloïse MAIRE de l'AARPI SCOPE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
Société civile SOCIETE DES AUTEURS ET COMPOSITEURS DRAMATIQUES (SACD) agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège [Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
assistée de Me Olivier CHATEL de l'AARPI ASSOCIATION D'AVOCATS CHATEL - BLUZAT, avocat au barreau de PARIS, toque : R039
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Novembre 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Martine ROY-ZENATI, Premier Président de chambre et Mme Mireille QUENTIN DE GROMARD, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Martine ROY-ZENATI, Premier Président de chambre
Mme Anne-Marie GRIVEL, Conseillère
Mme Mireille QUENTIN DE GROMARD, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Véronique COUVET
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Martine ROY-ZENATI, président et par Mme Véronique COUVET, greffier
L'EURL Jean-Manuel Dupont Acting Productions (JMD), société de production de spectacles vivants, s'est vu accorder à titre exclusif par la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD), selon lettre-contrat du 17 décembre 2014, l'autorisation d'exploiter, pendant la période du 1er décembre 2014 au 30 août 2018, la pièce 'Ma belle-mère, mon ex et moi', déclarée au répertoire de la SACD par ses deux auteurs. Le 4 juillet 2014, la société JMD et la société L'Artistique [C] ont conclu un contrat de 'co-réalisation' aux termes duquel la société JMD assurait la production de la pièce afin qu'elle soit représentée sur la scène du théâtre la Comédie [C] à partir du 24 septembre 2014. La pièce a été représentée dans ce cadre contractuel du 24 septembre 2014 au 2 janvier 2016.
Des saisies-attributions ayant été pratiquées par la SACD sur les recettes de l'exploitation de la pièce 'Ma belle-mère, mon ex et moi' entre les mains d'une société de billetterie en ligne pour obtenir paiement de sommes dues par le théâtre, la société JMD, impayée de ce fait de sa part de recettes et des droits d'auteur, a résilié le contrat par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 décembre 2015 à effet au 3 janvier 2016. Après cette date, et malgré l'absence d'accord entre les parties sur une rétrocession des droits d'exploitation, l'Artistique [C] a repris les représentations de la pièce.
C'est dans ces conditions que le 1er juillet 2016, la société JMD a fait assigner en référé la société L'Artistique [C] aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement d'une somme globale de 178 932,66 euros à titre de provision due au titre du contrat de co-réalisation du 4 juillet 2014, du prélèvement de sommes au titre de la 'contribution volontaire équipement', ainsi que des droits d'auteur.
Par ordonnance du 31 janvier 2017, le président du tribunal de grande instance de Paris, après avoir rejeté tant l'exception d'incompétence soulevée au profit du juge des référés du tribunal de commerce de Paris que l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de la SACD, a :
- condamné la SA L'Artistique [C] à payer à la société Jean-Manuel Dupont Acting Productions à titre de provision :
* la somme de 178 932,66 euros, composée de la somme de112 920,12 euros au titre du contrat de co-réalisation, de la somme de 57 103,59 euros indûment prélevée au titre de la contribution volontaire équipement non reversée par la société L'Artistique [C], et de la somme de 8 908,95 euros au titre du solde des droits d'auteur, et ce, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
* la somme de 160 000 euros à titre de dommages-intérêts pour l'exploitation sans autorisation de la pièce 'Ma belle-mère, mon ex et moi' du 5 janvier au 4 juin 2016 ;
- ordonné la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil ;
- donné acte à la société Jean-Manuel Dupont Acting Productions qu'elle reconnaît devoir reverser la somme supplémentaire de 8 908,95 euros au titre des droits d'auteur pour la période de septembre 2014 au 3 janvier 2016 ;
- condamné in solidum la société L'Artistique [C] et la société Jean-Manuel Dupont Acting Productions à payer à la SACD la somme globale de 151 844,34 euros TTC représentant le solde des droits d'auteur dus du fait de l'exploitation de la pièce de théâtre « Ma belle-mère, mon ex et moi » de septembre 2014 au 4 juin 2016 ;
- condamné la société L'Artistique [C] à payer à la société Jean-Manuel Dupont Acting Productions la somme de 7000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société L'Artistique [C] à payer à la SACD la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la SACD de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de la société Jean-Manuel Dupont Acting Productions ;
- condamné la société L'Artistique [C] aux dépens de l'instance.
