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21/12/2017 | FRANCE | N°17/06316

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 7, 21 décembre 2017, 17/06316


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7



ARRÊT DU 21 Décembre 2017

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 17/06316



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Février 2010 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 08/13720





APPELANTE

Madame [Y] [W] épouse [V]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1952 à [Local

ité 2]

représentée par Me Grégory MARTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0628



INTIMEE

EPIC SNCF

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Jean-luc HIRSCH, avocat au barreau ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 7

ARRÊT DU 21 Décembre 2017

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 17/06316

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Février 2010 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section RG n° 08/13720

APPELANTE

Madame [Y] [W] épouse [V]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 2]

représentée par Me Grégory MARTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0628

INTIMEE

EPIC SNCF

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Jean-luc HIRSCH, avocat au barreau de PARIS, toque : D1665 substituée par Me Isabelle GOESTER-PRUNIER, avocat au barreau PARIS, toque : D1665

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 26 Octobre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Patrice LABEY, Président de chambre

Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre

Monsieur Rémy LE DONGE L'HENORET, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Claudia CHRISTOPHE, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Patrice LABEY, Président, et par Madame Claudia CHRISTOPHE, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Madame [Y] [W] épouse [V] a été engagée le 2 août 2001 par la SNCF en qualité de conseillère technique d'assistante sociale, statut cadre relevant de l'annexe C du règlement P 525 qui régit le personnel contractuel non statutaire de la SNCF.

La salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 24 novembre 2008 pour demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour harcèlement moral.

Elle a fait jouer son droit de retrait le 5 décembre 2008.

Le 29 juin 2009, la SNCF a notifié à Mme [V] son licenciement pour faute grave.

Dans le dernier état de la procédure, Mme [V] a présenté les chefs de demande suivants :

Prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la SNCF.

Fixer la moyenne de rémunération mensuelle brute à la somme de 3914,86 euros.

Condamner la SNCF à lui payer :

- Rappel de salaires 26 973,00 €

- Indemnité compensatrice de congés payés afférente 2 697,00 €

- Indemnité compensatrice de préavis 11 744,58 €

- Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis 1 174,46 €

- Indemnité compensatrice de congés payés 3 219,00 €

- Indemnité de licenciement 5 982,00 €

- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 300 000,00 €

- Dommages et intérêts pour harcèlement moral 50 000,00 €

- Article 700 du Code de Procédure Civile 5 000,00 €

Ordonner la remise de l'attestation d'employeur destinée au Pôle Emploi sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

La Cour est saisie d'un appel régulier de Mme [V] du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 10 février 2010 qui l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Fixée à l'audience de plaidoiries du 27 janvier 2012, l'affaire a été renvoyée au 18 octobre 2013, Mme [V] n'étant pas en état de plaider son affaire après son changement d'avocat.

En raison de la communication tardive par Mme [V] de ses pièces et écritures, l'affaire a été radiée le 18 octobre 2013.

Remise aussitôt au rôle de la cour d'appel de Paris à la demande du conseil de Mme [V], l'affaire a été à nouveau radiée le 16 décembre 2015, la demanderesse ayant à nouveau changé de conseil et n'étant pas en état de plaider.

Sur justification par Mme [V] de l'accomplissement le 10 avril 2017 des diligences mises à sa charge, l'affaire a été remise au rôle de la cour d'appel et les parties convoquées à l'audience du 26 octobre 2017.

Vu les écritures développées par Mme [V] à l'audience du 26 octobre 2017, au soutien de ses prétentions par lesquelles, elle demande à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

En conséquence, condamner la SNCF à payer à Mme [V] les sommes suivantes :

' En rapport de l'exécution du contrat de travail :

- dommages-intérêts pour dégradation des conditions de travail et harcèlement moral, et/ou pour violation de l'obligation de sécurité 50.000,00 €

- rappel de salaire du 05/12/08 au 02/07/09 33.589,54 €

- congés payés afférents 3.358,95 €

' En rapport de la rupture du contrat de travail, qu'il s'agisse, à titre principal, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat ou, à titre subsidiaire, de dire le licenciement notifié le 29/06/09 illicite et/ou sans cause réelle et sérieuse :

- indemnité compensatrice de congés payés 3.543,20 €

- indemnité compensatrice de préavis (3 mois) 12.755,52 €

- congés payés afférents 1.275,55 €

- indemnité légale de licenciement 6.944,67 €

- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (L. 1235-3), voire dommages-intérêts réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement 100.000,00 €

- Sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile 3.000,00 €

Dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de l'introduction de l'instance.

