RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 6
ARRÊT DU 17 Janvier 2018
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/12629
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Juillet 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/15387
APPELANTE
Madame [T] [T] née [Y]
[Adresse 1]
[Adresse 2]
née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1]
représentée par Me Parissa AMIRPOUR, avocat au barreau de PARIS, toque : P0076
INTIMÉ
Monsieur [Y] [H]
[Adresse 3]
[Adresse 4]
comparant en personne,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Décembre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Benoît DE CHARRY, Président de chambre
Mme Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère
Mme Séverine TECHER, vice-présidente placée
Greffier : Mme Clémence UEHLI, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, conseillère, le président étant empêché et par Madame Clémence UEHLI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
Madame [T] [T] née [Y] a été engagée par Monsieur [Y] [H] par contrat de travail a durée indéterminée du 1er janvier 2006 en qualité de secrétaire.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises a la convention collective nationale du personnel des Cabinets d'Avocats.
Madame [T] percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle brute de 1 415,27 euros.
Par lettre remise en main propre en date du 14 novembre 2008, Madame [T] a été convoquée a un entretien préalable fixé initialement au 26 novembre 2008 puis reporté au 4 décembre 2008. Dans ce même courrier, il lui a également été notifiée une mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre en date du 12 décembre 2008, Madame [T] a été licenciée pour faute grave.
Contestant notamment le bien fondé de son licenciement, Madame [T] a saisi le conseil de prud'hommes de PARIS qui, par jugement en date du 30 juillet 2014 auquel la Cour se réfère pour 1'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, a débouté Monsieur [H] de ses demandes reconventionnelles et a laissé les dépens à la charge de Madame [T].
Madame [T] née [Y] a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 17 novembre 2014.
L'affaire a été plaidée à 1'audience du 41 décembre 2017. Les parties entendues ont soutenu et développé leurs conclusions visées ce jour par le greffier.
Madame [T] fait valoir que la réalité et le sérieux de son licenciement ne sont pas démontrés par Monsieur [H].
En conséquence, elle sollicite l'infirmation du jugement du Conseil de prud'hommes de Paris et demande à la Cour de dire et juger, qu'au vu du jugement définitif du 2 octobre 2013 de la 12ème Chambre Correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris ayant prononcé sa relaxe pure et simple des faits de vols pour lesquels elle était poursuivie, son licenciement prononcé pour les mêmes faits est dénué de cause réelle et sérieuse, de condamner en conséquence Monsieur [Y] [H] à lui verser les sommes suivantes:
* 1.455,27 euros au titre du salaire de la mise a pied conservatoire du 14.11 au 15.12.2008,
* 145,52 euros à titre d'incidence sur congés payes,
* 121,27 euros à titre d'incidence sur 13eme mois,
* 2.830,54 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 283,05 euros au titre des congés payes incidents,
* 235,87 euros à titre d'indemnité sur 13ème mois conventionnel,
* 1533,20 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 9.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive, sur le fondement des dispositions de
l'article L.1235-5 du Code du travail,
* 9.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des conditions
vexatoires du licenciement,
* 3.500 euros à titre d'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
-de débouter 1'intimé de 1'integra1ité de ses demandes et de le condamner aux intérêts légaux et aux éventuels dépens.
En réponse, Monsieur [Y] [H] demande à la cour de dire que 1'autorité du jugement de relaxe du 2 octobre 2013 ne l'empêche pas d'apprécier la matérialité des motifs du licenciement, de dire qu'il apporte la preuve des fautes invoquées à l'encontre de Mme [T] dans la lettre de licenciement du 12 décembre 2008 et en conséquence de confimer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Madame [T] de 1'ensemb1e de ses demandes mais de 1'infirmer en ce qu'il a débouté Monsieur [H] de ses demandes au titre de dommages et intérêts et de 1'artic1e 700 du Code de Procédure Civile.
Il demande à ce titre de condamner Madame [T] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, de 13.000 euros au titre de l'article 700 du Code Civil pour la procédure de première instance et de 3.500 euros au titre de l'article 700 du Code Civil pour la procédure d'appel, et de la condamner en tous dépens de première instance et d'appe1.