Par déclaration d'appel du 13 février 2017, la SA L'Artistique [C] a interjeté appel de cette ordonnance.
Par conclusions transmises le 23 novembre 2017, elle demande à la cour de :
- la dire et juger recevable en son appel, et la dire bien fondée en toutes ses demandes ;
à titre liminaire,
- dire et juger la SACD irrecevable en son intervention volontaire et ses demandes à son encontre ;
- dire et juger que la demande de la société Jean-Manuel Dupont Acting Productions se heurte à l'existence d'une contestation sérieuse, et la renvoyer à se pourvoir au fond devant le tribunal de commerce de Paris ;
- dire que la demande de la SACD se heurte à l'existence de contestations sérieuses, et la renvoyer à se pourvoir au fond devant le tribunal de grande instance de Paris ;
- débouter la société Jean-Manuel Dupont Acting Productions et la SACD de l'intégralité de leurs demandes
à titre subsidiaire,
- ordonner la déduction de la somme de 75 575 euros qu'elle a versée à la société JMD au titre des droits d'auteur ;
- condamner solidairement la société Jean-Manuel Dupont Acting Productions et la SACD à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle soutient :
- que le tribunal de grande instance de Paris était incompétent, les sociétés étant de nature commerciale, les demandes l'étant également et ne relevant pas de revendication de droits d'auteur, et l'intervention volontaire de la SACD ne pouvant modifier la compétence commerciale inhérente à l'action de la société JMD ; que si celle-ci comportait une réclamation au titre des droits d'auteur, elle était dissociable de l'ensemble du litige ; que l'article 79 du code de procédure civile ne peut être invoqué, s'agissant d'une question de fond qui ne relève pas du référé ;
- que pour recevoir l'intervention volontaire de la SACD, le juge des référés a outrepassé ses pouvoirs en analysant au fond la situation contractuelle alors que, en application de l'article 325 du code de procédure civile, la demande portant sur le paiement des droits d'auteurs ne se rattache pas aux prétentions des parties par un lien suffisant ;
- que les demandes de la société JMD se heurtent à des contestations sérieuses, les faits invoqués à l'appui de la résiliation du contrat ne relevant pas de la seule cause de rupture prévue contractuellement, si bien que la faute invoquée tenant à la survenance de saisies-attributions pratiquées à la requête de la SACD ne revêt pas un caractère incontestable et la société JMD n'ayant subi de surcroît aucun préjudice puisque les comptes ont été partiellement débloqués afin qu'elle obtienne les sommes lui revenant ;
- qu'elle est, quant à elle, fondée à rechercher la responsabilité contractuelle de la société JMD et a d'ailleurs engagé une action au fond pour rupture abusive du contrat de co-réalisation ;
- que le juge des référés a retenu que la société JMD pouvait bénéficier en toutes circonstances de l'exclusivité des droits d'auteur sur la pièce mais que l'analyse des droits consentis par la SACD est erronée et que l'interprétation de cette question ressort du fond ;
- que, s'agissant des montants réclamés :
* le décompte des sommes réclamées pour la période allant de septembre 2014 au 2 janvier 2016 est contesté, l'attestation produite étant erronée en ce qui concerne la TVA ;
* la somme de 50 % de 114 207,18 euros au titre de la contribution volontaire équipement pouvait être prélevée par elle puisqu'il s'agit d'une contribution volontaire pour permettre aux théâtres de procéder à des réparations ;
* la somme de 8 908,95 euros au titre du solde des droits d'auteurs est également contestée ;
* pour la période de janvier à juin 2016, la condamnation à des dommages et intérêts à hauteur de 160 000 euros ne repose sur aucun fondement ni sur un quelconque préjudice ;
- que s'agissant de l'action directe de la SACD, elle se heurte à des contestations sérieuses, la SACD outrepassant son mandat et les droits qui lui sont consentis par les auteurs, et qu'elle a d'ailleurs exercé un recours en abus de position dominante contre elle ;
- que l'adhésion de l'auteur aux statuts ne saurait être opposable à des entrepreneurs du spectacle, tiers non membres, et qu'il est contestable de prétendre que l'adhésion des auteurs emporte renonciation à l'exercice de leurs droits ; que la SACD n'est pas fondée à agir directement en lieu et place de l'auteur qui a personnellement donné sa propre autorisation ;
- qu'elle n'est pas le producteur et n'a pas de lien contractuel avec la SACD pour l'exploitation de la pièce ;
- que, pour la période allant du 17 février 2015 au mois de novembre 2015, elle a versé à la société JMD une somme de 75 575 euros au titre des droits d'auteur et non simplement la somme de 35 370,11 euros ; que le total des paiements effectués se chiffre à la somme de 528 874,95 euros, si bien que les décomptes de la SACD sont contestables ;
- que pour la période du 5 janvier au 4 juin 2016, la responsabilité de la rupture sera tranchée par le tribunal de commerce et que le paiement des droits d'auteur a été effectué directement auprès de l'auteur ;
- qu'aucune faute délictuelle ne saurait être retenue contre elle pour avoir contesté le droit de la SACD de percevoir les droits dès lors que l'auteur a donné son accord.