Condamner la SNCF à remettre à Mme [V], sous astreinte de 100 € par jour de retard et par document, un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi rectifiés et tous les bulletins de paie, en conformité avec l'arrêt à intervenir.

Condamner la SNCF à verser à Mme [V] une somme de 3.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, pour les frais irrépétibles qu'elle a dû engager tant en première instance qu'en cause d'appel.

Condamner la Société SNCF aux dépens.

Vu les écritures développées par l' EPIC SNCF à l'audience du 26 octobre 2017, au soutien de ses prétentions par lesquelles, il demande à la cour de :

Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 10 février 2010 en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant

Dire et juger que le licenciement intervenu est fondé sur une faute grave ;

En conséquence,

Débouter Mme [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner Mme [V] à payer à l'EPIC SNCF la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Condamner Mme [V] aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs écritures visées par le greffe le 26 octobre 2017, auxquelles elles se sont référées et qu'elles ont soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Il suit des pièces produites et des explications des parties que :

Le 2 janvier 2006, Mme [V] a été détachée au pôle prospective du département de l'action sociale en qualité de chargée de mission, sous la responsabilité de Mme M-P [L], l'intéressée entrant en parallèle dans un processus de bilan de carrière préparant son affectation sur un nouveau poste relevant de sa qualification d'ici la fin de l'exercice 2006.

A compter du 1er octobre 2006, Mme [V] a occupé le poste de responsable régionale de l'action sociale de la Région de [Localité 4]-[Localité 5] moyennant une rémunération de 3746,42 €, après son acceptation du poste le 10 juillet, et selon avenant du 16 octobre 2016.

Le 23 août 2007, Mme [V] a fait part à M [O], chef du département de l'action sociale, de son souhait de muter soit sur Paris pour se rapprocher de son conjoint, soit sur [Localité 6] pour se rapprocher de son domicile dans l'Isère.

Du 26 novembre au 4 décembre 2007 et du 5 au 18 mars 2008, Mme [V] a été placée en arrêt maladie pour état anxio-dépressif, avec traitement médicamenteux.

Après entretien le 15 avril 2008, M [O] a informé Mme [V] le 24 avril 2008 de sa mutation au siège du département à Paris pour la prise du poste le 5 mai 2008 de Chargé du déploiement des prestations nouvelles (CESU et prévention de la précarité énergétique), rattachée à la Responsable du Pôle prospective, [P] [B].

A compter du 25 avril Mme [V] a été en arrêt maladie pour état anxio-dépressif prolongé jusqu'au 4 décembre 2008.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 décembre 2008, Mme [V] a notifié à la SNCF, en la personne de M [O], qu'elle exerçait son droit de retrait à compter du 5 décembre 2008 au motif qu'elle n'avait 'aucune garantie sérieuse quant au poste attribué lors de la reprise du travail', compte tenu des griefs dénoncés depuis un certain temps et des conditions de sa mutation, malgré l'intervention de son avocat.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 décembre 2008, M [O] a réfuté toute notion de danger et a demandé à Mme [V] de reprendre immédiatement son poste.

La salariée a maintenu son droit de retrait le 18 décembre et été mise en demeure le 13 janvier 2009 de reprendre son service et de se présenter au bureau de M [O], ce qu'elle a refusé de faire le 27 janvier pour des motifs détaillés, en demandant le règlement de ses salaires depuis le 5 décembre 2008.

