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10/01/2018 | FRANCE | N°13/06736

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 10 janvier 2018, 13/06736


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 10 Janvier 2018

(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/06736



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Juin 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 12/06099





APPELANTE

Madame [X] [Q]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparante, assistée de Me Sylvain ROUMIER, avocat au bar

reau de PARIS, toque : C2081





INTIMÉE

SA LEXIS NEXIS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Laëtitia SIMONIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : 1702





PARTIE ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 10 Janvier 2018

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/06736

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Juin 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 12/06099

APPELANTE

Madame [X] [Q]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparante, assistée de Me Sylvain ROUMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2081

INTIMÉE

SA LEXIS NEXIS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Laëtitia SIMONIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : 1702

PARTIE INTERVENANTE :

UNION FEDERALE DES INGENIEURS CADRES ET TECHNICIEN DU LIVRE ET DE LA COMMUNICATION CGT

[Adresse 3]

[Adresse 3]

non comparante, non représentée,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Novembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente de chambre

Mme Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère

Mme Séverine TECHER, Vice-Présidente Placée, rédactrice,

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Clémence UEHLI, lors des débats

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente et par Madame Clémence UEHLI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [X] [Q] a été engagée par la SA Lexis Nexis suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 19 novembre 1990, en qualité de secrétaire sténo dactylographe.

Mme [Q] a évolué dans ses fonctions. Dans le dernier état de la relation contractuelle, elle était secrétaire d'édition, statut agent de maîtrise 4.

Entre 1996 et 2012, elle a eu des mandats de représentante du personnel et a été désignée en qualité de déléguée syndical.

Mme [Q] a été durablement arrêtée pour cause de maladie à compter du 9 décembre 2011.

À l'issue de deux examens de reprise en date des 7 et 23 janvier 2013, elle a été déclarée définitivement inapte à son poste ainsi qu'à tout autre poste au sein de l'entreprise et du groupe dans les mêmes conditions d'organisation, un poste de télétravail à domicile et sans contrainte ayant été considéré comme pouvant être adapté à son état de santé.

Estimant ne pas avoir été remplie de l'intégralité de ses droits, Mme [Q] a saisi, le 30 mai 2012, le conseil de prud'hommes de Paris d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le syndicat Union fédérale des ingénieurs cadres et techniciens du livre et de la communication est intervenu aux côtés de la salariée en cours de procédure.

Par lettre du 30 mai 2013, Mme [Q] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

L'entreprise, qui employait habituellement au moins onze salariés lors de la rupture de la relation contractuelle, applique la convention collective nationale de l'édition du 14 janvier 2000.

Par jugement rendu le 18 juin 2013, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a débouté chacune des parties de ses demandes et condamné Mme [Q] aux dépens.

Le 9 juillet 2013, Mme [Q] a interjeté appel du jugement.

Par lettre reçue le 25 mai 2016, reprenant une précédente lettre reçue le 13 mars 2015, le syndicat Union fédérale des ingénieurs cadres et techniciens du livre et de la communication a déclaré se désister de son instance et de son action dans l'affaire opposant Mme [Q] à la société Lexis Nexis.

Par conclusions déposées le 21 novembre 2017, visées par le greffier et développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, Mme [Q] demande à la cour de :

- fixer son salaire mensuel brut à la somme de 2 633,04 euros,

- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, subsidiairement, déclarer le licenciement nul, pour causes de harcèlement moral, discrimination syndicale et manquements de l'employeur à ses obligations contractuelles, plus subsidiairement, déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour cause de manquement à l'obligation de reclassement,

- condamner la société Lexis Nexis à lui payer les sommes suivantes :

* 31 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation d'exécution du contrat de travail de bonne foi,

* 63 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,

* 31 500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité de résultat et harcèlement moral,

* 5 266 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 527 euros au titre des congés payés afférents,

* 63 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- ordonner à la société Lexis Nexis de lui remettre une attestation Pôle emploi, un certificat de travail comprenant la période du 19 novembre 1990 au 31 juillet 2013, ainsi que des bulletins de paie afférents au préavis conformes, sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document,

- assortir les condamnations des intérêts au taux légal et ordonner la capitalisation de ces derniers,

- et condamner la société Lexis Nexis à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens et éventuels frais d'exécution.