Par conclusions transmises le 10 novembre 2017, la société Jean-Manuel Dupont Acting Productions (JMD) demande pour sa part à la cour de :
- confirmer l'ordonnance du 31 janvier 2017 en ce qu'elle a condamné la société L'Artistique [C] à lui payer à titre de provision la somme de 178 932,66 euros, et ce avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
- confirmer l'ordonnance du 31 janvier 2017 en ce qu'elle a condamné la société L'Artistique [C] à lui payer à titre de provision la somme de 160 000 euros à titre de dommages et intérêts réparant l'exploitation sans autorisation de la pièce de théâtre « Ma belle-mère, mon ex et moi » du 5 janvier 2016 au 4 juin 2016 ;
- lui donner acte de ce qu'elle se réserve toute action au fond pour la réparation intégrale de ses préjudices ;
- confirmer l'ordonnance du tribunal de grande instance de Paris du 31 janvier 2017 en ce qu'elle a ordonné la capitalisation des intérêts ;
- constater que les créances invoquées par la SACD au titre de l'exploitation de la pièce de théâtre entre le 17 février 2015 et le 21 novembre 2015 sont uniquement imputables à la société L'Artistique [C] ;
- constater qu'elle n'a reçu aucun bordereau de recette ni aucune somme de la société L'Artistique [C] pour l'exploitation de la pièce entre le 5 janvier et le 4 juin 2016 et qu'en tout état de cause, les créances invoquées par la SACD au titre de l'exploitation de la pièce de théâtre pendant cette période sont uniquement imputables à la société L'artistique [C],
- infirmer, dans ces conditions, l'ordonnance en ce qu'elle l'a condamnée, in solidum avec la société L'Artistique [C], à payer à la SACD la somme de 151 844,34 eurosTTC représentant le solde des droits d'auteur dus du fait de l'exploitation de la pièce de théâtre « Ma belle-mère, mon ex et moi » de septembre 2014 au 4 juin 2016 ;
- dire et juger, dans l'hypothèse où il serait fait droit aux demandes de la SACD, que les condamnations devront être prononcées uniquement à l'encontre de la société L'artistique [C] ;
- condamner, en tout état de cause, la société L'Artistique [C] à lui verser à la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société L'Artistique [C] aux dépens qui pourront être recouvrés par Maître Héloïse Maire, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
- que le litige concerne l'arrêt du versement par l'appelante des droits d'auteurs qui lui étaient dus, qu'en outre, la société L'Artistique [C] a commis des actes de contrefaçon ; qu'ainsi, en application de l'article L.331-3 du code de la propriété intellectuelle, le tribunal de grande instance était compétent ;
- qu'en raison de la saisie-attribution pratiquée par la SACD sur les recettes d'exploitation de la pièce, elle n'a plus reçu de la société L'Artistique [C] ni le montant des droits ni sa part de recettes ; qu'elle est donc fondée à invoquer cette saisie pour justifier de la résiliation du contrat ; que deux nouvelles saisies-attributions l'ont ensuite empêchée de percevoir les sommes lui revenant au titre du contrat et des droits d'auteurs ;
- que par ailleurs, la société L'Artistique [C] et la SACD ne retenaient pas la même assiette de recettes d'exploitation de la pièce pour calculer les montants des droits d'auteurs, ce qui représente une somme de 8 908,95 euros ;
- qu'en outre, la société L'Artistique [C] a retenu la taxe relative à la 'contribution volontaire d'équipement' sans la reverser à l'association PACTP dont elle n'est pas adhérente, si bien que la moitié du montant prélevé à ce titre sans justification sur les recettes lui revient ;
- que les pièces versées par l'appelante pour prouver ses règlement ne sont pas probantes ;
- que la société L'Artistique [C] prétend qu'elle aurait réglé directement un seul des coauteurs alors que c'est à elle qu'elle avait l'obligation de lui payer les droits pour pouvoir les reverser à la SACD ;
- qu'aucun manquement ne peut donc lui être imputé et qu'elle ne peut être condamnée solidairement avec la société L'Artistique [C] au paiement de sommes à la SACD ;
- que la société L'Artistique [C] a repris l'exploitation de la pièce sans autorisation et sans reverser les droits du 5 janvier au 4 juin 2016 alors que les droits lui appartenaient à titre exclusif ; que, ce faisant, elle s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon, en application des articles L.122-2, L.335-3 alinéa 1 et L.335-4 du code de la propriété intellectuelle et qu'elle doit donc lui réparer son préjudice.