La SNCF a alors demandé à la salariée ses explications écrites le 13 février 2009 qu'elle a fourni le 20 février, l'a informée le 23 février qu'une sanction supérieure au BAI était envisagée et qu'elle serait convoquée à un entretien préalable, l'a convoquée le 3 mars à un entretien préalable fixé au 11 mars 2009 auquel elle ne s'est pas présentée, puis l'a avisée le 18 mars de la décision de saisir le conseil de discipline, l'a convoquée devant le conseil de discipline par lettre du 7 avril retournée à l'employeur avec la mention erronée n'habite pas à l'adresse indiquée. Après report de ce Conseil du 20 mai au 18 juin, en raison du renouvellement de ses membres suite aux élections du 26 mars, la SNCF lui a notifié son licenciement par lettre du 29 juin 2009 pour faute grave en raison d'une absence irrégulière depuis le 5 décembre 2008.

Sur la résiliation du contrat :

A ce titre, Mme [V] allègue l'existence d'un harcèlement moral et, à tout le moins un manquement de la SNCF à son obligation de sécurité avec la méconnaissance par l'employeur de ses obligations en matière de visite de reprise, la modification imposée de son contrat de travail et la violation du droit de retrait avec la privation de toute rémunération.

A l'appui de ses affirmations, elle soutient l'échec pour ainsi dire programmé de son accession au poste de responsable du pôle RH en juillet 2004 créé ex nihilo et aux contours mal définis (aucune fiche de poste ne lui a été transmise), dans lequel elle a rencontré des difficultés tenant, notamment, à ce que ses missions empiétaient sur celles des autres agents chargés de la Direction de sous-région, voire même sur celles des secrétaires ; qu'ayant en vain tenté d'établir un dialogue afin que son travail soit mené à bien et clairement défini, elle a été confrontée à la dégradation de sa relation avec sa supérieure hiérarchique Mme [B], à tel point qu'elle a dû solliciter l'intervention d'un délégué du personnel pour désamorcer la situation ( échange de mails avec le Chef d'agence Famille du 03/12/04 dans le cadre d'un coaching sollicité par Madame [V]) ; que force est de constater que ce poste de Responsable du Pôle RH, inévitablement voué à l'échec, a finalement été supprimé.

Elle argue qu'elle a été mise au placard dans son poste de chargé de mission à compter du 2 janvier 2006, que faute de mieux elle a accepté le poste de responsable régionale de l'action sociale de la Région de [Localité 4]-[Localité 5], sous la responsabilité directe de Mme [L], qu'elle est arrivée sur ce poste où le dialogue était totalement rompu entre les salariés et la direction du département de l'action sociale, laquelle, pour sa part, s'est évertuée à minimiser les tensions en niant une situation de harcèlement et la gravité des dysfonctionnements dénoncés, qu'elle a alerté sur sa situation le 26/11/2007, a été en arrêt de travail du 26/11/2007 au 14/12/2007, mais qu'après sa reprise de poste l'employeur n'a rien entrepris pour remédier à la situation et elle s'est retrouvée confrontée aux mêmes difficultés (isolement, perte de crédibilité, absence de soutien et d'écoute de la hiérarchie, mise à l'écart de décisions susceptibles d'engager sa responsabilité), que la situation n'a fait qu'empirer après son arrêt du 5 au 18/03/2008.

Mme [V] ajoute que, pour toute réponse et contre toute attente, elle a été convoquée à un entretien le 15/04/08 au cours duquel M [O] et Mme [L] l'ont injustement accablée, la tenant pour responsable de cette situation, avant finalement de l'informer, le 22/04/08 dans le cadre d'un appel téléphonique, de la décision de la muter sur un nouveau poste avec effet quasi immédiat, lui demandant en conséquence de ne pas retourner sur son ancien poste appelé à être aussitôt occupé par un autre agent. Elle précise que ce poste était alors sans réel contenu dès lors qu'il faisait seulement l'objet, au moins pour l'aspect "précarité énergétique", d'une phase d'étude commencée en mars 2008 par Mme [R] en lien avec Mme [M], et n'était pas d'une qualification équivalente au poste de RRAS dans la mesure où les deux personnes missionnées pour cette étude étaient placées sur des postes de qualification moindre, Mme [M] étant même une subordonnée de Mme [V] sur son poste de RRAS ; qu'elle se trouvait à nouveau sous la responsabilité de Mme [B] ; que l'employeur a tenté de lui imposer ce poste, sans son accord, bien qu'il s'agisse d'une mutation pour laquelle la clause contractuelle de mobilité est nulle à défaut d'indiquer sa zone géographique d'application ; que face à la brutalité du procédé et profondément affectée, elle s'est inévitablement enfermée dans une spirale dépressive avec arrêts de travail et n'a eu d'autre alternative que de faire jouer son droit de retrait légitime, y compris alors qu'elle n'était plus en arrêt maladie, l'employeur la privant alors de salaire et refusant de lui délivrer des bulletins de paie à partir de janvier 2009.