MOTIFS
Vu 1e jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement a 1'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
Sur les motifs de licenciement
La lettre de licenciement de Madame [T] [T] née [Y] du 12 décembre 2008 qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :
« Suite à l'entretien que nous avons eu le jeudi 4 décembre 2008 à 16 heures 15, je vous informe que j'ai pris la décision de vous licencier pour les motifs suivants :
- vol de 50 euros dans mon porte monnaie le 12 novembre 2008,
- vol de 150 euros dans mon porte monnaie le 10 novembre 2008,
- vols antérieurs d'argent liquide dans mon porte monnaie et dans le tiroir de mon bureau, ayant donné lieu à une plainte devant le Commissariat de Police du 17ème Arrondissement de Paris le 12 novembre 2008.
Ces motifs constituent, ensemble et séparément, une faute grave.
En conséquence, il n'y a pas de préavis et la mise à pied qui vous a été notifiée le 14 novembre 2008 ne sera pas réglée.
Vous voudrez bien vous présenter à mon bureau pour signer le reçu pour solde de tout compte et recevoir votre certificat de travail ».
Mais ces faits de vols en date du 12 novembre 2008, du 10 novembre 2008 et des vols antérieurs d'argent liquide, ont fait l'objet d'un jugement définitif de la 12ème Chambre Correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 2 octobre 2013 dont la prévention démontre clairement qu'elle inclut tous les faits de vols visés dans la lettre licenciement puisque Madame [T] née [Y] « a été renvoyée devant le tribunal correctionnel sous la prévention : d'avoir à Paris, en tout cas sur le territoire national, courant 2006 à 2008, en tout cas depuis temps non prescrit, frauduleusement soustrait des espèces à savoir 20 000 euros, 150 euros et 50 euros au préjudice de Monsieur [H] ».
Et par ce jugement Madame [T] née [Y] a été définitivement relaxée de ces faits de vols.
Monsieur [H] objecte que la jurisprudence a limité l'autorité de la chose jugée au pénal à ce qui a été, certainement et nécessairement, jugé au pénal et indique à ce titre que le jugement du 2 octobre 2013 n'est pas motivé quant à l'absence de matérialité des faits de vol qui n'est pas évoquée de sorte qu'il n'est pas établi que la relaxe soit la conséquence d'une appréciation par le tribunal correctionnel de l'absence de preuve ou d'un doute sur la matérialité des faits de vol; qu'en conséquence la chambre sociale garde la liberté de vérifier celle-ci.
Mais si l'autorité de la chose jugée s'attache seulement au dispositif et non aux motifs, elle s'étend à ce qui a été implicitement jugé comme étant la conséquence nécessaire du dispositif.
Ainsi en l'espèce dans la mesure où l e jugement du tribunal correctionnel a tranché dans son dispositif la question de la culpabilité de Madame [T] née [Y] des faits de vols, il a nécessairement apprécié la matérialité de ceux-ci pour prononcer la relaxe de la salariée.
Aussi l'autorité de la chose jugée au pénal qui s'impose au civil, prive de fondement le grief de vols dont Madame [T] née [Y] a été relaxée, seul grief énoncé dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, ce qui rend le licenciement fondé sur ce motif dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement de Madame [T] née [Y] était justifié, et statuant à nouveau de ce chef, la cour dit que le licenciement de Madame [T] née [Y] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes subséquentes.
Sur le préavis, l'indemnité de licenciement et le rappel de salaire afférent à la mise à pied
Selon l'article L.1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice de préavis.
Madame [T] demande à ce titre un montant de 2 830,54 euros outre 283,05 euros de congés payés afférents et 235,87 euros à titre d'incidence sur 13ème mois conventionnel, ce qui est conforme aux dispositions de la convention collective des Cabinets d'Avocats qui prévoit une durée de préavis de 2 mois lorsque le salarié bénéficie d'une ancienneté supérieure à 2 ans, et qui n'est pas contesté quant à son calcul par la société.
Par ailleurs aux termes de l'article L.1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement calculée en fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait avant la rupture du contrat de travail.
Madame [T] sollicite à ce titre un montant de 1 533,20 euros qui n'est pas plus contesté par Monsieur [Y] [H] et qui est conforme aux dispositions de l'article 20 de la convention collective applicable au regard de son ancienneté et de son salaire moyen sur les 12 derniers mois.