Par conclusions transmises le 27 novembre 2017, la SACD demande quant à elle à la cour de :
- se déclarer compétente pour connaître du présent litige,
- à titre principal, confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
- à titre subsidiaire, infirmer l'ordonnance seulement en ce qui concerne le montant de sa créance et condamner in solidum les sociétés JMD et L'Artistique [C] à lui payer la somme provisionnelle de 65 200,27 € TTC représentant le solde régularisé des droits d'auteur dus au titre de l'exploitation de la pièce 'Ma belle-mère, mon ex et moi' du 17 février 2015 au 4 juin 2016 ;
En tout état de cause et y ajoutant :
- condamner la société JMD et la société L'Artistique [C] à lui payer chacune la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner in solidum la société JMD et la société L'Artistique [C] aux entiers dépens.
Elle fait valoir :
- que, conformément à l'article 79 du code de procédure civile, applicable à la procédure de référés, la cour d'appel de Paris tranchera le fond du litige ; qu'en tout état de cause, le tribunal de grande instance était compétent ;
- que son intervention volontaire était recevable, ses demandes présentant un lien suffisant avec celles des parties puisque le contrat litigieux porte sur les représentations de la pièce à la Comédie [C], au titre desquelles elle sollicite le paiement des droits d'auteur et contributions diverses ;
- que par 'lettre-contrat' du 17 décembre 2014, la société JMD s'est engagée à lui reverser 'intégralement et exclusivement' les droits d'auteur ainsi que diverses contributions et qu'elle ne peut lui opposer l'inexécution du contrat qui la lie à la société L'Artistique [C], le montant de la créance, pour les périodes allant du 17 février 2015 au 21 novembre 2015 puis du 5 janvier 2016 au 4 juin 2016, s'élèvant au total à la somme de 151 844, 34 euros TTC ;
- que la société L'Artistique [C] a engagé sa responsabilité délictuelle vis-à-vis d'elle en ignorant délibérément les obligations des auteurs et de la société JMD envers elle, en ne payant pas les sommes dues et en exploitant sans autorisation la pièce litigieuse du 5 janvier au 4 juin 2016 sans reddition de comptes, ces fautes lui ayant causé un préjudice à hauteur des sommes non versées, soit la somme de 151 844,34 euros ;
- que conformément à l'article 2.II de ses statuts et à l'article 12 de son règlement général, lorsqu'un auteur décide d'adhérer à la SACD, il s'interdit d'autoriser seul la représentation de ses 'uvres par des tiers, si bien qu' il ne peut être soutenu qu'elle ne serait pas fondée à agir directement en lieu et place de l'auteur qui a personnellement donné son autorisation ;
- qu'en tout état de cause, les paiements de la société L'Artistique [C] à l'un des auteurs semblent forfaitaires et faits en violation de l'article L.131-4 du code de la propriété intellectuelle, elle seule étant habilitée à percevoir les droits et contributions ;
- qu'ainsi, les sociétés JMD et L'Artistique [C] devront être solidairement condamnées au paiement de la somme de 151 844, 34 euros.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions transmises et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Considérant qu'il n'y a plus lieu de statuer sur la compétence de la juridiction saisie, l'appelante ne soulevant plus in limine litis dans le dispositif de ses conclusions l'exception d'incompétence au profit du président du tribunal de commerce mais soutenant en premier lieu l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de la SACD puis l'existence de contestations sérieuses ;
Considérant que par application de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal de grande instance peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ;