Pour la confirmation du jugement de débouté, la SNCF fait valoir :

Concernant le harcèlement moral que :

- Mme [V], cadre de l'action sociale, n'a pas jugé utile pendant près de quatre ans ni d'alerter l'inspection du travail, ni d'informer le médecin du travail, ni de saisir les CHSCT relevant de ses différents périmètres d'intervention, des faits qu'elle aurait eu à subir, ni de solliciter l'une quelconque des organisations syndicales présentes au sein de l'entreprise, lesquelles ne sont certes pas réputées pour leur passivité, et que les accusations de la salariée ne sont pas crédibles et sont fallacieuses.

- Pour la période de juillet 2004 à décembre 2005, les quelques notes personnelles, non datées, faisant état de dissensions avec sa supérieure de l'époque, Mme [B] ne sont corroborées par rien, et ce que Mme [V] présente comme du harcèlement moral n'est en fait rien d'autre que l'expression d'un certain mécontentement lorsqu'à compter de juillet 2004, l'organisation et les missions des équipes des centres d'action sociale des régions de Paris ont fait l'objet d'une rénovation conduisant à une évolution de son poste vers celui de ' Responsable de pôle d'appui RH - Communication -Qualité' au contenu bien défini par la fiche de poste.

- Pour la période de janvier à juillet 2006, Mme [V] ne rapporte pas la preuve de manque de moyen à son bureau rue de Rome dans un nouveau service et, en tout état de cause, ces difficultés ne résultaient pas d'une volonté de la brimer et ont ou être résolues rapidement.

-Même si la mission d'assistance au pôle RS pour la préparation des élections professionnelles, qui lui avait été initialement été attribuée lui a ensuite été retirée, Mme [V] a conservé ses deux principales missions qui consistaient pour la première à piloter le plan de communication du département de l'action sociale et à élaborer les supports afférents, pour la seconde à établir un projet de création d'une structure d'accueil pour les nouveaux retraités au sein de la maison de [Localité 7]. Elle n'a pas été mise à l'écart et le travail de chargée de missions en intervention sociale correspondait exactement à ses compétences et à sa qualification.

- Pour la période d'affectation à [Localité 4] à compter d'octobre 2006, sur un plan technique Mme [V] a toujours pu poser les questions qu'elle souhaitait et a reçu le soutien de Mme [C], conseillère technique nationale ; elle était informée dès la fin juillet 2006 de la situation sociale dégradée affectant la région de [Localité 4]-[Localité 5] et a poursuivi la procédure de mouvement en régularisant le 2 août 2006 un formulaire pour l'étude de ses droits dans le cadre de cette mutation projetée puis de formaliser le 16 octobre 2006 un avenant à son contrat de travail ; loin d'être abandonnée par sa hiérarchie face aux difficultés rencontrées, la salariée a reçu à maintes reprises le soutien direct et cordial de M. [O], chef du département de l'action sociale ce qu'elle a reconnu dans un mail du 5/02/2008 ; sur ce poste, son management a été très vivement contesté, plusieurs conseillères techniques allant même jusqu'à l'accuser, fin 2007, de harcèlement moral à leur égard ; le comportement de Mme [V] a ainsi eu pour effet de déclencher une alerte du CHSCT et du médecin du travail, une visite de l'inspection du travail puis la réalisation d'un audit par un médecin psychologue du travail.

Concernant la mutation à Paris, que celle-ci correspondait à un choix de la salariée et ne bouleversait pas l'économie du contrat qui comportait une clause de mobilité géographique, avec maintien de son niveau de qualification et de rémunération, tout juste s'agissait-t-il d'un changement de ses conditions de travail.