Par conclusions déposées le 21 novembre 2017, visées par le greffier et développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, la société Lexis Nexis sollicite :

- à titre principal, le rejet de toutes les demandes de Mme [Q] et la confirmation du jugement,

- à titre subsidiaire, la limitation a minima de l'éventuelle condamnation qui serait prononcée à son encontre,

- en tout état de cause, la condamnation de l'appelante à lui payer, au titre de ses frais irrépétibles, une somme dont le montant est laissé à l'appréciation de la cour.

MOTIFS

Il convient, en premier lieu, de donner acte au syndicat Union fédérale des ingénieurs cadres et techniciens du livre et de la communication de son désistement d'instance et d'action dans la présente procédure.

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Mme [Q] considère que la société Lexis Nexis n'a pas exécuté loyalement le contrat de travail dès lors qu'elle lui a imposé une surcharge de travail et qu'elle n'a pas satisfait à son obligation de formation.

L'article L. 1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

L'article L. 6321-1 du même code énonce, notamment, que l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

En l'espèce, Mme [Q] ne démontre pas la surcharge de travail qui a été dénoncée en comité d'entreprise, notamment à l'automne 2009, et par d'autres salariées, Mmes [T] [L], [R] [S] et [V] [M], qui ont travaillé avec elle, puis Mmes [A] [Y], [F] [V] et [I] [B], qui ne travaillaient pas avec elle, à l'occasion du témoignage qu'elles ont livré dans son intérêt, sans circonstancier précisément les faits relatés.

En effet, ces éléments, comme les programmes de développement personnel de Mme [Q], lesquels font ressortir l'évolution de ses tâches entre 2002 et 2010, n'établissent pas le nombre d'heures de travail ni les horaires qu'elle effectuait et aucune pièce permettant de procéder à des comparaisons objectives sur le volume de dossiers qui lui étaient confiés n'a été communiquée.

Par ailleurs, le recalibrage de son poste intervenu en 2011, sans quantification ni explication sur le retrait, à Mme [Q], de l'un de ses champs d'intervention, ne s'analyse pas en une reconnaissance, par l'employeur, de la surcharge de travail alléguée.

La cour observe, enfin, qu'à aucun moment elle n'a exprimé des doléances à cet égard dans ses programmes de développement personnel ou directement auprès de ses responsables de service.

Aucun manquement de la société Lexis Nexis ne peut donc être retenu de ce chef.

En ce qui concerne l'obligation de formation de l'employeur, il ressort des programmes de développement personnel susvisés que plusieurs demandes de formation ont été présentées par Mme [Q] dans la rubrique 'principaux besoins de développement professionnel et plan d'action' : SGML en 2002 et 2003, perfectionnement word en 2003, powerpoint en 2006 et 2007, anglais en 2007, formules en 2008.

Ces demandes de formation n'ont été que partiellement ou tardivement suivies d'effet puisque Mme [Q] expose qu'elle a suivi une formation en anglais en 2007 et une formation sur powerpoint en 2011.

La société Lexis Nexis ne rapporte pas la preuve de ce que la procédure qu'elle invoque pour la mise en 'uvre du droit individuel à la formation a été portée à la connaissance de Mme [Q], ni de ce que cette dernière a bénéficié des heures de formation figurant dans les tableaux qu'elle produit, qui ne sont corroborés par aucune autre pièce, notamment des attestations de présence ou de formation, et qui sont contestés par la salariée.

Elle n'explique pas davantage pour quelle raison les demandes de formation formulées par l'intéressée, à l'exclusion de la formation SGML, qu'elle déclare lui avoir refusée, et de la formation en anglais, qui a eu lieu, n'ont pas été suivies d'effet.