Enfin la faute grave n'ayant pas été retenue la salariée est fondée à demander le rappel de salaire couvrant la période de mise à pied conservatoire du 14 novembre 2008 au 15 décembre 2008 de 1455,27 euros outre 145,52 euros de congés payés afférents et 121,27 euros à titre d'incidence sur le 13ème mois.
En conséquence l'employeur est condamné à lui verser ces montants.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement abusif
Madame [T] née [Y] était l'unique salariée de Monsieur [Y] [H].
Aux termes de l'article L.1235-5 du code du travail, applicable au licenciement de salarié travaillant dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, la salariée peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi.
En l'espèce Madame [T] née [Y] reconnaît avoir retrouvé rapidement du travail dans un autre cabinet d'avocats et sollicite la somme de 9 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive
Monsieur [H] répond que la salariée s'abstient de verser la moindre pièce aux débats et ne justifie pas de son préjudice.
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération mensuelle versée à Madame [T] née [Y], de son âge, de son ancienneté, de la capacité démontrée à trouver un nouvel emploi et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L1235-5 du code du travail précité, une somme de 6 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif.
Sur les dommages et intérêts au titre des conditions vexatoires de la rupture
Madame [T] née [Y] sollicite des dommages et intérêts à hauteur de 9 000 euros au titre des conditions vexatoires de la rupture.
Elle fait valoir qu'en procédant à son licenciement et en l'accusant devant témoins, de faits de vols extrêmement graves, qui ont porté atteinte à son honneur et à sa réputation, dont il a été jugé de manière définitive qu'elle n'était pas coupable, elle a subi un préjudice supplémentaire qui justifie l'octroi de dommages et intérêts.
Mais les circonstances dans lesquelles Monsieur [H] a procédé aux vérifications des affaires personnelles de Madame [T] née [Y] et a sollicité la présence de témoins pour y procéder et entendre sa salariée, attestées par son collègue Maître [U], démontrent qu'il s'est limité aux actions strictement nécessaires à la défense de ses droits. Et par ailleurs Madame [T] née [Y] a, devant ce témoin et ainsi que relatée dans le procès-verbal de police du 13 novembre 2008, reconnu dans un premier temps les faits de vols qui lui étaient reprochés avant de déclarer qu'elle les avait reconnus sous la pression et la panique, qui en revanche ne résultent pas des pièces du dossier.
En conséquence Madame [T] née [Y] ne rapporte pas la preuve d'avoir été victime, dans le cadre de ce licenciement, de conditions brutales ou vexatoires justifiant qu'il lui soit alloué, en sus de l'indemnité pour rupture abusive précédemment allouée, des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.
Sur la demande reconventionnelle de Monsieur [H]
Monsieur [H] sollicite la condamnation de Madame [T] née [Y] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Le licenciement de Madame [T] née [Y] ayant été jugé abusif, Monsieur [H] sera débouté de sa demande sur ce point.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il n'est pas inéquitable de condamner Monsieur [H] à payer à Madame [T] née [Y] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure et de la débouter de ses prétentions à ce titre.
Partie succombante, Monsieur [H] est condamné au paiement des dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Madame [T] née [Y] de sa demande de dommages et intérêts au titre des conditions vexatoires de la rupture,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que le licenciement de Madame [T] née [Y] est abusif,
CONDAMNE Monsieur [H] à payer à Madame [T] née [Y] les sommes :
* 1 455,27 euros bruts au titre du salaire de la mise à pied conservatoire du 14 novembre 2008 au 15 décembre 2008 outre 145,52 euros de congés payés afférents et 121,27 euros à titre d'incidence sur le 13ème mois,
* 2 830,54 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 283,05 euros bruts de congés payés afférents et 235,87 euros à titre d'incidence sur le 13ème mois conventionnel
*1 533,20 euros bruts à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
*6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation soit le s'agissant des créances salariales, et à compter de ce jour s'agissant des créances indemnitaires;
DÉBOUTE Madame [T] née [Y] du surplus de ses demandes,
DÉBOUTE Monsieur [H] de sa demande reconventionnelle,
CONDAMNE Monsieur [H] à payer à Madame [T] née [Y] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,
CONDAMNE Monsieur [H] aux entiers dépens.
Le greffier, Le conseiller, pour le président empêché,