Concernant l'absence de fourniture de travail et de paiements des salaires depuis le 5 décembre 2008 que ce moyen est inopérant, puisque postérieur à la saisine du conseil de prud'hommes le 24 novembre, et mal fondé car c'est sans aucun motif valable que Mme [V] a cessé toute activité à compter de décembre 2008 obligeant la SNCF à interrompre le paiement de ses salaires.

Sur ce, aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ; le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce ;

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, le juge doit apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il appartient à l'employeur de prouver que les faits en cause ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

L'article L.1152-4 du même code oblige l'employeur à prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ;

Les méthodes de gestion mises en oeuvre par un supérieur hiérarchique ne peuvent caractériser un harcèlement moral que si elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Pour la période de juillet 2004 à décembre 2005, les deux seuls mails produits par Mme [V] du 3/12/04 relate 'des événements de plus en plus difficile avec [P]', sans autre précision, et la réponse du chef d'agence qui s'interroge sur le manque de clarté entre les missions déléguées à Mme [V], chargée de mission, et celle restant à son N+1 et relèvent donc de la vie courante de toute entreprise.

L'affirmation par Mme [V] d'une mise au placard de janvier à début octobre 2006, lors de son détachement au pôle prospective du département de l'action sociale en qualité de chargée de mission, est non étayée et contredite par la lettre de mission détaillée du 17/02/06, la prise en compte de ses observations qui a mené au retrait de son assistance pour les élections professionnelles de mars 2006, le maintien des deux missions, la transmission de son projet de création d'une structure d'accueil temporaire, l'inscription de son projet à l'ordre du jour de la commission de prestations du 26 septembre 2006, l'intéressée ayant remercié le service le 6/10/06 à son départ pour remercier de l'accueil et de son intégration.

En ce qui concerne le poste de responsable régionale de l'action sociale de la Région de [Localité 4]-[Localité 5] à compter d'octobre 2006, il est établi que dès juillet 2006 Mme [V] avait été informée des difficultés inhérentes à ce poste et des dysfonctionnements existants avec l'ancienne directrice partie à la retraite et a donc accepté ce poste en connaissance de cause en signant un avenant à cet effet en octobre 2006.

Si l'employeur n'a pas apporté systématiquement de réponse aux mails de la salariée, qui pour certains étaient de l'ordre du commentaire et n'appelaient pas de réponse, il justifie que face aux

questions sérieuses relatives à l'accès aux codes informatiques des salariés sous sa responsabilité et aux recrutements d'assistantes sociales, Mme [V] a trouvé un soutien auprès de Mme [C] conseiller technique national, de même que M [O] l'a assuré de son soutien le 6 avril 2007 « Je vous encourage à conserver votre implication. Vous pouvez compter sur le soutien de l'équipe de Direction du siège à qui j'ai fait part du contexte dans lequel vous oeuvrez », ce que confirme le fait que face aux accusations portées par les salariées, Mmes [U] et [I] envers Mme [V], il a leur a répondu fermement, à fait part de son désaccord, a renvoyé Mme [I] le 25 mars 2008 à ses responsabilités en lui proposant une mutation et a invité Mme [U] le 27 juin 2007 à 'entreprendre auprès de sa responsable régionale une démarche de nature à restaurer un niveau de relations professionnellement acceptable' et que face aux difficultés rencontrées, tant le CHSCT, que le médecin du travail et l'inspecteur du travail ont été saisis, sans mettre en avant un harcèlement moral à proprement parler mais 'une souffrance de part et d'autre qui ont, semble-t-il (au médecin du travail), fait perdre de vue les buts et le sens du travail de ce service' (celui dirigé par Mme [V]) et l'employeur a pris le soin d'organiser en avril 2008 des réunions avec les travailleurs sociaux et secrétaires des différents sites de la région [Localité 4]-[Localité 5] et de faire intervenir en vain le service de psychologie au travail car 'aucun débat sur le travail n'est souhaité par les différents partenaires du service social', selon le rapport du médecin du travail du 2 mai 2008.

Enfin, le 5 février 2008, Mme [V] écrivait à M [O], chef du département de l'action sociale, le mail suivant :

« Je me permets de vous faire ce mail pour lever toute ambiguïté sur des propos qui vous auraient été rapportés, propos dont [L] m'a fait part hier, lors de mon EIA concernant le sentiment que j'aurai de ne pas avoir été soutenue par vous

Ceci me semble être une mauvaise interprétation de mes paroles.

J'ai bien conscience que vous ne m'avez jamais remise en cause dans mes compétences, j'ai toujours senti votre inquiétude à mon égard et ai apprécié l'éclairage que vous aviez concernant le contexte dans lequel j'évoluais.

Même si les attaques professionnelles et personnelles persistantes m'envahissent, je suis en capacité d'évaluer la difficulté devant laquelle vous êtes confronté et m'y associe, car pour moi, il s'agit bien d'une question plus large, par contre coup, mettant en cause notre organisation pour laquelle je suis partie prenante dans ma fonction de RRAS... ».

En ce qui concerne la mutation à Paris, celle-ci répondait au souhait géographique exprimé dès le 23 août 2007 par Mme [V], de sorte que l'absence d'indication d'une zone géographique dans la clause de mobilité stipulée au contrat de travail est indifférente.

Il ne s'agit non pas d'une modification des conditions de travail, mais d'un changement de ses conditions à qualification et rémunération constante.

L'affirmation de la salariée selon laquelle le poste à Paris était sans réel contenu, au moins pour l'aspect "précarité énergétique", est contredit par la fiche de poste de chargé du déploiement de prestations nouvelles transmis à Mme [V] le 10 juillet 2008 et décrivant deux missions précises 'la lutte contre la précarité énergétique et le déploiement du mode de paiement CESU' , parfaitement conforme à sa qualification et à son niveau de compétence et de même niveau hiérarchique que son poste antérieur, le fait qu'elle se retrouve alors à nouveau sous la responsabilité de Mme [B] à Paris ne constituant pas en soi une rétrogradation.

Au demeurant, aucune pièce de la salariée ne permet de retenir que Mme [V] avait un motif raisonnable de penser que le nouveau poste à Paris était de nature à l'exposer à un danger quelconque et que son état de santé aurait pu être affecté par le fait de retravailler avec cette supérieure dont elle n'avait pas dénoncé, de juillet 2004 à décembre 2005 auprès du médecin du travail, de l'inspection du travail ou du CHSCT, les agissements qu'elle lui impute et qui ne sont pas établis, étant relevé que dans une attestation non arguée de faux du 27 août 2009, M [O] relate que ce poste est occupé depuis par une personne de même niveau de qualification que Mme [V] et qu'il avait été convenu avec elle lors de l'entretien du 15 avril 2008, en présence de Mme [L] sa supérieure, de la cessation de sa mission à [Localité 4] et de l'offre d'un poste de cadre à Paris de même qualification.

Si donc aux termes de l'article L. 4131-3 du Code du travail, aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à rencontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie et la santé de chacun d'eux, Mme [V] ne peut faire grief à la SNCF, faute de remplir les conditions d'exercice du droit de retrait, de ne pas lui avoir verser de salaire à l'issue de son arrêt maladie du 5 décembre 2008, d'autant qu'elle n'a pas déféré aux mises en demeure de reprendre son poste en date du 10/12/2008 et 13/01/2009, empêchant ainsi l'employeur d'organiser la visite médicale de reprise.

En conséquence, Mme [V] n'établit ni la matérialité de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, ni un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ou à une autre obligation.

Le jugement de débouté est donc confirmé, tant en ce qui concerne la résiliation du contrat, les dommages et intérêts pour harcèlement moral ou violation de l'obligation de sécurité, que le rappel de salaire.

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement, à laquelle il est expressément fait référence, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce, est ainsi motivée :

' Après avis du Conseil de Discipline qui s'est tenu le 18 juin 2009, je suis au regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement immédiat pour faute grave.

Le motif de votre licenciement est le suivant : en absence irrégulière depuis le 5 décembre 2008, date de fin de votre arrêt-maladie, vous avez refusé, malgré plusieurs demandes écrites, de vous présenter au service en vue d'une reprise de travail.

Vous trouverez, ci-joint, le formulaire 0704 de cette notification. L'exemplaire A est à garder et l'exemplaire B est à nous retourner, après émargement.

Votre licenciement prendra effet à la date de première présentation par la poste de ce courrier...'.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié ;

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement ; la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis ; l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme [V] expose que l'employeur ne pouvait la licencier sous couvert d'une absence irrégulière, son contrat étant suspendu à défaut de visite de reprise conformément à l'article R. 4624-21 du code du travail et ne pouvait la sanctionner pour avoir légitimement utilisé son droit de retrait ( article L. 4131-3 du code du travail).

Elle relève que l'employeur a passé outre nombre de principes et autres garanties de fond, soit autant d'entraves à l'exercice du droit disciplinaire devant conduire au constat d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mais ainsi que développé ci-dessus, la salariée ne peut faire grief à l'employeur de l'avoir sanctionnée alors que son contrat de travail était suspendu, puisqu'elle est directement à l'origine du défaut de visite médicale de reprise qui met fin à la suspension du contrat et elle n'est pas fondée dans l'exercice d'un droit de retrait.

Si la salariée a informé la SNCF par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 décembre 2008, qu'elle exerçait son droit de retrait, son absence s'est perpétuée après deux mises en demeure, pour la dernière du 13 janvier 2009 de sorte que la procédure disciplinaire engagée par la demande d'explication le 13 février 2009, conformément au statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel ( RH0001), dans le délai de deux mois n'est pas prescrite.

La communication du commentaire de ses supérieurs, en application du statut, n'est prévue qu'en cas de désaccord avec les déclarations de Mme [V], cette communication devant lui permettre de faire valoir ses observations devant le conseil de discipline, ce qui n'avait pas lieu d'être à défaut de comparution devant le dit conseil, étant précisé qu'aux observations de la salariée du 20 février, le supérieur a répondu le 2 mars 'en absence irrégulière, non reprise du travail depuis le 5 décembre 2008", puis le 11 mars 'ne s'est pas présentée à l'entretien préalable', la situation factuelle étant donc figée.

C'est aussi vainement que la salariée soutient que le conseil de discipline ne s'est pas prononcé à la majorité des voix en application de l'article 6.10 du statut et que le directeur délégué des services RH a outrepassé la sanction la plus sévère proposée soit le licenciement simple, dès lors qu'en présence d'un partage de voix les articles 6.10 et 6.11 chapitre 9 précisent « Il peut se produire que le conseil se sépare en plusieurs fractions, chacune d'elles émettant un avis différent.

Sur le vu de l'avis (ou des avis) émis par le conseil de discipline, le directeur de la région ou l'autorité assimilée) décide de la sanction à prononcer » et que face à un partage de voix, l'autorité compétente auquel il revient d'apprécier la gravité de la sanction la plus grave, celle du licenciement selon la directive RH 0254, s'est prononcée pour un licenciement pour faute grave.

Enfin, il ne résulte pas des pièces produites que la SNCF a manqué au respect de l'un des délais de procédure conventionnel ou légal, étant rappelé que le délai légal d'un mois courant depuis l'entretien préalable pour notifier la sanction disciplinaire, peut être dépassé lorsque l'employeur est conduit, en vertu de règles statutaires ou conventionnelles, à recueillir l'avis d'un organisme disciplinaire, dès lors qu'avant l'expiration de ce délai, le salarié a été informé de la décision de l'employeur de saisir cet organisme, comme dans le cas présent.

L'absence irrégulière de Mme [V] depuis le 5 décembre 2008, malgré deux mises en demeure, constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible son maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

Le jugement de débouté doit donc être confirmé.

Sur les frais et dépens :

Mme [V] qui succombe en appel supportera les dépens, sans qu'il y ait lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant contradictoirement et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 10 février 2010 en toutes ses dispositions ;

DIT bien fondé le licenciement pour faute grave de Mme [V] ;

DEBOUTE Mme [V] de toutes ses demandes

DEBOUTE l'EPIC SNCF de sa demande en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

CONDAMNE Mme [V] aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Claudia CHRISTOPHE Patrice LABEY


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 17/06316
Date de la décision : 21/12/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K7, arrêt n°17/06316 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-12-21;17.06316 ?
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