Elle a donc manqué à son obligation de formation.

Mme [Q] démontre qu'en 2007, la formation sur powerpoint, à laquelle son supérieur hiérarchique était favorable, lui était utile pour la présentation de projets.

Elle établit ainsi que l'absence de formation lui a causé un préjudice.

Il est, en conséquence, alloué à Mme [Q] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Le jugement déféré est infirmé en son rejet sur ce chef de demande.

Sur l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur et le harcèlement moral

Mme [Q] fait valoir que la société Lexis Nexis a usé de méthodes qui ont eu pour effet la dégradation de son état de santé :

- critiques incessantes de son travail,

- rumeurs diffamatoires sur une prétendue mauvaise qualité de son travail,

- pression insupportable pour exécuter toutes ses tâches malgré la surcharge de travail,

- reproches constants sur la prise de ses congés ou sur ses absences pour maladie,

- injonction de se mettre en longue maladie pour la remplacer.

L'article L. 4121-1 du code du travail dispose que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° des actions d'information et de formation ;

3° la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Selon l'article L. 4121-2 du même code, l'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° éviter les risques ;

2° évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° combattre les risques à la source ;

4° adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ;

8° prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [Q] établit :

- qu'elle a été arrêtée entre les 2 et 6 mai 2011 par un médecin généraliste qui déclare avoir constaté des 'problèmes psychologiques dus au travail', puis, entre les 9 et 13 décembre 2011 par le même médecin pour des 'lombalgies', enfin, par son médecin traitant, entre le 14 décembre 2011 et le 31 décembre 2012, pour des 'syndromes dépressifs' et 'dépression', ledit médecin ayant indiqué, en juin 2012, que la dépression était due à des problèmes d'ordre professionnel depuis décembre 2011 et que les lombalgies étaient liées au stress professionnel depuis 2009, puis, le 19janvier 2016, qu'il suivait Mme [Q] pour une dépression due aux conditions de travail depuis 2010,

- que les 7 et 23 janvier 2013, elle a été déclarée inapte par le médecin du travail à son poste de travail ainsi qu'à tout autre poste dans les mêmes conditions d'organisation.

Elle ne démontre pas, en revanche, les agissements qu'elle prête à l'employeur.

En effet, il a été constaté précédemment que la surcharge de travail dont elle se plaint n'était pas établie.

Les témoignages des salariées citées précédemment évoquent, en outre, les faits allégués par Mme [Q] en précisant qu'un lien existait entre ses conditions de travail et la dégradation de son état de santé, sans circonstancier, toutefois, précisément, notamment dans le temps et le contenu, lesdits faits, lesquels ne sont, par ailleurs, corroborés par aucune pièce objective.

L'évocation de sa situation en comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail n'est accompagnée d'aucun fait précis.

Enfin, Mme [Q] prétend avoir été victime d'attaques diffamatoires après sa démission de ses fonctions de trésorier du comité d'entreprise, mais les pièces produites font ressortir des échanges en vue d'obtenir de sa part des explications et justificatifs sur sa gestion, par suite d'une expertise diligentée sur les comptes du comité d'entreprise, et non la caractérisation de faits de calomnie qu'elle invoque avec les salariées susvisées, au demeurant, sans précision.

Au vu des éléments ainsi recueillis, la cour considère que Mme [Q] n'établit pas la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre tel que défini par l'article L. 1152-1 du code du travail.

Elle ne démontre aucun autre manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, aucun lien avéré entre son état de santé et ses conditions de travail n'étant établi, au vu des considérations d'ordre général du médecin du travail en janvier 2013 et de la méconnaissance de l'entreprise par le médecin traitant qui, au demeurant, a apporté des précisions chronologiques incohérentes, la cour observant, par ailleurs, notamment, que Mme [Q] a été déclarée apte par le médecin du travail, dans le cadre des examens périodiques ou de reprise, les 21 octobre 2008, 6 octobre 2009, 4 mai 2010, 3 août 2010 et 15 février 2011, et qu'à aucun moment ce médecin n'a formulé des remarques sur les conditions de travail de la salariée.