Considérant en premier lieu, s'agissant des demandes initiales de la société JMD, qu'il résulte des pièces du dossier qu'en raison de saisies-attributions pratiquées sur les recettes de la pièce 'Ma belle-mère, mon ex et moi' représentée dans son théâtre de la Comédie [C], la société L'Artistique [C] a cessé de reverser au producteur, la société Jean-Manuel Dupont Acting Productions (JMD), titulaire à titre exclusif, pour la période du 1er décembre 2014 au 30 août 2018, du droit d'exploitation de la pièce, avec lequel elle avait signé un contrat de co-réalisation le 4 juillet 2014, tant le montant des droits d'auteur, que JMD devait elle-même reverser à la SACD en vertu de l'article 6 du contrat et de l'autorisation consentie par celle-ci, que la part des recettes, soit 50%, lui revenant au titre de l'article 4 du contrat ; que, sans avoir à analyser la cause et l'imputabilité de la rupture dudit contrat, sans incidence sur les sommes dues au titre de son exécution, il ressort avec l'évidence requise en référé de l'attestation de l'expert-comptable de la société JMD du 31 mai 2016 et du décompte qui y est joint, qui fait état des versements effectués par la société L'Artistique [C] à hauteur de 628 760,54€ détaillés en annexe 3, que celle-ci reste devoir, déduction faite de ses paiements, la somme de 112 920,12€ à son cocontractant au titre de sa part des recettes (541 302,40 € TTC) et des droits de mise en scène (16 261,99 €) et d'auteurs (184 173,47 €) pour toute la période d'exploitation du 24 septembre 2014 au 2 janvier 2016 ; qu'il convient de relever à cet égard que les recettes ont été justement calculées TTC, l'article 5 du contrat relatif aux 'modalités de règlement' stipulant que les comptes définitifs sont établis sur la base d'un bordereau récapitulant d'une part les recettes totales, d'autre part la TVA due sur les recettes du spectacle, étant observé que la TVA est neutre entre sociétés commerciales ; que la contestation soulevée au titre des versements effectués n'est pas davantage sérieuse faute de justification probante à hauteur des 666 746,38 € allégués, alors que l'attestation du 13 novembre 2017 du comptable de L'Artistique [C] ne fait état que d'un montant total de 147 768,79 € pour la période d'octobre 2015 à février 2016 qui figure bien à l'annexe 3 du décompte produit duquel il a été débité, le 'récapitulatif des paiements' sur toute la période d'exploitation, au demeurant non certifié, ne mentionnant qu'un montant total de 528 874,95 €, inférieur donc à celui déduit par JMD ; que l'ordonnance doit ainsi être confirmée qui a condamné L'Artistique [C] à payer la somme de 112 920,12 € à titre provisionnel ;
Considérant ensuite que la réclamation de 50% de la somme de 114 207,18 € retenue par la société L'Artistique [C] sur ses recettes au titre de la contribution volontaire équipement est contestée par l'appelante au motif que la déduction de cette taxe était prévue à l'article 6 du contrat de co-réalisation afin de lui permettre d'assurer elle-même les inévitables travaux de réparation, le théâtre étant libre de choisir le mode de financement de son entretien et le producteur y contribuant de cette manière ; que l'article 6 en question relatif aux 'taxes' dispose que : 'Le théâtre réglera pour le compte de la réalisation les diverses taxes dues sur le prix des places : la taxe fiscale (3,5%), taxe d'équipement (1,60 € par place), les droits d'auteurs seront reversés au producteur qui les réglera directement à la SACD' ; qu'il est constant que la taxe d'équipement est une contribution volontaire si bien que la société L'Artistique [C] n'était pas légalement tenue à son paiement, mais qu'il lui appartient donc de justifier de son versement à l'organisme collecteur pour pouvoir contractuellement la déduire des recettes comme elle s'y était engagée ; qu'à cet égard, elle n'établit ni même allègue avoir adhéré à l'association anciennement dénommée PACTP (Protection, Aménagement et Conservation des Théâtres Privés) aujourd'hui ASTP (Association pour le soutien du théâtre privé) qui se charge de collecter cette contribution puisqu'elle soutient qu'elle n'avait pas à lui verser cette taxe, ce qui est exact mais qui lui interdit alors de la déduire des recettes dues à son cocontractant ; que l'ordonnance sera en conséquence confirmée qui l'a condamnée à sa rétrocession mais sera réformée sur son quantum, l'attestation de l'expert-comptable de JMD faisant état de 70 148 billets payants vendus, ce qui implique, faute d'autre justificatif, que la taxe d'équipement retenue indûment, de 1,60 € par place, s'élève à un montant total incontestable de 112 236,80 € sur lequel l'intimée doit se voir reverser la moitié, conformément à l'article 4 du contrat, soit 56 118,40 €, à titre provisionnel ; que s'agissant de la taxe fiscale, la société appelante justifie l'avoir réglée pour les années 2014 et 2016 et l'intimée qui le discute ne réclame aucune rétrocession de recettes à ce titre si bien que la discussion n'a pas lieu d'être ;
Considérant enfin que du fait de cette retenue indue de recettes, l'appelante reste devoir, à titre de rappel de droits d'auteurs afférents, la somme non sérieusement contestable de 8754,47 € qu'elle sera également condamnée à payer à titre provisionnel, l'ordonnance étant réformée sur ce montant ;
Considérant par ailleurs que la reprise de l'exploitation de la pièce de théâtre par la société L'Artistique [C] après la résiliation par la société JMD du contrat de 'co-réalisation' a nécessairement causé un préjudice à cette dernière, seule détentrice des droits d'exploitation, qui ne peut cependant être réparé par référence aux dispositions de l'article L.331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, qui fixe les critères de réparation des atteintes aux droits d'auteur, alors que la société JMD n'est pas titulaire de la totalité des droits d'auteur sur la pièce en question mais seulement du droit d'exploitation, à l'exclusion du droit moral des auteurs ; que le préjudice financier subi par la société JMD, qui constitue une perte de chance de percevoir sa part de recettes, s'il relève de l'appréciation du juge du fond quant à sa réparation intégrale, ce sur quoi l'intimée demande qu'il lui soit délivré un 'donner acte' qui n'a pas lieu d'être étant sans portée pratique, la cour statuant au provisoire, peut faire l'objet d'une provision à hauteur de son caractère incontestable qui sera fixé à 50 000 € ;
Considérant en second lieu, s'agissant de l'intervention volontaire de la SACD en première instance, qu'elle se rattache aux prétentions initiales par un lien suffisant, puisque sa demande porte sur le non-paiement de droits d'auteur afférents à la pièce de théâtre sur laquelle portent également les demandes de la société JMD notamment, pour partie, pour les mêmes droits, si bien que l'ordonnance doit être confirmée qui l'a déclarée recevable ;
Considérant qu'en adhérant à la SACD, les auteurs lui font notamment apport de la gérance de leur droit d'adaptation et de représentation dramatiques (article 1er des statuts de la SACD) tout en conservant le droit d'autoriser ou d'interdire la représentation de leur oeuvre qui ne peut cependant être concédé que par l'intermédiaire de la SACD, gérance qui comporte la fixation, la perception et la répartition des droits d'auteur (article 2) ; que le 1er juillet 2014, les deux auteurs de la pièce 'Ma belle-mère, mon ex et moi', MM. [T] et [S], déjà adhérents à la SACD, lui ont déclaré cette pièce, et qu'ils ont donné leur accord à son exploitation par la société JMD, accord transmis au producteur par la 'lettre-contrat' du 17 décembre 2014 ; que par celle-ci, la société JMD s'engageait à reverser à la SACD les droits d'auteur perçus sur chaque représentation ; que si la défaillance de la société L'Artistique [C] ne saurait ainsi exonérer la société JMD de ses propres obligations contractuelles vis-à-vis de la SACD pour toute la période d'exploitation de l'oeuvre en exécution du contrat de co-réalisation, il existe en revanche une contestation sérieuse à son obligation au paiement de droits d'auteur pour la période d'exploitation postérieure à la résiliation du contrat qui s'est faite sans son accord ; qu'en conséquence, elle doit être condamnée au paiement à titre provisionnel de la somme non contestée dans son montant de 52 404,56 € TTC restant due au titre des représentations sur la période allant du 17 février 2015 au 21 novembre 2015 réclamée par la SACD ; que l'ordonnance doit être en revanche infirmée qui l'a condamnée au paiement des droits pour la période postérieure à la résiliation ;