Il y a lieu, en conséquence, de débouter Mme [Q] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et harcèlement moral, comme l'ont fait à juste titre les premiers juges.

Sur la discrimination

Mme [Q] soutient avoir été victime des faits de discrimination suivants, en raison de ses activités syndicales :

- blocage dans l'évolution de sa carrière,

- inégalité de traitement salarial,

- privation de nombreuses formations professionnelles nécessaires à son évolution professionnelle,

- surcharge de travail délibérée,

- brimades,

- pressions téléphoniques pendant ses arrêts maladie,

- modification sans son accord de sa charge de travail et isolement,

- politique globale d'éviction de son syndicat et entraves à l'exercice des mandats de représentants du personnel.

L'article L. 1132-1 du code du travail énonce qu'aucun salarié ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de ses activités syndicales.

L'article L. 2141-5 du même code dispose également qu'il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail. Un accord détermine les mesures à mettre en ouvre pour concilier la vie professionnelle avec la carrière syndicale et pour prendre en compte l'expérience acquise, dans le cadre de l'exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle.

Selon l'article L. 1134-1 du même code, en cas de litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, il est constant que Mme [Q] a été pourvue des mandats suivants :

- entre 1996 et 2006, délégué du personnel,

- entre 2008 et 2012, membre du comité d'entreprise, dont elle a, par ailleurs, été trésorière entre 2009 et 2011,

et qu'elle a été désignée en qualité de déléguée syndicale de la CGT le 14 avril 2008.

Au vu des pièces versées au débat, si :

- le blocage dans l'évolution de sa carrière, non caractérisé au regard de la moyenne d'évolution résultant du panel de salariés communiqué par l'employeur, plus complet que le panel de quatre salariés proposé par la salariée, qui, au demeurant, exerçaient des fonctions distinctes,

- la surcharge de travail, qui n'a pas été retenue dans les développements qui précèdent,

- et les brimades, les pressions téléphoniques pendant ses arrêts maladie, la modification sans son accord de sa charge de travail, son isolement, non démontrés précisément et objectivement indépendamment des dénonciations effectuées en comité d'entreprise et/ou des témoignages qui ne sont corroborés par aucune pièce,

doivent être écartés, Mme [Q] établit, en revanche :

- qu'elle a fait l'objet d'évaluations positives pour les années 2002, 2003, 2006, 2007 et 2010,

- que les six salariés, Mmes [M] [Z], [O] [N], [C] [N], [D] [T] et [S] [R] et M. [H] [X], exerçant la fonction de secrétaire d'édition comme elle, qui étaient agents de maîtrise AM2 comme elle en 2002, à l'exclusion de Mme [Z] qui était agent de maîtrise AM1 à cette date, et agents de maîtrise AM4 comme elle en 2012, percevaient tous, à cette date, une rémunération mensuelle brute supérieure à la sienne (2 355,26 euros) dans une fourchette comprise entre 2 356,54 euros et 2 670,78 euros dont la moyenne est de 2 501,62 euros, les anciennetés respectives de chacun étant proches pour certains (1987 pour M. [X], 1990 pour Mme [Q], 1992 pour [O] [N], 1994 pour Mme [R], 1997 pour Mme [C] [N], 2000 pour Mme [Z], 2002 pour Mme [T]) et les écarts de rémunération étant importants entre Mme [Q] et les trois salariés les plus proches d'elle en ancienneté (2 568,54 euros pour M. [X], 2 514,80 euros pour Mme [O] [N] et 2 670,78 euros pour Mme [R]),

- que plusieurs demandes de formation présentées dans son programme de développement personnel dans la rubrique 'principaux besoins de développement professionnel et plan d'action' sont restées lettre morte, comme cela a été constaté précédemment,

- et que, indépendamment des dénonciations relatives à sa charge de travail, qui ont été précédemment écartées, et des difficultés ayant trait à un défaut ponctuel d'affichage, elle a, comme d'autres représentants du personnel - délégués syndicaux, été entravée dans l'exercice de ses missions du fait de l'absence de local à sa disposition en 2009 et 2010.

Au vu des éléments ainsi recueillis, la cour considère que l'appelante établit l'existence matérielle de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination à son encontre.

La société Lexis Nexis démontre que Mme [Q] a bénéficié d'une meilleure progression salariale que Mmes [O] [N], [C] [N], [T] et [R] et M. [X] entre 2002 et 2012, mais elle n'explique à aucun moment la différence salariale qui existait entre ces derniers ainsi que Mme [Z] et Mme [Q] en 2002 comme en 2012.

Elle n'apporte pas davantage d'explication ni aucune justification à la non-satisfaction des demandes de formation présentées par Mme [Q], comme cela a été relevé précédemment.

Enfin, la société Lexis Nexis ne contredit, notamment par la production d'autres transcriptions des comités d'entreprise concernés, ni n'objective les difficultés dénoncées s'agissant de l'absence de local à la disposition des représentants du personnel - délégués syndicaux.

Dès lors, la cour estime que la société Lexis Nexis échoue à démontrer que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La discrimination syndicale est établie.

L'article L. 2141-8 du code du travail énonce que les dispositions des articles L. 2141-5 à L. 2141-7 sont d'ordre public. Toute mesure prise par l'employeur contrairement à ces dispositions est considérée comme abusive et donne lieu à dommages et intérêts.

L'article L. 1134-5 du même code, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Ce délai n'est pas susceptible d'aménagement conventionnel. Les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.

Compte tenu des circonstances de la discrimination subie, de sa durée, depuis 2002, Mme [Q] n'établissant aucun fait discriminant antérieur à cette date, et des conséquences dommageables qu'elle a eues pour elle, tant sur le plan moral que sur le plan pécuniaire, le préjudice qui en est résulté doit être réparé par l'allocation de la somme de 7 000 euros à titre de dommages et intérêts, aucune prescription ne pouvant lui être opposée dès lors que la discrimination syndicale est révélée par le présent arrêt.

Le jugement entrepris est donc infirmé en son rejet de ce chef de demande.

Sur la rupture du contrat de travail

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

Lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

Sur la résiliation du contrat de travail

Mme [Q] considère que la société Lexis Nexis a manqué à ses obligations légales et contractuelles et que ces manquements justifient la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée à la demande du salarié aux torts de l'employeur lorsque ce dernier a commis des manquements à ses obligations d'une gravité telle qu'ils empêchent la poursuite du contrat.

En l'espèce, si aucune surcharge de travail, aucun manquement à l'obligation de sécurité de résultat ni aucun harcèlement moral n'a été retenu, la discrimination syndicale subie par Mme [Q] pendant plusieurs années jusqu'à son départ de l'entreprise et le manquement durable de l'employeur à son obligation de formation justifient la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, laquelle produit les effets, au 30 mai 2013, d'un licenciement nul et non d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement des premiers juges est donc infirmé en son appréciation sur ce point.

Sur l'indemnisation de la rupture

En application de l'article L. 1234-1 du code du travail, le préavis est égal à deux mois lorsque le salarié justifie d'une ancienneté de services continus chez le même employeur d'au moins deux ans et que son licenciement n'est pas motivé par une faute grave.

En l'espèce, la rupture du contrat de travail ayant été prononcée aux torts de la société Lexis Nexis, il est dû à Mme [Q], qui n'a pu effectuer aucun préavis du seul fait de l'employeur, une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents.

Compte tenu du salaire mensuel moyen brut de Mme [Q], qu'il y a lieu de fixer à la somme de 2 633,04 euros, sur la base des douze derniers mois de travail avant son arrêt durable pour cause de maladie comme elle le réclame, il est justifié d'allouer à Mme [Q] les sommes de 5 266,08 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 526,61 euros au titre des congés payés afférents.

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, de l'ancienneté de la salariée, soit 22,5 ans, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération brute versée à Mme [Q] au cours des six derniers mois précédant son dernier jour de travail avant arrêt pour cause de maladie (de mai à novembre 2011), soit 16 486,82 euros, de son âge lors de la rupture, 48 ans, et des conséquences de la rupture à son égard, telles qu'elles résultent, notamment, des justificatifs relatifs à ses charges de famille et à sa prise en charge par le Pôle emploi, à compter du 15 septembre 2013, moyennant un montant journalier net de 47,91 euros pour 730 jours, du stage effectué en 2014 ainsi que des emplois occupés en 2015 et 2016, il est alloué à Mme [Q] la somme de 40 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul et non pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris est donc infirmé en son rejet de ces chefs de demandes.

Sur la remise de documents sociaux

Au vu des développements qui précèdent, la cour ordonne à la société Lexis Nexis de remettre à Mme [Q] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail comprenant la période du 19 novembre 1990 au 31 juillet 2013, ainsi qu'un bulletin de paie afférent au préavis, conformément au présent arrêt, ce, dans les deux mois de son prononcé, mais sans astreinte, dont la nécessité n'est ni explicitée ni justifiée.

Sur les autres demandes

Il est rappelé que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter du 4 juin 2012, date de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, et que les créances de nature indemnitaire portent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

La cour ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 nouveau du code civil, soit uniquement pour les intérêts échus depuis au moins une année entière.

La société Lexis Nexis succombant principalement à l'instance, il est justifié de la condamner aux dépens de première instance et d'appel, tels que listés à l'article 695 du code de procédure civile, et à payer à Mme [Q], pour la première instance et en cause d'appel, la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles dont il serait inéquitable de lui laisser la charge.

La demande qu'elle a présentée de ce dernier chef est, en conséquence, rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

CONSTATE le désistement d'instance et d'action du syndicat Union fédérale des ingénieurs cadres et techniciens du livre et de la communication ;

INFIRME le jugement déféré uniquement en ce qu'il a rejeté les demandes tendant au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, à l'indemnisation de Mme [Q] pour exécution déloyale du contrat de travail par suite d'un manquement à l'obligation de formation, discrimination syndicale, rupture illicite du contrat de travail et frais irrépétibles, à la remise de documents sociaux et à la fixation d'intérêts et de leur anatocisme, puis en ce qu'il a condamné Mme [Q] aux dépens ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

PRONONCE la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur et dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul à la date du 30 mai 2013 ;

FIXE le salaire mensuel brut de Mme [Q] à la somme de 2 633,04 euros ;

CONDAMNE la SA Lexis Nexis à payer à Mme [Q] les sommes suivantes :

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail par suite d'un manquement à l'obligation de formation,

- 7 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,

- 5 266,08 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 526,61 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 40 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul ;

DIT que les créances de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter du 4 juin 2012 et que les créances de nature indemnitaire portent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 nouveau du code civil ;

ORDONNE à la SA Lexis Nexis de remettre à Mme [Q] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail comprenant la période du 19 novembre 1990 au 31 juillet 2013, ainsi qu'un bulletin de paie afférent au préavis, conformément au présent arrêt, ce, dans les deux mois de son prononcé ;

CONFIRME le jugement pour le surplus ;

Ajoutant,

CONDAMNE la SA Lexis Nexis à payer à Mme [Q], pour la première instance et en cause d'appel, la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SA Lexis Nexis aux dépens de première instance et d'appel, tels que listés à l'article 695 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 13/06736
Date de la décision : 10/01/2018

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°13/06736 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-01-10;13.06736 ?
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