Considérant que la SACD réclame également le paiement des droits d'auteur à la société L'Artistique [C] sur le seul fondement de la responsabilité délictuelle, en considérant que son comportement d'obstruction délibérée, notamment dans d'autres procédures diligentées contre elle, ainsi qu'en ne réglant pas les sommes dues à la société JMD et en ne rendant aucun compte pour la période postérieure à la résiliation, caractérise une faute délictuelle à l'origine de son préjudice ; que cependant, il convient de relever que le comportement du théâtre dans d'autres affaires est sans lien avec le présent litige ; que s'agissant de la période d'exécution du contrat de co-réalisation, il existe une difficulté sérieuse à condamner le théâtre tant à l'égard de son cocontractant JMD qu'à l'égard de la SACD pour les mêmes droits ce qui l'amènerait à régler deux fois les mêmes sommes ; qu'au surplus sa défaillance, si elle constitue une inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard de JMD, ne peut être retenue en soi comme une faute délictuelle à l'égard du créancier de celle-ci, sauf à considérer que tout créancier aurait de facto une action délictuelle contre les débiteurs de son débiteur, et l'obligation réclamée en référé se heurte ainsi à des contestations sérieuses ; que s'agissant de la période d'exploitation de la pièce par le théâtre sans autorisation du 5 janvier au 4 juin 2016, si l'absence de production de ses bordereaux de recettes est sans lien direct avec l'absence de perception des droits d'auteur par la SACD, dont les statuts envisagent cette hypothèse, il est, pour autant, incontestable que la SACD dispose d'une créance à l'encontre de l'exploitant sans droit de la pièce qui doit être fixée à titre provisoire, compte tenu des bordereaux de recettes produits par le théâtre pour la seule période du 5 janvier au 15 février, à un montant indiscutable de 15 166,48 €, droits d'auteur et accessoires compris ; que pour la période postérieure pour laquelle le théâtre n'a plus communiqué de bordereau de recettes, il fait cependant état du versement direct des droits qu'il aurait effectué entre les mains d'un des auteurs, dont celui-ci atteste, qui, s'il contrevient aux règles de gestion desdits droits par la SACD, n'en constitue pas moins une contestation sérieuse qui doit être tranchée par le juge du fond ; que l'ordonnance déférée sera également réformée sur ce point ;
Considérant que le sort des dépens et des indemnités de procédure a été exactement réglé par le premier juge ; qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de JMD et de la SACD la totalité des nouveaux frais qu'elles ont dû engager en appel et qu'une somme de 3000 € leur sera versée à chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile par la société L'artistique [C], condamnée aux dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
Infirme l'ordonnance de référé du 31 janvier 2017, sauf en ce qui concerne le rejet des moyens de procédure ainsi que les dépens et les indemnités de procédure allouées ;
Statuant de nouveau,
Condamne la SA L'Artistique [C] à payer à titre provisionnel à la société Jean-Manuel Dupont Acting Productions :
- la somme de 177 792,99 €, composée de la somme de 112 920,12 € au titre du contrat de 'co-réalisation', de la somme de 56 118,40 € indûment prélevée au titre de la contribution volontaire équipement et de la somme de 8754,47 € au titre du solde des droits d'auteur, et ce, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil,
- la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour l'exploitation sans autorisation de la pièce 'Ma belle-mère, mon ex et moi' du 5 janvier au 4 juin 2016,
- et celle supplémentaire de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Jean-Manuel Dupont Acting Productions à payer à titre provisionnel à la société civile SACD la somme de 52 404,56 € TTC au titre des droits d'auteur pour la période allant du 17 février 2015 au 21 novembre 2015 ;
Condamne la SA L'Artistique [C] à payer à titre provisionnel à la société SACD :
- la somme de 15 166,48 € au titre des droits d'auteur et accessoires compris pour la période d'exploitation du 5 janvier au 15 février 2016,
- et celle de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;
Condamne la société L'Artistique [C] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT