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21/12/2017 | FRANCE | N°15/17638

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 7, 21 décembre 2017, 15/17638


Grosse délivréeRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS









COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 7



ARRÊT DU 21 DÉCEMBRE 2017



(n° , 119 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : 2015/17638



Décision déférée à la Cour : n° 10-D-28 rendue le 20 septembre 2010 par L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE







DEMANDERESSES AU RECOURS :





La société CRÉDIT LYONNAIS (LCL - LE CRÉDIT LY

ONNAIS), S.A.

Elisant domicile au cabinet de la SELARL 2H

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Représentée par Me Jean-Pierr...

Grosse délivréeRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 21 DÉCEMBRE 2017

(n° , 119 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 2015/17638

Décision déférée à la Cour : n° 10-D-28 rendue le 20 septembre 2010 par L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

DEMANDERESSES AU RECOURS :

La société CRÉDIT LYONNAIS (LCL - LE CRÉDIT LYONNAIS), S.A.

Elisant domicile au cabinet de la SELARL 2H

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Représentée par Me Jean-Pierre MATTOUT et Me PLANKENSTEINER Marco du cabinet KRAMER LEVIN NAFTALIS & FRANKEL LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : J008

La société LA BANQUE POSTALE, S.A.

Elisant domicile au Cabinet de Me Matthieu BOCCON-GIBOD

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Représentée par Me Hugues CALVET de l'AARPI BREDIN PRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : T12

La CONFÉDÉRATION NATIONALE DU CRÉDIT MUTUEL, association régie par la loi du 1er juillet 1901,

Elisant domicile au Cabinet de Me Matthieu BOCCON-GIBOD

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Représentée par Me David TAYAR et Me Adrien GIRAUD du cabinet WILLKIE, FARR ET GALLAGHER LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : J003

La SOCIÉTÉ GÉNÉRALE, S.A.

Elisant domicile au Cabinet de la SELARL 2H,

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Charlotte MOCHKOVITCH de la SELARL 2H, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Représentée par Me Philippe GUIBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : R45

La société BNP PARIBAS, S.A.

Elisant domicile au cabinet de Me François TEYTAUD

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Représentée par Me Olivier DE JUVIGNY du cabinet DETHOMAS PELTIER JUVIGNY & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L99

La société BPCE, S.A.

Elisant domicile au Cabinet de Me Matthieu BOCCON-GIBOD

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Représentée par Me Antoine CHOFFEL de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

La société CRÉDIT AGRICOLE, S.A.

Elisant domicile au Cabinet de la SELARL 2H,

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Représentée par Me Jean-Pierre MATTOUT et Me PLANKENSTEINER Marco du cabinet KRAMER LEVIN NAFTALIS & FRANKEL LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : J008

La société HSBC FRANCE, S.A.

Elisant domicile au cabinet de Me François TEYTAUD

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Représentée par Me Sergio SORINAS du cabinet HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP, avocat au barreau de PARIS, toque J025

La société CRÉDIT DU NORD, S.A.

Elisant domicile au Cabinet SCP BOLLING-DURAND-LALLEMENT

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Christophe DURAND de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Représentée par Me Gilbert PARLEANI de l'AARPI AMADIO-PARLEANI-GAZAGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0036

La société LE CRÉDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL, S.A.

Elisant domicile au Cabinet de Maître Matthieu BOCCON-GIBOD

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Représentée par Me David TAYAR et Me Adrien GIRAUD du cabinet WILLKIE, FARR ET GALLAGHER LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J003

INTERVENANTES :

L'ASSOCIATION POUR LA DÉFENSE DES UTILISATEURS DES MOYENS DE PAIEMENT EUROPÉENS (ADUMPE)

Elisant domicile à la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Représentée par Me Anne-Laure-Hélène DES YLOUSES du cabinet FIELDFISHER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1148

L'ASSOCIATION UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS (UFC - QUE CHOISIR)

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représentée par Me Chantal BODIN-CASALIS de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K148

Représentée par Me Erkia NASRY, avocat au barreau de PARIS, toque : G0060

EN PRÉSENCE DE :

L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Représentée par son Président

[Adresse 7]

[Localité 1]

Représentée à l'audience par Mme [N] [M] et M. [R] [K], munis d'un pouvoir

M. LE MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DE L'INDUSTRIE ET DU NUMÉRIQUE

[Adresse 8] - D.G.C.C.R.F

[Adresse 8]

[Localité 2]

Représenté par M. [D] [E], muni d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 3 et 4 novembre 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

- Mme Valérie MICHEL- AMSELLEM, présidente de chambre

- M. Olivier DOUVRELEUR, président de chambre

- Mme Laurence FAIVRE, conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : M. Benoît TRUET-CALLU

MINISTÈRE PUBLIC :

représenté lors des débats par Mme Madeleine GUIDONI, avocate générale, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Valérie MICHEL-AMSELLEM, présidente et par Mme Patricia DARDAS, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * *

FAITS ET PROCÉDURE

La cour est saisie des recours formés par les sociétés Crédit agricole, Le Crédit lyonnais, BNP Paribas, BPCE, Crédit du Nord, Société générale, La Banque postale, Le Crédit industriel et commercial, HSBC France et la Confédération nationale du Crédit mutuel contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 relative aux tarifs et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement.

Par cette décision, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) a condamné les requérantes, ainsi que la Banque de France, qui n'a pas formé de recours, à des sanctions pécuniaires et à une mesure de publication pour s'être entendues, en violation des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du Traité instituant la Communauté Européenne (ci-après CE), devenu l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après le TFUE), en instaurant et percevant une commission interbancaire pour l'échange d'images-chèques (ci-après la CEIC) et des commissions interbancaires pour services connexes sur annulation d'opérations compensées à tort (ci-après les commissions AOCT).

Cette affaire trouve son origine dans la dématérialisation de la compensation interbancaire des chèques opérée, à partir de 2002, par la mise en place d'un système d'échange d'image-chèques (EIC).

Cette opération était jusqu'alors effectuée manuellement, dans l'une des 104 chambres de compensation que la Banque de France mettait à la disposition des banques, celles-ci présentant chacune les vignettes des chèques reçues de leurs bénéficiaires clients et les remettant à la banque du tireur.

Dans le passé, les banques avaient tenté à deux reprises, en 1988 et 1991, de remplacer ce système d'échange manuel et physique, jugé archaïque et source d'importants coûts administratifs, par un échange dématérialisé reposant sur la création d'une « image » du chèque adressée lors de la mise en encaissement de celui-ci à la banque remettante. Ces tentatives ont, cependant, échoué l'une et l'autre, pour des raisons d'ordre, principalement, financier, mais aussi social.

En effet, l'accélération des échanges résultant de la dématérialisation avait pour effet d'entraîner une modification des équilibres de trésorerie entre banques majoritairement tirées et banques majoritairement remettantes, les premières étant débitées plus rapidement et perdant donc plus tôt la disposition des fonds que jusqu'alors elles plaçaient à leur profit, et les secondes étant au contraire créditées plus rapidement et pouvant donc placer plus vite ces mêmes fonds à leur profit. Les difficultés d'ordre social étaient, quant à elles, liées à la disparition des emplois affectés à la compensation manuelle.

Une troisième tentative de dématérialisation, qui aboutira à la mise en place en 2002 de l'EIC, a été engagée à partir de 1999, dans un contexte plus favorable, puisque, d'une part, l'arrivée prochaine de l'euro au 1er janvier 2002 imposait, en tout état de cause, d'organiser un circuit d'échange spécifique pour les chèques en euros et que, d'autre part, les difficultés d'ordre social paraissaient surmontées. Les négociations qui ont conduit à l'adoption du nouveau système ont été menées au sein de deux commissions réunissant les principales banques : le comité français d'organisation et de normalisation bancaire (CFONB), à compétence essentiellement technique, et la commission inter-réseaux (CIR), au sein de laquelle ont été négociées les conditions interbancaires du nouveau système.

Les travaux du CFONB ont abouti à la définition des modalités techniques du projet. C'est ainsi qu'il a été décidé, notamment, de supprimer la circulation physique de 98 % des chèques, de sorte que la quasi-totalité des chèques seraient désormais bloqués au niveau de la banque remettante, qui en assurerait le traitement administratif.

La CIR a réuni la Confédération nationale du Crédit mutuel, les sociétés Crédit agricole, BNP, Paribas, Société générale, Le Crédit lyonnais, les Banques Populaires, La Banque postale, les Caisses d'Epargne, le Crédit Commercial de France (ci-après le CCF), Le Crédit industriel et commercial, Crédit du Nord ainsi que la Banque de France, ses travaux ayant, par ailleurs, été suivis par le G-SIT, ' dénomination du groupement d'intérêt économique constitué par les banques pour exploiter le Système Interbancaire de Télécompensation ', par l'Office de coordination bancaire et financière (OCBF) et par l'Association française des banques (AFB). Les négociations ont porté sur les points suivants : l'heure d'échange des chèques (HAJE, ou heure d'arrêté de la journée d'échange) ; l'écart entre la date d'échange des chèques et la date de règlement interbancaire ; le sens, le montant et les modalités de calcul d'une commission interbancaire ; les conditions applicables aux opérations connexes.

La CIR a constitué en son sein un groupe de travail restreint, composé de représentants des sociétés Banques Populaires, Crédit agricole, Le Crédit lyonnais, BNP, Paribas, de La Banque postale, des Caisses d'Epargne, de la Société générale, de la Confédération nationale du Crédit mutuel, de la Banque de France et du CCF, et l'a chargé de lui « présenter des solutions en matière de conditions entre banques susceptibles de recueillir un accord au sein de la profession ».

En ce qui concerne la modification des équilibres de trésorerie résultant de l'accélération des échanges de chèques induite par la réduction du temps de traitement des opérations de compensation interbancaire, le groupe de travail restreint a, dans un rapport qu'il a remis le 22 juin 1999, proposé d'instaurer une commission à la transaction, d'un montant fixe par chèque tiré, versée par la banque du remettant à la banque du tiré.

S'agissant du traitement des opérations connexes, qui recouvrent l'acheminement des vignettes circulantes, les rejets, l'établissement des avis de rejet ou attestation de non-paiement, les demandes et la fourniture des renseignements, les demandes et la fourniture de reproduction des vignettes, les annulations d'opérations compensées à tort (AOCT) avec leurs éventuels rejets, l'archivage des vignettes ou leur reproduction, le groupe de travail restreint a, dans un rapport du 28 décembre 1999, proposé de créer huit commissions interbancaires destinées à compenser les transferts de charges qui avaient été identifiés.

Sur les différentes questions en jeu, les banques sont parvenues à un accord qui a été acté lors de la réunion de la CIR du 3 février 2000. Il a ainsi été décidé, l'écart entre date d'échange et date de règlement interbancaire étant fixé à un jour pour tous les chèques et l'HAJE à 18h, de créer, d'une part, une commission d'échange image-chèque (CEIC) d'un montant maximum de 4,3 centimes d'euro, versée par la banque du remettant à la banque du tireur pour chaque échange de chèque et, d'autre part, huit commissions interbancaires, versées à l'occasion d'opérations connexes (commissions pour services connexes ' CSC). Il a, par ailleurs été convenu que ces conditions seraient applicables à partir du 1er janvier 2002, pour une durée de trois années, et que la CIR se réunirait à l'automne 2004 pour fixer les conditions qui seraient applicables à partir du 1er janvier 2005. Il est établi que cette clause de « rendez-vous » n'a pas eu de suite.

Après que le gouverneur de la Banque de France a, par lettre du 20 juillet 2007, fait savoir au président de la Fédération Bancaire Française qu'il considérait que les commissions temporaires tarifant les échanges d'image-chèque ne lui paraissaient plus justifiées et qu'il devait y être mis fin, la CEIC a été supprimée, avec effet rétroactif au 1er juillet 2007, par une décision, en date du 4 octobre 2007, de la Banque de France, la Banque Fédérale des Banques Populaires, BNP Paribas, la Caisse Nationale des Caisses d'Épargne, la Confédération nationale du Crédit mutuel, la société Crédit agricole, HSBC France, La Banque postale et la Société générale.

Par ailleurs, le groupe de travail restreint de la CIR a, lors de sa réunion du 27 novembre 2007, révisé comme suit le montant des CSC : le montant de la commission sur image-chèque circulante a été ramené de 0,15 à 0,12 euros ; les commissions sur demande de télécopie recto, de 2,7 euros, et recto/verso, de 3 euros, ont été réunies en une seule commission de 1 euro et le montant de la commission sur demande de télécopie avec original a été ramené de 7 à 4,12 euros.

C'est dans ce contexte que, par une décision n° 03-SO-01 du 29 avril 2003, le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office de la situation de la concurrence concernant les tarifs et les conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement.

Saisie par le rapporteur général du Conseil de la concurrence le 26 novembre 2004, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (la DGCCRF) lui a remis son rapport d'enquête le 7 octobre 2005.

Le rapporteur chargé d'instruire l'affaire a adressé à sept cents entreprises un questionnaire portant sur leurs conditions bancaires en matière de remise de chèques tant en volumes qu'en montants, sur une période couvrant les années 2000 à 2006, en vue d'établir une statistique générale. Les données issues de ce sondage (le « sondage de prix ») ont fait l'objet de la décision n° 08-DSA-39 du 10 mars 2008, par laquelle le président du Conseil de la concurrence a classé en annexe confidentielle les réponses des entreprises sondées.

Le 14 mars 2008, le rapporteur général a notifié deux griefs à la Confédération nationale du Crédit mutuel, aux sociétés Crédit agricole, BNP Paribas, Société générale, Banque Fédérale des Banques Populaires, La Banque postale, La Caisse Nationale des Caisses d'Epargne, Le Crédit lyonnais, HSBC France, Le Crédit industriel et commercial, et Crédit du Nord ainsi qu'à la Banque de France :

' le premier « pour s'être entendus dans le cadre de la Commission Inter-Réseaux pour créer une commission d'échange image-chèque et en fixer en commun le montant à 0,043 euro par chèque non-circulant » ;

- le second « pour s'être entendus dans le cadre de la Commission Inter-Réseaux pour créer des commissions interbancaires représentatives de services rendus et en fixer en commun le montant, dans les conditions suivantes :

' une commission de 0,15 euro pour chèque circulant ;

' une commission de 3 euros pour rejet d'image chèque ;

' une commission de 0,61 euro pour annulation d'image chèque ;

' une commission de 0,61 euro pour annulation de rejet d'image chèque ;

' une commission de 2,7 euros pour demande de télécopie (recto) ;

' une commission de 3 euros pour demande de télécopie (recto/verso) ;

' une commission de 7 euros pour demande de télécopie (recto + original) ;

' une commission pour archivage venue en déduction de la commission pour chèque non-circulant (montant inconnu en l'état mais qui devrait être de 0,003 euro) ».

Cette notification de griefs, accompagnée de la décision de saisine du Conseil de la concurrence, a été communiquée à la Commission bancaire qui a remis son avis, le 22 mai 2008, puis deux avis complémentaires les 4 novembre 2008 et 23 octobre 2009.

Après que les parties eurent transmis leurs observations, les rapporteurs ont, le 14 août 2008, remis leur rapport, dans lequel ils ont conclu au maintien de l'intégralité des griefs notifiés.

En septembre 2008, les parties ont formulé des demandes d'accès aux données du sondage de prix sur le fondement de l'article R. 463-15 du code de commerce, les unes sollicitant un accès total à ces données, les autres sollicitant seulement la communication des données les concernant. L'accès de chaque établissement aux données le concernant a été accordé par décision n° 08-DEC-12 du 2 octobre 2008. Par décisions n° 08-DSA-192 à 08-DSA-200 du 3 décembre 2008, le président du Conseil de la concurrence a fait droit aux demandes de protection du secret des affaires présentées par les parties s'agissant des données ainsi communiquées. Par ailleurs, l'accès des parties aux données du sondage de prix concernant les banques et établissements financiers concurrents a été aménagé selon des modalités spécifiques visant à préserver la protection du secret des affaires et le respect des droits de la défense.

Pour tenir compte du fait que chaque partie, bien qu'ayant accès à l'intégralité des données de ses propres clients, n'avait pas connaissance des données intéressant les autres parties et se trouvait ainsi dans l'incapacité de contrôler l'agrégation des données rassemblées par le rapporteur, le rapporteur général a, par décisions des 16 décembre 2008 et 17 février 2009, désigné un expert sur le fondement des dispositions des articles L. 463-8 et R. 463-16 du code de commerce, chargé, après avoir accédé à l'ensemble des réponses reçues, d'établir un tableau recensant les données du sondage de prix jugées exploitables, en intégrant au besoin les corrections qui pourraient être apportées par chaque partie à la suite de la vérification de ses données propres. L'expert a rendu un pré-rapport le 20 février 2009 et un rapport définitif le 11 août 2009. Le tableau qu'il a établi a été versé au dossier sous une forme préservant l'anonymat des entreprises interrogées.

La Banque Fédérale des Banques Populaires a de nouveau sollicité le déclassement intégral des données du sondage de prix par courrier du 12 janvier 2009. De même, la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne a sollicité un déclassement complet, à l'exception des noms des entreprises concernées. Par courriers des 20, 21 et 22 janvier 2009, les sociétés BNP Paribas, Le Crédit lyonnais, Le Crédit industriel et commercial, Crédit du Nord, HSBC France, Société générale, la Caisse Nationale des Caisses d'Epargne, la Confédération nationale du Crédit mutuel et la Banque de France ont fait connaître leur opposition à un déclassement intégral des données.

En réponse à ces demandes, le président du Conseil de la concurrence a, par décision n° 09-DEC-01 du 17 février 2009, autorisé les conseils représentant les parties à consulter dans les locaux du Conseil l'intégralité des données mentionnées ci-dessus, sous leur forme confidentielle, selon des modalités excluant d'en prendre copie, et sous réserve d'un engagement comportant l'interdiction de révéler, y compris à leurs clients, les noms des clients des banques dont ils pourraient prendre connaissance. Ces consultations se sont tenues à deux reprises, du 2 au 24 avril 2009 et du 13 au 20 juillet 2009.

Les rapporteurs ont adressé aux parties, le 19 août 2009, un rapport prenant en compte les résultats de l'expertise, afin de compléter le rapport du 14 août 2008 s'agissant de l'évaluation de l'incidence sur l'économie des pratiques reprochées.

L'accès aux données relatives aux volumes et aux montants des chèques émis et remis par chacune des banques a été accordé par décision n° 09-DEC-22 du 20 octobre 2009, selon des modalités similaires à celles qui avaient été arrêtées par la décision n° 09-DEC-01, précitée, s'agissant des résultats du sondage de prix.

L'affaire a été débattue devant l'Autorité, dans sa séance du 24 novembre 2009. Au cours de cette séance, les banques ont réclamé un accès sans restriction aux données couvertes par les décisions n° 08-DEC-12, 09-DEC-01 et 09-DEC-22, précitées. Par décision n° 09-S-04 du 11 décembre 2009, l'Autorité de la concurrence a renvoyé le dossier à l'instruction afin de permettre aux parties, d'une part, d'accéder à l'intégralité des données en cause et, d'autre part, de produire d'ultimes observations écrites.

Par courrier du 5 janvier 2010, la rapporteure générale a transmis aux parties les données relatives au sondage de prix et aux volumes et montants des chèques émis, couvertes par les décisions n° 08-DEC-12, 09-DEC-01 et 09-DEC-22, précitées. Les parties ont déposé leurs observations, dans le délai de deux mois suivant cette transmission.

L'Autorité a examiné l'affaire dans sa séance du 13 avril 2010. Par décision n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 relative aux tarifs et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement (ci-après la décision attaquée), l'Autorité a considéré qu'étaient établis le premier et le second grief, mais, s'agissant de celui-ci, seulement en ce qui concerne les commissions AOCT. Elle a, en conséquence, prononcé contre les mises en cause les sanctions pécuniaires suivantes :

- à la Banque de France, une sanction de 346 500 euros pour le premier grief et de 3 500 euros pour le second grief ;

- à la société BPCE, venant aux droits et obligations de la société BP Participations, une sanction de 37 710 000 euros pour le premier grief et de 380 000 euros pour le second grief  ;

- à la société BPCE, venant aux droits et obligations de la société CE Participations, une sanction de 52 280 000 euros pour le premier grief et de 530 000 euros pour le second grief ;

- à la société La Banque postale, une sanction de 32 540 000 euros pour le premier grief et de 330 000 euros pour le second grief ;

- à la société BNP Paribas, une sanction de 62 650 000 euros pour le premier grief et de 630 000 euros pour le second grief ;

- à la société Crédit agricole, une sanction de 82 110 000 euros pour le premier grief et de 830 000 euros pour le second grief ;

- à la Confédération nationale du Crédit mutuel, une sanction de 2 970 000 euros pour le  premier grief et de 30 000 euros pour le second grief ;

- à la société Crédit du Nord, une sanction de 6 910 000 euros pour le premier grief et de 70 000 euros pour le second grief ;

- à la société Le Crédit industriel et commercial, une sanction de 20 940 000 euros pour le premier grief et de 210 000 euros pour le second grief ;

- à la société Le Crédit lyonnais, une sanction de 20 720 000 euros pour le premier grief et de 210 000 euros pour le second grief, dont la société Crédit agricole sera tenue conjointement et solidairement responsable à hauteur de 15 000 000 euros pour le premier grief et 152 000 euros pour le second grief ;

- à la société HSBC France, une sanction de 8 960 000 euros pour le premier grief et de 90 000 euros pour le second grief ;

- à la Société générale, une sanction de 52 940 000 euros pour le premier grief et de 530 000 euros pour le second grief.

En outre, l'Autorité a enjoint aux mises en cause de procéder à la révision du montant des commissions AOCT dans un délai de six mois et leur a ordonné de faire publier dans les journaux Le Monde et Les Échos un résumé, dont elle a donné le texte, de sa décision.

Les banques sanctionnées ont, à l'exception de la Banque de France, formé contre cette décision un recours devant la cour d'appel de Paris. L'association Union fédérale des consommateurs - Que choisir (ci-après l'association UFC-Que choisir), l'Association pour la défense des utilisateurs des moyens de paiement européens (ci-après l'ADUMPE) et la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (ci-après la FCD) sont intervenues volontairement à l'instance, estimant que la mise en place des commissions interbancaires avaient porté atteinte aux intérêts de leurs adhérents et des consommateurs.

Par arrêt du 23 février 2012, la cour d'appel de Paris a jugé qu'il n'était pas établi que les banques avaient enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420'1 du code de commerce et que, par suite de cette mise hors de cause, les interventions volontaires étaient sans objet.

Statuant sur le pourvoi du président de l'Autorité de la concurrence et les pourvois incidents de l'ADUMPE et de l'association UFC-Que choisir, la Cour de cassation (Chambre commerciale financière et économique, pourvoi n° 12- 15.971) a, par arrêt du 14 avril 2015, cassé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel au motif que les intervenants volontaires avaient été privés du droit d'être entendus, en violation des articles 544 du code de procédure civile et 6 § 1 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

L'instance a été reprise à l'initiative des banques qui avaient formé le pourvoi en cassation. Par conclusions du 10 mars 2016, l'association UFC-Que choisir et l'ADUMPE sont intervenues volontairement.

*

* *

LA COUR

Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 relative aux tarifs et aux conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement ;

Vu les déclarations de saisine de la Cour de renvoi après Cassation de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 23 février 2012 aux fins d'annulation ou de la réformation de cette décision, déposées au greffe de la cour par les sociétés Le Crédit lyonnais, La Banque Postale, BNP Paribas, BPCE, Crédit agricole, HSBC France, Crédit du Nord, Le Crédit industriel et commercial, et Société générale ainsi que par la Confédération nationale du Crédit mutuel ;

Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif en réplique déposés respectivement les 04 septembre 2015 et 28 juillet 2016 par la société La Banque postale ;

Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif en réplique déposés respectivement les 04 septembre 2015 et 28 juillet 2016 par les sociétés Le Crédit lyonnais et Crédit agricole ;

Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif déposés respectivement les 04 septembre 2015 et 28 juillet 2016 par la Société générale ;

Vu les mémoires déposés respectivement les 04 septembre 2015 et 28 juillet 2016 par la Confédération nationale du Crédit mutuel ;

Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif déposés respectivement les 04 septembre 2015 et 28 juillet 2016 par la société BPCE ;

Vu les mémoires déposés respectivement les 04 septembre 2015 et 28 juillet 2016 par la société Le Crédit industriel et commercial ;

Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif déposés respectivement les 03 septembre 2015 et 28 juillet 2016 par la société BNP Paribas ;

Vu le mémoire et le mémoire récapitulatif en réplique déposés respectivement les 04 septembre 2015 et 28 juillet 2016 par la société HSBC France ;

Vu les mémoires déposés respectivement les 10 septembre 2015 et 27 juillet 2016 par la société Crédit du Nord ;

Vu le mémoire en intervention volontaire et le mémoire en réplique déposés respectivement les 10 mars 2016 et 28 juillet 2016 par l'ADUMPE ;

Vu le mémoire en intervention volontaire déposé le 10 mars 2016 par l'association l'UFC-Que choisir ;

Vu les observations écrites déposées par le Ministre chargé de l'Économie le 11 mai 2016 ;

Vu les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence le 11 mai 2016 ;

Vu l'avis du Ministère public en date du 2 novembre 2016 et communiqué aux parties le même jour ;

Après avoir entendu à l'audience publique des 3 et 4 novembre 2016 les conseils des requérantes, qui ont été mises en mesure de répliquer et ont eu la parole en dernier, ainsi que le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du Ministre chargé de l'Économie et le Ministère public ;

SOMMAIRE

I. SUR LA RECEVABILITÉ DES INTERVENTIONS DE L'ASSOCIATION UFC-QUE CHOISIR ET DE L'ADUMPE17

A. Sur la recevabilité de l'intervention de l'association UFC-Que choisir17

B. Sur la recevabilité de l'intervention de l'ADUMPE19

II- SUR LA PROCÉDURE DEVANT L'AUTORITÉ20

A. Sur la saisine d'office20

B. Sur la durée de la procédure20

C. Sur la conduite de l'instruction 24

1. Sur les griefs notifiés24

2. Sur la communication du sondage de prix26

3. Sur l'accès aux autres pièces du dossier27

4. Sur la démonstration de l'objet anticoncurrentiel de la CEIC28

5. Sur l'expertise29

6. Sur la saisine de la Commission bancaire30

7. Sur la présomption d'innocence 31

8. Sur l'impartialité des rapporteurs31

9. Sur les règles de preuve33

D. Sur les séances de l'Autorité34

1. Sur l'impartialité des membres du collège de l'Autorité 34

a) Sur la saisine d'office34

b) Sur l'avis du 26 juin 200935

2. Sur les éléments développés par les rapporteurs en séance36

3. Sur le renvoi à l'instruction 37

II. SUR LE FOND38

A. Sur la qualification des pratiques38

1. Sur la qualification d'accords entre entreprises concurrentes et la participation discutée de la société Crédit du Nord42

a) Sur la qualification des commissions interbancaires multilatérales d'accords entre entreprises concurrentes42

b) Sur la participation de la société Crédit du Nord à l'accord et à son application42

2. Sur l'objet anticoncurrentiel de la CEIC ainsi que des CSC et l'existence d'une infraction par objet43

La CEIC43

a) Sur la question de savoir si la CEIC a introduit un élément artificiel de coût
47

b) Sur la question de la répercussion et l'absence de fixation d'un prix plancher48

c) Sur l'absence de jurisprudence antérieure50

d) Sur le caractère légitime de l'objectif poursuivi 51

Les CSC53

3. Sur la qualification de la CEIC et des CSC de restrictions accessoires55

a) Sur la définition de l'opération principale 57

b) Sur le caractère objectivement nécessaire de la CEIC et des CSC57

- Sur la CEIC57

- Sur les CSC61

B. Sur le bénéfice de l'exemption 62

Sur la CEIC 63

1. Sur le bilan global de l'instauration de la CEIC64

2. Sur les bilans individuels 67

a) Sur les données retenues69

b) Sur le bilan individuel de la société Crédit agricole et la question de la valeur de l'accélération des échanges interbancaires70

c) Sur le refus de l'Autorité de prendre en compte les pertes liées à l'abandon des dates de valeur71

d) Sur les gains administratifs 72

e) Sur les données concernant les gains administratifs de la société La Banque postale 72

f) Sur le montant des gains administratifs de la société La Banque postale73

g) Sur l'incohérence entre les montants de chèques émis et tirés74

h) Sur les conséquences liées au comportement d'optimisation des clients des banques75

i) Sur le refus de l'Autorité de prendre en compte les investissements76

j) Sur le cas des Caisses d'épargne invoqué par la société BPCE77

Sur les commissions AOCT 78

III. SUR LES SANCTIONS79

A. Sur le principe même de l'imposition d'une sanction pécuniaire79

1. La difficulté de qualifier les pratiques au regard du droit de la concurrence79

2. Sur la violation du principe de confiance légitime en raison de la garantie apportée par les pouvoirs publics82

3. Sur le bilan favorable pour le consommateur83

B. Sur l'appréciation portée sur les critères de détermination énoncés par l'article L. 464-2 du code de commerce83

1. Sur la gravité des pratiques84

La CEIC 84

a) La nature de la pratique 84

b) Les caractéristiques du marché affecté86

c) La durée des pratiques87

d) Les autres éléments 88

Les commissions AOCT89

2. L'importance du dommage causé à l'économie89

La CEIC90

a) Le contrefactuel « EIC sans CEIC » pour apprécier les effets de l'infraction91

b) Sur la taille du marché de référence92

c) La hausse du prix de la remise de chèques92

i) Le Trésor public93

ii) Les grands remettants 93

* Contestation de la fiabilité des données94

* Sur l'évolution des dates de valeur 95

* Sur les échanges entre banques et leurs clients grands remettants96

* Sur le lien de causalité 97

iii) Sur la répercussion concernant les autres entreprises et les particuliers 98

iv) La raréfaction de l'offre sur le marché de la remise de chèques99

Les commissions AOCT100

C. Sur la méthode de détermination des sanctions100

1. Sur le respect du contradictoire101

2. Sur la motivation de la décision attaquée101

a) Sur la décision d'écarter le critère de la valeur des ventes102

b) Sur le produit net bancaire de chaque banque 102

c) Sur le produit net bancaire total des banques mises en cause 103

3. Sur le bien fondé de la formule de calcul des sanctions 103

a) Sur la présentation de la formule de calcul 103

b) Sur le choix du produit net bancaire au lieu de la valeur des ventes104

c) Sur la combinaison des deux termes du calcul : Parts de marché et produit net bancaire 106

d) Le coefficient 107

e) Sur la sur-évaluation prétendue des sanctions107

f) Sur la rupture du principe d'égalité de traitement108

D. En ce qui concerne la situation individuelle des requérantes 108

1. Sur la réitération108

2. Sur le rôle dans les négociations justifiant une majoration des sanctions

110

3.Sur l'intégration du produit net bancaire du Crédit Coopératif dans le montant de base du calcul de la sanction infligée à la société BPCE venant aux droits de la société BP Participations113

4. Sur les facteurs d'atténuation des sanctions 113

a) Sur l'absence de rôle moteur 113

b) Sur la position de l'entreprise sur le marché 114

c) Sur l'absence de profit retiré de l'entente 114

d) Sur l'absence de répercussion de la CEIC115

e) Sur la suppression de la CEIC 115

f) Sur la prise en compte des effets bénéfiques de la CEIC et de l'EIC 115

E. Sur les le montant des santions116

F. Sur les demandes concernant l'injonction prononcée par l'Autorité et les frais d'expertise116

1. Sur l'injonction116

2. Sur les frais d'expertise117

3. Sur l'article 700 du code de procédure civile 117

*

* *

I. SUR LA RECEVABILITÉ DES INTERVENTIONS DE L'ASSOCIATION UFC-QUE CHOISIR ET DE L'ADUMPE

1.Par conclusions du 10 mars 2016, l'association UFC-Que choisir et l'ADUMPE ont déclaré intervenir volontairement à l'instance, la première à titre principal et la seconde à titre accessoire, et fonder leur intervention sur les articles 328 à 330 du code de procédure civile.

2.Les banques contestent la recevabilité de ces interventions, tant celle de l'association UFC-Que choisir que celle de l'ADUMPE.

A. Sur la recevabilité de l'intervention de l'association UFC-Que choisir

3.L'association UFC-Que choisir demande à la cour, d'une part, de rejeter les recours des requérantes et, d'autre part, de réformer l'article 6 du dispositif de la décision attaquée, en y ajoutant que les banques sanctionnées devront, à peine d'astreinte de 1 000 euros par jour de retard, adresser à chaque titulaire d'un compte de dépôt, concomitamment à l'envoi du prochain relevé annuel d'information, un document reproduisant le résumé de la décision attaquée, figurant au paragraphe 795 de celle-ci, avec l'ajout de la mention « Décision confirmée par la Cour d'Appel de Paris aux termes d'un arrêt rendu le (...) ».

4.Les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais soutiennent que l'association UFC-Que choisir est irrecevable à intervenir à l'instance, car elle est dépourvue de tout droit d'agir sur le fondement du code de la consommation. Elles font valoir, en effet, que les dispositions pertinentes des articles L. 621-1 et suivants de ce code, qui régissent l'action en justice des associations de consommateurs agréées, ne s'appliquent qu'en cas de constatation d'une infraction pénale ou en vue de la réparation de préjudices subis par les consommateurs, ni l'une ni l'autre de ces conditions n'étant remplies en l'espèce. De la même façon, la société Crédit du Nord soutient que la capacité à agir de l'association UFC-Que choisir est « restreinte et spéciale » et se trouve enfermée dans les limites de ces dispositions du code de la consommation.

5.Cependant, force est de constater que cette argumentation n'est pas opérante. En effet, les dispositions du code de la consommation, si elles attachent des prérogatives particulières à l'agrément susceptible d'être délivré aux associations de consommateurs qui en remplissent les conditions, ne résument pas, à elles seules, la capacité de ces associations à agir ou intervenir en justice, laquelle peut être fondée sur d'autres textes. Tel est le cas en l'espèce, puisque l'association UFC-Que choisir fonde son intervention non sur les dispositions de ce code, mais sur celles des articles 328 à 330 du code de procédure civile.

6.À cet égard, la société La Banque postale conteste l'applicabilité de ces articles en soulignant que l'article R. 464-17 du code de commerce ouvre aux personnes qui étaient en cause devant l'Autorité mais qui n'ont pas formé de recours, la possibilité de se joindre à l'instance devant la cour d'appel, aux cas et conditions qu'il fixe, et que ces mêmes personnes peuvent être mises en cause d'office par le premier président de la cour d'appel. Elle soutient que l'existence même de ces dispositions exclut nécessairement que d'autres personnes puissent intervenir à l'instance, comme l'association UFC-Que choisir entend le faire, alors qu'elle est tiers à la procédure qui avait été menée devant l'Autorité.

7.Mais les dispositions des articles 328 et 330 du code de procédure civile, auxquelles il n'est pas dérogé par l'article R. 464-17 du code de commerce - qui fixe le régime juridique selon lequel sont « formés, instruits et jugés » les recours exercés devant la cour d'appel de Paris contre les décisions de l'Autorité - ne sont pas incompatibles avec la nature propre de ce contentieux. Elles sont donc applicables à la présente instance, les personnes qui s'en prévalent devant, dès lors, satisfaire aux conditions requises par le code de procédure civile.

8.Sur ce point, les requérantes soutiennent que ces conditions font défaut puisque l'association UFC-Que choisir ne démontrerait, à l'appui de son intervention, aucun intérêt direct et personnel. En effet, elles font valoir que les pratiques en cause portent non sur les relations des banques avec leurs clients, mais sur l'instauration de commissions interbancaires, de sorte que l'affaire ne concerne en rien les intérêts des consommateurs.

9.A l'inverse, l'association UFC-Que choisir prétend avoir un intérêt à intervenir, puisque les pratiques sanctionnées ont causé, selon elle, un préjudice direct aux consommateurs, dans la mesure où le paiement des commissions interbancaires a représenté pour les établissements bancaires un coût qu'ils ont nécessairement répercuté sur leurs clients, dont les particuliers consommateurs.

10.La cour ne saurait, lors de l'examen de la recevabilité d'une intervention à l'instance, prendre parti sur des questions relevant du fond de l'affaire ; elle ne peut donc, à ce stade, tenir pour acquis, comme l'y invite l'association UFC-Que choisir, que les commissions interbancaires auraient été répercutées par les banques sur leurs clients et que, dès lors, les pratiques en cause ont causé un préjudice aux consommateurs.

11.En revanche, il y a lieu d'observer, ainsi que l'a fait l'Autorité aux paragraphes 255 et 256 de la décision attaquée, que l'accord par lequel des banques décident qu'un paiement entre deux de leurs clients, en l'occurrence par chèque, générera des effets interbancaires, comme le versement d'une commission par la banque remettante à la banque tirée, est « susceptible d'influencer leurs coûts et, partant, la politique de tarification des services qu'elles rendent à leur clientèle ». Il en résulte que si la « sphère interbancaire » et la « sphère banque-client » sont distinctes, elles sont « interdépendantes », un tel accord pouvant produire « des effets en dehors de la sphère interbancaire et [...]influer sur la formation des prix dans la relation banque-client » (décision attaquée § 255 et 256).

12.Compte tenu de cette interdépendance, l'instauration des commissions interbancaires mettait donc en jeu les intérêts des consommateurs, à la défense desquels l'association UFC-Que choisir se consacre, conférant ainsi à celle-ci un intérêt à intervenir à l'instance.

13.Par ailleurs, la société BNP Paribas développe un motif d'irrecevabilité tiré de ce que l'association UFC-Que choisir soumettrait à la cour des pièces et arguments sans rapport avec les chèques, seuls concernés par la procédure, au mépris, selon elle, de la règle selon laquelle un intervenant ne peut « en cause d'appel » soumettre à la cour d'appel un « litige nouveau n'ayant pas déjà subi l'épreuve du premier degré de juridiction ».

14.Mais, outre que le recours dont la cour est saisie ne constitue pas un appel, pas plus que l'Autorité de la concurrence n'est une juridiction du premier degré, l'appréciation de la pertinence des pièces produites par l'association UFC-Que choisir, et des arguments qu'elle présente, relève de l'examen, non de la recevabilité de son intervention à l'instance, mais du fond de l'affaire auquel la cour procédera.

15.De même, c'est vainement que la société BNP Paribas soutient que, dans ses écritures, l'association UFC-Que choisir conteste les pratiques des banques en matière de dates de valeur, alors que ces questions ont été déjà tranchées par la jurisprudence, et qu'elle tenterait ainsi d'ouvrir à nouveau un débat étranger à l'affaire dont la cour est saisie ; en effet, à supposer que cette critique soit fondée, elle affecterait non pas la recevabilité de l'intervention de l'association, mais son bien-fondé.

16.Les requérantes, enfin, mettent en cause la recevabilité de l'intervention de l'association UFC-Que choisir en ce qu'elle tend à la réformation de la décision attaquée. Elles font valoir, en particulier, qu'une telle demande supposerait, pour être recevable, que l'association soit investie du droit d'agir devant la cour, ce qui, selon elle, n'est pas le cas, et qu'elle conduirait à une aggravation de leur situation, laquelle, en l'absence d'un recours du ministre, n'entre pas dans les pouvoirs de la cour.

17.Comme la cour l'a rappelé plus haut, l'association UFC-Que choisir lui demande, outre le rejet des recours des requérantes, de réformer la décision attaquée en y ajoutant l'obligation pour celles-ci d'adresser à chacun de leur client titulaire d'un compte de dépôt un document en reproduisant le résumé déjà publié dans la presse. À ce dernier titre, son intervention a donc le caractère d'une intervention principale, au sens de l'article 329 du code de procédure civile, puisque cette réformation n'est demandée ni par les requérantes ni par le ministre chargé de l'économie, pas plus que par l'Autorité. Selon ce même article, l'intervention principale n'est, comme le souligne la société Crédit Agricole, recevable que si « son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention ».

18.Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

19.Sans doute, ainsi qu'elle le fait valoir, l'association UFC-Que choisir, en tant qu'elle est une association de consommateurs agréée visée par l'article L. 462-1 du code de commerce, peut-elle, selon l'article L. 462-5 II du même code, saisir l'Autorité « pour toute affaire qui concerne les intérêts dont [elle a] la charge ».

20.Mais on ne saurait en déduire qu'elle a la capacité de former un recours contre une décision prise par l'Autorité à l'issue d'une procédure à laquelle elle n'a pas été partie. A l'inverse, il résulte clairement de l'article L. 464-8 du code de commerce qu'une décision de l'Autorité ne peut être attaquée par la voie d'un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel que par les personnes à qui elle a été notifiée, c'est-à-dire les « parties en cause », en ce compris éventuellement l'organisation de consommateur qui aurait saisi l'Autorité, et le ministre chargé de l'économie, à l'exclusion des personnes tierces à la procédure.

21.En l'espèce, l'association UFC-Que choisir, qui n'était pas une partie en cause devant l'Autorité, aurait été irrecevable à former un recours ; elle est donc, pour cette raison, irrecevable à intervenir à titre principal à l'instance devant la cour.

22.L'intervention de l'association UFC-Que choisir est dès lors irrecevable, mais seulement en ce qu'elle tend à la réformation de l'article 6 du dispositif de la décision attaquée.

B. Sur la recevabilité de l'intervention de l'ADUMPE

23.Créée le 3 juin 2009 et régie par la loi du 1er juillet 1901, l'ADUMPE déclare intervenir volontairement à l'instance à titre accessoire et demande à la cour de « confirmer » la décision attaquée et de rejeter les recours formés par les requérantes. Elle indique avoir pour objet, selon l'article 2 de ses statuts, « l'étude, le suivi et l'observation de l'ensemble des moyens de paiement et des principes ou processus de facturation qui leur sont appliqués, en particulier les commissions interbancaires, dans le but de protéger et préserver les intérêts des utilisateurs », et représenter « un panel diversifié de grands remettants qui présentent à l'encaissement un volume de chèques substantiel », parmi lesquels les sociétés EDF, Engie, Bouygues Télécom, MMA, Axa, Vinci Park, Canal Plus, SFR, Orange, Saur, RCI Banque et Keolis.

24.La recevabilité de cette intervention est contestée par les banques requérantes, faute pour l'ADUMPE de démontrer qu'elle a qualité et intérêt à intervenir à l'instance. C'est ainsi qu'elles font valoir que l'ADUMPE serait irrecevable à saisir l'Autorité, et qu'elle est donc irrecevable à intervenir devant la cour, n'étant pas une « organisation professionnelle » au sens de l'article L. 462-1 du code de commerce ; qu'elle n'intervient pas au soutien d'une partie, puisque l'Autorité n'élève pas de prétention au sens du code de procédure civile et n'est d'ailleurs une « partie » qu'au regard de certaines dispositions réglementaires de ce code ; qu'elle ne justifie d'aucun préjudice personnel et direct et qu'au demeurant, elle n'a été créée qu'après la disparition des commissions en cause ; que le principe « nul ne plaide par procureur » s'oppose à ce qu'en l'absence d'une habilitation législative, elle puisse prétendre agir pour ses membres et qu'en toute hypothèse, ceux-ci ne sont pas victimes des pratiques en cause, à supposer établie leur caractère illicite, puisque les commissions n'ont pas, selon les requérantes, été répercutées sur leurs clients.

25.Au préalable, la cour observe que c'est à tort que l'ADUMPE prétend dans ses écritures que la recevabilité de son intervention a été « reconnue » par la Cour de cassation. En effet, celle-ci a cassé l'arrêt frappé de pourvoi non parce que cette intervention aurait été rejetée comme irrecevable, mais parce que la cour d'appel, ayant jugé qu'il n'était pas établi que les banques avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE, avait constaté que l'intervention, à la supposer recevable, était devenue sans objet, privant ainsi l'ADUMPE du droit d'être entendue.

26.Elle relève, ensuite, que l'ADUMPE, qui n'est pas elle-même remettante de chèques, n'a reçu de la loi aucune habilitation à agir ou intervenir en justice pour la défense d'un intérêt collectif et qu'ayant été créée après qu'il a été mis fin aux pratiques en cause, elle intervient sans démontrer qu'elle continuerait, par son intervention, l'action engagée par ses membres. Elle ne justifie donc pas d'un intérêt à soutenir devant la cour le rejet des recours des requérantes et son intervention sera, dès lors, déclarée irrecevable.

II. SUR LA PROCÉDURE DEVANT L'AUTORITÉ

A. Sur la saisine d'office

27.Comme la cour l'a rappelé plus haut, la présente affaire a pour origine la décision n° 03-SO-01 du 29 avril 2003 par laquelle le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office de la situation de la concurrence concernant les tarifs et les conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement.

28.La société Crédit du Nord soutient que le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office en violation des dispositions légales applicables, puisque, selon cette requérante, une telle décision ne pouvait, aux termes de l'article L. 462-5 du code de commerce, être prise que sur la proposition du rapporteur général, laquelle fait défaut en l'espèce.

29.Mais force est de constater que, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, l'article L. 462-5 qu'invoque la société Crédit du Nord ne prévoyait nullement que le Conseil de la concurrence ne puisse se saisir d'office que sur proposition de son rapporteur général, une telle disposition procédurale n'ayant été introduite qu'ultérieurement, à compter du 15 novembre 2008, par l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence. Le moyen sera donc rejeté.

B. Sur la durée de la procédure

30.Les sociétés BNP Paribas, La Banque Postale, Société générale, Crédit Agricole, Le Crédit lyonnais, Le Crédit industriel et commercial, HSBC France, BPCE et Crédit du Nord font valoir que les procédures d'enquête et d'instruction devant le Conseil de la concurrence puis l'Autorité ont été d'une durée excessive au regard de l'exigence de délai raisonnable posée par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la CEDH).

31.Ces requérantes soulignent, en particulier, que les faits reprochés s'étant déroulés en 1999 et 2000, années au cours desquelles se sont tenues les réunions de la CIR qui ont abouti à la mise en place du nouveau dispositif d'EIC, et les commissions litigieuses ayant été appliquées à partir du 1er janvier 2002, plus de sept années se sont écoulées avant la clôture de l'instruction. Elles considèrent que ce délai n'est justifié ni par la complexité de l'affaire ni par l'ampleur des investigations qui devaient être menées, et soutiennent qu'il a irrémédiablement compromis leurs droits de la défense, compte tenu de la déperdition des éléments de preuve qui auraient pu leur permettre de réfuter les griefs qui leur étaient faits. Elles demandent à la cour d'annuler pour ce motif la décision attaquée.

32.La cour rappelle que, par décision n° 03-SO-01, le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office, le 29 avril 2003, de la situation de la concurrence concernant les tarifs et les conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement et que son rapporteur général a saisi, le 26 novembre 2004, la DGCCRF qui lui a remis son rapport d'enquête le 7 octobre 2005. Un rapporteur ayant été désigné le 1er février 2006, les griefs ont été notifiés, le 14 mars 2008, aux mises en cause, auxquelles le rapport, réalisé par deux rapporteurs, a été adressé le 14 août suivant. À la demande des intéressées, le président du Conseil de la concurrence a, par décisions n° 08-DEC-12 du 2 octobre et n° 08-DSA-192 à 08-DSA-200 du 3 décembre 2008, organisé, dans des conditions préservant le secret des affaires, leur accès au sondage de prix auquel les rapporteurs avaient procédé. Le rapporteur général a ensuite, par décisions des 16 décembre 2008 et 17 février 2009, désigné un expert, chargé de recenser les données de ce sondage en intégrant au besoin les corrections apportées par les parties. Cet expert a remis un pré-rapport le 20 février 2009 et un rapport définitif le 11 août 2009, à la suite de quoi les rapporteurs ont, le 19 août 2009, adressé aux mises en cause un rapport prenant en compte les résultats de cette expertise et complétant leur rapport du 14 août 2008. Enfin, après qu'a été organisée, en avril et juillet 2009, une consultation confidentielle, dans les locaux de l'Autorité, de l'ensemble des données, l'Autorité a examiné cette affaire lors de sa séance du 24 novembre 2009 puis, ayant renvoyé le dossier à l'instruction, lors de sa séance du 13 avril 2010.

33.Elle relève ensuite que les commissions interbancaires en cause s'appliquaient à tous les paiements effectués par chèques sur le territoire national, cet instrument de paiement, quoique en régression constante, représentant encore, en 2006, 26 % des paiements scripturaux pour 3,7 milliards de chèques émis (notification des griefs § 29), et qu'elles concernaient une multiplicité d'intervenants, l'enquête et l'instruction ayant conduit à une notification de griefs à onze établissements de crédit et à la Banque de France. Par ailleurs, dans le cadre de son enquête, la DGCCRF a procédé à de nombreuses investigations, tant auprès des banques que des clients remettants, tandis que les rapporteurs ont, comme la cour vient de le rappeler, réalisé, auprès de sept cents entreprises, un sondage pour relever les conditions bancaires applicables à leurs opérations de remise de chèques pour les années 2000 à 2006, dont l'Autorité a rappelé, à juste titre, qu'il avait été « d'une ampleur sans précédent » (décision attaquée § 142). Ces collectes d'informations, enfin, ont été suivies de très nombreuses auditions, dont le nombre total s'élève, au stade de l'enquête et de l'instruction, à plus de quarante.

34.La cour observe, de surcroît, qu'il a été procédé à des diligences particulières qui, sans doute, ont allongé la durée de la procédure, mais qui ont été mises en 'uvre dans l'intérêt même de la défense des mises en cause. C'est ainsi le cas de l'expertise qui, à la suite de la réalisation du sondage de prix, a, conformément aux articles L. 463-8 et R. 463-16 du code de commerce, été ordonnée par le rapporteur général pour tenir compte du fait que chaque établissement n'avait connaissance que des données relatives à sa propre clientèle, mais pas des données concernant la clientèle de ses concurrents, de sorte qu'il se trouvait dans l'incapacité de contrôler l'agrégation des données rassemblées par le rapporteur ; c'est pour remédier à cette situation que l'expert a été chargé, en particulier, de recenser l'ensemble des données du sondage de prix, en intégrant au besoin les corrections apportées par chaque partie à la suite de la vérification de ses données propres. Après que l'expert eut déposé un pré-rapport le 20 février 2009 et son rapport définitif le 11 août suivant, les rapporteurs ont remis un rapport complémentaire, prenant en compte les résultats de l'expertise, un délai ayant été laissé aux parties pour faire valoir leurs observations.

35.Ces constatations suffisent à démontrer que, compte tenu de sa complexité, de la multiplicité des établissements mis en cause, de l'importance du marché concerné par les pratiques, cette affaire a donné lieu, devant le Conseil de la concurrence puis l'Autorité, à des investigations d'une grande ampleur, dont témoigne, au demeurant, l'importance du dossier, composé de plus de 40 000 pièces. Dans ces conditions, la durée de la procédure qui a conduit à la décision attaquée ne peut être considérée comme excessivement longue, alors qu'elle est au contraire à la mesure des spécificités de cette affaire.

36.Les mises en cause, cependant, contestent qu'il en soit ainsi.

37.C'est ainsi, en premier lieu, que les sociétés BPCE et BNP Paribas font valoir que l'affaire ne saurait être considérée comme complexe, puisque l'Autorité a estimé que les pratiques en cause constituaient une restriction de concurrence par objet, cette catégorie de restrictions relevant, contrairement aux restrictions par effet, « de l'évidence » et étant « aisément décelable ».

38.Cet argument ne peut qu'être écarté. Sans doute un accord, dès lors qu'il est établi qu'il est constitutif d'une infraction par objet, tombe-t-il sous le coup de la prohibition des ententes, sans qu'il soit besoin de démontrer qu'il a entraîné des effets anticoncurrentiels, conformément, en particulier, à la jurisprudence rappelée par l'Autorité dans la décision attaquée (CJUE, arrêts des 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C-8/08, et 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services/Commission, C-501/06 P, C-513/06 P, C-515/06 P, C-519/06 P ; cour d'appel de Paris, 15 juin 2010, Veolia Transports). Mais on ne saurait en déduire une règle générale et absolue selon laquelle les accords restrictifs de concurrence par leur objet ne présenteraient jamais aucun caractère de complexité, ni factuelle, ni économique ni juridique, et ne devraient donner lieu qu'à de brèves instructions devant l'autorité de concurrence. De plus, les questions relatives aux restrictions accessoires et à l'exemption ont en l'espèce nécessité des analyses et des calculs particulièrement complexes.

39.De surcroît, au cas d'espèce, si l'Autorité a conclu qu'il était établi que la CEIC et les CSC avaient un objet anticoncurrentiel et si, en conséquence, elle s'est abstenue d'en rechercher d'éventuels effets anticoncurrentiels, l'enquête et l'instruction, en revanche, n'ont nullement été limitées à l'objet des pratiques, mais elles ont également porté sur leurs éventuels effets.

40.C'est ainsi que, dans le rapport remis au rapporteur général par la DGCCRF, celle-ci a examiné l'objet des pratiques dont il l'avait saisie et a conclu que l'accord conclu passé par les banques avait « eu pour objet de faire obstacle à la libre fixation des prix et d'assurer le maintien sinon l'amélioration des résultats de la profession bancaire dans sa globalité » (Rapport relatif aux pratiques mises en 'uvre dans le secteur bancaire à l'occasion du passage à l'échange d'images chèques, p. 93) ; mais elle s'est également employée à identifier leurs éventuels effets anticoncurrentiels, en ce qui concerne tant leurs « répercussions sur les clients remettants » que le marché du traitement des chèques, sur lequel elle a relevé « un fort déséquilibre entre banques tirées et banques remettantes » et une « réduction de l'offre » (ibid. p. 66 à 82 et 88 à 90).

41.De la même façon, les rapporteurs n'ont pas limité leur instruction de l'affaire à l'objet des pratiques, mais l'ont étendue aussi à l'analyse de leurs effets. Sur ce dernier terrain, ils ont conclu, d'une part, que, les CSC servant de base à la tarification des services connexes aux consommateurs, elles pourraient « avoir comme effet anti-concurrentiel la fixation d'un prix minimum aux commerçants » et, d'autre part, que la CEIC avait produit des « effets anti-concurrentiels nombreux et certains », consistant dans une hausse des prix sur le marché de la remise des chèques, une raréfaction de l'offre sur ce même marché, un effet d'accélération sur la baisse d'utilisation des chèques, « le tout ne pouvant qu'avoir un effet d'accélération sur la concentration des sous-traitants en matière de chèques » (notification de griefs, § 139 et 155 à 160). Enfin, dans leur rapport, les rapporteurs ont repris l'examen des effets anticoncurrentiels des commissions, qu'ils ont longuement analysés, en rappelant les observations des mises en cause et en y répondant (rapport 14 août 2008, § 297 à 391).

42.En deuxième lieu, la société Crédit agricole souligne que les accords ont été conclus « en toute transparence » et fait valoir que, par conséquent, les rapporteurs ne se sont heurtés à aucune difficulté dans la recherche des preuves.

43.Mais s'il est exact que les pratiques ne relevaient d'aucun cartel secret, la complexité de l'affaire a résidé, non dans la recherche des preuves factuelles, mais dans l'analyse économique et juridique des informations collectées, y compris pour évaluer le caractère éventuellement exemptable des pratiques en cause, ce dont témoignent les études et travaux ci-dessus rappelés.

44.En troisième lieu, les requérantes soutiennent que les services d'instruction du Conseil de la concurrence et de l'Autorité ont longtemps fait preuve d'« inaction » et que c'est seulement à compter du dépôt de leur rapport, le 14 août 2008, soit cinq ans après la saisine, qu'a été effectué l'essentiel des actes d'instruction.

45.Cette allégation est cependant démentie par le déroulement même de la procédure. Sans doute a-t-il été procédé, après le dépôt du rapport du 14 août 2008, à des actes importants consistant, en particulier, dans la désignation, en décembre 2008, d'un expert et dans la notification, le 19 août 2009, d'un rapport complémentaire des rapporteurs ; on ne saurait, cependant, en déduire que les diligences précédentes, menées en particulier sur la base du rapport d'enquête de la DGCCRF et de l'exploitation du sondage de prix, ont été vaines, puisqu'elles ont abouti à la notification de deux griefs à onze établissements de crédit et à la Banque de France, sur la base d'une analyse approfondie des pratiques en cause, de leur qualification et de leur caractère éventuellement exemptable, au terme d'un examen séparé des CSC et de la CEIC.

46.En quatrième lieu, c'est en vain que la société Crédit du Nord fait valoir que la durée de la procédure devant le Conseil de la concurrence puis l'Autorité excède les délais figurant dans la Charte de coopération convenue en 2005 avec la DGCCRF. Cette Charte, en effet, traduit la volonté de ses promoteurs de réduire les délais d'enquête et d'instruction et, à cette fin, définit des « délais cibles » devant être atteints « au plus tard le 1er janvier 2007 » et qui sont dépourvus de toute portée normative.

47.En conséquence, aucun des moyens ci-dessus examinés n'est de nature à remettre en cause le constat selon lequel la durée de la procédure ne peut être considérée comme excessive au regard de la nature, de l'ampleur et de la complexité de l'affaire et qu'elle n'est donc pas contraire à l'exigence de délai raisonnable prévue par l'article 6 § 1 CEDH. Au demeurant, c'est à juste titre que les rapporteurs, dans leur rapport du 14 août 2008 (§ 226), et l'Autorité, dans la décision attaquée (§ 144), soulignent que la durée de la présente procédure est inférieure au délai moyen observé pour le traitement d'affaires de même type par la Commission de l'Union européenne (ci-après la Commission européenne) ; ainsi, les procédures menées par cette dernière pour apprécier la conformité des commissions multilatérales d'interchange appliquées aux paiements par carte transfrontaliers ont-elles duré plus de dix ans dans l'affaire Visa (décision du 24 juillet 2002, COMP 29.373, rendue sur saisine du 30 mars 1992) et plus de quinze ans dans l'affaire MasterCard (décision du 19 décembre 2007, COMP 34.579, rendue sur saisine du 30 mars 1992).

48.En toute hypothèse, à supposer que la durée de la procédure ne réponde pas à la condition de délai raisonnable prévue par l'article 6 § 1 de la CEDH, il en résulterait, non la nullité de la décision attaquée, mais la possibilité pour les requérantes d'obtenir, le cas échéant, réparation du préjudice qu'elles auraient pu subir. Il n'en irait autrement que s'il était démontré une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à leur droit de se défendre. Or, contrairement à ce que les requérantes allèguent, cette démonstration n'est nullement rapportée en l'espèce.

49.En effet, et en premier lieu, il incombait aux banques de tenir compte du délai de prescription prévu par l'article L. 462-7 du code de commerce, aux termes duquel l'Autorité, et avant elle le Conseil de la concurrence, ne peut être saisi de faits remontant à plus de cinq ans ' trois ans avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004 portant adaptation de certaines dispositions du code de commerce au droit communautaire de la concurrence. Comme le fait valoir à juste titre l'Autorité, la prudence leur commandait donc de conserver toute preuve susceptible d'établir la licéité de leurs pratiques tant que ce délai n'était pas expiré. Or, la CEIC ayant été supprimée en 2007 et les CSC ayant été révisées cette même année, le délai de l'article L. 462-7 précité n'a couru qu'à compter de cette année et, dès lors, les banques étaient responsables de la déperdition éventuelle des preuves qu'elles entendaient faire valoir tant que la prescription n'était pas acquise.

50.En second lieu, les griefs ont été notifiés le 14 mars 2008, quelques mois seulement après la suppression de la CEIC et la révision du montant des CSC, étant observé que la majorité des banques ont été entendues par les enquêteurs en juillet 2005, alors que ces commissions étaient toujours appliquées, et qu'elles ont donc eu connaissance à cette date qu'elles pourraient avoir ultérieurement à répondre des pratiques qui étaient l'objet de ces auditions. La cour ajoute, sur ce dernier point, qu'ainsi qu'il sera expliqué ultérieurement, les banques ne pouvaient ignorer que les commissions interbancaires constituaient des infractions au droit de la concurrence, le seul doute qu'elles pouvaient entretenir étant celui de savoir si elles pourraient bénéficier d'une exemption.

51.Il est dès lors établi que la possibilité pour les entreprises mises en cause de se défendre contre les faits qui leur étaient reprochés n'a pas été affectée par la durée de la procédure.

C. Sur la conduite de l'instruction

1. Sur les griefs notifiés

52.La société La Banque Postale soutient que la notification de griefs est empreinte de confusion et ne répond pas à l'exigence de précision qui s'impose en ce qui concerne tant les faits reprochés que leur qualification juridique. En effet, les banques, selon elle, ne pouvaient savoir, à la lecture de cette notification, si le grief reposait seulement sur l'objet anticoncurrentiel de la CEIC, ou s'il portait aussi sur ses prétendus effets anticoncurrentiels. Elle prétend que les rapports des rapporteurs ont amplifié cette confusion, en introduisant une distinction entre les effets réels et les effets potentiels des pratiques, laissant ainsi subsister les deux interprétations possibles de la notification de griefs : en effet, le rapport initial du 14 août 2008 aurait retenu les effets réels au titre de l'appréciation de la gravité des pratiques et les effets potentiels au titre de leur qualification, tandis que le rapport complémentaire du 19 août 2009 aurait écarté les effets anticoncurrentiels de l'incrimination. La société La Banque Postale considère qu'il en ressort que le collège de l'Autorité n'a pas la même lecture de la notification de griefs que les rapporteurs, dans la mesure où il a indiqué, au paragraphe 159 de la décision attaquée, qu'elle s'appuyait, « pour qualifier les pratiques en cause, à la fois sur leur objet et sur leurs effets ».

53.Cette confusion, selon la requérante, a porté irrémédiablement atteinte à ses droits de la défense, faute de pouvoir déterminer si des effets anticoncurrentiels lui étaient ou non reprochés et, dans l'affirmative, s'ils étaient pris en compte au titre de la qualification des pratiques, de leur exemption ou de leur gravité. La société La Banque Postale en conclut que la notification de griefs doit être annulée, ainsi que la procédure subséquente et la décision attaquée elle-même.

54.Contrairement aux allégations de la société La Banque Postale, la notification de griefs répond aux exigences de précision et de clarté requises, et n'a nullement entretenu de confusion sur le point de savoir si la CEIC était analysée sur le terrain d'une restriction de concurrence par son objet ou par ses effets. En effet, le rapporteur y a indiqué, sans équivoque, qu'il analysait la CEIC comme une restriction de concurrence par son objet. C'est ainsi qu'ayant, aux paragraphes 102 à 22, examiné la qualification des pratiques en cause, il a considéré, à la lumière de la pratique décisionnelle des autorités de concurrence à laquelle ils s'est référé à plusieurs reprises, que la CEIC, comme d'ailleurs les CSC, constituait une entente sur les prix, laquelle avait un objet « avéré » et un objet « secondaire », l'un et l'autre anticoncurrentiel, et consistant, pour le premier, à « indemniser la part tirée de chaque banque du fait du débit accéléré de ses clients-tireurs, les banques étant privées 1,4 jour plus tôt de la possibilité de placer à 3 % la partie des soldes oisifs des dépôts à vue débitée par le chèque émis » (notification de griefs § 152) et, pour le second, à « faire en sorte que le chèque rattrape les autres moyens de paiement, c'est à dire ['] le doter lui aussi de commissions interbancaires destinées à ne pas le rendre trop attrayant pour les utilisateurs » (notification de griefs § 154). Il a, en conclusion de son analyse, considéré que la CEIC constituait une entente horizontale sur les prix et il a rappelé que, selon les autorités de concurrence, ce type d'entente emportait une restriction de concurrence par objet (notification de griefs § 153).

55.Ceci posé, le rapporteur a considéré que, si cette qualification de restriction par objet ne rendait pas nécessaire la recherche des effets anticoncurrentiels des pratiques en cause, en l'espèce « il n'[était] pourtant pas inutile de souligner que la création de la CEIC a produit des effets anti-concurrentiels nombreux et certains », qu'il a ensuite examinés et qui tiennent à « une hausse des prix sur le marché de la remise des chèques, une raréfaction de l'offre sur ce même marché, un effet d'accélération sur la baisse d'utilisation des chèques, le tout ne pouvant qu'avoir un effet d'accélération sur la concentration des sous-traitants en matière de chèques » (notification de griefs § 155). On ne saurait sérieusement prétendre que, ce faisant, le rapporteur aurait laissé planer une ambiguïté sur la qualification qu'il retenait et sur laquelle reposait le grief qu'il a notifié. S'il est de jurisprudence constante, et conforme aux textes, qu'une pratique restrictive de concurrence par son objet tombe sous le coup de la prohibition des ententes sans qu'il soit nécessaire d'en examiner les effets, il est évidemment loisible aux autorités de concurrence, en particulier dans le cadre de l'instruction d'une affaire, ayant relevé l'objet anticoncurrentiel d'un accord, d'en examiner aussi les effets.

56.Dans leur rapport du 14 août 2008, les rapporteurs, ayant analysé les faits et leur qualification juridique ainsi que les observations des mises en cause, ont conclu qu'ils « maintenaient » les griefs notifiés ( § 561) ; s'ils ont, par ailleurs, examiné la question des effets anticoncurrentiels, ils ont précisé que « [les] effets anticoncurrentiels réels ne sont ici discutés qu'au titre de la gravité des pratiques mais en aucun cas comme un élément constitutif de l'infraction notifiée ».

57.S'agissant, enfin, de la décision attaquée, l'Autorité a d'abord rappelé que l'objet et l'effet anticoncurrentiel d'une pratique sont des conditions alternatives pour apprécier si elle peut être sanctionnée en application des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 CE et qu'il n'est donc pas nécessaire d'examiner les effets d'un accord dès lors que son objet anticoncurrentiel est établi (décision attaquée § 333) et elle a ensuite conclu qu'au cas d'espèce, l'objet anticoncurrentiel de la CEIC était établi (décision attaquée § 384) ; ce n'est qu'au titre de l'appréciation du dommage à l'économie qu'elle a examiné les effets de cette commission, non d'ailleurs dans leur réalité, mais dans leur « potentialité » (décision attaquée § 688).

58.Sans doute l'Autorité a-t-elle indiqué, au paragraphe 159 de la décision attaquée, que la notification des griefs « s'appuyait [...] pour qualifier les pratiques en cause, à la fois sur leur objet et sur leurs effets » ; mais, par cette formule, elle a entendu rappeler, comme elle l'a fait au paragraphe précédent de la décision attaquée, que « la notification de griefs vis[ait] expressément dans ses motifs tant l'objet que l'effet anticoncurrentiel des pratiques d'entente reprochées » (décision attaquée § 158), sans, par conséquent, laisser de doute sur son interprétation.

59.De ces constatations, il ressort qu'on ne saurait mettre en cause la précision du grief qui a été notifié et que l'Autorité a considéré comme établi. Le moyen de la société La Banque Postale sera donc rejeté.

2. Sur la communication du sondage de prix

60.Les banques requérantes reprochent à l'Autorité de ne pas leur avoir communiqué, en même temps que la notification de griefs, le sondage de prix auquel les rapporteurs avaient procédé dans le cours de leur instruction. Elles font valoir qu'elles ont ainsi été privées du bénéfice de la procédure contradictoire «'à deux tours'», organisée par les articles L. 463-2 et L. 463-4 du code de commerce, alors que ce sondage constitue une pièce essentielle de l'analyse des rapporteurs au regard tant de l'appréciation des effets de la CEIC que de son éventuelle exemption.

61.Certaines d'entre elles ajoutent que cette absence de communication, dès le stade de la notification de griefs, les a empêchées d'explorer la voie de la non-contestation des griefs.

62.La cour observe, au préalable, que le sondage de prix, en tant qu'il contient les réponses des entreprises clientes des banques qui ont répondu au questionnaire des rapporteurs, a été classé en annexe confidentielle au titre de la protection du secret des affaires, avant que les griefs aient été notifiées aux parties.

63.Elle rappelle, par ailleurs, que le droit des parties de prendre connaissance des pièces remises à l'Autorité, pour éminent qu'il soit, n'est ni absolu ni illimité et qu'il doit, dans certaines circonstances, être mis en balance avec le droit des entreprises à la protection du secret de leurs affaires.

64.Au cas d'espèce, la cour constate que, dès la notification de griefs, une partie des données du sondage de prix, à savoir la liste des entreprises interrogées ainsi qu'un exemplaire du questionnaire adressé à ces dernières, ont été mises à la disposition des banques, qui ont ainsi pu identifier ceux de leurs clients qui étaient concernés et les points sur lesquels ils avaient été sollicités par les rapporteurs.

65.En outre, il ressort du dossier que, par une décision n° 08-DEC-12 du 2 octobre 2008, le président du Conseil de la concurrence a adressé à chaque établissement bancaire, une copie des réponses au questionnaire le concernant, leur permettant ainsi de vérifier l'exactitude des données y figurant et de présenter leurs observations à ce sujet.

66.Au surplus, s'agissant des données des établissements concurrents, dont l'accès était réclamé par plusieurs parties sous une forme permettant d'éviter l'identification des clients et des banques concernées, la rapporteure générale a, par décision en date du 16 décembre 2008, chargé un expert de prendre connaissance de la totalité des pièces et de dresser des tableaux anonymes recensant les données du sondage de prix, afin que celles-ci puissent être consultées par les parties, dans des conditions permettant de concilier le principe du contradictoire et la protection du secret des affaires.

67.Par ailleurs, les parties ont reçu communication, le 15 juillet 2009, de la liste des «'104 conditions'», représentant un échantillon de réponses au sondage de prix, jugé exploitable par le rapporteur au début de l'instruction, pour observer l'évolution tarifaire sur le marché de la remise de chèques.

68.L'accès intégral aux données concernant les banques concurrentes a ensuite été accordé selon des modalités particulières, par décision du président de l'Autorité n° 09-DEC-01 du 17 février 2009 et a donné lieu à deux consultations en avril et en juillet 2009.

69.Pour permettre aux parties de prendre connaissance des pièces nécessaires à l'exercice de leurs droits de la défense, le délai de deux mois dont elles disposaient pour déposer leurs observations à la suite du dépôt du rapport, le 14 août 2008, a été successivement reporté de deux mois, à compter de la réception des documents déclassés en application de la décision n° 08-DEC-12 précitée, puis à nouveau d'une même durée à compter de la date de versement du rapport de l'expert au dossier.

70.Les parties et leurs conseils ont ainsi eu accès aux données du sondage de prix avant même l'établissement du rapport complémentaire du 19 août 2009, ce qui leur a permis de présenter les moyens utiles à leur défense dans leurs observations en réponse à ce rapport.

71.Enfin, par une décision n 09-S-04 du 11 décembre 2009, l'Autorité a renvoyé le dossier à l'instruction afin de permettre aux parties, d'une part, d'accéder à l'intégralité des données classées en annexe confidentielle par les décisions n° 08-DSA-39 et 09-DEC-01 et, d'autre part, de produire d'ultimes observations écrites.

72.Il résulte de ce qui précède que les banques ont pu accéder aux données du sondage de prix, la première fois par l'intermédiaire de leurs conseils, la seconde fois sans aucune restriction, et qu'elles ont ainsi bénéficié à deux reprises du délai de deux mois prévu par l'article L. 463-2 du code de commerce pour faire valoir leurs observations.

73.Concernant plus particulièrement la procédure de non-contestation de griefs, c'est à juste titre que l'Autorité relève que les mises en cause n'établissent pas en quoi la communication tardive des données du sondage de prix les auraient privées de la possibilité de demander le bénéfice de cette procédure, alors qu'elles avaient connaissance des données de ce sondage les concernant personnellement et qu'elles disposaient, dès le stade de la notification des griefs, de tous les éléments d'appréciation utiles relatifs à la nature des pratiques qui leur étaient reprochées, leur qualification juridique et les conditions d'imputation.

74.Au vu de l'ensemble de ces éléments, qui mettent en évidence un déclassement progressif des données du sondage de prix en raison du respect par l'Autorité du droit des parties et de leurs clients à la confidentialité des données couvertes par le secret des affaires, il s'avère que la communication partielle du sondage de prix lors de la notification de griefs, n'a pas eu pour effet de vicier la procédure suivie, dès lors que les données en cause ont été consultées par les banques et soumises à la contradiction. Il n'a donc pas été porté atteinte aux droits de la défense et le moyen des requérantes sera, en conséquence, rejeté.

3. Sur l'accès aux autres pièces du dossier

75.Les sociétés BPCE, Le Crédit lyonnais, Crédit agricole et Société générale reprochent à l'Autorité de leur avoir donné connaissance tardivement de certaines pièces du dossier, autres que le «'questionnaire de prix'», et de ne pas les avoir mises en mesure d'exercer leurs droits. Elles exposent que, dans le cadre des opérations d'expertise diligentées par les rapporteurs, la consultation qui a été organisée dans le cadre d'une «'data room'» leur a permis de constater que le dossier ne se limitait pas aux réponses apportées dans le cadre du sondage de prix, mais comportait de nombreuses autres pièces qui n'avaient jusque-là jamais été portées à leur connaissance.

76.Mais la cour constate que les pièces visées par les requérantes sont des réponses complémentaires apportées par certaines entreprises dans le cadre du sondage de prix, qu'elles ont été analysées par l'expert dans le cadre de sa mission et qu'elles ont été proposées à la consultation des conseils des parties en avril 2009, dans le cadre d'un accès au dossier spécialement aménagé pour concilier, à la fois, la protection du secret des affaires et le respect des droits de la défense, et que ces mêmes pièces ont ensuite été rendues accessibles, sans restriction, aux parties par la décision de l'Autorité n° 09-S-04 du 11 décembre 2009, qui a renvoyé le dossier à l'instruction afin de permettre aux parties, d'une part, d'accéder à l'intégralité des données initialement couvertes par le secret des affaires, d'autre part, de produire d'ultimes observations écrites.

77.Ce rappel des conditions dans lesquelles des informations couvertes par le secret des affaires avant la notification de griefs ont été déclassées progressivement permet de constater qu'elles n'avaient pas à être annexées à la notification de griefs. Par ailleurs, il est établi qu'une fois déclassées pour permettre l'exercice des droits de la défense dans le respect des intérêts des entreprises concernées, les banques ont pu faire valoir leurs observations les concernant à trois reprises, d'abord en réponse au rapport complémentaire des rapporteurs du 19 août 2009 prenant en compte les résultats de l'expertise, ensuite dans le délai supplémentaire de deux mois accordé par le rapporteur général en exécution de la décision de renvoi à l'instruction et, enfin, oralement, lors des séances des 24 novembre 2009 et 13 avril 2010.

78.Par ailleurs, il ressort de la décision attaquée (§ 186 et 187), non contestée sur ce point, que les parties ont été informées des cotes des documents cités dans le premier rapport des rapporteurs du 14 août 2008 par le courrier du rapporteur général du 28 septembre 2009.

79.Pour l'ensemble de ces motifs, ni la notification de griefs ni la procédure subséquente ne se trouvent viciées et le moyen tiré du défaut de communication de ces éléments en même temps que la notification des griefs est rejeté.

4. Sur la démonstration de l'objet anticoncurrentiel de la CEIC

80.La société HSBC France soutient que pour démontrer l'objet anticoncurrentiel de la CEIC, l'Autorité s'est, dans la décision attaquée, fondée sur l'existence, qu'elle conteste, d'une restriction de concurrence sur le marché de l'émission de chèques, alors que les rapporteurs n'ont examiné ce marché ni dans la notification de griefs ni dans leurs rapports des 14 août 2008 et 19 août 2009, de sorte qu'elle n'a pas pu débattre contradictoirement de cet élément de fait lors de l'instruction du dossier.

81Mais la cour relève que, contrairement à cette allégation, les rapporteurs ont, dans leur analyse des pratiques et, en particulier, de leur objet anticoncurrentiel, explicitement intégré le marché de l'émission de chèques. C'est ainsi qu'au titre de l'examen du secteur concerné, celui du traitement du chèque, les rapporteurs ont, dans la notification de griefs, indiqué que celui-ci comprenait deux sous-marchés, un marché de l'émission de formules de chèques et un marché de la remise de chèques, dont ils ont présenté les caractéristiques aux paragraphes 33 et suivants. Ce caractère biface, liant les marchés de l'émission et de la remise de chèques, a, par ailleurs, été rappelé et analysé à plusieurs reprises dans le rapport des rapporteurs, notamment au titre de l'examen de « la notion de ' net/brut ' pour les commissions interbancaires », de l'objet anticoncurrentiel des pratiques ou de l'estimation de la hausse des prix qu'elles ont générée (décision attaquée § 117, 269 et 340).

82.Au demeurant, comme l'Autorité l'a rappelé au paragraphe 377 de la décision attaquée, les banques ont, en réponse à la notification de griefs, communiqué un rapport d'expertise économique en date du 26 mai 2008 qui, en particulier, a, dans les termes suivants, confirmé la capacité de la CEIC à influer sur les conditions de la concurrence sur les deux faces du marché : « une telle commission modifie le coût marginal de l'activité d'émission et de remise de chèques : toutes choses égales par ailleurs, une commission payée par les banques remettantes aux banques tirées augmente le coût de fourniture du service de remise de chèques et diminue le coût de fourniture du service d'émission. Une commission interbancaire, dans la mesure où elle augmente les coûts d'un côté et les diminue de l'autre côté, est donc susceptible d'entraîner tout à la fois une augmentation des prix sur un côté du marché et une baisse des prix sur l'autre côté du marché ».

83.Ces constatations établissent que le marché de l'émission de chèques a fait l'objet, durant l'instruction, d'un examen et d'un débat contradictoire. Le moyen soulevé par la société HSBC France est donc rejeté.

5. Sur l'expertise

84.La Confédération nationale du Crédit mutuel ainsi que les sociétés Le Crédit industriel et commercial, Crédit agricole, Le Crédit lyonnais, Crédit du Nord, BNP Paribas et Société générale critiquent les conditions dans lesquelles a été menée l'expertise, dont la procédure aurait été instrumentalisée par l'Autorité, alors qu'elle a été conçue pour assurer le respect des droits de la défense à l'égard d'une pièce classée en annexe confidentielle. C'est ainsi que ces requérantes soutiennent que la mission de l'expert a été redéfinie à leur insu, trois jours avant l'établissement du pré-rapport d'expertise et qu'elles auraient dû être convoquées par l'expert, préalablement à la communication de son pré-rapport, conformément aux dispositions de l'article 160 du code de procédure civile. Elles reprochent, par ailleurs, au service d'instruction de ne pas leur avoir donné un temps suffisant pour répondre aux rapports de l'expert, compte tenu, notamment, de la communication tardive de la «'liste des 104 conditions bancaires'». Enfin, elles estiment que les rapporteurs ont orienté les travaux de l'expert dans des conditions contraires au principe de l'égalité des armes et au principe du contradictoire.

85.Les requérantes demandent, en conséquence, à la cour de prononcer la nullité de l'expertise.

86.La cour rappelle que l'expertise ordonnée dans le cadre de l'instruction d'une affaire est régie par les dispositions suivantes des articles L. 463-8 et R. 463-16 du code de commerce :

« Art. L. 463-8 - Le rapporteur général peut décider de faire appel à des experts en cas de demande formulée à tout moment de l'instruction par le rapporteur ou une partie (...) La mission et le délai impartis à l'expert sont précisés dans la décision qui le désigne » ;

« Art. R. 463-16 - Lorsqu'en application de l'article L. 463-8 le rapporteur général décide de faire appel à un ou des experts, sa décision définit l'objet de l'expertise (...) Le ou les experts informent le rapporteur chargé de l'instruction de l'affaire de l'avancement des opérations d'expertise. Le ou les experts doivent prendre en considération les observations des parties, qui peuvent être adressées par écrit ou être recueillies oralement, et doivent les joindre à leur rapport si elles sont écrites et si la partie concernée le demande. Ils doivent faire mention, dans leur rapport, de la suite qu'ils leur ont donnée ».

87.Elle relève, en premier lieu, concernant la définition de la mission de l'expert et son exécution, que le rapporteur général, qui, par courrier du 15 octobre 2008, a annoncé la nomination d'un expert afin de certifier la sincérité de l'agrégation de données confidentielles par les services d'instruction, a invité les parties à formuler des observations sur le contenu de cette mission, que, par une décision du 16 décembre 2008, il a nommé l'expert et fixé le cadre général de sa mission, en tenant compte des premières observations reçues, et, enfin, qu'à l'issue de « deux tours de contradictoire », il a fixé la méthodologie définitive de l'expertise par une décision du 17 février 2009.

88.Ainsi, alors même que les articles L. 463-8 et R. 463-16 du code de commerce n'imposent pas une consultation préalable des parties avant une modification de la définition de l'objet de l'expertise, puisqu'elle relève de la seule appréciation du rapporteur général, la procédure suivie au cas d'espèce a offert aux parties toutes les garanties utiles à l'exercice de leurs droits, en leur permettant, contrairement à ce qui est soutenu, de présenter des observations sur l'objet de l'expertise.

89.En deuxième lieu, la cour observe que les échanges intervenus, dans le cadre de l'instruction de l'affaire, entre les rapporteurs et l'expert ne sont pas de nature à remettre en cause la validité de l'expertise.

90.Il est, en effet, constant que les rapporteurs ont fourni à l'expert l'intégralité des données qui résultaient du sondage de prix effectué auprès des 700 entreprises, conformément au souhait exprimé par les parties dans leurs observations du 12'janvier 2009, et lui ont également soumis des documents récapitulatifs réalisant une retranscription organisée de ces données, afin d'en faciliter l'exploitation ; dès lors, comme l'énonce la décision attaquée, la transmission de ces tableaux, qui se bornent à reproduire les données nécessaires au travail de l'expert, sans lui donner un avis de nature à orienter ses conclusions, n'a pas altéré l'accomplissement de sa mission et n'a pas remis en cause son indépendance.

91.Par ailleurs, dans le cadre du débat contradictoire, les rapporteurs ont répondu au pré-rapport d'expertise en formulant plusieurs remarques, qui ont été adressées à l'expert et à toutes les parties concernées (courrier électronique du 13'juillet 2009). Enfin, ils ont répondu à certaines questions de l'expert sur les données transmises et leurs réponses ont été clairement identifiées dans les documents transmis par l'expert aux parties le 14 juillet 2009, de sorte que ces dernières ont eu la possibilité d'en débattre, notamment par leurs dires complémentaires adressés à l'expert le 4 août 2009.

92.Dès lors, ces échanges, que l'instruction de l'affaire rendait nécessaires et qui n'ont pas excédé le cadre fixé par les dispositions précitées du code de commerce, ne sont pas de nature à remettre en cause la validité de l'expertise, étant observé, de surcroît, que les rapporteurs n'étaient nullement dessaisis du fait que cette mesure avait été ordonnée.

93.En dernier lieu, concernant le déroulement des opérations d'expertise, il suffit de constater que, même si les dispositions spéciales des articles L. 463-8 et R. 463-16 du code de commerce n'imposent pas une convocation des parties dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 160 du code de procédure civile, les parties ont été convoquées par l'expert afin de présenter des observations orales.

94.Ces mêmes parties, par ailleurs, ont été mises en mesure de répondre au pré-rapport de l'expert qui leur a été transmis le 20 février 2009, soit plus de cinq mois avant l'envoi du rapport définitif. Elles ont pu ainsi communiquer en mai 2009 des dires à l'expert, auxquels celui-ci a répondu au cours du mois de juillet suivant, puis des dires récapitulatifs en juillet de la même année et, enfin, des dires complémentaires à la suite de la convocation de l'expert au mois d'août.

95.Enfin, l'expert ayant rappelé, dans un message du 9 juillet 2009 aux parties, que le document intitulé « les 104 conditions » ne faisait pas partie des documents relevant de sa mission, l'allégation de sa communication tardive dans le cadre de l'expertise est sans objet. Il est, en outre, rappelé que les banques ont eu accès à l'intégralité des données concernées par la procédure d'expertise, à la suite du renvoi de l'affaire à l'instruction, ordonné par la décision n° 09-S-04 précitée.

96.Il ressort ainsi de ces constatations que les conditions dans lesquelles l'expertise a été ordonnée et menée ne sont entachées d'aucune irrégularité ; le moyen d'annulation est donc rejeté.

6. Sur la saisine de la Commission bancaire

97.La société Crédit du Nord considère que la saisine de la Commission bancaire a été « volontairement tardive » puisqu'elle est intervenue le 14 mars 2008, soit cinq ans après que le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office de l'affaire le 29 avril 2003. La Confédération nationale du Crédit mutuel et la société Le Crédit industriel et commercial ajoutent que les rapporteurs n'ont pas apporté de réponse à l'avis qui a ensuite été rendu par la Commission bancaire.

98.Mais, d'une part, la cour relève que la saisine d'office a été communiquée à la Commission bancaire conformément aux dispositions de l'article R. 463-9 du code de commerce lesquelles n'imposent pas que cette communication soit immédiate, dès lors qu'il y a été procédé dans des conditions compatibles avec le respect du contradictoire. En toute hypothèse, il ressort de l'article L. 511-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur lors de la saisine du Conseil de la concurrence, que c'est à partir de la notification de griefs que la Commission bancaire, devenue l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, devait être saisie. Les griefs ayant été notifiés le 14 mars 2008, la saisine du même jour de la Commission bancaire a donc été effectuée conformément à ces dispositions.

99.D'autre part, aux termes mêmes de l'article L. 511-4 précité, c'est à l'Autorité, et non aux rapporteurs, qu'il incombe, le cas échéant, d'indiquer dans sa décision les raisons pour lesquelles elle s'écarte de l'avis qui lui a été transmis.

100.Dès lors, les moyens soulevés par les requérantes sont rejetés.

7. Sur la présomption d'innocence

101.La société HSBC France fait valoir que c'est par défaut que, dans la notification de griefs, les services d'instruction ont retenu la qualification d'infraction par objet, faute de parvenir à prouver les effets anticoncurrentiels des pratiques reprochées, et que l'Autorité, dans la décision attaquée, a fait sienne cette analyse. Elle en conclut que, ce faisant, tant les services d'instruction que l'Autorité ont procédé à un renversement de la charge de la preuve en qualifiant d'infraction par objet une pratique qui, manifestement, ne peut pas être anticoncurrentielle et qu'ils ont ainsi porté atteinte à la présomption d'innocence.

102.Mais il s'avère que, sous couvert d'un moyen d'annulation de la procédure, la société HSBC France critique, en réalité, les motifs de la décision attaquée en ce qui concerne la qualification de la pratique anticoncurrentielle imputée par l'Autorité aux banques poursuivies, ce qui relève du débat au fond. Le moyen est donc rejeté.

8. Sur l'impartialité des rapporteurs

103.Les sociétés Crédit agricole, Le Crédit lyonnais et Le Crédit industriel et commercial et Société générale, ainsi que la Confédération nationale du Crédit mutuel soutiennent que l'instruction n'a été menée qu'à charge et dans des conditions contraires au principe d'impartialité.

104.C'est ainsi, en premier lieu, que la Société générale reproche aux rapporteurs d'avoir « systématiquement écarté les éléments du dossier à décharge ». Elle mentionne, à ce titre, les documents qu'elles avaient communiqués avec son mémoire en réponse et qui, selon elle, établiraient qu'elle n'a pas répercuté la CEIC sur ses clients. Elle soutient, en outre, que les rapporteurs ont « fait abstraction » des réponses des entreprises au questionnaire relatif au sondage de prix, lesquelles ont souligné que, lors du passage à l'EIC, les banques n'avaient pas cherché à négocier de nouvelles conditions financières et qu'elles n'avaient pas pâti d'une raréfaction de l'offre lors des appels d'offres qu'elles avaient organisés ; elle fait valoir que d'autres réponses des entreprises et des documents qu'elle a elle-même produits sur la question de la « comparabilité des services » ont été également écartés de façon arbitraire, alors qu'ils démontrent l'absence de tout lien entre la commission de mouvement et la rémunération de la gestion des moyens de paiement pour lesquels il n'y a pas de facturation à l'unité.

105.La cour relève, d'abord, que les mises en cause ont pu exercer toutes les prérogatives qui leur sont reconnues dans le cadre de la procédure contradictoire ouverte à compter de la notification de griefs et poursuivie jusqu'à la séance de l'Autorité, en ce qui concerne la matérialité des faits, leur analyse par les services d'instruction et la qualification juridique susceptible de leur être donnée. C'est ainsi qu'ils ont pu, d'une part, accéder à l'entier dossier de l'affaire et, d'autre part, faire connaître leurs observations, tant sur les griefs notifiés que sur le rapport et le rapport complémentaire des rapporteurs ainsi que sur le rapport de l'expert.

106.Elle rappelle, ensuite, que, dans le respect de ces principes, il incombe aux rapporteurs, selon l'article R. 463-11 du code de commerce, de « soumet[tre] à la décision de l'Autorité de la concurrence une analyse des faits et de l'ensemble des griefs notifiés », dont l'Autorité apprécie librement la justesse et le bien-fondé dans le cadre du débat contradictoire qui se tient devant elle, et, à cette fin, de se déterminer, par leur propre interprétation du dossier, sur la réalité des pratiques et sur leur qualification.

107.Ayant considéré l'ensemble des éléments du dossier, les rapporteurs peuvent alors retenir, au soutien de leur analyse, ceux d'entre eux qui leur paraissent les plus pertinents, sans être tenus d'exposer les motifs pour lesquels ils ont choisi de ne pas fonder cette analyse sur d'autres éléments de ce même dossier et leur rapport doit, selon l'article L. 463-2 du code de commerce, être accompagné des documents sur lesquels ils se sont fondés et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés.

108.L'appréciation que les rapporteurs sont ainsi amenés à porter sur la valeur, à leurs yeux, des différents éléments du dossier ne saurait être considérée comme un manquement à leur devoir d'impartialité, sauf à les priver des moyens de soumettre à l'Autorité, comme les textes le prévoient, leur propre analyse des faits et des griefs reprochés aux mis en cause. À cet égard, la cour relève que, dans leur rapport, les rapporteurs ont, sur chacun des points qu'ils ont examinés, présenté les observations faites par les mises en cause sur la notification de griefs, et y ont répondu.

109.En deuxième lieu, la Société générale fait valoir que les rapporteurs ont accordé un trop grand crédit, et quelquefois un rôle probatoire décisif, à certains témoignages, fondant ainsi leurs « allégations » sur de simples déclarations, souvent orales, d'acteurs de la grande distribution ou de grands remettants, ou de personnalités qui leur sont liées. Elle soutient, par ailleurs, qu'en cas de contradiction entre les déclarations des banques mises en cause et celles de leurs clients, les rapporteurs ont systématiquement fait prévaloir les secondes sur les premières, sans justifier ce qui est, selon elle, un renversement irrégulier de la charge de la preuve.

110.Mais, comme la cour l'a rappelé plus haut, les rapporteurs, chargés de présenter à l'Autorité « une analyse des faits et de l'ensemble des griefs notifiés'», doivent, à cette fin, arrêter leur propre appréciation des éléments du dossier et l'exposer dans la notification de griefs puis, après avoir considéré les observations des intéressés, dans leur rapport, lequel est soumis à la contradiction des parties. On ne saurait donc leur reprocher de n'avoir pas accordé à tel ou tel élément du dossier l'importance que leur attachent les mises en cause, pas plus qu'on ne saurait voir dans ces divergences d'interprétation la marque d'une partialité, mais seulement l'exercice, par eux, de leur pouvoir d'appréciation des faits de la cause.

111.En troisième lieu, la Société générale reproche aux rapporteurs d'avoir « purement et simplement » ignoré les trois avis de la Commission bancaire et les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais considèrent que leur « silence » est contraire à l'exigence d'exposé objectif des faits qui s'impose à eux.

112.Mais, si le recueil de l'avis de la Commission bancaire s'imposait, et si les avis rendus par elle ont été joints au dossier comme l'impose l'article R. 463-9 du code de commerce, les rapporteurs n'étaient pas tenus d'en faire état dans leur rapport, dès lors qu'ils ont estimé que ces avis n'étaient pas utiles au soutien de leur analyse. En revanche, ainsi que l'Autorité le rappelle dans la décision attaquée (§ 204), c'est à elle qu'incombait une obligation de motivation, dont elle s'est acquittée, puisque l'article L. 211-4 du code monétaire et financier prévoit que, lorsque elle prononce une sanction, elle indique, « le cas échéant », les raisons pour lesquelles elle s'écarte de l'avis qu'a transmis la Commission bancaire.

113.En quatrième lieu, la Société générale et les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais reprochent aux rapporteurs d'avoir collecté certaines informations par téléphone et de les avoir retranscrites dans des courriers électroniques, au mépris, selon elles, des articles L. 450-1 et suivants du code de commerce.

114.Mais, d'une part, si les dispositions de ces articles définissent les pouvoirs d'enquête des services d'instruction de l'Autorité et fixent les formes dans lesquelles ils s'exercent, elles ne font nullement obstacle à ce que les rapporteurs recueillent des informations au cours de conversations téléphoniques et les versent au dossier sous la forme de courriers électroniques. D'autre part, contrairement à ce qu'allèguent les requérantes, le recueil de ces informations ne les a pas privées de la possibilité d'en discuter contradictoirement le contenu puisque, précisément, figurant au dossier, elles ont été portées à la connaissance des parties.

115.En cinquième lieu, la Société générale fait valoir que l'un de ses clients, la société Casino, avait indiqué, en réponse au sondage de prix, que le coût moyen par chèque qu'elle supportait n'avait pas augmenté sur la période concernée par les pratiques en cause, les banques n'ayant pas procédé à une refacturation, mais que, dans son rapport, l'expert a néanmoins fait état d'une hausse des tarifs subie par cette même société.

116.Cette assertion, cependant, met en cause, non l'impartialité des rapporteurs, mais les conclusions présentées, sous sa responsabilité, par l'expert, lesquelles ont été soumises à la critique contradictoire des parties, la cour ayant, le cas échéant, dans le cadre de l'examen des moyens de fond, à en apprécier la pertinence.

117.Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les moyens contestant l'impartialité des rapporteurs sont rejetés.

9. Sur les règles de preuve

118.La Société générale soutient que les rapporteurs se sont affranchis des règles applicables en matière de preuve, selon lesquelles c'est à l'Autorité qu'il incombe, en vertu du principe général de la présomption d'innocence, de prouver les pratiques anticoncurrentielles qu'elle reproche aux mis en cause, et qu'ils ont procédé à un renversement de la charge de la preuve.

119.Elle fait valoir, d'une part, qu'ils se sont fondés sur de simples allégations et présomptions non étayées, ainsi en présumant l'objet anticoncurrentiel des commissions, le lien de causalité entre celles-ci et les effets anticoncurrentiels allégués et, enfin, l'existence d'un dommage à l'économie, d'autre part, qu'en cas de contradiction entre les déclarations des parties et celles de leurs clients, ils ont systématiquement fait primer les secondes sur les premières, sans apporter de preuve matérielle qui le justifierait.

120.Mais, comme la cour l'a rappelé plus haut, les rapporteurs peuvent fonder leur analyse sur tous les éléments du dossier, dès lors que ceux-ci sont soumis au débat contradictoire. Ils peuvent donc choisir, parmi ces éléments, ceux qui leur paraissent les plus pertinents, par préférence à ceux qu'ils estiment dénués d'intérêt ou auxquels ils n'accordent pas de crédit. On ne saurait donc leur reprocher d'avoir fait prévaloir, dans le cadre de leur analyse des résultats du sondage de prix, les déclarations des clients des banques, quand bien même elles seraient contraires aux positions exprimées par celles-ci, et sans qu'on puisse y voir une quelconque dénaturation, étant rappelé que leur appréciation, qui peut être contestée par les mis en cause, ne lie en rien l'Autorité.

121.Contrairement à ce que soutient la Société générale, les rapporteurs n'ont donc pas renversé la charge de la preuve, comme ils l'auraient fait s'ils avaient présumé le caractère anticoncurrentiel des commissions en cause. Derrière cette allégation, la requérante formule, en réalité, une critique de fond de l'analyse des rapporteurs, laquelle relève de l'examen des griefs auquel la cour procédera plus loin.

122.Les moyens par lesquels les requérantes mettent en cause le respect des règles de preuve par les rapporteurs seront donc rejetés.

D. Sur les séances de l'Autorité

1. Sur l'impartialité des membres du collège de l'Autorité

a) Sur la saisine d'office

123.Les sociétés La Banque postale, Crédit du Nord, BNP Paribas et Société générale font valoir que le président de l'Autorité a présidé le collège ayant adopté la décision attaquée, alors qu'il avait précédemment siégé au sein de la formation qui avait décidé de la saisine d'office du Conseil de la concurrence. Elles considèrent que, ce faisant, le président a statué au fond sur une procédure qu'il avait « personnellement initiée », et qu'il en est résulté un cumul des fonctions de poursuite et de jugement, contraire à l'article 6 de la CEDH et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (ci-après DDH) et que l'atteinte ainsi portée au principe d'impartialité doit entraîner l'annulation de la décision attaquée.

124.Ces requérantes invoquent, en particulier, l'arrêt rendu le 8 novembre 2010 par le Conseil d'État qui, à propos de la Commission bancaire, a jugé que, si le pouvoir qu'avait cette autorité de se saisir d'office n'était pas, « en soi », contraire à l'article 6 de la CEDH, c'était à la condition qu'il soit « suffisamment encadré pour ne pas donner à penser que les membres de la formation disciplinaire tiennent les faits visés par la décision d'ouverture de la procédure ou la notification subséquente des griefs comme d'ores et déjà établis ou leur caractère répréhensible au regard des règles ou principes à appliquer comme d'ores et déjà reconnu, en méconnaissance du principe d'impartialité rappelé par l'article 6 précité » (Cons. État 8 nov. 2010, Caisse Nationale des Caisses d'épargne et de prévoyance, req. n° 329384). La société La Banque Postale rappelle, en outre, que, dans son arrêt du 11 juin 2009, Dubus S.A. c. France (req. n° 5242/04) la Cour européenne des droits de l'Homme a jugé, à propos de la même institution, que «'la requérante a pu nourrir des doutes sur la prise de décision par la Commission bancaire dès lors que celle-ci décida de la mise en accusation, formula les griefs à son encontre et finalement la sanctionna » avant de juger que «'la requérante pouvait nourrir des doutes objectivement fondés quant à l'indépendance et à l'impartialité de la Commission du fait de l'absence de distinction claire entre ses différentes fonctions ».

125.La cour constate, au préalable, que n'est pas ici en cause le pouvoir du Conseil de la concurrence, autrefois, et de l'Autorité, aujourd'hui, de se saisir d'office, conformément aux dispositions de l'article L. 462-5 du code de commerce. Il s'agit, en revanche, de déterminer si la circonstance que, dans la présente affaire, un même membre de l'Autorité, en l'occurrence son président, a d'abord participé à la décision de saisine d'office puis statué au fond, a porté atteinte au principe d'impartialité protégé par l'article 6 de la CEDH et l'article 16 de la DDH, de sorte que la décision attaquée devrait, pour ce motif, être annulée.

126.S'agissant de la Commission bancaire, dont l'exercice du pouvoir de saisine d'office a donné lieu à la jurisprudence qu'invoquent les requérantes, la cour relève que cette autorité, en se saisissant d'office au vu du rapport d'inspection qui lui avait été transmis, avait, par-là même, décidé de mettre en cause l'établissement visé par ce rapport et avait déterminé les griefs qu'elle retenait à son encontre et sur lesquels il était invité à faire connaître ses observations.

127.Tel n'est pas le cas du pouvoir de saisine d'office que la loi a reconnu au Conseil de la concurrence, puis à l'Autorité. Cette saisine, en effet, n'a ni pour objet ni pour effet d'imputer une pratique à une entreprise déterminée et n'emporte le reproche d'aucun grief, la détermination d'éventuels griefs n'intervenant qu'à un stade ultérieur, sur la décision du seul rapporteur général de l'Autorité et au vu de l'instruction à laquelle il a procédé.

128.C'est ainsi que, dans la présente affaire, le Conseil de la concurrence, en se saisissant d'office, a décidé d'examiner « la situation de la concurrence concernant les tarifs et les conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers, pour le traitement des chèques remis par les entreprises aux fins d'encaissement », mais il n'a nullement décidé d'engager des poursuites contre les établissements qui ont été ultérieurement mis en cause par l'effet de la notification de griefs, laquelle a été décidée par le rapporteur général au vu de son instruction et de l'enquête qui avait été confiée à la DGCCRF. Cette saisine d'office, par conséquent, ne présente pas, à l'inverse de la saisine d'office de la Commission bancaire, les caractères d'une « mise en accusation » et n'entraîne pas de préjugement de la réalité des pratiques susceptibles de donner lieu au prononcé de sanctions.

129.Dès lors, la présence du président de l'Autorité au sein de la formation ayant décidé la saisine d'office du Conseil de la concurrence puis au sein du collège ayant statué au fond ne peut être considérée comme ayant donné lieu à un cumul des fonctions de poursuite et de jugement ; il n'en est donc résulté aucun doute objectivement justifié susceptible de mettre en cause l'impartialité des membres de l'Autorité ayant adopté la décision attaquée.

130.Les moyens des requérantes sont donc rejetés.

b) Sur l'avis du 26 juin 2009

131.Les sociétés BNP Paribas et Crédit du Nord exposent que certains des membres du collège ayant adopté la décision attaquée avaient précédemment composé la commission permanente de l'Autorité qui, sur le rapport des mêmes rapporteurs que ceux chargés de l'instruction dans la présente affaire, ont rendu l'avis n° 09-A-35 du 26 juin 2009 portant sur le projet d'ordonnance relatif aux conditions régissant la fourniture de services de paiement et portant création des établissements de paiement. Selon ces requérantes, il résulterait de la lecture combinée des paragraphes 15, 102, 105 et 107 de cet avis que l'Autorité aurait présumé que les commissions interbancaires en cause auraient été « trop élevées et répercutées aux clients ». Elles en concluent qu'il en est résulté un « préjugement » de l'affaire, contraire au principe d'impartialité, qui doit entraîner l'annulation de la décision attaquée. A l'appui de ce moyen, elles soutiennent, en particulier, que, dans un arrêt du 24 juin 2003, la cour d'appel aurait a jugé que le Conseil de la concurrence ne peut exercer valablement à la fois des compétences consultatives et contentieuses concernant une même question que sous réserve de veiller à ce qu'elles soient effectivement dévolues à des personnes différentes.

132.Mais cette exigence, nécessaire en effet au respect du principe d'impartialité qui doit s'apprécier objectivement, ne s'impose que si, par définition, la formation consultative a eu à connaître de tout ou partie de l'affaire sur laquelle il a ensuite été statué au fond.

133.Or, tel n'a pas été le cas en l'espèce, puisque l'avis n° 09-A-35 était est sans lien avec l'affaire qui a été l'objet de la décision attaquée. En effet, cet avis a été rendu, à la demande du gouvernement et en application des dispositions de l'article L. 462-2 du code de commerce, sur un projet d'ordonnance transposant la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE. Dans cet avis, l'Autorité s'est, pour l'essentiel, prononcée sur l'opportunité d'interdire la pratique dite du « surcharging », ou « surchargement », consistant, pour le bénéficiaire d'un paiement, à appliquer des frais liés à l'utilisation de certains instruments de paiement, faisant ainsi dépendre leurs prix de vente des moyens de paiement choisis par leurs clients.

134.Sans doute, l'Autorité a-t-elle, dans ledit avis, fait allusion à plusieurs reprises aux pratiques sur le fond desquelles elle a ultérieurement statué par la décision attaquée. C'est ainsi qu'après avoir indiqué qu'à ses yeux, la question du « surchargement  » était « indissociablement liée à d'autres questions, notamment la licéité des commissions interbancaires et de leur niveau (...) », elle a précisé qu'elle était « actuellement saisie de ces questions dans un cadre contentieux, ce qui justifie une vigilance particulière » (Avis n° 09-A-35 § 6). Elle a ensuite relevé que les commissions interbancaires représentaient « pour la banque qui l[es] supporte une charge, qu'elle est donc susceptible de répercuter sur ses clients (...) » (§ 15), qu'elles « accroiss[aient] le coût des banques acquéreuses, qui les répercutent largement sur leurs clients commerçants (...) » (§ 102), qu'en pratique « ce sont les banques et les plateformes de paiement qui choisissent le niveau des commissions interbancaires. Il existe une présomption que les banques fixent collectivement des commissions trop élevées (...) » (§ 106) et que « la crainte de perdre des clients pousse ainsi les commerçants à accepter des moyens de paiement même lorsqu'ils sont coûteux pour eux. S'ils ne peuvent pas surcharger les opérations de paiement réalisées par ce moyen, ils répercutent les coûts correspondants dans les prix des biens vendus aux consommateurs finaux » (§ 107).

135.Contrairement à ce qu'allèguent les requérantes, il ne ressort d'aucune de ces formules que l'Autorité aurait, dans l'avis n° 09-A-35, pris parti sur la licéité des commissions mises en place dans le cadre de l'EIC et qu'elle aurait ainsi préjugé de l'affaire sur laquelle elle a ensuite statué au fond. Dès lors, la circonstance que certains des membres du collège ayant adopté la décision attaquée avaient précédemment siégé au sein de la formation consultative ayant rendu cet avis ne constitue en rien une atteinte objective à leur impartialité.

2. Sur les éléments développés par les rapporteurs en séance

136.Les sociétés BPCE, Le Crédit industriel et commercial, Crédit du Nord, BNP Paribas et Société générale, ainsi que La Confédération nationale du Crédit mutuel font valoir que, lors de chacune des séances des 24 novembre 2009 et 13 avril 2010, les rapporteurs ont présenté des analyses fondées sur des paramètres nouveaux pour démontrer que la CEIC n'était pas nécessaire au passage à l'EIC et que l'Autorité s'est fondée sur une troisième analyse, différente de celles des rapporteurs, pour démontrer que le choix de la CEIC n'était pas exemptable.

137.Elles estiment qu'il a été ainsi porté atteinte aux principes du contradictoire et de l'égalité des armes, puisque ces changements d'hypothèses, qui reposent sur de nombreux paramètres, modifieraient profondément l'analyse de la nécessité objective de l'instauration de la CEIC au regard des pertes rapportées aux gains réalisés à l'occasion du passage à l'EIC. Selon elles, un débat contradictoire sur le choix ou la pertinence des méthodes d'analyse était nécessaire et, si, lors de la première séance, les rapporteurs ont remis aux parties et aux membres du collège, un support écrit reprenant la présentation en « Power Point », tel n'a pas été le cas lors de la seconde séance.

138.Mais la cour rappelle que le débat contradictoire qui s'ouvre dès la notification de griefs aux parties se poursuit tout au long de la procédure et autorise les services d'instruction à faire évoluer leur analyse pour répondre aux arguments des parties.

139.Ainsi, elle observe que, dans le rapport complémentaire, les rapporteurs ont mis en 'uvre des méthodes quantitatives pour évaluer le caractère exemptable de la CEIC et le dommage à l'économie, que les banques y ont répondu par la communication d'études économiques et qu'en outre, lors de la première séance, les supports de présentation des rapporteurs ont été communiqués aux parties qui ont disposé d'un délai de deux mois pour répliquer.

140.Dans ces conditions, la question de l'analyse économique du bilan pour les banques du passage à l'EIC était dans le débat avant les séances et a pu être étudiée par les parties. Dès lors, le fait que, lors de la dernière séance ou dans les motifs de la décision attaquée, l'analyse des données par les rapporteurs ou par le collège ait évolué sur cette question, étant observé que les parties ne démontrent pas que cette analyse aurait été fondée sur des éléments ne figurant pas au dossier, ne saurait constituer une atteinte aux droits de la défense ou une méconnaissance du principe de l'égalité des armes. Au surplus, l'appréciation du bien-fondé de l'analyse retenue dans la motivation de la décision attaquée est une question de fond qui sera examinée ultérieurement dans cet arrêt.

141.Le moyen est donc rejeté.

3. Sur le renvoi à l'instruction

142.Les sociétés Crédit du Nord, Crédit agricole et Le Crédit lyonnais soulèvent la nullité de la décision n° 09-S-04 du 11 décembre 2009 par laquelle l'Autorité a renvoyé le dossier à l'instruction afin de permettre aux parties, d'une part, d'accéder à l'intégralité des données couvertes par les décisions sur le secret des affaires et, d'autre part, de produire d'ultimes observations, et soutiennent qu'elle entraîne la nullité de la décision attaquée.

143.Ces requérantes font valoir que cette décision de renvoi résulte d'une question ambiguë posée en séance par le président de l'Autorité au conseil des Banques Populaires qui soulevait l'irrégularité des décisions relatives au secret des affaires. En effet, le président lui a demandé s'il intervenait au nom de l'ensemble des banques en cause et, à la suite de sa réponse positive et de l'absence de démenti de la part des autres banques, l'Autorité en a déduit que « l'ensemble des parties considèrent désormais que, contrairement aux positions antérieurement exprimées, seul un déclassement total des pièces couvertes par les décisions sur le secret des affaires, serait de nature à assurer le principe du contradictoire et l'exercice effectif des droits de la défense » (§ 32 de la décision n° 09-S-04, cité au § 18 de la décision attaquée).

144.Cette décision de déclassement total constitue, selon les requérantes, une violation caractérisée du secret des affaires et repose, en outre, sur une erreur manifeste de fait, une violation d'une règle de forme substantielle et du principe du contradictoire et un excès de pouvoir.

145.L'Autorité demande à la cour de rejeter ce moyen en faisant valoir que l'affaire a été renvoyée à l'instruction conformément aux dispositions des articles L. 463-4 et R. 463-15 du code de commerce, dans leur rédaction alors applicable, et après que l'assentiment de l'ensemble des parties à la levée de la confidentialité des pièces du dossier au titre du secret des affaires a été recueilli. Elle ajoute qu'en tout état de cause, une violation du secret des affaires, si elle était avérée, justifierait une action en réparation du dommage mais n'entacherait la procédure d'aucune nullité.

146.La cour constate qu'en l'espèce, la procédure concernant l'accès aux données du sondage de prix a évolué au fil des demandes des parties : en effet, ces données ont, par décision n° 08-DSA-39 du 10 mars 2008, été classées d'office en annexe confidentielle et c'est à la suite des demandes d'accès formulées par toutes les parties, en septembre 2008, que le président de l'Autorité a procédé à un déclassement partiel, puis, à la suite, en particulier, de la demande des Banques Populaires, a, par décision n° 09-DEC-01 du 17 février 2009, autorisé l'accès à l'intégralité des données dans le cadre d'une «'data room'» ouverte exclusivement aux conseils des banques et à leurs experts avec l'interdiction de transmettre des données nominatives à leurs clientes.

147.Dans ces conditions, l'accès direct des parties à l'intégralité des données était déjà en débat avant la séance du 24 novembre 2009 et les banques ne peuvent prétendre aujourd'hui avoir été prises de court, lors de cette séance, par la question du président posée à la suite de l'intervention du conseil des Banques Populaires, dont la position était connue de tous avant la séance.

148.Pour ces motifs, les moyens de nullité soulevés par les parties à l'encontre de la décision n° 09-S-04 ne sont pas établis et sont rejetés, ainsi, par conséquent, que leur demande d'annulation de la décision attaquée.

II. SUR LE FOND

A. Sur la qualification des pratiques

149.Il convient, avant d'aborder cette question, de rappeler quelques éléments de contexte utiles à la compréhension des développements qui suivent.

150.Dans un objectif de protection des consommateurs face aux établissements de crédit, l'émission du chèque est réglementée et, dans ce cadre, l'article L. 131-71 du code monétaire et financier impose aux banques de mettre « les formules de chèques (...) gratuitement à la disposition du titulaire du compte ». Au contraire, la remise de chèques n'est pas, en dehors de la contrainte du monopole bancaire, soumise à des contraintes à des obligations réglementaires spécifiques.

151.Les banques opèrent une distinction au sein de la catégorie des remettants, selon que ceux-ci remettent des chèques régulièrement et en grand nombre ou sur une base épisodique et en faibles quantités. En effet, si les consommateurs ne sont pas facturés directement pour ce service, les « grands remettants » le sont, soit sur la base d'un prix global (cas des petits et moyens commerçants), soit à l'acte (cas des très grands remettants, comme les entreprises de la grande distribution qui manipulent, au niveau national, des volumes de chèques allant de quelques millions à près de cent millions de chèques par an) (décision attaquée § 29 et 30).

152.L'Autorité précise (décision attaquée § 31) que, de manière générale, les banques recherchent la rentabilité globale des services qu'elles proposent au niveau de chaque client et non pas service par service. Dans le cadre de cette relation globale, tous les flux de paiement (cartes bancaires, chèques, espèces etc.), les crédits, les placements ou encore la gestion du compte peuvent être pris en compte par la banque afin de déterminer le prix des services bancaires qui seront effectivement facturés à un client donné. Un service peut dès lors être proposé à un prix impliquant une perte si un autre poste permet de couvrir cette perte ; il s'agit donc d'un système de subventions croisées.

153.Elle indique par ailleurs (décision attaquée § 32), que les modes de rémunération des services liés à l'utilisation des moyens de paiement tels que le chèque sont variés et peuvent être combinés entre eux :

' la tarification directe du service de la remise de chèques, par exemple par le moyen de commissions à la transaction facturées aux clients ou de forfaits ;

' le « float », qui correspond au produit du placement par la banque et pour son propre compte des sommes disponibles au crédit des comptes courants lesquels ne sont normalement pas rémunérés, le système des dates de valeur venant le cas échéant accroître cette rémunération ;

' les commissions de mouvement, appliquées à une clientèle professionnelle, qui correspondent à un prélèvement sur chaque opération au débit réalisée par l'entreprise ou les commissions de recette, plus rares, qui consistent en un prélèvement sur chaque opération au crédit.

154.Elle précise encore (décision attaquée § 33) que la rapidité d'un système de paiement influe sur le niveau de la rémunération des banques par le « float » : un système lent, caractérisé par un délai important entre l'émission de l'ordre de paiement et le débit du compte du client, avantage la banque du payeur, qui bénéficie plus longtemps des sommes disponibles au crédit du compte de son client afin de les placer à son profit. À l'inverse, un système de paiement rapide avantage la banque du bénéficiaire du paiement.

Ces constatations ne sont pas contestées.

**

155.L'Autorité a relevé, dans la décision attaquée, que les douze banques mises en cause ne contestent pas avoir participé aux réunions de la CIR au cours desquelles elles se sont entendues pour instaurer la CEIC et les CSC et en fixer le montant, puis, avoir ensuite mis en 'uvre l'accord litigieux tel qu'il ressort du compte rendu de la réunion de la CIR du 3 février 2000 (décision attaquée § 278).

156.Après avoir considéré que les pratiques en cause ne constituaient pas des restrictions accessoires, au motif qu'elles n'étaient pas objectivement nécessaires à la réalisation du passage à l'EIC (décision attaquée § 305 à 322), l'Autorité a examiné la teneur de l'accord du 3 février 2000, (ci-après l'accord litigieux) ainsi que son contexte juridique et économique.

157.Elle a relevé que, sur le marché de la remise de chèques, la création de la CEIC a introduit un élément de coût uniforme pour les banques remettantes, qui n'existait pas dans l'ancien système de compensation des chèques interbancaires, et a conclu que les banques remettantes ont ainsi subi une hausse artificielle de leurs charges d'exploitation affectant le bilan de chaque opération de remise. Or, les banques devant, comme toute entreprise, nécessairement couvrir leurs coûts, l'Autorité en a déduit qu'il convenait de présumer qu'une telle hausse était susceptible de produire deux types d'effets : la limitation de l'offre de remise de chèques, d'une part, et l'augmentation des prix finaux, d'autre part (décision attaquée § 366 et 367).

158.L'Autorité a ensuite considéré qu'en raison de son influence potentielle sur le niveau des prix finaux, la CEIC a, par nature, la capacité de restreindre la concurrence tarifaire sur le marché de la remise de chèques, et ce même en l'absence d'un prix plancher (décision attaquée § 374) .

159.Elle a conclu que la création de la CEIC a eu pour objet de restreindre la liberté de chaque banque de définir individuellement sa politique tarifaire et a fait obstacle à la libre fixation des prix sur le marché du chèque, en favorisant artificiellement leur hausse du côté de la remise et leur baisse du côté de l'émission, alors que l'objectif essentiel du droit de la concurrence consiste à ce que tout opérateur économique détermine de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché. Elle a, en conséquence, qualifié la CEIC de restriction de la concurrence par objet au sens de l'article L. 420-1 du code de commerce et de l'article 81, paragraphe 1, CE, devenu l'article 101, paragraphe 1, du TFUE (décision attaquée § 379).

160.S'agissant des CSC, l'Autorité a rappelé qu'il s'agit de huit commissions multilatérales créées afin de rémunérer les services nouvellement rendus par une catégorie de banques à une autre et de compenser les transferts de charges résultant de la dématérialisation du système d'échange des chèques (décision attaquée § 385). Elle a relevé que le montant de chacune de ces commissions a été fixé d'un commun accord à un niveau unique, identique d'une banque à l'autre et ne tenant donc pas compte des coûts propres de chaque banque, sauf à considérer que toutes les banques avaient le même profil de coûts, ce qui n'est pas établi ni même soutenu par les requérantes (décision attaquée § 386).

161.Selon l'Autorité, la création des huit CSC a ainsi substitué à des profils de coûts diversifiés une charge financière uniforme, commune à toutes les banques, pour chaque service connexe et l'accord litigieux a donc limité la liberté des banques de déterminer de manière indépendante et individuelle le niveau des CSC en fonction de leurs coûts et, indirectement, les prix et autres conditions des services fournis à leurs clients. Elle en a conclu que l'accord litigieux ayant consisté à fixer les CSC à un niveau uniforme comporte un objet restrictif de la concurrence (décision attaquée § 387 à 389).

162.Les requérantes contestent la qualification des pratiques en cause de restriction de concurrence par objet. Elles reprochent en particulier à la décision attaquée d'avoir considéré qu'il suffit qu' « un accord soit susceptible de produire des effets négatifs sur le jeu de la concurrence » (décision attaquée, § 364) pour qu'il soit qualifié d'anticoncurrentiel par objet, selon une lecture erronée de l'arrêt T-Mobile Netherlands e.a, précité, et, plus généralement, en méconnaissance de la pratique décisionnelle de la Commission européenne et de la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la Cour de justice).

163.Elles exposent qu'il résulte de l'arrêt de la Cour de justice du 11 septembre 2014, CB/Commission (C-67/13 P, ci-après l'« arrêt Groupement des cartes bancaires »), que la notion de restriction de concurrence par objet doit faire l'objet d'une interprétation stricte pour n'être réservée qu'aux accords, pratiques concertées et décisions d'associations d'entreprises qui présentent un degré de nocivité suffisant à l'égard de la concurrence pour que l'Autorité puisse être dispensée de l'examen de leur effets. Pour qu'une restriction remplisse cette exigence, elle doit, selon les requérantes, successivement satisfaire à trois conditions cumulatives que sont, d'abord, ses effets négatifs attendus et la gravité de ces effets, ensuite, la haute probabilité que de tels effets se produisent, enfin, l'expérience acquise, justifiant la présomption de tels effets. Or, selon elles, ces conditions ne sont pas remplies en l'espèce.

164.Les sociétés Le Crédit lyonnais et Crédit agricole estiment ainsi que l'établissement d'une restriction de concurrence par objet requiert, d'une part, d'établir si, au vu de la teneur de l'accord litigieux et de son objet même, il présente un degré suffisant de nocivité puis, d'autre part, d'analyser le contexte économique et juridique qui ne peut venir que, soit confirmer, soit infirmer, la qualification de restriction de concurrence par objet. La société BPCE ajoute, en ce sens, que la prise en compte du contexte économique et juridique ne doit pas excéder une analyse sommaire et ne peut servir qu'à remettre en cause la qualification de restriction par objet et non à la valider.

165.En application de ces principes, les requérantes font valoir que l'expérience acquise par les autorités de concurrence en matière de commissions interbancaires multilatérales ne permettait pas de qualifier de restriction de concurrence par objet un mécanisme compensatoire tel que la CEIC, puisque les seules commissions multilatérales interbancaires ayant reçu une telle qualification concernaient, d'une part, celles dont le principe de la répercussion sur les clients est décidé d'un commun accord entre les banques et, d'autre part, celles qui ont indubitablement pour effet de fixer un prix plancher pour la tarification aux clients. À l'inverse, elles déduisent de l'arrêt Groupement des cartes bancaires le constat selon lequel les interactions économiques réciproques entre les activités d'émission et d'acquisition des moyens de paiement, caractéristiques des marchés bifaces, peuvent justifier des mécanismes de compensation financière entre les acteurs du marché, qui ne sauraient être assimilés à des restrictions de concurrence par objet.

166.Pour la société Le Crédit industriel et commercial et la Confédération nationale du Crédit mutuel, il résulte de cet arrêt que, lorsqu'il s'avère que les efforts déployés par certaines banques bénéficient à certaines autres, le fait d'introduire une commission payable par les secondes au profit des premières ne saurait être considéré comme étant, par nature, restrictif de concurrence. Or en l'espèce, elles estiment que la CEIC avait pour objet de compenser les pertes de trésorerie subies par les banques majoritairement tirées, du fait de l'accélération des délais de traitement, et pesait sur les banques majoritairement remettantes, qui, quant à elles, bénéficiaient de ladite accélération. Par application des principes précédemment rappelés, elles déduisent que la commission litigieuse ne pouvait être considérée comme anticoncurrentielle par son objet.

167.L'Autorité conteste l'analyse des requérantes qu'elle considère comme exagérément formaliste et restrictive. Elle soutient que les parties se méprennent sur le sens et la portée de l'arrêt Groupement des cartes bancaires. Elle fait observer en particulier qu'elle ne s'est pas arrêtée au constat d'une entente de nature tarifaire, mais a procédé à l'analyse approfondie de la teneur des dispositions de l'accord litigieux, des objectifs visés, ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel il s'insère, conformément à la jurisprudence européenne. Elle fait en outre valoir que l'arrêt de la Cour de justice du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, (C-382/12 P), a déclaré des commissions interbancaires appliquées au sein d'un système de paiement par carte contraires au droit de la concurrence au regard de leurs effets et que, sans se prononcer expressément sur la question, cet arrêt n'exclurait pas que ces pratiques constituent une restriction de concurrence par objet.

168.L'association UFC-Que choisir estime que l'Autorité a démontré l'objet anticoncurrentiel de la CEIC en retenant qu'il a été établi que, sur le marché de la remise de chèques, d'une part, cette commission était, par sa nature, restrictive de concurrence, puisqu'en générant une hausse du coût de revient du traitement des remises de chèques pour les banques remettantes, elle était susceptible de limiter l'offre de remise et d'avoir une influence potentielle sur les prix finaux. S'agissant du marché de l'émission, d'autre part, elle relève que la CEIC a généré une hausse artificielle de revenus pour les banques tirées, résultant d'un accord interbancaire et non du libre jeu de la concurrence, qui n'a pu se traduire par une baisse des prix des autres services proposés aux clients finaux dès lors que l'objet de la commission visait à compenser les pertes de trésorerie du fait du passage au système EIC. Enfin, elle observe de même que la décision attaquée a conclu à bon droit que, compte tenu de leurs caractéristiques, la création de huit CSC a substitué à des profils de coûts diversifiés une charge financière uniforme, commune à toutes les banques, pour chaque service connexe, de sorte que ces commissions présentaient un objet anticoncurrentiel.

169.Le Ministre chargé de l'Économie conteste l'analyse de l'Autorité. Il précise qu'aucune décision antérieure de celle-ci ou de la Commission européenne ne permet d'affirmer que ces commissions soient des infractions par objet. Il expose que, compte tenu du progrès que constituait l'EIC, des déséquilibres de trésorerie qu'il entraînait au préjudice des banques principalement tirées, et du fait que l'opposition d'une seule banque au nouveau système risquait de faire échouer le projet une troisième fois, l'accord litigieux ne présentait pas intrinsèquement un degré de nocivité et de gravité sur la concurrence et ne permettait pas de le qualifier d'anticoncurrentiel par objet. Il ajoute que l'analyse du contexte économique et juridique conduit également à rejeter cette qualification.

170.Le Ministère public, en revanche, soutient que c'est à bon droit que l'Autorité a qualifié l'accord litigieux instaurant la CEIC et les CSC de pratique anticoncurrentielle par objet.

1. Sur la qualification d'accords entre entreprises concurrentes et la participation discutée de la société Crédit du Nord

a) Sur la qualification des commissions interbancaires multilatérales d'accords entre entreprises concurrentes

171.Comme le relève l'Autorité dans ses observations, la qualification des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce requiert que soit, en premier lieu, déterminé l'existence d'un accord entre entreprises.

172.Ainsi que l'a rappelé la Cour de justice (CJUE, arrêts du 15 juillet 1970, Chemiefarma/Commission, 41/69, point 112, et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, point 130), un tel accord existe dès lors que deux entreprises au moins ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée.

173.En l'espèce et ainsi que l'a relevé la décision attaquée, les banques requérantes ne contestent pas avoir participé aux réunions de la CIR, au cours desquelles elles ont négocié l'heure d'échange des chèques, l'écart entre la date d'échange des chèques et la date de règlement interbancaire, ainsi que le montant et les modalités de calcul d'une commission interbancaire et les modalités techniques et financières applicables aux opérations connexes. Ces rencontres leur ont permis d'aboutir à un consensus sur la création d'une commission destinée à compenser les pertes subies du fait de l'accélération de l'encaissement des chèques, d'une part, et sur le montant de celle-ci, ainsi que celui des commissions interbancaires multilatérales, d'autre part. En particulier, lors de la réunion de la CIR du 3 février 2000, elles se sont accordées sur le versement par les banques remettantes aux banques tirées de la CEIC d'un montant fixe de 4,3 centimes d'euros par chèque tiré, ainsi que sur la création des huit CSC et de leur montant.

174.Il s'en déduit que les banques en cause ont bien conclu un accord entre elles.

b) Sur la participation de la société Crédit du Nord à l'accord et à son application

175.La société Crédit du Nord conteste sa participation à l'entente, au motif qu'elle n'était ni présente ni représentée lors de la réunion de la CIR du 22 juin 1999 et de celle, décisive, du 3 février 2000. Elle ajoute que l'unique réunion à laquelle elle a participé, le 1er juillet 1999, n'avait pas pour objet de décider de l'introduction de la CEIC. Elle demande en conséquence sa mise hors de cause et fait valoir qu'elle a contribué à l'EIC en tant qu'établissement de crédit agréé, tenu à ce titre de participer aux systèmes de paiement en application du règlement du Comité de la réglementation bancaire et financière n° 2001-04 relatif à la compensation des chèques, et non en tant qu'opérateur concurrentiel.

176.Cependant, ainsi que l'a relevé l'Autorité au paragraphe 286 de la décision attaquée, la participation de la société Crédit du Nord aux pratiques en cause ne résulte pas seulement de sa présence à l'une des réunions de la CIR, au cours desquelles la création de la CEIC a été discutée, mais aussi du fait qu'elle a été destinataire des documents concernant les réunions auxquelles elle n'a pas participé, qu'elle ne s'est pas opposée à la décision des autres membres de la CIR d'instaurer les neuf commissions interbancaires litigieuses et qu'elle a mis en 'uvre l'accord litigieux durant près de six ans.

177.Sa qualité d'établissement de crédit agréé, tenu à ce titre de participer aux systèmes de paiement, et le fait qu'elle aurait, comme elle le soutient, été obligée, de participer à la réunion du 1er juillet 1999, sont sans portée, puisqu'en tout état de cause une telle circonstance est sans influence sur l'applicabilité des dispositions nationales et de l'Union européenne du droit de la concurrence et ne peut, en tant que telle, être prise en compte, éventuellement, que pour la détermination du montant de la sanction.

178.Il s'en déduit que la participation de la société Crédit du Nord à l'accord entre les entreprises et à sa mise en 'uvre est établie et que le moyen est rejeté.

2. Sur l'objet anticoncurrentiel de la CEIC ainsi que des CSC et l'existence d'une infraction par objet

179.À titre liminaire, la cour relève que, contrairement à ce que soutiennent certaines parties, la lecture des observations déposées devant la Cour de cassation par la Commission européenne en qualité d'amicus curiae, en application de l'article 15 paragraphe 3 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en 'uvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, ne conduit pas à constater que celle-ci aurait manqué aux conditions d'objectivité et de neutralité requises dans cette fonction d'éclairage des juridictions nationales. Le fait pour la Commission européenne d'exposer son analyse sur la qualification des pratiques, dans le cadre de cette disposition, lorsqu'elle estime nécessaire d'éclairer une juridiction nationale sur les critères d'application des articles 101 ou 102 du TFUE, ne peut caractériser un manque d'objectivité. La Commission européenne a d'ailleurs expliqué, au paragraphe 14 de ses observations, qu'elle n'entendait pas prendre position sur l'existence ou non d'une infraction à l'article 101 du TFUE au cas d'espèce, mais seulement exposer les prescriptions de la jurisprudence sur la qualification de restriction par objet. Elle a, en l'espèce, étayé et accompagné son analyse d'exemples jurisprudentiels, afin que la cour puisse en apprécier la validité et la portée et que les parties puissent efficacement faire valoir leurs moyens de défense. Par ailleurs, la position et l'analyse de cette institution constituent un avis qui, comme tout autre élément du dossier, laisse à la Cour de cassation auquel il était destiné, puis à la cour d'appel, leur pleine faculté d'appréciation.

La CEIC

180.La Cour de justice a rappelé, aux points 49 à 51 de son arrêt Groupement des cartes bancaires, les principes commandant l'existence d'une restriction par objet :

« 49.[...] il ressort de la jurisprudence de la Cour que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire (voir en ce sens, notamment, arrêts [du 30 juin 1966], LTM, 56/65, EU:C:1966:38, points 359 et 360 ; [du 20 novembre 2008, Beef Industry Development et Barry Brothers, C-209/07, EU:C:2008:643], point 15 ; ainsi que [du 14 mars 2013,] Allianz Hungária Biztosító e.a., C-32/11, EU:C:2013:160, point 34 et jurisprudence citée).

50. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (voir en ce sens, notamment, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., EU:C:2013:160, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

51. Ainsi, il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d'avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu'il peut être considéré inutile, aux fins de l'application de l'article 81, paragraphe 1, CE, de démontrer qu'ils ont des effets concrets sur le marché (voir en ce sens, notamment, arrêt [du 30 janvier 1985,] Clair, 123/83, EU:C:1985:33, point 22). En effet, l'expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs. »

181.Aux points 57 et 58 du même arrêt, la Cour de justice a rappelé que « la notion de restriction de concurrence 'par objet' ne peut être appliquée qu'à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire » et elle a précisé que le caractère de nocivité en soi à l'égard de la concurrence de la coordination en cause était le « critère juridique essentiel » pour déterminer que l'examen des effets n'était pas nécessaire.

182.Enfin, elle a précisé, au point 53 dudit arrêt que, « [s]elon la jurisprudence de la Cour, il convient, afin d'apprécier si un accord entre entreprises ou une décision d'association d'entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de concurrence par 'objet' au sens de l'article 81, paragraphe 1,CE de s'attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu'il vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel il s'insère. Dans le cadre de l'appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (voir, en ce sens, arrêt Allianz Hungária Biztosító e.a., EU:C:2013:160, point 36 ainsi que jurisprudence citée) » (mentions mises en relief par la cour d'appel).

183.En l'espèce, la cour relève que la décision attaquée énonce au paragraphe 364 que, « [p]our constituer une infraction par objet, la pratique en cause doit permettre, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'elle puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur la concurrence » et qu' « [a]insi, pour être qualifié de restriction de la concurrence par objet, il suffit qu'un accord soit susceptible de produire des effets négatifs sur le jeu de la concurrence ». Cette motivation n'est pas conforme aux principes applicables tels que rappelés par l'arrêt Groupement des cartes bancaires (point 58), intervenu postérieurement à cette décision, aux termes duquel la notion de restriction de concurrence « par objet » ne peut être appliquée « qu'à certains » types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l'égard de la concurrence pour qu'il puisse être considéré que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire. Une telle qualification implique donc que soit déterminé le degré de nocivité de la pratique incriminée.

184.Par ailleurs, la cour relève également que, contrairement à ce que soutiennent plusieurs parties, la Cour de justice, dans l'arrêt Groupement des cartes bancaires, ne limite pas l'examen du contexte à la seule possibilité de conclure que la pratique en cause n'est pas anticoncurrentielle par objet, mais considère expressément, au point 53 de cet arrêt, qu'« (...) il convient, afin d'apprécier si un accord entre entreprises ou une décision d'association d'entreprises présente un degré suffisant de nocivité pour être considéré comme une restriction de concurrence 'par objet'au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE de s'attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu'il vise à atteindre ainsi qu'au contexte économique et juridique dans lequel il s'insère ».

185.Il convient dès lors, en application de ces principes ci-dessus rappelés, d'examiner la teneur des dispositions de l'accord du 3 février 2000, les objectifs qu'il visait à atteindre, ainsi que le contexte économique et juridique dans lequel il s'insérait afin de déterminer s'il constitue une pratique d'une nocivité potentielle suffisante pour le libre jeu de la concurrence, ce qui dispenserait d'en rechercher les effets concrets.

186.L'accord du 3 février 2000 prévoyait que les banques remettantes verseraient aux banques tirées un montant fixe par chèque tiré de 4,3 centimes d'euros, la CEIC. Il était convenu que ces conditions s'appliqueraient pendant trois ans, mais il n'est pas contesté que les parties à l'accord ne se sont pas réunies pour réévaluer, comme elles l'avaient prévu, le principe et le niveau des commissions et que ce n'est que par une décision collégiale du 4 octobre 2007, que la CEIC a pris fin avec effet rétroactif au 1er juillet 2007.

187.Le fonctionnement du mécanisme impliquait que toutes les banques remettantes et tirées appliqueraient la CEIC sans pouvoir s'en exonérer. Il était toutefois prévu que « [l]e montant de la commission est toujours un maximum. Un établissement peut facturer des montants inférieurs à certains confrères ».

188.Cet accord s'insérait dans le mécanisme économique particulier qu'est le chèque, décrit précédemment au paragraphe 152, c'est à dire caractérisé par la gratuité de la délivrance des formules de chèques, laquelle nécessite que les banques puissent financer cette activité de façon indirecte et qu'elles procèdent, notamment, au financement croisé entre activités.

189.Il n'est pas contesté par les parties que l'objectif premier de la CEIC était de permettre aux banques, en particulier à celles qui étaient majoritairement tirées, de ne pas subir de pertes du fait de l'accélération de l'encaissement des chèques, résultant de la mise en place de sa dématérialisation, et de la perte consécutive de « float » (décision attaquée § 360). L'accord litigieux avait dès lors pour finalité de maintenir les équilibres financiers des banques, et donc aussi les équilibres entre elles sur le marché. Cet objectif ressort clairement du document intitulé « Synthèse du rapport sur les conditions entre banques de l'EIC », établi par le groupe de travail restreint de la CIR (cote 922, page 3) selon lequel :

« Au sein du groupe de travail un nombre significatif d'établissements font l'analyse suivante :

' le maintien global des équilibres interbancaires actuels est justifié pour éviter que l'EIC ne soit une réforme ne profitant qu'aux remettants au détriment de l'ensemble de la profession,

' le règlement à J + 2 qui permettrait de maintenir ces équilibres, ne tiendrait pas devant les pressions basées sur l'argument que le passage des échanges papier à la télétransmission ne doit pas avoir pour effet un allongement du délai entre échange et règlement.

' la combinaison d'une commission fixe versée par la banque du remettant et d'un raccourcissement des délais permet de maintenir les équilibres globaux mais modifie l'équilibre individuel de chaque établissement. C'est toutefois une solution qui va dans la logique de la rémunération des services par des commissions fixes et non par des floats, logique appliquée aux moyens de paiement concurrents ».

190.Pour maintenir les équilibres financiers, l'accord a introduit un élément artificiel de coût pour les banques remettantes et de recette pour les banques tirées, ce caractère artificiel résultant de ce que la CEIC ne correspondait à aucun service rendu entre banques.

191.De cette façon, les banques en cause ont fait obstacle à leur liberté de détermination de leurs tarifs et indirectement des prix, puisque la CEIC devait nécessairement, compte tenu du système de financement des comptes bancaires et du fait que les banques doivent, comme toute entreprise, nécessairement couvrir leurs coûts, être répercutée sur les prix.

192.Or il est connu et reconnu par l'expérience acquise et la science économique que les accords visant à maintenir les équilibres entre opérateurs en concurrence sur un marché sont particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence en ce qu'ils aboutissent à amoindrir le degré de concurrence entre eux et à figer le marché.

193.De même, les comportements consistant pour les opérateurs d'un marché à se concerter et fixer ensemble un élément de leurs coûts sont particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence, car ils font obstacle à la libre fixation des prix qui doit prévaloir sur les marchés. Ainsi, au point 21 des lignes directrices concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité (2004/C 101/08), la Commission européenne cite les pratiques de fixation des prix comme exemple des comportements qui, au regard des objectifs poursuivis par les règles communautaires de concurrence, sont tellement susceptibles d'avoir des effets négatifs sur la concurrence, qu'il est inutile, aux fins de l'application de l'article 81, paragraphe 1, du traité CE (devenu l'article 101, paragraphe 3, du TFUE), de démontrer qu'ils ont des effets concrets sur le marché. Dans ses observations d'amicus curiae, devant la Cour de cassation, la Commission européenne a indiqué qu' « un accord qui fixe de façon directe ou indirecte les prix de vente et fausse l'évolution normale des prix sur le marché est une restriction suffisamment grave pour pouvoir être qualifiée de restriction par objet ». Dans un arrêt du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission, (C-469/15 P, point 107), la Cour de justice a rappelé que, pour les accords de prix ou les accords ayant pour objet la fixation des prix, « qui constituent des violations particulièrement graves de la concurrence, l'analyse du contexte économique et juridique dans lequel la pratique s'insère peut [...] se limiter à ce qui s'avère strictement nécessaire en vue de conclure à l'existence d'une restriction de la concurrence par objet ».

194.Si elles n'ont pas directement concerné un prix de vente, les pratiques en cause en l'espèce ont néanmoins consisté en la fixation en commun du montant de la commission interbancaire relative à l'encaissement des chèques. Ces pratiques entrent dans la catégorie des accords ayant pour objet la fixation des prix, car elles ont, pour le jeu de la concurrence, les mêmes effets nocifs d'augmentation des prix ou d'entrave à leur baisse.

195.Cette analyse est confirmée par la communication de la Commission européenne relative à l'application des règles de concurrence de la Communauté européenne aux systèmes de virement transfrontaliers (95/C 251/03), qui énonce, au point 40, notamment, que « tout accord sur une commission interbancaire multilatérale est une restriction de la concurrence relevant de l'article 85 paragraphe 1, car il limite de manière importante la liberté des banques d'établir individuellement leur politique de tarification. Cette restriction risque en outre de fausser le comportement des banques vis-à-vis de leurs clients ». Si, comme l'indique la société BNP Paribas, le point 42 de la même communication énonce ensuite que, « [s]i la concurrence entre systèmes est suffisamment forte, les effets de la commission interbancaire sur les tarifs appliqués à la clientèle pourraient en être réduits. Dans une telle situation, l'effet restrictif de la commission interbancaire multilatérale pratiquée dans le cadre d'un seul système pourrait rester négligeable », cette réserve, relative aux effets et non à la nocivité de la pratique, énoncée sous condition d'une vive concurrence entre opérateurs et au conditionnel, n'amoindrit pas le principe précédemment énoncé au point 40.

196.C'est à juste titre que, sur ce point, l'Autorité s'est référée à l'arrêt de la Cour de justice T'Mobile Netherlands e.a., précité, qui a rappelé le principe selon lequel une pratique d'entente anticoncurrentielle par objet peut aussi résulter d'une concertation sur un élément de coût et non directement sur les prix.

197.La cour d'appel relève que, si, au point 37 de cet arrêt, la Cour de Justice a retenu, comme le fait observer la société HSBC France, que les rémunérations des vendeurs, sur lesquelles les parties avaient échangé des informations, constituaient des éléments déterminants dans la fixation des prix au consommateur final, cette circonstance propre à cette affaire n'a pas conduit la Cour de Justice à préciser que seule une concertation sur un coût prenant une part importante dans la fixation d'un prix constitue une pratique anticoncurrentielle par objet. Au contraire, elle indique dans le même point qu'il ressort de l'article 81, paragraphe 1, sous a), CE qu'une pratique concertée peut avoir un objet anticoncurrentiel si elle consiste à « fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction » et, au point 39 dudit arrêt, que l'existence d'un objet anticoncurrentiel ne saurait être subordonnée à celle d'un lien direct de la pratique avec les prix à la consommation. Sur ce point, la cour relève encore que la Cour de justice précise, au point 38 de l'arrêt T'Mobile Netherlands e.a., précité, que « l'article 81 CE vise, à l'instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, à protéger non pas uniquement les intérêts directs des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle ».

198.En l'espèce, les banques en cause ont décidé d'introduire dans les charges des banques remettantes un élément artificiel de coût (voir § 204 et suivants) dont elles avaient fixé le montant en concertation, qui s'appliquait de façon systématique à chaque remise de chèque par toute banque remettante et avait pour vocation reconnue que les effets de la dématérialisation de l'encaissement ne pèsent pas sur les banques tirées et n'entraînent pas des déséquilibres financiers. Ce faisant, elles ont fait en sorte, d'une part, que le jeu de la concurrence ne s'applique pas entre elles à l'occasion de la remise de chèques et, d'autre part, que la dématérialisation de l'encaissement, entraînant de nombreuses transformations dans leurs méthodes et porteuse à la fois de gains et de pertes, n'emporte aucune modification dans la structure du marché.

199.La gratuité de la délivrance des chèques est un élément essentiel et caractéristique de l'espèce. Contrairement aux cartes bancaires, les commissions interbancaires relatives au chèque ne sont pas supposées être répercutées sur les utilisateurs, puisque celui-ci est, par application des dispositions de l'article L. 131-71 du code monétaire et financier, un moyen de paiement gratuit d'utilisation. Cependant, et comme il a été expliqué précédemment, le financement des services rendus par les banques en matière de chèques, est opéré par un mécanisme de subventions croisées lors de la facturation des « frais bancaires », qui sont globaux. Ainsi, dans le cas du chèque, la commission interbancaire ne peut faire l'objet d'une allocation des coûts entre les deux faces du marché (banque de l'émetteur et banque du remettant) puisqu'elle n'est pas dissociable de l'ensemble des frais bancaires, tandis que, s'agissant des cartes bancaires, la commission interbancaire est affectée à l'une ou à l'autre des faces du marché ou aux deux selon une répartition variable.

200.Il est en conséquence inopérant de soutenir une analogie entre la carte bancaire et le chèque, puisque les mécanismes d'allocations des coûts sont différents. Dans le cas du chèque, une commission supplémentaire ne peut qu'être répercutée dans les frais bancaires, alors qu'en matière de carte bancaire, le client paie une commission correspondante à l'ensemble des services qui lui sont rendus à ce titre.

201.Il s'en déduit qu'une commission versée par la banque du remettant à la banque du tiré est nécessairement de façon directe ou indirecte répercutée sur les prix.

202.Il est exact que, comme le font valoir les banques en cause, la CEIC a permis de convaincre les banques qui étaient hostiles à la mise en 'uvre de l'EIC de ne plus s'y opposer et de susciter leur unanimité, alors que deux tentatives antérieures avaient précédemment échoué. Il est tout aussi exact que l'EIC a représenté un progrès économique global pour les banques, mais aussi pour les utilisateurs de ce moyen de paiement. Mais la cour observe que ces éléments de contexte qui seront examinés ci-dessous, mais aussi dans le cadre de la théorie des restrictions accessoires et de l'exemption, conduisant à l'examen des conséquences exonératoires de telles circonstances, n'atténuent ni ne compensent le caractère nocif qui vient d'être relevé.

203.Le comportement ainsi relevé doit, au regard des effets potentiels d'augmentation des prix et d'affaiblissement de l'offre dont il est porteur, être qualifié de particulièrement nocif pour le jeu de la concurrence.

a) Sur la question de savoir si la CEIC a introduit un élément artificiel de coût

204.Les parties contestent que la CEIC puisse être regardée comme introduisant un élément artificiel de coût.

205.Ce moyen n'est pas fondé. Les parties ont elles-mêmes souligné devant l'Autorité que la CEIC ne constituait pas une rémunération que les banques remettantes versaient aux banques tirées en contrepartie d'un service rendu, mais un transfert de revenus d'une banque à une autre afin de partager les conséquences financières de l'accélération de l'échange des chèques permise par la dématérialisation du système. Il se déduit de cette argumentation que la CEIC introduisait pour les banques une charge qui avait pour finalité de maintenir les équilibres financiers qui existaient entre elles au moment de l'entrée en vigueur de l'EIC. Cette charge décidée entre elles et qui n'avait pour origine ni les services qu'elles se rendaient, ni les obligations induites par le fonctionnement du marché, était donc bien artificielle.

206.Elles sont par ailleurs mal fondées à soutenir que l'augmentation des coûts induite par la CEIC était, en tout état de cause, compensée par les gains de trésorerie liés à l'accélération du côté de la remise de chèque, ou que les banques remettantes avaient pu enregistrer un gain net résultant de la différence entre le produit du placement du « float » et le paiement de la CEIC, puisque, sans la CEIC, les banques remettantes auraient bénéficié de ces gains de trésorerie sans subir de coût complémentaire. La CEIC les a donc privées d'au moins une partie de ces gains.

207.En effet, et ainsi qu'il sera démontré ultérieurement, le coût de revient de la remise des chèques découlant de l'accord litigieux doit s'apprécier par rapport au coût qui aurait dû être observé dans le cadre de l'EIC sans CEIC et non par rapport aux coûts observés dans l'ancien système. La hausse de ce coût est donc égale au montant de la commission et empêchait que le coût de remise des chèques baisse à concurrence des économies (gains de trésorerie et gains administratifs) réalisées par les banques remettantes. Pour ces raisons, contrairement à ce que soutient la société Le Crédit industriel et commercial, il ne peut être considéré que la CEIC aurait généré un gain de trésorerie pour des clients.

208.Le fait que, comme le fait observer la société BPCE, les banques remettantes n'aient pas la possibilité d'accepter de façon préférentielle la remise de chèques provenant de telle ou telle banque tirée au motif que celle-ci appliquerait une commission moins élevée qu'une autre banque est, dans ce contexte, inopérant. En effet, si cette situation est exacte, il n'en demeure pas moins que l'introduction d'un coût artificiel et fixe à la remise des chèques fausse le jeu de la concurrence entre les banques puisqu'elle introduit une charge là où il n'y en avait pas auparavant.

209.La Banque postale est par ailleurs infondée à relever que la compensation partielle des coûts récurrents serait antinomique avec un objet anticoncurrentiel et que ce serait par une évaluation inopérante et inexacte que l'Autorité aurait considéré que la CEIC revêtait un caractère artificiel dont la preuve ne serait pas rapportée par l'Autorité. En effet, la CEIC constituait objectivement un élément de coût du service rendu par les banques à leurs clients. Du fait de son caractère uniforme, elle a introduit un élément de coût identique pour toutes les banques, qu'elles soient majoritairement remettantes ou tirées. C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu que la CEIC a grevé les charges d'exploitation de l'ensemble des banques, affectant en conséquence le bilan de chaque opération de remise de chèque. Ce coût ou cette recette, selon la position de chaque banque dans le cadre des opérations d'encaissement de chèques, d'un montant uniforme décidé en commun, étaient en conséquence bien artificiels.

210. De même, cette requérante n'est pas fondée à soutenir que le caractère artificiel de la hausse des coûts pour les banques tirées et des recettes corrélatives pour les banques remettantes ne serait qu'une affirmation péremptoire. En effet, ce caractère artificiel procède de l'économie générale de financement de l'offre bancaire globale précédemment décrite (voir ci-dessus paragraphe 153), qui repose en partie sur un mécanisme de subventions croisées par lequel, notamment, la gratuité de la délivrance des formules de chèques était, à tout le moins à l'époque des faits et jusqu'en 2004, compensée par la libre disposition des dépôts à vue qui ne pouvaient être rémunérés (article L. 312-2 du code monétaire et financier), mais aussi par des rémunérations qui pouvaient être perçues lors de la remise des chèques.

211.Enfin, le fait, relevé par la société le Crédit du Nord, que les banques ne se soient pas coordonnées sur les tarifs de remise de chèque, est, dans le contexte précédemment décrit et compte tenu des motifs qui viennent d'être retenus, inopérant.

b) Sur la question de la répercussion et l'absence de fixation d'un prix plancher

212.Les requérantes exposent que l'accord sur la CEIC ne peut être analysé comme ayant un objet anticoncurrentiel en ce que cette commission n'était pas assortie d'un accord sur sa répercussion sur les clients et ne conduisait pas à la fixation d'un prix plancher ni à la fixation d'un prix final.

213.Concernant l'absence de répercussion sur les clients, la cour rappelle que, ainsi que l'a indiqué la Commission européenne dans les observations qu'elle a adressées à la Cour de cassation dans cette affaire le 29 octobre 2012, en se référant aux principes énoncés par la Cour de justice dans les arrêts précités T-Mobile Netherlands e.a. (points 36 à 38) et GlaxoSmithKline Services e.a./Commission (point 64), la constatation de l'existence de l'objet anticoncurrentiel d'une entente n'est pas subordonnée à la preuve concrète d'un lien direct de cette entente avec les prix supportés par le client final ou les prix à la consommation. De même, l'objet anticoncurrentiel de l'entente ne dépend pas nécessairement du point de savoir si l'accord comporte des inconvénients pour les consommateurs finaux.

214.En tout état de cause, en l'espèce, ainsi qu'il a été relevé précédemment, les banques remettantes peuvent facturer les chèques remis à l'unité ou selon leur valeur, ce qu'elles font en particulier envers les grands remettants ; mais elles peuvent aussi ne pas les facturer directement et rémunérer leur service de remise de chèques dans le cadre de leur offre globale de services bancaires, via le système de subventions croisées. Compte tenu de ce mécanisme, chaque coût entrant dans le fonctionnement d'un compte a nécessairement une répercussion pour le client, sans qu'importe sur ce point que les banques parties à l'accord litigieux n'en aient pas expressément convenu.

215.Dès lors, le fait, invoqué par la société BNP Paribas, qu'elle démontrerait ne pas avoir répercuté la CEIC sur ses clients et que ses tarifs ont baissé dans cette période est sans effet à ce stade de l'analyse. La cour rappelle sur ce point que l'économie générale du chèque repose sur un mécanisme de subventions croisées qui rendait par lui même inutile la répercussion directe, celle-ci s'opérant nécessairement de façon indirecte.

216.En outre, si, comme le fait observer cette requérante, tout contrat commercial a un coût qui est susceptible d'être répercuté, telle n'est pas la problématique de l'espèce, dans laquelle l'ensemble des banques de la place ont convenu, afin que la dématérialisation de l'encaissement des chèques ne perturbe pas leurs équilibres financiers, d'appliquer une commission interbancaire d'un montant uniforme, faussant ainsi le jeu de la concurrence entre elles.

217.Concernant l'absence de fixation d'un prix plancher, il est sans effet que les parties à l'accord litigieux n'aient pas précisé que la CEIC constituait un prix plancher. La cour rappelle que, ainsi que l'a relevé l'Autorité au paragraphe 359 de la décision attaquée, si cet accord prévoyait que les parties puissent appliquer un montant de commission inférieur à 4,3 centimes d'euros, aucune d'entre elles ne l'a fait et, en pratique, le montant de 4,3 centimes d'euros a fonctionné comme un prix plancher. Il convient de relever, de surcroît, que la possibilité d'appliquer un montant de commission inférieur était formulée dans les termes suivants : « Le montant de la commission est toujours un maximum. Un établissement peut facturer des montants inférieurs à certains confrères ». En réservant la possibilité de facturer des montants inférieurs de commission à « certains confrères » seulement, l'accord litigieux restreignait la possibilité pour les parties d'appliquer, en considération de leur propres charges et intérêts, un montant de commission inférieur à celui qui avait été fixé en commun.

218.Sur ce point encore, la cour observe que, dès lors qu'il n'existe aucun enregistrement de l'intervention des représentants de la Commission européenne, lors de la séance de l'Autorité, l'affirmation par certaines parties que ceux-ci auraient indiqué qu'une commission interbancaire n'aurait d'objet anticoncurrentiel que s'il est prévu qu'elle constitue un prix plancher, n'est pas démontrée. De surcroît, cette affirmation est démentie par les observations déposées devant la Cour de cassation, dans cette affaire, le 29 octobre 2012, précitées au paragraphe 179 qui ne reprennent pas une telle condition, notamment, lorsqu'elles indiquent, au point 26, que « [l]a CEIC pourrait être définie comme une mesure constituant un obstacle à une réduction des coûts puisque les banques se sont entendues pour maintenir une charge qui n'aurait pas dû subsister avec la réforme » et, au point 27, que la Commission européenne « considère, sur la base des faits disponibles que la CEIC a créé dans le chef des banques tirées une hausse artificielle des revenus qui ne résulte pas de la concurrence par les mérites, mais d'une entente permettant de figer le marché comme si la réforme de la compensation n'avait pas eu lieu et de cristalliser les situations acquises ».

c) Sur l'absence de jurisprudence antérieure

219.Les parties soutiennent encore que la pratique en cause ne peut être considérée comme anticoncurrentielle par objet dès lors qu'aucune commission interbancaire identique n'avait, par le passé, été sanctionnée par les autorités européennes et nationales de concurrence et qu'aucune expérience ne permet d'affirmer la nocivité d'une telle pratique.

220.Cependant, ainsi que l'a relevé le Tribunal de l'Union dans son arrêt du 8 septembre 2016, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (T-471/13, point 319), la possibilité de se référer à la jurisprudence antérieure pour caractériser l'évidence du caractère nocif d'une pratique n'implique pas que celui-ci ait déjà été reconnu pour une pratique totalement identique. Ainsi, il importe peu qu'aucune pratique de commission interbancaire multilatérale n'ait encore été sanctionnée par une autorité de concurrence nationale ou par la Commission européenne et les juridictions européennes au titre des restrictions par objet, mais seulement au regard de leurs effets. Il suffit qu'il soit connu par l'expérience que le type de pratiques auquel se rattache le comportement poursuivi, est suffisamment nocif pour le libre jeu de la concurrence. Or, tel est bien le cas d'une pratique consistant, pour tous les opérateurs d'un secteur, à fixer en commun un élément artificiel de coût, au surplus sans réelle étude des éléments visant à l'évaluation de ce coût. Dans sa dimension restrictive de concurrence, la CEIC ne revêtait dès lors aucun caractère inédit.

221.De même, le constat selon lequel la Commission européenne n'a jusqu'à présent sanctionné que des commissions interbancaires accompagnées d'un accord de répercussion, ne permet pas de conclure qu'un tel accord serait la condition sans laquelle les commissions interbancaires ne peuvent pas être considérées comme constitutives d'une infraction par objet au droit de la concurrence. En effet, d'une part, il ne ressort pas de la jurisprudence de l'Union, et il n'est d'ailleurs pas soutenu par les parties qu'une commission interbancaire telle que celle de l'espèce aurait été jugée comme non constitutive d'une pratique anticoncurrentielle par objet, au motif qu'elle n'était pas assortie d'un accord de répercussion sur la clientèle ; d'autre part, cette affirmation n'est nullement confirmée par les observations adressées par la Commission européenne à la Cour de cassation les 29 octobre 2012 et 17 février 2015.

222.La société BNP Paribas n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée n'aurait pas tenu compte de ce que la Commission européenne a indiqué, dans son XXXème rapport annuel sur la politique de concurrence, que les commissions interbancaires ne contreviendraient pas au Traité UE, alors que l'extrait sur lequel elle fonde cette affirmation ne vise que les commissions payables entre deux banques qui interviennent dans le traitement d'une opération par carte bancaire, et non les commissions multilatérales qui seraient conclues, de façon généralisée, entre toutes les banques nationales et concerneraient les paiements par chèque.

223.Cette requérante n'est pas plus fondée à invoquer une analogie entre la commission interbancaire multilatérale de l'espèce et l'indication, dans l'exposé des motifs du règlement (CE) n° 924/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant les paiements transfrontaliers dans la Communauté et abrogeant le règlement (CE) n° 2560/2001, de la possibilité, afin de faciliter le lancement du système de prélèvement SEPA, de maintenir temporairement les commissions multilatérales d'interchange. Il ne résulte pas de ce maintien provisoire que, par nature, les commissions interbancaires, telle celle de l'espèce, seraient systématiquement admissibles, car sans nocivité pour le jeu de la concurrence.

d) Sur le caractère légitime de l'objectif poursuivi

224.Selon les requérantes, l'EIC s'inscrivant dans un accord de place, sa mise en 'uvre ne pouvait être décidée que par elles, et de surcroît requérait leur unanimité. Elles font valoir que l'objectif de la compensation des pertes subies par les banques tirées était légitime puisqu'il permettait la mise en place du système d'encaissement dématérialisé des chèques, lequel n'aurait pu exister sans cet accord. Elles ajoutent que la commission en cause visait à compenser, pour les banques tirées, les efforts consentis au travers de la perte du « float », au bénéfice des banques remettantes.

225.Néanmoins, la cour rappelle que, comme le précise la Cour de justice au point 70 de son arrêt Groupement des cartes bancaires, le fait que les mesures en cause poursuivent un but légitime n'exclut pas qu'elles puissent être considérées comme ayant un objet restrictif de concurrence.

226.En effet, quoi qu'il en soit de ces objectifs, il n'en demeure pas moins que l'accord litigieux a eu pour objet de fausser le jeu de la concurrence entre les banques, d'une part, en introduisant un élément de coût artificiel pour l'ensemble des banques remettantes faisant ainsi obstacle à la libre fixation tarifaire des parties, d'autre part, en les dispensant de rechercher par l'exercice de la concurrence entre elles des solutions aux effets que devaient produire la mise en place de l'EIC, notamment l'effet prétendu de déséquilibre financier. Par ailleurs, et pour autant que le caractère légitime d'un objectif soit de nature à faire obstacle à la caractérisation d'une infraction par objet, ce ne pourrait être qu'à la condition qu'il soit démontré que la pratique en cause s'est bien inscrite dans la poursuite de cet objectif légitime, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

227.En effet, l'Autorité a relevé, aux paragraphes 442 et suivants de la décision attaquée, et ce constat n'est pas contesté, que la méthode suivie par le groupe de travail restreint de la CIR s'est limité à étudier la perte de trésorerie subie pour chaque chèque tiré, sans la mettre en regard des gains de trésorerie enregistrés pour chaque chèque remis et des gains d'efficacité retirés par les banques du passage à l'EIC. Il ressort des points 108 et suivants, ainsi que des points 445 et suivants de la décision attaquée, que seules les sociétés Crédit agricole et Le Crédit industriel et commercial ainsi que la Confédération nationale du Crédit mutuel avaient, au moment des négociations au sein de la CIR, effectué en interne des évaluations prévisionnelles du passage à l'EIC, et que seule la société Le Crédit industriel et commercial avait procédé à un bilan qui ne se limitait pas aux pertes de trésorerie.

228.Dans ces conditions, les parties ne démontrent pas que, à la date à laquelle elles ont négocié et se sont accordées sur la CEIC, elles savaient qu'elles subiraient effectivement des pertes du fait de la mise en 'uvre de l'EIC. Dès lors, elles ne peuvent prétendre que l'objectif de compenser les pertes liée au passage à l'EIC légitimait leur accord.

229.Il s'ensuit que, à supposer même que l'objectif d'instauration de l'EIC, la nécessité d'obtenir un accord unanime des banques et les caractéristiques particulières du secteur liées à la gratuité de délivrance des chèques pouvaient conduire à considérer que la pratique visant à instaurer une commission compensatoire des pertes que les banques estimaient devoir subir du fait de la perte de « float » ne constituait pas une pratique anticoncurrentielle par objet, il ne pourrait en l'espèce être procédé à cette analyse, dès lors qu'il n'est pas établi que la CEIC était effectivement de nature à compenser les pertes invoquées.

230.C'est donc de façon inopérante que certaines parties soutiennent que la CEIC était justifiée et économiquement indispensable, car elle assurait à toutes les banques d'entrer dans le mécanisme de la dématérialisation sans subir de pertes.

231.La société La Banque postale fait encore valoir que le contexte de la mise en 'uvre de la pratique présentait une particularité à son seul égard. Elle expose qu'en raison de la structure de sa clientèle, composée essentiellement de personnes à revenus modestes, elle supportait un poids considérable du fait de l'obligation de gratuité du chèque et qu'elle compensait une partie de ce poids par le placement des sommes figurant sur les comptes de dépôt des émetteurs de chèques. La dématérialisation accélérant l'encaissement, la privait donc d'une partie importante de cette compensation. Cette situation, différente de celle des banques remettantes, qui supportent la charge de la gratuité du chèque à moindres coûts, et bénéficient des dépôts supplémentaires obtenus par les chèques présentés à l'encaissement, justifiait, selon elle, qu'elle couvre ses pertes, au moins en partie, par une rémunération versée par les banques remettantes.

232.Toutefois, ainsi qu'il a été relevé précédemment, et qu'il sera développé dans la partie consacrée à l'exemption, il n'est pas établi qu'à la date à laquelle l'accord a été négocié entre les parties et a ensuite été conclu, la société La Banque postale savait qu'elle subirait des pertes du fait de la mise en 'uvre de l'EIC. Le moyen doit en conséquence être rejeté.

233.Il en va de même de la mission d'accessibilité aux services dont est investie La Poste, en général, et par conséquent La Banque postale. Le fait que cette dernière supporte davantage que les autres banques le poids de la gratuité du chèque, qui relève des éléments individuels susceptibles d'être invoqués dans le cadre de l'exemption ou du montant de la sanction, ne constitue pas un élément de contexte à prendre en compte pour l'appréciation du caractère nocif de la pratique.

234.Enfin, s'agissant des coûts de traitement des images chèques que cette requérante reproche à l'Autorité de ne pas avoir pris en compte dans son raisonnement, la cour relève que ce moyen, qui concerne la question de la connaissance par la société La Banque postale de ce qu'elle allait subir des pertes, est développé et rejeté dans le cadre de l'exemption. Il est sans portée à ce stade de l'analyse.

235.La Société générale invoque d'autres éléments de contexte que l'Autorité aurait, selon elle, dû prendre en compte, à savoir, la délégation implicite par les pouvoirs publics de leur rôle de régulateur, leur incitation à voir se réaliser le passage à l'EIC, le rôle du principe de l'interbancarité, le passage à l'euro et l'influence déterminante de la Banque de France dans la conclusion de cet accord. Elle ne développe toutefois pas les raisons pour lesquelles ces circonstances rendraient la pratique en cause moins nocive pour le jeu de la concurrence que les pratiques d'entente portant sur l'instauration d'un coût commun entre les concurrents d'un marché. S'agissant du pouvoir de régulation en matière de systèmes de paiement confié aux banques sous le contrôle de la Banque de France, par la loi, invoqué par les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais, cette délégation de pouvoir, qui explique les concertations entre la quasi totalité des banques ayant une activité relative au paiement par chèques, ne justifie toutefois pas l'instauration de la CEIC telle qu'elle a été analysée précédemment.

236.Il s'ensuit que les moyens des parties sur l'ensemble de ces points sont rejetés.

237.En conclusion de l'ensemble des considérations qui précèdent, la cour rappelle que la pratique consistant à faire obstacle à ce que chaque opérateur fixe lui même sa politique tarifaire en fonction de ses propres coûts est particulièrement nocive pour le libre jeu de la concurrence, puisqu'elle altère le principe essentiel de la libre fixation des prix par chaque opérateur au regard de ses propres intérêts économiques.

238.Or l'instauration de la CEIC a introduit un coût artificiel qui, du fait de la spécificité du financement du mode de paiement par chèque, lequel s'opère par subventions croisées, est fortement susceptible d'avoir eu un impact sur les prix des services des banques concernées, mais aussi sur la structure du marché, puisqu'elle visait à la maintenir telle qu'elle était au moment où a été mise en place la dématérialisation de l'encaissement des chèques. Cette pratique est donc particulièrement nocive au regard de son impact sur le jeu de la concurrence.

239.Si, ainsi que le soulignent les parties, l'objectif poursuivi par la mise en place de l'EIC, était légitime, il demeure sans portée dans le cadre de l'espèce sur le caractère particulièrement nocif de la pratique.

240.En l'espèce, le contexte économique et juridique de l'instauration et de la mise en 'uvre de la CEIC, ne modifie pas le caractère particulièrement nocif caractérisé précédemment.

241.Enfin, l'expérience permet de justifier la présomption des effets attendus de telles pratiques et la haute probabilité qu'ils se produisent sur le jeu de la concurrence, en ce qu'elles conduisent nécessairement à une augmentation des prix finaux, mais aussi en ce qu'elles étaient de nature à figer, ne serait-ce que temporairement et partiellement, la structure du marché.

242.C'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré, dans la décision attaquée, que la pratique d'instauration puis d'application de la CEIC a constitué une pratique anticoncurrentielle par objet.

Les CSC

243.À la différence de la CEIC, les CSC, qui sont également des commissions interbancaires multilatérales, sont destinées à rémunérer des services nouvellement rendus par une catégorie de banques à une autre et à assurer la compensation d'un transfert de charges.

244.En l'espèce, ces huit commissions multilatérales étaient les suivantes : archivage, chèques circulants, demande de télécopie recto, demande de télécopie recto-verso, demande de télécopie recto + original, rejet d'image chèque, annulation d'image chèque, annulation de rejet d'image chèque. Ces deux dernières commissions, annulation d'image chèque et annulation de rejet d'image chèque, seules concernées par le présent arrêt puisque les autres ont été exemptées par la décision attaquée, sont désignées sous l'acronyme AOCT (les commissions AOCT).

245.L'instauration des huit commissions multilatérales avait plus particulièrement trois types d'objectifs.

246.Premièrement, il s'agissait de compenser, pour les banques remettantes, le coût des services mis à leur charge, alors qu'ils étaient auparavant rendus par les banque tirées. Ce transfert de la charge de ces services, résultant de la décision d'arrêter la circulation physique des chèques le plus précocement possible au niveau de la banque remettante, permettait de réduire le coût de traitement des chèques.

247.Deuxièmement, le passage à l'EIC s'est accompagné de la création de nouveaux services pour les banques, telles que le traitement des rejets d'images-chèques et des demandes de télécopie adressées par le banquier tiré au banquier remettant, ou encore le traitement des annulations d'opérations compensées à tort via le Système Interbancaire de Télécompensation. Ces nouveaux services ont engendré des coûts qu'il fallait également compenser.

248.Enfin, troisièmement, les CSC avaient pour objet de compenser les coûts supportés par une banque en raison d'une opération initiée par un autre établissement bancaire ou par son client et, donc, de transférer la charge financière d'une opération aux personnes à l'origine de la transaction en cause afin, notamment, d'inciter les acteurs du système de paiement par chèque à éliminer les erreurs ou les incidents de paiement dont ils sont à l'origine, ceux-ci devant en assumer la charge financière. Il s'agissait, ainsi, d'encourager une utilisation efficiente de ce moyen de paiement.

249.Le contexte factuel, juridique et économique de la mise en place des CSC, est identique à celui de la CEIC et les développements qui précèdent s'appliquent à ces commissions accessoires.

250.Pour chacune des huit prestations susmentionnées, l'accord du 3 février 2000 prévoyait, ainsi qu'il a été dit précédemment, un montant fixe de commission.

251.Ainsi que le relève l'Autorité aux paragraphes 386 et suivants de la décision attaquée, le montant de chacune des CSC a été fixé d'un commun accord à un niveau unique, identique d'une banque à l'autre, donc sans tenir compte des coûts propres de chaque banque, sauf à considérer que toutes les banques avaient le même profil de coûts, ce qui n'est pas établi. La création des commissions AOCT, notamment, a substitué à des profils de coûts diversifiés une charge financière uniforme, commune à toutes les banques, pour ces services connexes. L'accord litigieux a donc, sur ce point, limité la liberté des banques de déterminer de manière indépendante et individuelle le niveau de la commission en fonction de leurs coûts et, indirectement, les prix et autres conditions des services fournis à leurs clients.

252.Une telle pratique a un objet anticoncurrentiel, ainsi qu'il a été précédemment développé pour la CEIC. La cour renvoie aux paragraphes 193 et suivants du présent arrêt par lesquels elle a précisé le caractère particulièrement nocif de tels comportements. Si les commissions AOCT présentent des différences avec la CEIC, notamment en ce qu'elles sont de nature rémunératrices tandis que la CEIC est compensatoire, la cour relève que les effets potentiels de ces pratiques sur la fixation des prix sont identiques, sans qu'importe à ce stade de l'analyse, le montant de la commission en cause, ni la fréquence de son application.

253.Il n'est pas exact de soutenir, comme le font plusieurs parties, que les commissions AOCT ne peuvent constituer une infraction par objet car elles n'auraient pas été susceptibles d'influencer de façon directe ou indirecte les prix finaux, faute d'avoir été répercutées sur les clients tirés. En effet, comme pour la CEIC, le financement du chèque par subventions croisées implique nécessairement cette répercussion, quand bien même ne serait-elle pas prévue, ni annoncée.

254.Par ailleurs, si, comme le souligne la société La Banque postale, les commissions AOCT ne constituent pas un « prix » à proprement parler, dans la mesure où elles ne correspondent pas à une transaction sur un marché, il n'en demeure pas moins qu'en déterminant ensemble le montant fixe de ces commissions, les banques en cause ont bien limité leur liberté de tarification des services qu'elles se rendent entre elles. La cour renvoie sur ce point aux développements relatifs à la CEIC et à la jurisprudence citée.

255.Le fait qu'il n'existe pas de mise en concurrence des banques remettantes par les banques tirées, ni l'inverse, et que les unes et les autres soient des partenaires obligés est inopérant à modifier l'analyse selon laquelle les CSC ont un objet anticoncurrentiel. En effet, en limitant ainsi leur liberté tarifaire, les banques ont permis que le coût des services rendus soit le même pour chacune d'entre elles, ce qui ne peut qu'avoir un effet inflationniste sur le prix de l'ensemble des services rendus à leurs clients.

256.Il n'est pas contesté que l'objectif tant de rémunération de services rendus que, pour certaines des CSC, de prévention afin que les banques concernées veillent à ce que le moins d'erreurs possibles intervienne dans le mécanisme, sont des objectifs légitimes.

257.Toutefois, comme pour la CEIC (§ 225) la légitimité de ces objectifs ne justifie pas que ces commissions soient arrêtées à un montant fixe et unique, sans examen des coûts réels moyens des prestations en cause. En effet, la cour relève sur ce point qu'il résulte, notamment, des développements de la décision attaquée relatifs aux exemptions des CSC, que la seule étude des coûts des opérations concernées par les CSC n'a été réalisée qu'en novembre 2007, soit bien après leur fixation.

258.À ce sujet, la cour relève que, contrairement à ce que soutient la société La Banque postale, les développements relatifs aux accords de production en commun figurant dans la communication (2011/C 011/01) de la Commission européenne intitulée « Lignes directrices sur l'applicabilité de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux accords de coopération horizontale » (JOUE du 14 janvier 2011, n° C 11, p. 1), qui précisent les cas, non concernés en l'espèce, dans lesquels les accords sur les coûts de production ne devront pas être considérés comme des infractions par objet et devront donner lieu à un examen de leurs effets, ne permettent nullement d'affirmer que la fixation en commun d'un coût ne pourrait jamais s'analyser comme une restriction de concurrence par objet. Bien au contraire, ces dispositions précisent qu'en règle générale, les accords qui consistent à fixer les prix, à limiter la production ou à répartir les marchés ou les clients ont un objet restrictif de concurrence.

259.Par ailleurs, il ne peut être reproché à l'Autorité, comme le fait la société Crédit du Nord, d'avoir, en considérant que la fixation des CSC avait fait obstacle à la liberté tarifaire pour les banques concernées, renvoyé, s'agissant des commissions AOCT, à un contrefactuel irréaliste et ingérable consistant en une multiplicité d'accords bilatéraux. En effet, s'il n'est pas contestable que la fixation d'un tarif unique pour les prestations concernées constituait une solution plus pratique et efficiente pour l'ensemble des banques et pouvait, si elle contribuait de façon proportionnée au progrès économique ou permettait des gains d'efficience, être exonérée par application des dispositions prévues à ce titre, il n'en demeure pas moins qu'une telle pratique empêche le jeu de la concurrence entre les opérateurs du marché concerné et constitue, à ce titre, une pratique particulièrement nocive pour la concurrence. Cette circonstance ne constitue donc pas un élément de nature à modifier l'analyse de l'Autorité sur la qualification des CSC comme constituant des restrictions par objet.

260.Le contexte économique et juridique de la pratique en cause, qui est identique à celui relevé pour la CEIC, ne modifie pas le caractère particulièrement nocif caractérisé précédemment.

261.Enfin, ainsi qu'il a été dit pour la CEIC, l'expérience permet de justifier la présomption des effets attendus de telles pratiques et la haute probabilité qu'ils se produisent sur le jeu de la concurrence, en ce qu'elles conduisent nécessairement à une augmentation des prix finaux, sans qu'importe, à ce stade de l'analyse, l'importance de cette hausse.

262.C'est donc à juste titre que la décision attaquée a considéré que la pratique d'instauration puis d'application des CSC a constitué une pratique anticoncurrentielle par objet. Les moyens des parties sont sur ce point rejetés.

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263.Il se déduit de l'ensemble de ce qui précède que la CEIC et les CSC ont constitué des pratiques d'entente par objet. Dès lors, il n'y a pas lieu de rechercher quels en ont été les effets, ni de répondre aux différents moyens développés par les parties à ce sujet, y compris ceux qui soutiennent l'irrecevabilité des demandes de l'Autorité tendant à ce que la cour constate que les pratiques ont eu des effets anticoncurrentiels.

3. Sur la qualification de la CEIC et des CSC de restrictions accessoires

264.Consacrée par la jurisprudence communautaire (TUE, arrêt du 18 septembre 2001, M6 e.a./Commission, T-112/99) et reprise par la Commission européenne dans ses lignes directrices concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité, la théorie dite des « restrictions accessoires » soustrait une restriction de concurrence à l'application des articles 101, paragraphe 1, du TFUE, et L. 420-1 du code de commerce, dès lors qu'elle est « directement liée et nécessaire à la réalisation d'une opération principale » qui ne restreint pas la concurrence (TUE, arrêt M6 e.a./Commission, précité, point 115) .

265.Devant l'Autorité, les mises en cause ont, dans leurs observations sur les griefs qui leur avaient été notifiés, réclamé le bénéfice de cette théorie, mais les rapporteurs en ont écarté l'application, en considérant que pas plus la CEIC que les CSC n'étaient objectivement nécessaires à la réalisation d'un système dématérialisé de compensation des chèques. De la même manière, l'Autorité a, dans la décision attaquée, refusé de voir dans la CEIC et les CSC des restrictions accessoires, faute que soit démontré leur caractère objectivement nécessaire à la mise en place de l'EIC (décision attaquée § 305 à 322). C'est ainsi qu'elle a relevé, s'agissant de la CEIC, que « l'EIC pouvait être mis en place sans accélération des échanges interbancaires, et, partant, sans modification des équilibres de trésorerie, dès lors que la fixation de la date de règlement interbancaire relevait d'une libre décision des banques » (décision attaquée § 314) et, s'agissant des CSC, que « la rémunération des prestations (...) dans le cadre d'un système de compensation dématérialisé (...) pouvait, en principe, faire l'objet de négociations bilatérales » et que les banques pouvaient « se mettre d'accord sur les modalités de calcul de chaque commission en fonction de paramètres variant d'une banque à l'autre » (décision attaquée § 320 et 321).

266.Les requérantes contestent cette analyse en ce qui concerne tant la définition de l'opération principale (Crédit agricole, Le Crédit lyonnais, Société générale) que le caractère nécessaire à sa réalisation de la CEIC et des CSC.

267.L'association UFC-Que Choisir approuve le refus de l'Autorité d'appliquer la théorie des restrictions accessoires, dont elle considère que les conditions d'application ne sont pas réunies en l'espèce.

268.Elle fait valoir, au préalable, que l'opération principale consiste, non dans l'accord du 3 février 2000, car, si tel était le cas, la CEIC serait une partie de l'opération principale et ne pourrait être qualifiée d'accessoire, mais dans son objet matériel, à savoir la mise en place du système dématérialisé de compensation interbancaire des chèques. Elle soutient, ensuite, que la CEIC n'est pas objectivement et matériellement nécessaire à la réalisation de cette opération principale, puisque les banques disposaient d'une alternative à sa mise en place, consistant dans le maintien d'un temps de traitement des chèques identique à celui du système ancien de compensation manuelle, et que ni la rentabilité de la dématérialisation, ou son absence de rentabilité, ni le fait que certaines banques aient conditionné leur accord à l'instauration de cette commission, ne peuvent donner à celle-ci un caractère accessoire. S'agissant des CSC, l'association UFC-Que choisir considère qu'elles pouvaient faire l'objet d'accords bilatéraux et de calculs théoriques qui auraient permis de les minimiser.

269.Le Ministre chargé de l'Économie soutient que, sans les commissions interbancaires, l'instauration de l'EIC, qui nécessitait un accord unanime de toutes les banques, alors qu'elles avaient, dans cette opération, des intérêts divergents, n'aurait pas été possible ou, du moins, très difficilement réalisable ; à cet égard, il rappelle l'échec des deux précédentes tentatives. Il en conclut que la CEIC et les commissions AOCT étaient objectivement et raisonnablement nécessaires à la réalisation de l'EIC.

270.Le ministère public fait valoir que, s'il n'est pas contestable que le passage à l'EIC sans mise en place de commissions interbancaires aurait été plus difficile, il n'est pas démontré qu'il aurait été impossible. Il souscrit donc à l'analyse de l'Autorité et demande à la cour de rejeter le moyen des requérantes relatif aux restrictions accessoires.

271.La cour observe que, si les parties et l'Autorité s'accordent pour considérer que la CEIC était directement liée à la mise en place de l'EIC et que cette dernière était, selon les termes de la décision attaquée, « elle-même neutre au regard du droit de la concurrence » (§ 313), elles s'opposent sur la définition de l'opération principale et sur le caractère nécessaire de la restriction qui en est l'accessoire.

a) Sur la définition de l'opération principale

272.La Société générale fait valoir que l'opération principale consiste, non pas, comme l'a considéré l'Autorité dans la décision attaquée (§ 314) et dans ses observations (§ 257), dans la « dématérialisation de la compensation interbancaire des chèques », mais dans l'accord du 3 février 2000, lequel comportait deux volets, un volet technique, ayant pour objet la définition d'une solution permettant de substituer l'EIC à l'échange physique des chèques en compensation, et un volet économique, relatif à la fixation des délais d'encaissement, de l'heure d'échange des chèques et de la date de règlement interbancaire ainsi qu'à la définition de la CEIC et des conditions applicables aux opérations connexes.

273.Cette critique n'est pas fondée. En effet, c'est bien pour aboutir à la mise en place de l'EIC que les banques en cause ont conclu l'accord du 3 février 2000. Le fait que cet accord comporte, d'une part, les consentements des parties à la réforme, d'autre part, leur approbation des conditions techniques et économiques de celle-ci ne saurait conduire à considérer que ces précisions économiques sont incluses dans l'opération principale. C'est à juste titre que l'Autorité fait valoir dans ses observations qu'identifier l'accord du 3 février 2000 dans son intégralité comme l'opération principale reviendrait à inclure la CEIC et les commissions accessoires dans l'opération principale, ce qui empêcherait par voie de conséquence de qualifier ces dernières d'accessoires. Il n'existe sur ce point pas d'incohérence avec l'analyse à laquelle l'Autorité a procédé, s'agissant de l'exemption, pour laquelle il est soutenu que l'accord dans sa globalité a contribué à la réalisation d'un progrès économique, puisqu'ainsi qu'il sera vu dans des développements ultérieurs, le progrès économique réalisé est constitué par la dématérialisation de l'encaissement des chèques et les pratiques annexes relatives aux commissions sont examinées, de la même façon que pour les restrictions accessoires, comme étant les accessoires de ce progrès.

274.Si, comme le soutient la Société générale, ce qui est en cause en l'espèce n'est pas le système de traitement des chèques, mais l'accord litigieux définissant les modalités de passage à un système dématérialisé de traitement des remises de chèques, cela n'empêche pas de considérer que ces modalités de passage d'un système d'encaissement manuel à un système dématérialisé constituent l'accessoire de l'objectif principal, qui était d'aboutir à la dématérialisation de l'encaissement des chèques.

275.Les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais contestent elles aussi la détermination par l'Autorité de l'opération principale, qui, selon elles, est « la mise en place de l'EIC avec accélération des échanges interbancaires ». Mais, elles ne sont pas non plus fondées dans cette argumentation. S'il n'est pas contestable que l'accélération des échanges interbancaires est un des effets de la mise en place de l'EIC, cette conséquence, qui doit bien évidemment, être prise en compte dans l'appréciation du caractère nécessaire des restrictions accessoires, ne saurait non plus être incluse dans l'opération principale.

b) Sur le caractère objectivement nécessaire de la CEIC et des CSC

- Sur la CEIC

276.L'Autorité souligne, dans ses observations, que le caractère nécessaire de la restriction accessoire doit s'apprécier strictement ; elle invoque, en particulier, les lignes directrices concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité, dans lesquelles la Commission européenne a précisé que cette nécessité devait être objective, proportionnée et procéder de facteurs extérieurs aux parties elles-mêmes ; elle rappelle, par ailleurs, que, dans son arrêt Mastercard e.a./Commission, précité, la Cour de justice a jugé que la circonstance que l'opération principale soit plus difficilement réalisable sans la restriction accessoire, ou qu'elle soit moins profitable à ses promoteurs, ne suffit pas à établir le caractère nécessaire de cette restriction.

277.Au cas d'espèce, l'Autorité considère que les conditions auxquelles l'application de la théorie des restrictions accessoires est soumise ne sont pas remplies, puisque, si la mise en place de la CEIC était liée à l'opération principale, elle n'était pas nécessaire à sa réalisation. C'est ainsi qu'elle fait valoir, en premier lieu, que l'EIC pouvait être mise en place sans accélération des échanges interbancaires, et donc sans modification des équilibres de trésorerie, et qu'en toute hypothèse, à supposer cette accélération inéluctable, on ne pourrait en conclure a contrario à la nécessité objective de la CEIC. En second lieu, elle souligne que la CEIC n'était objectivement nécessaire au fonctionnement de l'EIC ni d'un point de vue technique, ni d'un point de vue économique, comme en témoigne le fait qu'elle a été abandonnée en 2007, alors que le dispositif continue à fonctionner depuis cette date. L'Autorité en conclut que c'est au stade de l'exemption qu'il faut examiner la prétendue nécessité de la CEIC.

278.La Société générale fait valoir que la décision attaquée rejette le caractère nécessaire de la CEIC au seul motif que l'EIC aurait pu fonctionner sans et qu'il existait des solutions alternatives à la mise en place des commissions. Selon elle, sous couvert de répondre aux arguments des parties, l'Autorité tente de démontrer a posteriori et sur la base de nouveaux arguments ce qu'elle n'est pas parvenue à faire dans le cadre de la décision attaquée, ce qui lui est interdit. Elle demande donc à la cour de rejeter les arguments nouveaux relatifs à l'absence de nécessité objective de la CEIC, développés par l'Autorité dans ses observations déposées devant la cour.

279.La cour rappelle que, dans la limite des moyens développés par les requérantes, l'effet dévolutif du recours a pour conséquence de la saisir de l'affaire dans son entier. Celles-ci contestant l'analyse développée par l'Autorité sur le point de savoir si les commissions étaient nécessaires à la mise en place de l'EIC et proportionnées, la cour doit se prononcer sur les moyens qu'elles développent à ce sujet et peut, si la motivation de la décision attaquée ne lui apparaît pas fondée, y substituer sa propre motivation, sous réserve que celle-ci s'appuie sur des éléments d'analyse qui ont pu être discutés contradictoirement. Dans ce cadre, s'il n'est pas possible pour l'Autorité d'apporter des éléments de preuve nouveaux ou des éléments qui conduiraient à accentuer la gravité des pratiques, telle qu'elle ressort de la décision attaquée, il lui est, comme pour toute partie, loisible de présenter des éléments d'analyse non encore invoqués, susceptibles de conforter celle développée dans la décision attaquée, voire de s'y substituer. Il n'y a en conséquence pas lieu d'écarter les observations de l'Autorité sur la question de la nécessité des commissions dans le cadre de l'analyse sur les restrictions accessoires.

280.Ainsi que l'a rappelé la Cour de justice dans l'arrêt Mastercard e.a./Commission, précité, la mise en 'uvre de la théorie des restrictions accessoires requiert que la restriction concernée soit, d'une part, objectivement nécessaire à la mise en 'uvre de l'opération principale neutre au regard de la concurrence, d'autre part, proportionnée aux objectifs de celle-ci (points 89 et s.). Cet arrêt a encore précisé (point 93) que le critère de nécessité objective porte sur la question de savoir si, à défaut d'une restriction déterminée de l'autonomie commerciale, l'opération principale, qui ne relève pas de l'interdiction posée à l'article 81, paragraphe 1, CE et par rapport à laquelle ladite restriction est secondaire, risque de ne pas se réaliser ou de ne pas se poursuivre. Il s'en déduit que, ainsi que l'a soutenu la Commission européenne dans son avis du 29 octobre 2012 à la Cour de cassation, les restrictions accessoires qui ne sont pas nécessaires à la viabilité de l'opération principale doivent être appréciées au regard de l'article 101, paragraphe 3 du TFUE.

281.Or, en l'espèce, il n'est pas contestable, ni d'ailleurs contesté, que la mise en place de l'EIC était techniquement possible sans CEIC, ainsi que le démontre le fait que tel est le cas depuis 2007. Sur ce point, il n'est pas établi que les banques ne pouvaient pas mettre en place le nouveau système en retardant provisoirement la date de règlement interbancaire, solution d'ailleurs envisagée par le rapport du 22 juin 1999 du groupe de travail restreint de la CIR (décision attaquée, § 97) pour permettre aux banques majoritairement tirées de trouver des solutions leur permettant de ne pas subir les pertes qu'elles invoquaient. Il résulte de surcroît des diverses positions opposées à la mise en place de la CEIC, émises par plusieurs banques et par la Banque de France (décision attaquée § 100 et 101), que la viabilité de l'EIC n'était pas impossible sans la CEIC.

282.Les arguments des parties dans l'affaire en cause portent davantage sur le passage d'un système à l'autre et sur le caractère indispensable de la commission afin d'aboutir à un consensus des banques en raison des pertes que la disparition du « float » allait causer aux banques principalement tirées. Elles font valoir que la CEIC était bien nécessaire à la validité de l'EIC puisque, sans cette commission, plusieurs banques se seraient opposées à la mise en place de l'EIC, ce qui aurait abouti à ce que cette réforme ne voit pas le jour, puisqu'elle requérait leur unanimité.

283.Or ainsi qu'il a été précisé précédemment, la mise en place de la CEIC, ainsi que son montant, ont été décidés sans que les banques en cause procèdent à une analyse pertinente des pertes et gains liés à la mise en place de la dématérialisation et, ainsi qu'il sera démontré ci-dessous dans la partie relative aux exemptions, il n'est pas établi qu'au moment de l'accord litigieux, l'une au moins d'entre elles pouvait raisonnablement envisager qu'elle subirait effectivement des pertes, ni d'ailleurs qu'au regard des éléments d'analyse postérieurs à l'accord, la preuve de pertes soit rapportée.

284.La cour rappelle sur ce point que la justification de la restriction accessoire doit, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, être objective. Tel n'est pas le cas de l'argument avancé par les banques selon lequel la CEIC était nécessaire à la mise en place de l'EIC, parce que celle-ci les privait du « float » et devait leur faire subir des pertes. En effet, pour que la CEIC puisse être considérée comme objectivement nécessaire à la mise en place de l'EIC, il aurait fallu que soit démontré que les banques, ou au moins certaines d'entre elles, pouvaient raisonnablement envisager que l'opération principale leur causerait des pertes. Or cette affirmation de pertes à venir n'était pas appuyée d'éléments qui leur auraient permis de s'assurer de la réalité de celles-ci. Ainsi, cette opposition, quelle qu'en ait été la force, ne constitue pas une justification objective de nature à permettre de qualifier de nécessaire l'instauration de la CEIC. Il est sans portée, compte tenu de ce qui précède, que deux tentatives précédentes d'instaurer l'EIC aient échoué et les observations des parties sur la réitération et la réalité des oppositions ne sont pas opérantes.

285.Sur ce point encore, la cour relève que, contrairement à ce qu'avancent plusieurs parties, la preuve n'est pas rapportée que les sociétés Crédit agricole et La Banque postale, au moins, devaient subir des pertes si aucun mécanisme compensateur n'était mis en place. Il est renvoyé à cet égard aux développements des paragraphes 321 et 355 et suivants du présent arrêt. Il est en outre inopérant que les rapporteurs aient, lors de la séance du 13 avril 2010, indiqué qu'il y aurait pu y avoir « une seule banque éventuellement perdante », La Banque postale, comme le soutient la société BNP Paribas, dès lors que cette affirmation n'est pas restituée dans son contexte, qu'elle n'a été formulée que de manière hypothétique, et qu'ainsi qu'il sera précisé ci-dessous, les données produites par cette banque ne sont pas toutes pertinentes.

286.Les parties soutiennent qu'il résulte du rapport du cabinet d'expertise qu'elles produisent, qu'après correction des incohérences des données prises en compte par les rapporteurs, puis par l'Autorité, au moins les sociétés Crédit agricole et La Banque postale devaient subir des pertes du fait de l'instauration de l'EIC sans mécanisme correcteur. Mais la cour renvoie aux développements par lesquels elle rejette ces moyens aux paragraphes 307 et suivants ci-dessous.

287.La cour relève encore que c'est à juste titre, et sans s'immiscer dans la gestion des banques, que l'Autorité a constaté que la CIR n'avait finalement pas mis en 'uvre la méthode d'évaluation de pertes éventuelles préconisée par son groupe de travail restreint et a considéré pertinemment que seule cette méthode d'évaluation aurait permis d'établir la réalité de pertes liées à la mise en place de l'EIC. C'est, en outre, de manière fondée que l'Autorité a privilégié une approche individuelle de l'évaluation des bilans des parties, puisque, comme la CIR l'avait elle même reconnu, la mise en place de l'EIC aboutissait à « un jeu à somme nulle » pour la profession. De plus, puisqu'il était nécessaire d'étudier si au moins une banque subissait une perte du fait du passage à l'EIC, seules les évaluations individuelles permettent d'établir les conséquences attendues du passage à l'EIC sans CEIC (décision attaquée, § 435).

288.Les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais ne sont pas fondées à soutenir que le Crédit agricole anticipait une perte de 45,7 millions d'euros, puisque cette évaluation tenait compte de façon injustifiée de la révision des dates de valeur, ainsi qu'il sera exposé au paragraphe 363 , la révision de ces dates résultant d'un choix de chaque banque et non de la mise en 'uvre de l'EIC.

289.Ainsi, les prévisions de pertes comprises entre 45 et 78 millions d'euros, invoquées par les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais, ne peuvent-elles être qualifiées de pertes nettes, puisqu'elles prennent en compte le montant de pertes lié à l'abandon des dates de valeur et ne sont pas confrontées aux gains résultant de la mise en 'uvre de l'EIC. En conséquence, ce moyen ne peut qu'être rejeté.

290.En outre, s'agissant de la prise en compte des investissements, la cour renvoie aux paragraphes 397 du présent arrêt, par lesquels elle rejette les moyens développés sur ce point.

291.Pour les mêmes raisons, la preuve de la proportionnalité de la CEIC n'est pas rapportée. En effet, il est impossible de caractériser une prétendue proportionnalité alors que l'étendue des pertes anticipables au jour de l'accord litigieux n'était pas connue. Le fait que le montant ait été fixé au terme d'un compromis entre les banques ne permet pas d'établir le caractère proportionné de la CEIC, d'autant que la cour observe qu'il résulte des calculs de l'Autorité que certaines banques majoritairement remettantes subissaient des pertes du fait de l'instauration de la la CEIC, alors qu'elles n'en rencontraient pas sans commission (décision attaquée, § 514 à 519).

292.Si, comme le soulignent les parties, l'appréciation portée à ce sujet par la Commission bancaire, qui, à deux reprises, a indiqué à l'Autorité que la CEIC était nécessaire à la mise en place de l'EIC, doit être prise en compte comme celle d'une autorité publique, il convient toutefois d'observer que son analyse ne repose pas sur les critères propres au droit de la concurrence et, notamment, pas celui de restriction objectivement nécessaire dégagé par la jurisprudence en matière de restrictions accessoires. En conséquence les deux avis adressés par elle à l'Autorité dans le cadre de l'espèce ne peuvent conduire à modifier l'appréciation résultant des éléments retenus précédemment.

293.Plusieurs parties invoquent, dans le cadre des restrictions accessoires, une analogie entre la CEIC et la commission interbancaire multilatérale (CMI) que la Commission européenne a créé par le règlement n° 924/2009, ainsi qu'entre la CEIC et les CMI qui sont validées dans le document de travail de la Commission européenne du 30 octobre 2009 sur l'applicabilité de l'article 81 du traité CE aux paiements interbancaires multilatéraux liés au prélèvement SEPA. Toutefois, cette analogie n'est pas opérante. En effet, le document de travail rappelle, d'une part, que plusieurs de ces CMI font l'objet de procédures antitrust engagées par un certain nombre d'autorités nationales de concurrence (§ 26) et, d'autre part, que, si le règlement n° 924/2009 autorise le maintien des anciennes CMI domestiques, c'est toutefois « [s]ans préjudice des procédures en cours ou futures engagées dans le cadre des règles de concurrence concernant ces CMI nationales qui pourraient alors entraîner une réduction des CMI transitoires en conséquence ». Il s'en déduit que ces commissions interbancaires multilatérales ne sont pas validées, en tant que telles, comme des restrictions accessoires et demeurent soumises, y compris s'agissant de leur éventuelle qualification de restrictions accessoires, à l'appréciation des autorités nationales de concurrence, cette appréciation étant soumise aux critères de nécessité objective et de proportionnalité qui, ainsi qu'il vient d'être retenu, ne sont pas remplis en l'espèce.

294.Si, comme le fait observer la Société générale, le fait que, depuis 2007, le système d'EIC fonctionne sans CEIC ne permet pas à lui seul d'en conclure, contrairement à ce que soutient l'Autorité dans ses observations, que cette commission n'était pas nécessaire au passage du système manuel au système dématérialisé, il n'en demeure pas moins que ce constat montre que, techniquement, la réalisation de l'EIC ne dépendait pas de la CEIC et que pour les motifs qui ont été détaillés ci-dessus, la preuve de la nécessité objective n'est pas rapportée.

295.La cour relève que, contrairement à ce que soutient la société BPCE, l'Autorité n'a pas indirectement admis, au paragraphe 301 de la décision attaquée, que l'instauration de la CEIC et des CSC a été l'élément nécessaire qui a permis l'obtention d'un consensus pour passer au système EIC. En effet, il résulte seulement de ce développement, qui a pour objet de rejeter les moyens relatifs à l'existence d'une contrainte de la part de la Banque de France et, à travers elle, des pouvoirs publics, d'une part, que celle-ci était clairement opposée à l'instauration d'une commission fixe, d'autre part, que si elle est intervenue dans le cadre des négociations de la CIR, en proposant de réduire le niveau de la CEIC ou de la limiter dans le temps, il s'agissait uniquement pour elle de trouver un compromis afin de permettre le passage à l'EIC. Mais le fait que ce compromis ait été trouvé ne permet en rien de considérer que le critère de nécessité objective, dont dépend la qualification de restriction accessoire, ait été rempli.

- Sur les CSC

296.Les sociétés BPCE et Le Crédit industriel et commercial ainsi que la Confédération nationale du Crédit mutuel font valoir que la décision attaquée serait entachée de contradiction en ce qu'elle admet le caractère nécessaire des CSC dans le cadre de l'examen de l'exemption, que ce soit en raison des caractéristiques même du passage à l'EIC, de l'impossibilité pratique de les négocier sur une base bilatérale ou de la nécessité de déterminer un coût fixe, mais qu'elle rejette ce caractère dans le cadre de l'analyse sur les restrictions accessoires aux motifs, d'une part, que les CSC auraient pu être instaurées sur une base bilatérale et non multilatérale et, d'autre part, que les banques auraient pu s'accorder uniquement sur des modalités de calcul de chaque CSC en fonction de paramètres variant d'une banque à l'autre.

297.Par ailleurs, l'ensemble des parties soutiennent qu'il était indispensable, pour permettre le passage à l'EIC, que les banques trouvent un accord sur les modalités de rémunération des prestations de services rendus par les banques remettantes aux banques tirées et que, dans ces conditions, l'Autorité aurait dû retenir que ces commissions constituaient des restrictions accessoires.

298.Le Ministre chargé de l'Économie expose que, sans les accords sur la CEIC et les CSC, le passage à l'EIC n'aurait pas été possible ou, tout au moins, aurait été très difficilement réalisable. Selon lui, les CSC comme la CEIC apparaissent, compte tenu de la nécessaire unanimité des banques et des résistances qui persistaient après les deux tentatives échouées « objectivement et raisonnablement nécessaires à la réalisation de l'EIC ».

299.L'Autorité dans ses observations conclut au rejet de ces critiques.

300.Au point 91 de son arrêt MasterCard e.a./Commission, précité, la Cour de justice a précisé que « [l]orsqu'il s'agit de déterminer si une restriction anticoncurrentielle peut échapper à la prohibition prévue à l'article 81, paragraphe 1, CE au motif qu'elle constitue l'accessoire d'une opération principale dépourvue d'un tel caractère anticoncurrentiel, il convient de rechercher si la réalisation de cette opération serait impossible en l'absence de la restriction en question. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, le fait que ladite opération soit simplement rendue plus difficilement réalisable voire moins profitable en l'absence de la restriction en cause ne saurait être considéré comme conférant à cette restriction le caractère ' objectivement nécessaire'» requis afin de pouvoir être qualifiée d'accessoire. En effet, une telle interprétation reviendrait à étendre cette notion à des restrictions qui ne sont pas strictement indispensables à la réalisation de l'opération principale. Un tel résultat porterait atteinte à l'effet utile de la prohibition prévue à l'article 81, paragraphe 1, CE (...) ».

301.Or, ainsi que l'a retenu l'Autorité dans la décision attaquée (§ 320), les CSC, commissions destinées à rémunérer les divers services liés à la dématérialisation que les banques peuvent se rendre entre elles, pourraient, sur le plan technique, être déterminées de façon bilatérale, quand bien même cette solution serait-elle très complexe et la moins efficiente économiquement. Dans ces circonstances, il est exact et conforme à la jurisprudence qui vient d'être rappelée de considérer que le passage à l'EIC n'aurait pas été impossible en l'absence de fixation des commissions multilatérales que sont les CSC. C'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré que les moyens selon lesquels des négociations bilatérales auraient engendré des coûts de transaction importants relevaient de l'appréciation relative à l'exemption et non de celle des restrictions accessoires.

302.La cour relève sur ce point que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Le Crédit lyonnais et Crédit agricole, il n'est pas établi que le refus par une seule banque des conditions proposées par une autre aurait empêché le système de fonctionner, puisque les désaccords sur les commissions des services annexes pouvaient se résoudre par des négociations entre ces banques, lesquelles pouvaient, s'agissant de services autres que la délivrance des chèques, répercuter leurs montants sur les clients, y compris les émetteurs de chèques.

303.Il n'existe, par ailleurs, compte tenu des exigences de cette jurisprudence, pas de contradiction interne de la décision attaquée, contrairement à ce que soutiennent certaines parties, entre l'appréciation portée sur la qualification de restrictions accessoires et l'exemption des pratiques en cause. En effet, ces analyses, qui reposent sur des fondements différents, ne portent pas sur les mêmes questions. Les restrictions accessoires visent en effet à ne pas appliquer les dispositions de l'article 101, paragraphe 1 du TFUE à des pratiques qui se rattachent de manière nécessaire et proportionnée à une opération principale qui ne pourrait être réalisée sans la mise en 'uvre de la pratique en cause, tandis que l'exemption suppose que la pratique reprochée soit indispensable à l'obtention du progrès économique ou de gains d'efficacité, à savoir l'optimalisation de l'allocation des coûts entre les utilisateurs du chèque (décision attaquée § 541 à 549), et la réduction des coûts de transaction (décision attaquée § 550 à 553), permis par l'opération principale.

304.C'est ainsi sans contradiction que l'Autorité a, au paragraphe 555 de la décision attaquée, considéré que l'instauration, sur une base multilatérale, des CSC à coût fixe était nécessaire à l'obtention des gains attendus du passage à l'EIC, mais que, dans la mesure où il n'était pas démontré que des négociations bilatérales pour fixer les montants de ces commissions entre les banques étaient impossibles, ces commissions ne pouvaient être qualifiées de restrictions accessoires.

305.En effet, elle a par cela estimé, d'un côté, que l'instauration sur une base multilatérale des CSC était indispensable non pour réaliser le passage à l'EIC mais pour atteindre les gains d'efficacité économique qui en étaient attendus, et, de l'autre, que, dans la mesure où les commissions en cause auraient aussi pu être décidées dans des rapports bilatéraux, ce qui n'était pas impossible, l'EIC aurait pu aussi être réalisée sans de telles commissions, ce dont il devait être déduit que les CSC n'étaient pas nécessaires au sens de la jurisprudence relative aux restrictions accessoires.

306.Les moyens des parties sur ces points sont en conséquence rejetés.

B. Sur le bénéfice de l'exemption

307. Aux termes des articles L. 420-4 du code de commerce et 81, paragraphe 3, CE, les accords entre entreprises qui relèvent des articles L. 420-1 du code de commerce et 81, paragraphe 1, CE peuvent faire l'objet d'une exemption s'ils satisfont aux quatre conditions cumulatives suivantes, prévues par ces dispositions, et dont les parties doivent rapporter la preuve. L'accord doit contribuer au progrès économique, il doit être nécessaire et proportionné à la réalisation des gains d'efficacité, il doit réserver aux utilisateurs une partie équitable du profit en résultant et il ne doit pas donner aux entreprises la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause.

308.Les parties ont invoqué devant l'Autorité le bénéfice de cette exemption et leurs demandes ont été rejetées par la décision attaquée en ce qui concerne la CEIC et les commissions AOCT.

Sur la CEIC

309.Aux paragraphes 390 à 531 de la décision attaquée, l'Autorité, après avoir retenu que le procédé EIC constituait bien un progrès économique, a considéré que les parties ne démontraient pas que la CEIC était nécessaire à la réalisation du progrès économique constaté, d'une part, en ce qu'il n'était pas démontré qu'à la date des négociations de la CIR, l'une des banques prévoyait une perte nette liée au passage à l'EIC, d'autre part, en ce que l'instauration d'une commission fixe à la transaction n'était, en tout état de cause, pas de nature à compenser les pertes de trésorerie attendues.

310.Elle a ensuite retenu que le bilan économique du passage à l'EIC pour chacune des banques concernées confirmait cette analyse. Sur ce point, elle a estimé, en premier lieu, que l'étude menée par son service économique permettait de constater qu'aucune des banques majoritairement tirées en volume (La Banque postale, Crédit agricole, Confédération nationale du Crédit mutuel, Caisses d'Épargne) ne présentait un bilan négatif hors mécanisme de compensation, en deuxième lieu, que les deux banques présentant un bilan négatif hors mécanisme de compensation sont des banques majoritairement remettantes en volume, la mise en 'uvre du mécanisme de compensation ayant aggravé leur bilan, au lieu de l'améliorer, contrairement à ce que prétendaient les requérantes, en troisième lieu, enfin, que trois autres banques majoritairement remettantes en volume, dont le bilan aurait été positif sans le mécanisme de compensation, présentaient un bilan négatif.

311.Selon l'Autorité, les simulations effectuées par les services d'instruction corroborent les enseignements résultant de l'examen des documents de travail de la CIR, ainsi que les chiffrages des banques, et confirment que la mise en place d'une commission fixe avait des effets extrêmement variables suivant les volumes et valeurs de chèques émis et remis, avec pour conséquence de dégrader le bilan de certaines banques, dont la position résultant du passage à l'EIC, en terme d'équilibre de trésorerie, était pourtant moins favorable que leurs concurrentes, alors qu'à l'inverse, certaines banques voyaient un bilan particulièrement favorable s'améliorer encore du fait de l'instauration de la commission (décision attaquée, § 524).

312.La mise en place d'une commission fixe apparaissant dès lors incohérente au regard de l'objectif d'incitations individuelles des banques à accepter le passage à l'EIC, l'Autorité a estimé que la preuve de la nécessité de cette commission n'était pas rapportée.

313.Sur ce point, la cour relève que, contrairement à ce que soutiennent certaines parties l'Autorité n'a pas soutenu qu'il était démontré qu'aucune des banques n'établissait avoir subi de perte du fait de l'instauration de la CEIC, mais a seulement retenu que les parties ne démontraient pas qu'à la date de l'accord litigieux, soit le 3 février 2000, elles estimaient de façon suffisamment réaliste qu'elles encouraient des pertes, ce qui aurait permis d'établir que l'accord était nécessaire à la réalisation du progrès économique invoqué.

314.Contrairement à ce que soutient la société BNP Paribas, l'Autorité n'a, ainsi, pas mis en 'uvre une doctrine différente de celle appliquée par elle ou par les autorités de l'Union précédemment rappelée. Il est, par ailleurs, inopérant que l'Autorité ait, comme le relèvent plusieurs parties, contredit l'avis de la Commission bancaire, laquelle avait indiqué que la fixation des commissions était rendue nécessaire par le passage à l'EIC, dès lors qu'ainsi qu'il a déjà été précisé (paragraphe 292), l'avis de cette Commission n'est pas fondé sur une analyse de la nécessité conforme à celle qui doit être menée au regard des critères du droit de la concurrence.

315.Le fait que la CEIC ait contribué au progrès économique, en permettant la mise en place de la dématérialisation de l'encaissement des chèques, comme le fait qu'il était nécessaire que toutes les banques de la place, soient d'accord pour que le passage au nouveau système puisse de réaliser ont été reconnus par l'Autorité et ne sont pas contestés. Il n'est donc pas nécessaire d'analyser ces questions.

1. Sur le bilan global de l'instauration de la CEIC

316.Ainsi que le rappelle l'Autorité, au paragraphe 432 de la décision attaquée, il était rationnel pour chacune des banques participant aux négociations de la CIR de n'accepter le passage à l'EIC qu'à la condition qu'elle estime de manière suffisamment réaliste (souligné par la cour) ne pas subir de pertes du fait du changement. A défaut, la mise en place d'un mécanisme permettant d'indemniser ces pertes pourrait être admise, à titre transitoire, afin de donner aux établissements perdants une incitation à accepter la transition vers le nouveau système de compensation des chèques, et donc de permettre la réalisation des gains d'efficacité qui en étaient attendus. C'est la raison pour laquelle il convient de vérifier si au moment de la mise en place de l'accord litigieux, les parties ont estimé de façon suffisamment réaliste qu'elles, ou certaines d'entre elles, subiraient des pertes.

317.Il convient toutefois d'affiner le principe précédemment énoncé, car il ne vaut que pour les banques principalement tirées. En effet, l'analyse des situations des banques, dont il sera fait état dans des développements ultérieurs, peut montrer que certaines banques majoritairement remettantes pouvaient envisager subir des pertes du fait du passage à l'EIC. Toutefois, pour celles-ci et du fait de leur caractéristique de banque majoritairement remettante, la mise en place d'une commission ne pouvait qu'accroître leurs pertes. Dans ce cas, la CEIC ne pouvait avoir l'effet incitatif soutenu et le fait qu'elles aient pu subir des pertes ne démontre pas à soi seul que la CEIC était, d'une part, nécessaire, d'autre part, proportionnée.

318.Ainsi que le prévoit le point 44 des lignes directrices concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité, et comme le soutiennent certaines parties, le caractère nécessaire de la restriction exemptable doit être établi par les entreprises alléguant le bénéfice de l'exemption, au moyen de l'examen de circonstances concrètes du marché au moment où l'accord « s'est produit » et sur la base des faits existants à ce moment donné. Si toutes les circonstances entourant la conclusion de l'accord litigieux doivent être considérées, il n'y a pas lieu, contrairement à ce que soutient la société BPCE, de prendre en compte des éléments postérieurs à celui-ci, dès lors qu'il est uniquement soutenu que la CEIC était nécessaire pour créer l'incitation à conclure l'accord interbancaire ayant permis le passage à l'EIC. En conséquence, c'est à juste titre que l'Autorité n'a tenu compte que des éléments qui pouvaient être connus par les parties au moment de la conclusion de l'accord litigieux ainsi que des projections qu'elles pouvaient effectuer, et non des circonstances qui seraient advenues ultérieurement. Sur ce point, la cour relève que contrairement à ce que soutient la société BPCE, l'Autorité n'avait pas à renvoyer l'affaire à l'instruction à la suite des études d'experts produites par les parties et elle pouvait sans porter atteinte aux droits de la défense et au principe du contradictoire répondre aux objections de ces rapports et en tirer les conséquences qu'elle estimait fondées. À ce sujet l'analogie opérée par la société BPCE avec l'analyse effectuée par la Cour de justice dans son arrêt du 17 septembre 1985, Ford/Commission, (25/84 et 26/84), relative à une demande d'exemption par catégorie, est inopérante. II n'y a, en outre, pas lieu d'examiner si l'existence de pertes, dans la suite de la mise en 'uvre de l'accord litigieux, devait justifier l'octroi d'une exemption pour cette période, les parties ne le demandant pas.

319.Il s'en déduit que l'Autorité n'a commis aucune erreur de droit à ce sujet.

320.Selon les requérantes, il est incontestable que l'accélération du traitement et du paiement des chèques entraînait mécaniquement et inéluctablement une réduction du « float » du côté de la partie tirée de l'activité des banques, et donc des pertes pour les banques majoritairement tirées. S'appuyant sur le rapport des cabinets d'expertise économique des 22 octobre 2010 et 22 juillet 2016, les parties soutiennent qu'il est établi qu'au moins deux réseaux bancaires, le Crédit Agricole et La Banque postale, majoritairement tirés, allaient subir des pertes du fait de la mise en place de la CEIC.

321.Cette affirmation n'est toutefois pas démontrée. Il est certain que le passage à l'EIC devait avoir pour effet une accélération de l'encaissement des chèques, qui avait elle-même pour conséquence que les banques majoritairement tirées devaient perdre le bénéfice de la durée pendant laquelle elles gardaient ces sommes à leur disposition, dont le placement leur permettait de se rémunérer, mais cette perte du « float » n'était pas le seul effet de cette réforme, qui en comportait de nombreux autres et s'inscrivait dans une réalité plus complexe.

322.Ainsi que le rappelle l'Autorité au paragraphe 440 de la décision attaquée, le groupe de travail restreint de la CIR a défini les éléments pertinents qu'il convenait de prendre en compte pour réaliser le bilan prospectif des effets de la mise en place de l'EIC et précisé que chaque établissement devait ajouter aux éléments de perte ou de gains en terme de « float » et à ceux résultant « de ses capacités à profiter mieux ou moins bien que les autres des possibilités d'encaissements rapides offertes par le nouveau système (...) »,

«  ' les économies et surcoûts administratifs de traitement des opérations en tant que banquier remettant et en tant que banquier tiré,

' les conséquences que pourraient avoir les nouvelles règles interbancaires sur les transferts potentiels de flux de clientèle (').

Ces calculs, dont on sait la part d'incertitude qu'ils comportent, sont à faire en régime de croisière en intégrant l'amortissement des surcoûts liés au passage d'un système à l'autre ».

323.Or ce n'est finalement pas la méthode qui a été appliquée par le groupe de travail restreint, qui a calculé le montant de la CEIC par le produit du montant moyen du chèque, de l'accélération du délai de règlement interbancaire prévue (1,1 à 1,6 jour ouvré) et du taux d'intérêt auquel la banque peut placer les sommes dont elle a la disposition (3 %). Ainsi, ce calcul a pris en compte les seules pertes de trésorerie de la partie tirée de l'activité des banques, non corrigées par les gains de trésorerie enregistrés sur la part remettante des banques, ni par les gains administratifs retirés de la dématérialisation des échanges.

324.Par ailleurs, et comme le relève justement l'Autorité au paragraphe 444 de la décision attaquée, il ne ressort pas des documents préparatoires à l'accord litigieux que la réalité de pertes nettes subies par certains établissements majoritairement tirés du fait du passage à l'EIC ait été débattue au cours des négociations relatives à l'instauration de la CEIC, alors que la CIR s'est contentée, pour justifier l'instauration d'une commission interbancaire, de tenir compte de la perte brute de trésorerie sur la partie tirée de l'activité des banques.

325.De plus, aucun des trois établissements (Crédit agricole, Le Crédit industriel et commercial et la Confédération nationale du Crédit mutuel) ayant réalisé en interne, au moment des négociations, des bilans du passage à l'EIC en prenant en compte, outre les pertes de trésorerie par chèque tiré, les gains de trésorerie par chèque remis, ainsi que les gains administratifs retirés du nouveau système, sans mécanisme de compensation, ne prévoyait de perte liée au passage à l'EIC (décision attaquée, § 445). Les autres banques n'ont pas produit, au cours de la procédure, de document interne faisant état d'un bilan de l'ensemble des conséquences attendues du passage à l'EIC et ne peuvent donc soutenir qu'elles pouvaient envisager, à l'époque des négociations, que le passage à l'EIC entraînerait pour elles une perte nette dont la compensation exigeait l'instauration d'une commission.

326.Enfin, c'est à juste titre que l'Autorité a relevé, dans la décision attaquée (§ 449 et suivants), que, si les banques majoritairement tirées étaient convaincues de subir des pertes du fait de la mise en place de l'EIC, il est alors incohérent et irrationnel qu'ait été mise en place une commission générale et fixe pour chaque chèque remis, déconnectée de la valeur globale des chèques qui seule aurait permis de compenser les pertes invoquées.

327.Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais, cette analyse ne constitue pas un fondement accessoire, mais majeur des raisons pour lesquelles la CEIC ne peut être considérée comme nécessaire à la mise en place de l'EIC et proportionnée, le bilan économique, qui sera abordé dans les développements qui suivent, ne venant que confirmer les conclusions de l'analyse faite précédemment.

328.Contrairement encore à ce que soutiennent ces parties, l'Autorité, en relevant, au paragraphe 425 de la décision attaquée, que « (...) le passage à l'EIC dans le cadre d'une convention-cadre interbancaire ne pouvait être décidé qu'à l'unanimité des banques participant au circuit dématérialisé de traitement des chèques », n'a pas admis que l'accord litigieux en lui-même était nécessaire pour la mise en place de l'EIC, mais a reconnu qu'il était nécessaire qu'une solution unanime soit trouvée.

329.Lesdites parties reprochent à l'Autorité de s'être concentrée exclusivement sur la question de savoir si la CEIC était ou non nécessaire pour parvenir à l'accord des banques pour le passage à l'EIC, ce qui l'a conduite à apprécier de manière incorrecte la CEIC au regard de l'exemption, car elle aurait dû seulement rechercher si la création de la CEIC permettait de générer des gains d'efficacité que l'EIC n'aurait pas permis en l'absence de CEIC. Or, selon elles, la CEIC était indispensable pour réaliser l'accélération des délais d'encaissement, puisque, si cette option n'avait pas été retenue, les parties à l'accord litigieux auraient décidé le maintien de délais de règlement artificiellement longs, renonçant ainsi à l'accélération pour ne pas modifier les équilibres de trésorerie.

330.Toutefois, ce reproche est infondé. En effet, la CEIC a été invoquée par les parties comme permettant la mise en place de l'EIC, dont l'un des effets était la perte du « float » résultant de l'accélération des délais d'encaissement. Or la décision attaquée a, par l'analyse précédemment rappelée et adoptée par la cour, examiné précisément si la CEIC était nécessaire et proportionnée à la réalisation de ce progrès économique. Il n'y avait pas lieu de prendre en compte l'avantage procuré par la CEIC en comparaison de la solution alternative qu'aurait été d'adopter l'EIC en maintenant des délais d'encaissement artificiels, solution que les banques avaient elles-mêmes écartée.

331.Par ailleurs, si, comme le soutiennent ces parties, les pertes subies du fait de l'accélération des encaissements par les banques pouvaient justifier que soit mise en place une compensation, encore eût-il fallu que les banques en cause aient fait une analyse leur permettant de savoir qu'elles subiraient effectivement ces pertes. Or, ainsi qu'il a été rappelé précédemment, il n'est pas démontré qu'à la date des négociations de la CIR, l'une des banques prévoyait une perte nette liée au passage à l'EIC.

332.Il ne peut valablement être soutenu sur ce point que le « float » était la seule rémunération des banques tirées pour compenser les coûts du service d'émission dès lors que, ainsi qu'il a été précisé précédemment, cette rémunération pouvait aussi se réaliser par la voie des subventions croisées dans le cadre de la rémunération des comptes courants.

333.Par ailleurs, si la société Crédit agricole prévoyait non pas des « bénéfices », comme l'a retenu l'Autorité, mais que les conséquences de l'EIC seraient « couvertes par les gains que l'on pouvait attendre sur les traitements », cette affirmation permet néanmoins de constater que cette banque ne prévoyait pas de subir des pertes du fait de la mise en 'uvre de l'EIC et c'est, dès lors, à juste titre que la décision attaquée a retenu qu'il n'était pas démontré qu'au moment des négociations, puis de l'accord du 3 février 2000, la société Crédit agricole prévoyait de subir des pertes du fait de la mise en place de la dématérialisation de l'encaissement des chèques.

334.Les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais soutiennent que le choix de mettre en place une commission fixe, plutôt que proportionnelle, a été réfléchi et motivé par l'objectif d'optimiser l'accélération de l'encaissement. Elles exposent que le choix de l'autre option aurait conduit au maintien des délais interbancaires de règlement antérieurs et n'aurait pas été accepté du fait de la soumission à la TVA non récupérable pour une part importante.

335.Cependant, aucun élément du dossier ne permet de constater qu'il a été sérieusement envisagé de mettre en place une compensation proportionnelle, seule à même de compenser véritablement la perte subie par les banques majoritairement tirées. La raison invoquée qu'une telle commission aurait été soumise à la TVA n'était en soi nullement un obstacle à un examen plus approfondi de la question. Le fait que ce seul motif ait été invoqué pour écarter la mise en place d'une commission proportionnelle démontre que les banques en cause ne souhaitaient pas explorer cette piste. C'est à juste titre que l'Autorité a relevé que cette incohérence, ajoutée à celle de l'absence de recherche véritable par les banques en cause du montant des pertes qu'elles étaient susceptibles de subir, conduisait à conclure qu'elles ne démontraient pas que la solution choisie de mettre en place une commission fixe et unique était nécessaire et proportionnée à la réalisation du progrès économique constitué par l'EIC. Il est inopérant sur ce point qu'il ne soit pas établi que l'impact d'une commission proportionnelle aurait été sensiblement différent de la CEIC, comme le soutient la société BNP Paribas.

336.Rien ne démontre, en outre, qu'au regard de l'avantage de précision de la compensation, la mise en place d'une commission proportionnelle au montant des chèques tirés aurait été plus complexe et plus onéreuse que la mise en place de la commission fixe retenue.

337.De plus, et contrairement à ce que soutient la société Crédit du Nord, la mise en place d'une commission proportionnelle n'impliquait nullement qu'elle dût être calculée tous les jours, d'autres formules pouvant être facilement élaborées pour les banques dont l'activité implique par nature qu'elles aient la capacité de s'ajuster en temps réel aux moindres variations et qui sont donc accoutumées à ce type d'exercice.

338.Par ailleurs, ainsi que le recommandent les dispositions du point 75 des lignes directrices concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité, l'Autorité a remis en cause la pertinence du choix de la commission fixe, au lieu d'une commission proportionnelle, en démontrant, par l'analyse figurant aux paragraphes 455 et suivants de la décision attaquée, que la cour adopte, que seule une telle commission proportionnelle aurait rempli l'objectif de compenser les pertes de trésorerie dues à la mise en place de l'EIC. Une telle solution était moins restrictive de concurrence, dans la mesure où la commission en cause n'aurait alors bénéficié qu'aux entreprises qui subissaient réellement des pertes et n'aurait pas pesé excessivement sur les banques remettantes, notamment celles pour lesquelles la mise en place de l'EIC devait causer des pertes, aggravées par la CEIC. Il est donc suffisamment établi que cette alternative moins restrictive de concurrence, réaliste et accessible, permettait d'atteindre le progrès économique que constituait l'EIC. Il appartenait donc aux banques de démontrer pourquoi cette solution aurait été nettement moins efficace, ce qu'elles n'ont pas fait, la seule circonstance, au demeurant non démontrée, que l'instauration d'une commission proportionnelle aurait été « de nature à augmenter le coût de la fourniture du service de chèque » étant insuffisante à apporter cette démonstration.

339.C'est encore à juste titre que l'Autorité a retenu que, si la décision initiale prévoyait que la CEIC serait temporaire, elle ne l'a finalement pas été, ce qui fait obstacle à ce que ce caractère puisse être retenu dans l'analyse conduite sur le bénéfice de l'exemption, quand bien même le maintien de la commission a été, par la force des choses, ultérieur à la décision constituant l'accord litigieux.

2. Sur les bilans individuels

340.Afin de conforter les conclusions de son analyse précédemment validée, l'Autorité a examiné le bilan individuel des conséquences de l'instauration de l'EIC pour les banques réalisé par les services d'instruction.

341.Elle a défini pour ce faire une méthodologie consistant à établir la différence entre, d'une part, la perte moyenne de trésorerie par chèque tiré (décision attaquée, § 478 à 495), d'autre part, le gain de trésorerie moyen par chèque remis (décision attaquée, § 496 à 501), différence corrigée par les gains administratifs générés par le passage à l'EIC ainsi que les investissements nécessaires à la mise en place du nouveau système.

342.La perte moyenne correspond, pour chaque banque, au produit du montant moyen des chèques tirés dont elle a été privée aux fins de placement pour son propre compte (T), de la durée de l'accélération du règlement interbancaire (A, exprimée en jours ouvrés) et, partant, du débit des chèques sur les comptes des émetteurs, multiplié par le taux d'intérêt (i) auquel elle pouvait placer ces sommes à son profit. Symétriquement, le gain de trésorerie moyen par chèque remis correspond, pour chaque banque, au produit du montant moyen des chèques remis dont elle a bénéficié aux fins de placement pour son propre compte (R), de la durée de l'accélération du règlement interbancaire et, partant, du crédit des chèques sur les comptes des bénéficiaires (A, exprimée en jours ouvrés), multiplié par le taux d'intérêt journalier auquel elle pouvait placer ces sommes à son profit (i).

343.L'Autorité a ensuite procédé à l'étude de l'impact de l'accélération des échanges interbancaires au paragraphe 514 de la décision attaquée, en retenant les hypothèses d'accélération du règlement interbancaire de 1,4 jour ouvré, c'est-à-dire l'estimation moyenne retenue par la CIR, d'une proportion de particuliers à découvert de 5 %, et d'une part (en valeur) des entreprises optimisant leur trésorerie à l'émission et à la remise de 25 %.

344.Au paragraphe 519 de la décision attaquée, elle a tenu compte de l'argument présenté par les banques selon lequel le nombre d'entreprises optimisant leur trésorerie à l'émission est plus faible que celui des entreprises optimisant leur trésorerie à la remise dès lors, notamment, que la population des entreprises remettantes est différente de celle des entreprises tirées, et comprend notamment les entreprises de la grande distribution, qui disposent généralement d'un service de gestion de trésorerie. Elle a donc réalisé un autre bilan en retenant les mêmes hypothèses que celui du paragraphe 514, excepté la part (en valeur) des entreprises optimisant leur trésorerie à l'émission et la part (en valeur) des entreprises optimisant leur trésorerie à la remise, évaluées dans cette nouvelle estimation respectivement à 10 % et 40 %.

345.Les parties ne contestent pas la méthodologie appliquée mais les données qui ont été retenues par l'Autorité. Elles fondent leurs critiques sur deux rapports de cabinets d'expertise des 22 octobre 2010 et 25 juillet 2016, qu'elles produisent.

346.La cour rappelle, à titre liminaire, qu'il appartient aux parties de rapporter la preuve que les conditions du bénéfice de l'exemption sont remplies et qu'en l'espèce il leur incombe de démontrer qu'au moins l'une d'entre elles pouvait de manière suffisamment réaliste estimer que la mise en 'uvre de l'EIC lui causerait des pertes. À cet égard, il est insuffisant que, comme le relèvent le Ministre chargé de l'Économie et le ministère public, les conclusions de l'analyse de l'expert économiste des parties « ne paraissent pas permettre, en l'état des éléments du dossier, d'exclure la potentialité de pertes qui auraient été subies par la banque Postale et le Crédit Agricole sans l'instauration de l'EIC ».

347.Les parties contestent de nombreuses données retenues par l'Autorité. Elles font valoir que celle-ci n'a pas retenu les mêmes éléments chiffrés que les rapporteurs, puis les a ensuite modifiés dans ses observations devant la cour, toujours en défaveur des parties et au prix d'incohérences. Toutes soutiennent que la décision attaquée n'utilise pas de données cohérentes temporellement, et qu'en appliquant des données cohérentes rétablies par leur expert à la méthode décrite aux paragraphe 514 et 519 de la décision attaquée, le bilan de certaines banques serait négatif au passage de l'EIC sans CEIC.

a) Sur les données retenues

348.S'agissant des paramètres analysés, la Société générale expose que l'Autorité ne pouvait, ainsi qu'elle a fait, conduire son appréciation en corrigeant les éléments que les parties ont utilisés dans leur analyse préalable à l'accord litigieux, car seuls ceux-ci ont déterminé le choix des banques.

349.Ce moyen doit être rejeté, car, si la recherche du caractère effectivement incitatif de la CEIC pour la réalisation du progrès économique que constitue l'EIC doit être menée au regard des seuls éléments dont les banques avaient connaissance au moment où elles ont pris la décision de créer la CEIC, encore faut-il que ces éléments aient pu les conduire à une appréciation légitime et suffisamment réaliste. C'est donc à juste titre que l'Autorité, sous le contrôle de la cour d'appel, a corrigé certaines des hypothèses retenues dans l'appréciation des banques, lorsqu'elle estimait que celles-ci étaient erronées ou incomplètes au regard de ce que devaient comprendre ces bilans.

350.Il est justement précisé, au paragraphe 477 de la décision attaquée, que l'établissement des bilans individuels nécessite la prise en compte de données contemporaines de l'époque des négociations afin de mesurer la réalité des incitations au moment de la conclusion de l'accord litigieux. L'Autorité a indiqué, à ce sujet, dans le même paragraphe, que, pour effectuer les simulations, elle s'est fondée sur les données communiquées par les banques en cause ou, à défaut, a utilisé les données les plus proches de l'année 1999/2000. Elle ajoute qu'en cas d'absence de communication de données, elle a réalisé les bilans sur la base de plusieurs hypothèses. En pratique et dans ce contexte, l'Autorité a retenu, pour le calcul des hypothèses des paragraphes 514 et 519 de la décision attaquée, notamment, des volumes de chèques relatifs à l'année 2002 et, pour effectuer son appréciation sur des données homogènes avec les volumes, des montants moyens datant de l'année la plus proche de 2000, corrigée de l'inflation (décision attaquée, page 99, note de bas de page 28).

351.Ces choix sont critiqués par les parties, qui affirment que, pour les banques Crédit Agricole et La Banque postale, il existait des données cohérentes temporellement (1998, ou 2000, ou 2002), et que, si les données communiquées avaient été retenues, les résultats des bilans individuels de ces deux banques auraient démontré que celles-ci devaient subir des pertes au passage à l'EIC (selon la méthode décrite aux paragraphes 514 et 519 de la décision attaquée).

352.De façon générale, s'il est exact que la cohérence temporelle des données est indispensable pour la pertinence d'analyses telles que celles auxquelles a procédé l'Autorité, il ne peut toutefois lui être reproché d'avoir conduit ses analyses, lorsque les banques en cause ne pouvaient (ou ne souhaitaient) pas transmettre les données pertinentes, en procédant à des projections et des estimations sur la base des données les plus proches temporellement des données communiquées par les parties. Tel a été le cas des sociétés BNP Paribas, Crédit agricole, Le Crédit Lyonnais et Société générale ainsi que de la Confédération nationale du Crédit mutuel, auxquelles les rapporteurs ont proposé, à défaut de données contemporaines des pratiques, qu'elles leur transmettent les valeurs les plus récentes. À ce sujet, la cour relève que toutes les projections utilisées dans la décision attaquée ont été connues des parties et soumises au contradictoire.

353.Par ailleurs, la cour précise que les constats et contestations fondés sur des données de 2002 sont inopérants, dès lors qu'ils s'appuient sur des données postérieures aux pratiques et qui ne pouvaient donc être connues des parties au moment de l'accord litigieux. Il est sans portée sur ce point que l'année 2002 ait été l'année du passage à l'EIC, puisque c'est le 3 février 2000 qu'a été prise la décision et qu'a été constituée la pratique d'entente prohibée.

354.Par ailleurs, il ne peut être reproché à l'Autorité d'avoir retenu, dans la décision attaquée, des données différentes de celles utilisées par les rapporteurs ou le service économique dans leurs rapports préalables à la séance ou lors de la séance, qui étaient contestées par les parties et que l'Autorité a, en conséquence des observations de ces dernières, corrigées par d'autres données contenues dans le dossier. Il ne peut non plus lui être fait grief de présenter des observations qui invoquent des données différentes de celles précédemment retenues dans la décision attaquée pour répondre aux critiques des parties. La cour relève, à ce sujet, que tous les éléments utilisés par les parties et par l'Autorité ont été contradictoirement débattus tant à l'écrit, dans les conclusions et les observations, qu'à l'oral, lors de l'audience.

355.S'agissant plus précisément des bilans des sociétés Crédit agricole et La Banque postale invoqués par les parties, la cour relève que les conclusions de l'expert économique des parties, qui se fondent sur des données corrigées pour rétablir une cohérence temporelle dans la mesure où ces deux banques avaient transmis des données utilisables antérieures à l'année 2000, ne permettent néanmoins pas de conclure que ces deux banques pouvaient de manière suffisamment réaliste envisager qu'elles subiraient des pertes. En effet, les motifs qui seront exposés ci-dessous, conduisent à écarter soit certaines données, soit certaines conclusions retenues par l'expert, faute de pertinence pour la recherche effectuée.

b) Sur le bilan individuel de la société Crédit agricole et la question de la valeur de l'accélération des échanges interbancaires

356.Les parties renvoient à l'étude économique de leur expert économiste, qui démontrerait qu'au moins une banque, la société Crédit agricole, aurait eu un bilan négatif, en utilisant les données de 1998, de 2000 ou de 2002.

357.Elles font valoir que, sur la base de données temporellement cohérentes et tout en conservant les autres hypothèses utilisées par l'Autorité, cette étude démontre que, sans CEIC, la société Crédit agricole aurait subi des pertes annuelles de 0,5 million d'euros (sur la base des données de 1998 et des hypothèses du paragraphe 519 de la décision attaquée), de 0,9 million d'euros (sur la base des données de 2000 et des hypothèses du paragraphe 519 de la décision attaquée) et de 2,4 millions d'euros (sur la base des données de 2002 et des hypothèses du paragraphe 514 de la décision attaquée) ou de 8,1 millions d'euros (sur la base des données de 2002 et des hypothèses du paragraphe 519 de la décision attaquée).

358.L'objection des parties n'est pas fondée. En effet, il ressort des chiffrages de l'expert des parties que l'application des paramètres du paragraphe 514 de la décision attaquée aboutit à un résultat positif de l'application de l'EIC sans CEIC (point 30 page 11 du rapport du 22 octobre 2010). Ce n'est que dans le cadre des hypothèses du paragraphe 519 de la décision attaquée, c'est-à-dire de données corrigées pour modifier les parts en valeur des entreprises optimisant leur trésorerie à l'émission et des entreprises optimisant leur trésorerie à la remise, que le bilan devient alors négatif de moins de un million d'euros. Or cette réserve doit encore être relativisée.

359.En effet, ainsi que le fait observer l'Autorité, les hypothèses du paragraphe 519 de la décision attaquée retiennent une valeur d'accélération de 1,4 jour ouvré qui est probablement surévaluée puisque ne prenant pas en compte une catégorie de remettants dont les chèques encaissés ont vu leur règlement interbancaire avancer plus faiblement que la moyenne retenue. Ces remettants sont en particulier les grands remettants qui, avant le passage à l'EIC, avaient mis en place une organisation leur permettant de présenter les chèques en compensation dès le lendemain de leur présentation et de réduire au maximum le délai d'encaissement. Pour ces derniers, le seul facteur d'accélération se trouvait être la réduction de l'écart entre compensation et règlement interbancaire pour les chèques anciennement hors place. Or, si, ainsi que le précise l'Autorité dans la note de son service économique du 2 mai 2016, on applique aux paramètres du paragraphe 519 de la décision attaquée une valeur d'accélération de 1,2 jour ouvré (au lieu de 1,4) le bilan pour la société Crédit agricole, corrigé par les données de l'expertise des parties, est positif pour cette banque.

360.La critique des parties sur cette modification de la valeur d'accélération, qui reproche à l'Autorité de modifier les paramètres de calcul de façon arbitraire, afin de défendre coûte que coûte ses conclusions, n'est pas fondée. À ce sujet la cour observe que cette question de la surévaluation était déjà évoquée aux paragraphes 491 et 492 de la décision attaquée, qui précisent que « l'accélération du règlement interbancaire a été initialement évaluée entre 1,1 et 1,6 jour ouvré par le groupe de travail restreint de la CIR (cote 924), cette estimation est probablement surévaluée car elle ne prend pas en compte l'existence d'une catégorie de grands remettants, encaissant d'importants volumes de chèques, qui ont bénéficié de l'accélération du règlement interbancaire principalement pour la compensation des chèques ' hors place ' (cf. point 81) (...) », et que les études économiques des parties des 26 mai 2008 et 30 octobre 2009 se fondaient sur l'hypothèse d'une accélération de 1,2 jour ouvré. L'Autorité a encore indiqué dans la décision attaquée que, sur ce point, plusieurs hypothèses seraient testées ce qu'elle a fait, notamment au paragraphe 516, dans le cadre duquel elle précise que le bilan de la méthode du paragraphe 514, qui fait apparaître qu'aucune banque ne devait subir de pertes du fait du passage à l'EIC sans CEIC, est identique si l'on applique une accélération de l,2 jour ouvré au lieu de 1,4.

361.Il s'en déduit que l'Autorité avait, dans la décision attaquée, bien envisagé que l'accélération de l,2 jour ouvré puisse être plus pertinente que celle de 1,4 retenue initialement pour le bénéfice des parties et il ne saurait lui être fait grief de modifier les paramètres de son appréciation pour soutenir la décision attaquée. En outre, l'application, aux hypothèses du paragraphe 519 de la décision attaquée, des données corrigées par l'étude de l'expert des parties d'une accélération de 1,2 jour ouvré du règlement interbancaire au lieu de 1,4 conduit effectivement et de façon justifiée à constater un bilan positif de l'EIC sans CEIC pour la société Crédit agricole.

362.Dans ces circonstances, et compte tenu de ce qui vient d'être observé, il n'est pas démontré que la société Crédit agricole pouvait envisager de manière suffisamment réaliste qu'elle subirait des pertes du fait du passage à l'EIC.

c) Sur le refus de l'Autorité de prendre en compte les pertes liées à l'abandon des dates de valeur

363.Plusieurs parties contestent le refus de l'Autorité de prendre en compte, dans son appréciation des bilans prévisionnels réalisés par les banques, les pertes éventuelles de la société Crédit agricole liées à la disparition des dates de valeur (décision attaquée, § 443). Les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais exposent sur ce point que la jurisprudence de la Cour de cassation n'admet la légitimité des dates de valeur qu'au regard de la justification que constitue les délais d'encaissement. Elles rappellent que le législateur a fixé, à l'article L. 131-1-1 du code monétaire et financier, la date de valeur d'une opération de paiement par chèque libellé en euros en précisant que « [l]a date de valeur d'une opération de paiement par chèque libellée en euros ne peu différer de plus d'un jour ouvré la date retenue pour sa comptabilisation sur un compte de dépôts ou sur un compte de paiement ». Selon elles, la société Crédit agricole était donc fondée à considérer les pertes liées au passage à l'EIC en prenant en compte celles engendrées par la disparition des dates de valeur.

364.Cependant, les dates de valeur, ou jours de banque, se définissent comme le délai entre le mouvement du compte de la banque et le mouvement du compte du client. Ce mécanisme, qui consiste dans l'application d'un décalage temporel entre le moment ou une banque encaisse (ou décaisse) le montant d'un chèque et celui où elle crédite (ou débite) le compte de son client, relève donc de la seule volonté de chaque banque et des relations contractuelles qu'elle a nouées avec sa clientèle. C'est donc à juste titre que l'Autorité a, au paragraphe 443 de la décision attaquée, considéré que cette pratique, « qui relève du libre choix commercial des banques », est indépendante de la vitesse des échanges interbancaires et que sa disparition, qui n'est d'ailleurs pas démontrée, ne constitue pas une conséquence de l'accord pour le passage à l'EIC. La jurisprudence et le texte cités par les parties et rappelés ci-dessus, qui ne concernent que la mesure dans laquelle est admise la pratique des dates de valeur, sont sans portée sur le bien-fondé de l'analyse de l'Autorité sur ce point, dès lors que la pratique des dates de valeur est demeurée en dépit de cette jurisprudence.

365.Les moyens sont en conséquence rejetés.

d) Sur les gains administratifs

366.Les parties contestent le montant des gains administratifs, estimé à 2,7'centimes d'euros par chèque traité dans la décision attaquée (§ 507 et s.), montant obtenu en divisant le montant de 600'millions de francs, soit 90 millions d'euros par an, pour l'ensemble du secteur bancaire (chiffrage des gains administratifs de l'ensemble du secteur bancaire effectué par la Confédération nationale du Crédit mutuell) par le nombre annuel total de chèques tirés interbancaires. Elles renvoient sur ce point à l'étude économique de leur cabinet d'expertise du 22 octobre 2010, qui, au point 40, affirme que ce chiffre est ambigu, car il n'est pas précisé s'il tient compte des économies propres à la Banque de France, et qu'une correction de cette ambiguïté amènerait le montant des gains administratifs à 2,25'centimes'd'euros, au lieu de 2,7.

367.Toutefois, la supposition que le chiffrage de la Confédération nationale du Crédit mutuel aurait intégré les économies propres à la Banque de France n'est pas démontrée. De plus, l'évaluation de 2,7 centimes d'euros ne concerne que les six banques (Banques Populaires, BNP Paribas, Caisses d'épargne, Le Crédit industriel et commercial, Crédit du Nord et HSBC France) qui n'ont fourni aucun chiffrage interne, contraignant ainsi l'Autorité à procéder elle-même à cette évaluation. Cette dernière est, en outre, cohérente avec les chiffrages internes de leurs économies de traitement par les banques qui ont transmis leurs données dans le cadre de l'instruction, soit 2,3 centimes d'euros pour la société La Banque postale, 2,6 centimes d'euros pour la Confédération nationale du Crédit mutuel et 3,2' centimes d'euros pour les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais. La critique développée par les parties contre cette évaluation pertinente n'est donc pas fondée.

368.De plus, afin d'exclure tout doute, l'Autorité a, dans la note de son service économique du 2 mai 2016 jointe à ses observations (point 39), recalculé les bilans individuels des six banques concernées en appliquant un montant de 2,25'centimes d'euros, calcul qui démontre qu'en appliquant la méthode du paragraphe 514 de la décision attaquée, toutes ont un bilan positif, ce qui est aussi le cas en appliquant la méthode du paragraphe 519, à l'exception de la société HSBC France dont le bilan est alors négatif. Toutefois cette observation, qui ne concerne qu'une hypothèse de calcul prenant en compte une vitesse d'accélération à 1,4 jour, alors que celle de 1,2 jour est validée par la cour, ne saurait conduire, à elle seule, à rapporter la preuve qu'au moins une des banques majoritairement tirées en cause pouvait de manière suffisamment réaliste estimer que la mise en 'uvre de l'EIC lui causerait des pertes. Au surplus et enfin, la cour observe que la société HSBC France étant une banque majoritairement remettante, l'existence de pertes liées au passage à l'EIC, ne pouvait à son égard justifier la mise en place d'une commission, laquelle ne faisait qu'accroître les pertes des banques remettantes.

e) Sur les données concernant les gains administratifs de la société La Banque postale

369.Les parties soutiennent que le calcul des gains administratifs de la société La Banque postale par l'Autorité est erroné et qu'en utilisant les données que cette banque avait fournies lors de l'instruction, son bilan du passage à l'EIC sans CEIC était négatif. Elles s'appuient sur l'étude du cabinet d'expertise du 22 octobre 2010, qui indique, au point 37, qu'en appliquant les données fournies par la société La Banque postale à la méthode de l'Autorité décrite aux paragraphes 514 et 519 de la décision attaquée le bilan aurait été négatif.

370.Le service économique de l'Autorité, aux points 44 à 46 de sa note du 2 mai 2016, jointe aux observations, soutient que les chiffres utilisés dans la décision attaquée concernant la société La Banque postale sont issus des données internes de celle-ci que l'Autorité a dû retraiter, car les données transmises tiennent compte de deux paramètres, d'une part, les économies dans le traitement standard des chèques, d'autre part, les transferts de charges du fait de la non-circulation physique du chèque (à l'origine des CSC), lesquelles n'auraient pas dû y figurer.

371.Il n'est pas sérieusement contesté que, ainsi qu'il est observé aux points 45 et suivants de la note du service économique de l'Autorité du 2 mai 2016, les montants fixés pour les CSC sont, pour la société La Banque postale, supérieurs aux coûts des prestations correspondantes. Ainsi, par exemple, s'agissant des chèques impayés, la commission est de 30 % supérieure aux coûts (l'extraction des impayés et l'établissement des avis et attestation de rejet coûtait à la société La Banque postale environ 15,3 francs par impayé, tandis que le niveau de CSC correspondante était de 20 francs), ou encore la commission pour chèques circulants a été surévaluée de façon à être dissuasive (décision attaquée, § 586). Or la société La Banque postale doit en payer plus qu'elle n'en reçoit, ce qui a pour conséquence que le déficit lié à l'établissement des CSC accroît de manière artificielle les pertes de cette banque. Dans cette situation, intégrer les CSC dans le calcul du bilan du passage à l'EIC revient à faire compenser le montant élevé de ces commissions par la CEIC et, ainsi que le soutient à juste titre l'Autorité dans la note de son service économique, il ne serait pas justifié d'instaurer un mécanisme tel que la CEIC, dont l'objectif n'est que de compenser les pertes de trésorerie générées par la perte du « float », pour remédier au niveau trop élevé des CSC pour les banques majoritairement tirées. Sur ce point, le fait que les CSC aient, à l'exception des commissions AOCT, été considérées comme proportionnées à leur coût moyen et au progrès économique qu'elles ont permis, est sans portée sur le constat d'une éventuelle surévaluation par rapport à leurs coûts réels. C'est en conséquence à juste titre que l'Autorité a refusé de prendre en compte les CSC dans le calcul des bilans individuels des banques, et notamment de la société La Banque postale, pour déterminer la nécessité de la CEIC. Les moyens développés sur ce point doivent donc être rejetés.

f) Sur le montant des gains administratifs de la société La Banque postale

372.Les parties contestent encore le montant des gains administratifs de la société La Banque postale, estimé selon elles de façon arbitraire et non justifiée par l'Autorité à 10'millions d'euros. Elles renvoient à la réponse de leur expert économique du 25 juillet 2016, selon laquelle l'utilisation d'un autre montant, « (...) ni plus ni moins arbitraire, de 8'millions d'euros par exemple conduirait à un bilan négatif du passage à l'EIC pour La Poste sous certaines des hypothèses retenues par le [service économique] lui même » (point 14 ).

373.La note du 2 mai 2016 du service économique de l'Autorité précise, au point 46, sans être contestée, que, hors opérations connexes, les gains administratifs pour la société La Banque postale résultaient de deux postes de coûts :

' 5,5 millions d'euros de disparition de séance de compensation ;

' le poste « Lecture LT, corrections, impayés extraction » d'un montant total de 9,1 millions d'euros par an, composé lui-même de trois postes dont le dernier correspond à une CSC dont le montant est non connu mais représente en tout état de cause une part négligeable de l'ensemble du poste par comparaison avec les données déclarées par d'autres banques (Société Générale, Crédit mutuel, Crédit agricole et Le Crédit lyonnais).

374.Il s'en déduit que les gains administratifs pour la société La Banque postale sont au minimum de 5,5 millions d'euros et de 14,6 millions d'euros au maximum (5,5 + 9,1).

375.Au regard de la part négligeable du montant du sous-poste d'impayés extraction, le montant d'évaluation de 10'millions d'euros des gains administratifs de la société La Banque postale retenu par l'Autorité est justifié et non arbitraire ; elle apparaît au contraire comme une hypothèse minimale, « conservatrice » et en tout état de cause favorable aux parties.

376.Le moyen doit donc être rejeté.

g) Sur l'incohérence entre les montants de chèques émis et tirés

377.Le rapport d'expertise du 22 octobre 2010, produit par les parties a mis en évidence qu'il existe une différence entre les montants totaux de chèques remis et de chèques tirés, utilisés pour les évaluations des bilans individuels des banques, ce qui démontre qu'une erreur affecte ces totaux puisque si, pour chaque banque le nombre de chèques émis et tirés n'est pas nécessairement en équilibre, cela doit être le cas au niveau de l'ensemble des banques. Ces montants ont été évalués par projection par l'Autorité, à laquelle toutes les banques n'ont pas fourni les informations nécessaires à l'établissement de ces données.

378.L'Autorité, qui renvoie sur ce point aux développements du paragraphe 29 de la note de son service économique du 2 mai 2016, reconnaît avoir commis une erreur dans la retranscription du montant moyen de chèques remis pour les Banques Populaires (558 euros par chèque remis au lieu de 386).

379.Toutefois, la rectification de cette erreur ne neutralise pas l'écart entre les montants. Les parties font valoir que l'écart non contesté altère la crédibilité des calculs que l'Autorité a effectués pour évaluer les bilans. Elles s'appuient à cet égard sur leur expertise économique du 22 octobre 2010, qui, dans son tableau 13 (page 38) démontre le déséquilibre.

380.De façon générale et contrairement à ce que soutient la société BPCE, ce constat n'est pas de nature à disqualifier l'analyse de l'Autorité, qui a procédé avec les éléments qui lui avaient été communiqués par les parties. De plus, l'évaluation peut être menée en neutralisant l'écart constaté.

381.Afin que chaque banque puisse faire l'objet d'un traitement égal dans l'évaluation de son bilan, l'Autorité propose de neutraliser l'écart avec la méthode qui consiste à corriger uniquement les montants de chèques remis réduits de 10,3 % pour les amener au niveau des montants tirés.

382.Les parties contestent cette méthode, qui, selon elles, leur est défavorable. Elles ne le démontrent toutefois pas. En effet, le seul constat, invoqué par la société BPCE, que le résultat de cette méthode, appliquée aux hypothèses de calcul du paragraphe 519 de la décision attaquée avec un montant de gains administratifs de 2,25 centimes d'euros au lieu de 2,27 (montant non validé par la cour), conduit à identifier des pertes de trésorerie pour une banque majoritairement tirée, la Caisse d'épargne, ne saurait à lui seul conduire à justifier ou à rejeter cette méthode de rectification.

383.Les parties proposent un moyen de correction alternatif présenté par leur expert économiste, qui consiste à augmenter uniformément le montant moyen des chèques tirés de 11, 5 % pour l'amener au montant moyen des chèques remis ou encore à envisager une solution intermédiaire que l'expert ne précise pas.

384.Cependant cette méthode n'apparaît pas plus justifiée que celle contestée par les parties de réduire le montant des chèques remis.

385.L'Autorité, par la note de son service économique, propose de neutraliser l'écart par une troisième méthode consistant en une correction homogène des montants moyens des chèques tirés et remis (-5,4 % sur les chèques remis et +5,4% sur les chèques tirés). Cette méthode intermédiaire des deux thèses opposées des parties et de l'Autorité, qui permet de neutraliser l'écart constaté de façon homogène, est pertinente et il convient de la retenir.

386.Les résultats ressortant de l'application de ces ajustements font apparaître qu'une banque (HSBC France) aurait un bilan négatif avec les paramètres du paragraphe 514 de la décision attaquée et que trois banques (Le Crédit industriel et commercial, HSBC France et Société générale) auraient un bilan négatif avec les paramètres du paragraphe 519.

387.Toutefois, compte tenu du fait que ces trois banques sont majoritairement remettantes, ce qu'elles ne contestent pas, ces bilans ne sont pas de nature à expliquer l'incitation qu'elles auraient eue à la mise en place de la CEIC pour accepter le passage à l'EIC. En effet, ainsi qu'il a été relevé précédemment (§ 317), cette commission visant à compenser les pertes des banques majoritairement tirées ne pouvaient qu'accroître les pertes des banques majoritairement remettantes, ainsi que le démontre d'ailleurs les résultats des tableaux 1 et 2, en page 10 de la note du service économique de l'Autorité du 2 mai 2016.

388.Il s'en déduit que le lissage de l'écart entre les montants de chèques émis et tirés n'est pas de nature à mettre en évidence la nécessité de la CEIC.

h) Sur les conséquences liées au comportement d'optimisation des clients des banques

389.Dans la recherche de l'évaluation de la perte de trésorerie moyenne par chèque tiré, aux paragraphes 479 et suivants de la décision attaquée, l'Autorité a tenu compte de l'optimisation de trésorerie des entreprises clientes des banques. Elle expose à ce sujet que, s'agissant des banques tirées, l'accélération du règlement interbancaire n'a pas induit de pertes de trésorerie concernant, d'une part, les chèques des clients en découvert, d'autre part, les chèques des clients qui optimisent leur trésorerie, c'est-à-dire qui approvisionnent leur compte au dernier moment avant le débit du chèque. En effet, la banque ne peut, dans ces deux cas, placer les sommes concernées. Elle précise que le dernier cas concerne essentiellement les entreprises clientes des banques et observe que ces deux situations n'ont pas été prises en compte par les travaux de la CIR. L'Autorité observe encore, au paragraphe 485 de la décision attaquée, que les parties n'ont produit aucun élément probant ni, pour la plupart d'entre elles, aucune hypothèse propre, permettant d'évaluer, pour chacune des banques, la proportion des entreprises clientes émettrices (ou remettantes) de chèques optimisant leur trésorerie. À l'argument développé par les études économiques produites par les parties et selon lesquelles il n'est pas possible pour les émetteurs de chèque d'optimiser leur trésorerie, notamment, parce qu'ils ne peuvent pas prévoir à l'avance si le chèque émis sera interbancaire ou intrabancaire (et donc débité plus tôt), elle objecte, au paragraphe 487 de la décision attaquée, que l'optimisation de trésorerie à l'émission peut toutefois être effectuée, par exemple, lorsque l'entreprise négocie avec sa banque une date de valeur à l'émission postérieure à la date de règlement, ou si elle émet un fort volume de chèques, au moyen de l'utilisation d'outils statistiques de gestion de trésorerie permettant d'évaluer la date prévisionnelle des débits. Enfin, au paragraphe 489 de la décision attaquée, l'Autorité précise que, pour répondre à l'objection des parties, plusieurs hypothèses seront testées pour l'estimation du bilan individuel, ce qu'elle fait dans les hypothèses énoncées aux paragraphes 514 et 519 de la décision attaquée, le premier retenant une part d'entreprises optimisatrices à la remise comme à l'émission de 25 %, le second modifiant cette hypothèse pour tenir compte de l'argument des parties et fixant une part en valeur de 10 % pour les entreprises optimisant leur trésorerie à l'émission et de 40 % pour celles optimisant leur trésorerie à la remise.

390.La société BPCE conteste la méthode de prise en compte de l'optimisation par les clients adoptée par l'Autorité. Elle objecte à ce titre, d'une part, que les chiffres retenus dans la décision attaquée sont tout à fait inédits et ne correspondent à aucune des hypothèses proposées par les parties ou les rapporteurs dans le cadre de la procédure d'instruction, sans que la décision attaquée apporte d'explication à ce titre, d'autre part, que l'utilisation d'un chiffre générique pour tous les établissements bancaires conduit à biaiser le calcul du bilan pour chacune des banques qui ont chacune un profil de type de clientèles différents et, enfin, que l'Autorité ne définit à aucun moment le périmètre retenu pour quantifier le pourcentage d'entreprises susceptibles d'optimiser leur trésorerie, alors que cette définition est un préalable indispensable.

391.La cour constate que les parts du bénéfice de l'accélération de l'encaissement dont auraient bénéficié les banques remettantes et leurs clients ont été discutées durant la phase contradictoire et que la plupart des banques en cause n'ont pas répondu aux demandes de données des rapporteurs. Il ne saurait, dans ces circonstances, être reproché à l'Autorité d'avoir, dans la décision attaquée, tranché cette question et fixé ces parts pour lesquelles elle a d'ailleurs testé plusieurs hypothèses (§ 514 et 519). Sur ce point, la cour relève que les parties n'apportent aucun élément qui permettrait de constater que la part d'entreprises optimisatrices dans leur clientèle propre aboutirait à des résultats différents de ceux qui ont été retenus.

392.Par ailleurs, s'agissant d'une estimation et de projections auxquelles l'Autorité a, faute de données produites par les parties, procédé en l'espèce, c'est à juste titre et de manière pertinente qu'elle a estimé, au paragraphe 484 de la décision attaquée, que l'optimisation de trésorerie est effectuée par les seules grandes entreprises qui disposent d'un service de gestion de trésorerie. Les parties ont communiqué, au cours de la procédure, la répartition, en valeur, des chèques tirés entre entreprises et particuliers, mais, à l'exception de la société BNP Paribas qui n'en tire aucun moyen, aucun élément sur la proportion d'entreprises valorisant leur trésorerie. Il ne peut, dans ces circonstances, être reproché à l'Autorité d'avoir utilisé un chiffre générique pour tous les établissements bancaires, dès lors que ceux-ci ne lui ont pas donné les éléments lui permettant d'adapter les paramètres retenus aux profils de type de clientèles différents.

393.Les parties renvoient aux critiques énoncées dans le rapport de leur expert économique, qui indique que les hypothèses retenues dans la décision attaquée reviennent à supposer que les banques se seraient appropriées 70 à 80 % des bénéfices de l'accélération côté remettant. Elles estiment que cette hypothèse ne se fonde pas sur des éléments chiffrés objectifs et qu'elle peut être discutée, car un client, même imparfaitement optimisateur, s'approprierait nécessairement une part significative du bénéfice de l'accélération permise par l'EIC.

394.Toutefois, ce grief n'est pas fondé. En effet, l'exemple donné par l'expert se borne à envisager une situation théorique pour laquelle, dans un cas sur trente, l'optimisateur profite de l'accélération au détriment de la banque, alors que celle-ci profite de l'accélération dans tous les autres cas, mais ne démontre pas que les clients optimisateurs, même s'ils le sont faiblement, seraient plus nombreux à accaparer le bénéfice de l'accélération de l'encaissement au détriment des banques. À ce sujet, la cour relève que la conclusion à laquelle aboutit l'expert au point 3/25 (cité par la note du service économique de l'Autorité du 2 mai 2016, page 17), selon laquelle les remettants faiblement optimisateurs bénéficieraient « très vraisemblablement » de l'essentiel de l'accélération de l'encaissement est contredite par la conclusion du paragraphe précédent selon laquelle « (...) [u]ne accélération d'une journée (...) profiterait à la banque remettante 29 fois sur 30 (...) », c'est-à-dire plus de 96 % des cas.

395.En tout état de cause, aucune requérante ne rapporte la preuve que la proportion de clients optimisateurs serait plus importante que celle retenue par projection dans la décision attaquée. Or, s'agissant d'un élément destiné à démontrer que les banques en cause auraient subi des pertes du fait de la mise en place de l'EIC, ce dont il découlerait que la CEIC aurait été une incitation nécessaire au progrès économique que constitue l'EIC, la charge de la preuve de ce que la part des clients optimisateurs serait plus importante que celle retenue dans la décision attaquée incombe aux requérantes.

396.La société La Banque postale n'est, pour sa part, pas fondée à soutenir que, même en appliquant les paramètres d'optimisation retenus par l'Autorité, elle aurait un bilan négatif dès lors qu'elle applique ces paramètres d'optimisation aux autres données sur lesquelles elle a établi le bilan invoqué, mais dont certaines ont été écartées à juste titre par l'Autorité (valeur d'accélération, date des données et prise en compte des CSC).

i) Sur le refus de l'Autorité de prendre en compte les investissements

397.La société BPCE reproche à l'Autorité d'avoir refusé de prendre en compte les investissements réalisés pour le passage à l'EIC dans les bilans individuels. Elle expose que ce refus est contraire aux lignes directrices concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité. Elle fait valoir que l'Autorité ne pouvait se fonder sur le fait que les banques n'auraient fourni aucune évaluation des montants des investissements réalisés dans le cadre de la mise en place de l'EIC, alors qu'elle relève dans la même phrase que ce constat ne vaut qu'à l'exception des sociétés Le Crédit lyonnais, BNP Paribas, HSBC France et des Banques Populaires.

398.La cour relève toutefois que ce grief pris de la contradiction interne de la décision attaquée manque en fait. En effet, si l'Autorité a indiqué, au paragraphe 504 de la décision attaquée, que, « à l'exception de LCL (investissements totaux de [75 ' 100 millions de francs], amortis dans une fourchette annuelle de [25 ' 50 millions de francs] cote 36523), BNP Paribas, HSBC et des Banques Populaires », les parties n'ont fourni aucune évaluation des investissements qu'elles avaient consenti à l'occasion du passage à l'EIC, elle précise toutefois dans la suite de sa phrase que les évaluations des trois dernières, soit les sociétés BNP Paribas, HSBC France et Banques Populaires n'étaient assorties d'aucun élément justificatif.

399.C'est ensuite par une juste motivation, que la cour adopte, que l'Autorité a considéré, au paragraphe 505 de la décision attaquée, que la prise en compte des investissements ne pourrait être intégrale et devrait en tout état de cause être réduite du montant net des investissements qui auraient dû être réalisés si l'EIC ne s'était pas concrétisé. Elle a relevé de manière pertinente sur ce point que, sans passage à l'EIC, la duplication du système d'échange papier pour le besoin des chèques en euros aurait été nécessaire pendant la période de coexistence des deux monnaies, ce qui aurait été onéreux. Or, faute d'éléments justifiant le montant des investissements prétendus, cette analyse ne pouvait, et ne peut à ce jour, être réalisée. La cour relève à ce sujet qu'il n'est, en outre, pas soutenu que les pièces fournies par la société Le Crédit lyonnais auraient été suffisantes à rapporter la preuve de ses investissements.

j) Sur le cas des Caisses d'épargne invoqué par la société BPCE

400.La société BPCE soutient que le rapport de l'expert économique qu'elle a produit dans le cadre de l'instruction démontre que les Caisses d'Epargne auraient subi des pertes à la suite du passage à l'EIC sans CEIC.

401.C'est cependant à juste titre que l'Autorité a, dans la décision attaquée, rejeté les prétentions des parties sur ce point, dès lors qu'elles s'appuyaient sur des données datant de 2002 à 2006. Par ailleurs, la cour renvoie aux motifs développés précédemment, par lesquels elle a rejeté les critiques des parties sur divers points de l'analyse de l'Autorité. Enfin, la cour relève que la note du service économique de l'Autorité jointe à ses observations n'admet pas, contrairement à ce que soutient la société BPCE, que le bilan du passage à l'EIC serait, négatif pour les Caisses d'Epargne.

402.Il se déduit de l'ensemble de ce qui précède que les moyens développés par les parties pour contester que les bilans individuels des banques confortent le constat qu'à la date de l'accord litigieux, les parties ne pouvaient pas de manière suffisamment réaliste considérer qu'elles subiraient des pertes nettes du fait du passage à l'EIC, ne sont pas fondées. À ce titre, il est inopérant de soutenir que les rapporteurs auraient, lors de la séance, soutenu que, « sous certaines hypothèses », la société La Banque postale « avait un bilan négatif ». À ce sujet, la cour relève que, si la note du service économique de l'Autorité jointe à ses observations indique que « (...) [c]e n'est que dans le cadre des hypothèses retenues au paragraphe 519 de la décision, que le bilan du Crédit agricole sans CEIC est légèrement négatif (...) », elle précède cette observation de la précision que celle-ci « ressort de chiffrages des parties » et la complète en indiquant qu'en outre, les montants moyens des chèques utilisés par cette banque sont surestimés et conduisent à dégrader son bilan.

403.Les moyens des parties contestant la décision attaquée sur l'exemption de la CEIC sont rejetés.

Sur les commissions AOCT

404.La cour rappelle que, s'agissant des CSC, l'Autorité a estimé (décision attaquée, § 532 à 579), qu'il était nécessaire que les banques prenant part aux opérations de compensation s'accordent sur les modalités de répartition des frais ou de compensation des services rendus par l'une d'entre elles à une autre. Elle a, en outre, retenu qu'en compensant les coûts engagés par une banque à raison d'une opération initiée par un autre établissement bancaire ou par son client, et donc en transférant la charge financière aux personnes à l'origine de la transaction, ces commissions permettaient, notamment, « d'inciter les acteurs du système de paiement par chèque à éliminer les erreurs ou les incidents de paiement dont ils sont à l'origine, puisqu'ils doivent en assumer la charge financière, et, partant, à encourager une utilisation efficiente de ce moyen de paiement » (décision attaquée, § 537). Elle a estimé que le caractère indispensable des CSC afin d'obtenir des gains d'efficacité attendus était établi (décision attaquée, § 555). Puis, examinant les montants de chacune de ces commissions au regard de leurs coûts, elle a estimé, qu'à l'exception des commissions AOCT, elles étaient proportionnées et pouvaient justifier en conséquence le bénéfice de l'exemption.

405.La cour examinera donc la question des exemptions pour les seules commissions AOCT.

406.Les commissions AOCT ont vocation à compenser les charges supportées par les banques, lorsqu'elles effectuent la contre-passation d'une opération initiale émise à tort. L'Autorité a relevé que leur montant avait été fixé par analogie avec les mêmes commissions relatives à d'autres moyens de paiement, ce qui n'est pas contesté. En l'absence de fixation de ce montant en fonction de critères objectifs reposant sur les coûts des services rendus, elle a considéré que ce montant n'était pas proportionné et que les commissions n'étaient pas susceptibles de bénéficier de l'exemption.

407.Les parties contestent cette analyse.

408.Plusieurs d'entre elles soutiennent qu'en exécution de l'injonction prononcée à l'article 5 de la décision attaquée, qui, pour mémoire, leur a imposé de procéder à la révision du montant des commissions AOCT, dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision attaquée et d'en « fixer le montant sur la base du coût de traitement des opérations AOCT auquel parvient la banque la plus efficace, tel que vérifié par une étude de coûts réalisée auprès d'un échantillon représentatif de banques et vérifiée par un expert indépendant », elles ont fait procéder à cette étude par un cabinet indépendant. Or cet expert a conclu que, selon les options qu'il a défini pour caractériser « la banque la plus efficace », le coût unitaire le plus bas pour les opérations d'annulation d'image chèque ou de rejet image chèque s'établit à 0,87 euros ou à 1,48 euros par opération, ce qui excède le taux des commissions AOCT que l'Autorité a sanctionné et qui était de 0,61 euros. Elles en déduisent que cette expertise démontre que le taux n'était pas disproportionné et que, dans ces conditions, puisque les commissions AOCT remplissent toutes les autres exigences de l'octroi du bénéfice de l'exemption, celui-ci doit leur être accordé.

409.Toutefois la cour relève que cette expertise, réalisée par les parties en exécution de l'injonction prononcée par l'Autorité à l'article 5 de la décision attaquée, a été réalisée en 2011, soit sur la base de données qui ne sont pas contemporaines des pratiques et de leur mise en 'uvre ; cette expertise ne démontre en conséquence pas qu'à la date des pratiques, le montant des commissions AOCT était proportionné.

410.Les sociétés Le Crédit lyonnais et Crédit agricole soutiennent aussi que les commissions AOCT correspondaient davantage à une indemnisation pour la charge générée par une opération réalisée à tort par une autre banque, ainsi qu'à une sanction du participant au système qui compense à tort des opérations. Dans ces conditions, selon elles, les coûts de service n'avaient pas à être étudiés.

411.La cour relève toutefois qu'il n'est pas contesté que les commissions AOCT ont été fixées par seule référence au montant de la même commission fixée pour d'autres moyens de paiement et sans aucune étude des charges générées par une opération réalisée à tort, ni de ce que pouvait représenter une sanction pour l'auteur d'une telle compensation. Il est en conséquence impossible de déterminer le caractère proportionné de cette commission au regard du progrès économique réalisé. Les circonstances, invoquées par plusieurs parties, que le nombre d'opérations annulées à la suite d'erreurs a été sensiblement réduit entre 2002 et 2006, ou que les commissions AOCT sont identiques pour tous les moyens de paiement, sont sur ce point inopérantes, aucun élément ne démontrant que les coûts de ces annulations seraient identiques et que, de ce fait, les commissions AOCT auraient été proportionnées aux coûts ainsi qu'aux objectifs de réparation et d'incitation poursuivis. Sur ce dernier point, la cour relève que c'est à juste titre que l'Autorité observe que le montant d'une commission ne saurait être fixé à un montant arbitraire sous le prétexte qu'elle remplirait un objectif dissuasif.

412.De même, il importe peu que les coûts soient difficiles à mesurer exactement ou qu'il existe plusieurs estimations possibles comme le souligne la société BNP Paribas, en se référant à l'expertise précitée, postérieure à la décision attaquée, dès lors qu'en tout état de cause aucune étude des ces coûts n'a été effectuée.

413.En outre, contrairement à ce que soutient la société Crédit du Nord, la proportionnalité exigée par la jurisprudence et recherchée par l'Autorité dans la décision attaquée devait être examinée aussi bien au regard des coûts des opérations que des bénéfices de réduction des erreurs et d'indemnisation des opérateurs concernés. En l'absence du moindre examen, ne serait-ce que des coûts, c'est à juste titre que l'Autorité a considéré que la condition de proportionnalité n'était pas remplie.

414.Enfin, le faible impact des commissions AOCT, invoqué par la société BNP Paribas ainsi que la critique développée par cette requérante sur le caractère présumé du dommage à l'économie, relèvent de ce paramètre qui sera examiné ultérieurement dans le cadre de l'examen des moyens sur les sanctions.

415.Il se déduit de l'ensemble de ce qui précède que les moyens des parties relatifs à l'exemption des commissions AOCT sont rejetés.

III. SUR LES SANCTIONS

A. Sur le principe même de l'imposition d'une sanction pécuniaire

416.Plusieurs requérantes contestent le principe même d'une sanction pécuniaire. À cet égard, elles font valoir qu'il est difficile de qualifier les pratiques en cause au regard du droit de la concurrence et que les autorités de concurrence n'avaient, jusque-là, prononcé aucune sanction pécuniaire dans des cas analogues. Elles ajoutent qu'elles avaient reçu des garanties des pouvoirs publics et que la pratique a eu un bilan favorable pour les consommateurs.

1. La difficulté de qualifier les pratiques au regard du droit de la concurrence

417.Les requérantes font valoir qu'en l'état de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence applicables lors des négociations de l'accord du 3 février 2000, elles ont pu légitimement considérer que l'instauration de la CEIC était conforme au droit de la concurrence. Elles exposent, en particulier, que les autorités de concurrence n'avaient jamais affirmé que les commissions interbancaires multilatérales étaient anticoncurrentielles par objet, qu'elles acceptaient de les exempter et qu'elles ne s'étaient jamais prononcées sur une commission de nature compensatoire telle que la CEIC. Elles ajoutent que la qualification de restriction de concurrence était au contraire fonction des effets des commissions sur les tarifs appliqués à la clientèle et que, lorsque de telles commission avaient été qualifiées au regard du droit des ententes, elles avaient bénéficié d'une exemption.

418.Dans ces circonstances d'absence de pratique des autorités de concurrence quant au caractère restrictif des commissions interbancaires il aurait été, selon certaines d'entre elles, justifié de ne pas prononcer de sanction pécuniaire, comme l'a décidé le Tribunal de l'Union dans l'arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission (T-191/98 et T-212/98 à T-214/98).

419.Certaines requérantes ajoutent que leur appréciation de la licéité de la CEIC au regard du droit de la concurrence a été confortée par la position prise par la DGCCRF, qui, informée de l'ensemble du projet EIC dans toutes ses composantes techniques et économiques dès son entrée en vigueur, n'a diligenté aucune enquête.

***

420.L'affirmation selon laquelle les commissions interbancaires n'avaient jamais posé de difficultés quant à leur compatibilité avec les dispositions nationales et européennes relatives aux ententes anticoncurrentielles n'est pas exacte.

421.En effet, ainsi que l'a relevé l'Autorité aux paragraphes 659 et 660 de la décision attaquée, de telles commissions avaient déjà été sanctionnées par le Conseil de la concurrence, dans une décision n° 88-D-37 du 15 octobre 1988, et par la Commission européenne, dans une décision du 25 mars 1992 (IV/30.717-A - Eurocheque: accord d'[Localité 3] 92/212/CEE), laquelle a été confirmée partiellement par un arrêt du Tribunal de l'Union du 23 février 1994, Groupement des cartes bancaires « CB » et Europay International/Commission (T-39/92 et T-40/92).

422.De plus, la Commission européenne a précisé, au point 40 de sa communication du 27 septembre 1995 relative à l'application des règles de concurrence de la Communauté européenne aux systèmes de virement transfrontaliers, que « (...) tout accord sur une commission interbancaire multilatérale est une restriction de la concurrence relevant de l'article 85 paragraphe 1, car il limite de manière importante la liberté des banques d'établir individuellement leur politique de tarification. Cette restriction risque en outre de fausser le comportement des banques vis-à-vis de leurs clients. (...) ».

423.En outre, ces principes ont été appliqués par la Commission européenne dans la décision GSA du 8 septembre 1999 (1999/687/CE), et ce n'est que parce que la commission interbancaire en cause n'était pas de nature à affecter le commerce entre États membres et que l'accord lui avait été notifié, qu'elle a décidé de ne pas intervenir en application de l'article 81, paragraphe 1, du traité CE.

424.La Cour observe à ce sujet que la décision de la Commission européenne du 10 décembre 1984, dans l'affaire Eurochèques uniformes, aff. IV/30.717, citée par la société HSBC France, précise au point 33 que « [l]es accord et décisions établis dans le cadre du système Eurochèque qui ont pour objet de fixer le prix d'un service constituent une entente explicitement visée par l'interdiction édictée par l'article 85 paragraphe 1 du Traité CEE. Ils ont pour effet d'empêcher la concurrence entre les banques de tous pays et notamment de tout État membre, pour l'encaissement d'Eurochèques uniformes tirés sur des banques d'autres pays. (...) ». Si cet accord n'a pas été sanctionné, c'est parce qu'il a bénéficié d'une exemption au titre du paragraphe 3 de l'article 85 du traité CEE (devenu l'article 101 du TFUE).

425.Il en est de même s'agissant de la décision de la Commission européenne du 12 décembre 1986, ABI, aff. IV/31.356, citée par la même requérante, dans laquelle la Commission européenne a énoncé, au point 36, au sujet des commissions interbancaires en paiement de services rendus qui lui avaient été notifiées, que « la fixation de la rémunération constitue une restriction de concurrence en ce sens que la liberté des banques de déterminer le prix de la prestation tant du côté de l'offre que de la demande se trouve éliminée. En outre, une telle fixation pourrait, indirectement, influencer aussi la fixation des conditions à l'égard des clients et, donc, limiter la liberté des banques de déterminer les prix à payer par leurs clients ». Puis, la Commission européenne a considéré que les accords en cause n'affectaient pas de façon sensible le commerce entre États membres et ne les a dès lors pas retenu comme relevant du droit communautaire. Cette décision précise aussi au point 42 que trois autres accords qui lui étaient soumis « (...) restreignent, voire éliminent la liberté des membre de l'ABI [association des banques italiennes ] de déterminer individuellement la rémunération des services bancaires demandés ou offerts. Chaque membre de l'ABI, qu'il soit une banque qui demande le service ou une banque à laquelle il est demandé de fournir le service, doit respecter les commissions et les dates de valeur indiquées par les accords. La concurrence sur un élément essentiel de comportement commercial des banques, c'est-à-dire le prix, est empêchée de jouer normalement. Cette fixation de commissions et des dates de valeur influence les possibilités pour les participants de décider les conditions qu'ils entendent réserver à leur clientèle, en fonction de leur situation interne de rentabilité ' notamment du prix de revient des opérations ', de leur spécialisation et de leur politique commerciale (...) ». Si la Commission européenne a ensuite accordé une exemption à ces accords au regard de leur contribution à un progrès économique en application de l'article 85, paragraphe 3 du traité CEE (devenu, depuis, l'article 101 du TFUE), cette décision était tout à fait claire sur l'entrave à la libre concurrence que constituent les commissions interbancaires et il ne peut être soutenu que de telles commissions n'avaient jamais posé de difficultés.

426.Ainsi, les parties étaient parfaitement renseignées sur le caractère anticoncurrentiel des commissions interbancaires que l'autorité nationale avait déjà affirmé dans la décision n° 88-D-37 du 15 octobre 1988 et que les autorités communautaires avaient maintes fois répété.

427.Le fait que les pratiques concernées par ces espèces aient fait l'objet d'exemptions ne permettait pas de considérer que toutes les commissions interbancaires, quelles qu'elles soient, bénéficiaient d'un principe d'exemption, d'autant que, d'une part, ces exemptions ont été accordées au terme d'un examen précis au cas par cas et que, d'autre part, comme l'indiquent les banques en cause, la CEIC était différente des commissions concernées par ces espèces, puisqu'elle ne rémunérait aucun service rendu, mais avait pour objectif de maintenir les équilibres financiers du secteur et donc la position de chacune sur le marché.

428.Au regard de ces éléments, mais aussi du contexte dans lequel la CEIC a été décidée, c'est'à'dire sans examen objectif des pertes invoquées par les banques pour justifier de la mise en place de cette commission, l'Autorité, à laquelle incombe la mission de veiller à l'effectivité de la mise en 'uvre du droit de la concurrence sur les marchés, a légitimement pu décider qu'il était justifié de prononcer une sanction et, pour l'ensemble de ces raisons, les moyens des parties sur ce point sont rejetés.

429.Par ailleurs, l'Autorité a justement précisé, au paragraphe 663 de la décision attaquée, qu'elle tenait compte dans le prononcé de la sanction du doute invoqué par les entreprises quant à la qualification des pratiques. Il convient effectivement de prendre en considération le fait que les banques en cause pouvaient, à bon ou mauvais escient, escompter qu'elles bénéficieraient d'une exemption dans le cas où les autorités de concurrence viendraient à examiner les commissions instaurées par l'accord du 3 février 2000, dès lors que plusieurs pratiques de commissions interbancaires avaient, par le passé, fait l'objet d'une exemption. Il n'y a, sur ce point, pas de contradiction entre, d'un côté, le constat que les banques ne pouvaient, compte tenu de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence précitée, ignorer le caractère anticoncurrentiel des commissions interbancaires et, de l'autre, l'affirmation qu'il devait être tenu compte, dans l'appréciation de la gravité des pratiques, de l'incertitude que pouvaient nourrir les parties sur une possibilité d'exemption de ces pratiques. En outre, l'Autorité n'était pas tenue de motiver davantage la façon dont elle tenait compte de cet élément d'atténuation, et l'importance du montant des sanctions, fondée sur un ensemble complexe d'éléments et d'appréciations, qui seront examinés ci-dessous, ne permet pas d'affirmer, comme le font certaines parties, qu'il n'a en réalité pas été tenu compte de cet élément.

430.S'agissant du nombre peu important de décisions de sanction, invoqué par les parties, la cour précise que l'Autorité, investie de la mission de contrôler la libre concurrence sur les marchés et d'en faire respecter les principes, exerce son appréciation sur la nécessité de prononcer des amendes comme instrument d'application de la politique de concurrence. Cette appréciation s'étend nécessairement à l'opportunité d'infliger ou non une sanction.

431.Par ailleurs, la cour relève que si, dans plusieurs cas, la Commission européenne n'a pas sanctionné l'instauration de commissions interbancaires, c'est au motif, soit qu'elles n'affectaient pas le commerce entre États membres, soit qu'elles pouvaient bénéficier d'une exemption. Elle a néanmoins, dans chaque dossier, clairement affirmé le caractère anticoncurrentiel des accords sur des commissions interbancaires. En outre, ainsi qu'il a déjà été relevé précédemment, elle a prononcé en 1992, soit sept ans avant les négociations en cause, une sanction dans l'affaire dite de l'accord d'[Localité 3] (décision du 25 mars 1992, 92/212/CEE précitée). Si, dans ce cas d'espèce, la commission était directement perçue auprès des clients, rien dans cette décision ne permet d'affirmer que seule cette circonstance avait motivé le prononcé de la sanction. En outre si l'une des sanctions a été annulée par le Tribunal de l'Union, par l'arrêt Groupement des cartes bancaires « CB » et Europay International/Commission, précité, c'est au motif d'une violation des droits de la défense et non en raison du caractère non fondé de l'appréciation au fond.

432.En outre, la cour relève que la CEIC constitue un cas spécifique par rapport aux précédents, car elle était destinée non à rémunérer une prestation entre banques, ce à quoi tendaient toutes les commissions concernées par la pratique décisionnelle et la jurisprudence antérieure, mais elle était de nature compensatoire afin de maintenir les équilibres financiers entre les banques.

433.Enfin, l'absence de sanction précédente ne justifie pas qu'aucune sanction ne soit jamais prononcée. Au contraire, ces jurisprudences constituaient autant d'avertissements et il ne peut être reproché à l'Autorité de ne pas avoir pris le parti d'une approche « pédagogique », comme le fait la société Le Crédit industriel et commercial dans ses conclusions.

434.Sur ce point encore, c'est en vain que la société HSBC France invoque une note intitulée « Echange d'Images chèques : la commission entre banques vis-à-vis des règles de la concurrence », produite en annexe 1 au compte rendu de la CIR du 3 février 2000 (annexe 12 au rapport, cotes 944 à 946), en indiquant que, sur la base de cette note, les banques pouvaient légitimement penser que la pratique ne posait pas de difficulté au regard du droit de la concurrence.

435.En effet, les requérantes ne peuvent prétendre qu'elles pouvaient penser que la pratique concernée était conforme aux règles de concurrence et que, dans ces conditions, le prononcé d'une sanction ne serait pas justifié, en se fondant sur cette note de nature purement interne, de surcroît superficielle et lacunaire, qui ne comporte aucune présentation de la jurisprudence et ne fait qu'évoquer, sans aucune référence précise, la pratique décisionnelle de la Commission et du Conseil de la concurrence.

436.Les moyens des parties sur l'ensemble de ces points sont en conséquence rejetés.

2. Sur la violation du principe de confiance légitime en raison de la garantie apportée par les pouvoirs publics

437.Les parties font valoir qu'elles ont pu légitimement considérer, au moment des négociations de la CIR, soutenues par la Banque de France, que la CEIC était conforme au droit de la concurrence, en raison de l'état de la jurisprudence applicable à l'époque et de la position adoptée par la DGCCRF à l'égard de l'accord. Elles précisent qu'une note juridique traitant spécifiquement de la validité de la CEIC au regard du droit de la concurrence a été adressée à cette administration et que l'absence de réaction de celle-ci était de nature à les conforter sur la licéité de leur comportement.

438.Les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais précisent à ce titre que la Banque de France a l'obligation d'agir dans le respect de la libre concurrence et que, compte tenu du rôle essentiel que cette institution a tenu dans le cadre des négociation de l'accord, mais aussi de sa conclusion, elles pouvaient légitimement considérer qu'elles ne violaient pas le droit de la concurrence.

439.Selon une jurisprudence constante, le principe de confiance légitime s'étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration a fait naître chez lui des espérances fondées, étant précisé que nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l'absence d'assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, que lui aurait fournies l'administration (voir TUE, arrêt du 14 avril 2011, Visa Europe et Visa International Service/Commission,T-461/07 points 222 à 224 et la jurisprudence citée).

440.C'est en l'espèce à juste titre que l'Autorité a rejeté les moyens invoquant la violation de ce principe.

441.En effet, la Banque de France, dont les missions ne relèvent pas de la mise en 'uvre du droit de la concurrence, quand bien même est-elle contrainte de le respecter comme tout opérateur sur les marchés et, ainsi que le soulignent les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais, a l'obligation expresse d'agir dans le respect des principes d'une économie de marché, ne peut être considérée comme une « source autorisée et fiable » à ce titre. Par conséquent, le fait qu'elle ait joué un rôle important dans la conclusion de l'accord litigieux ne peut être pris en compte au titre du principe de confiance légitime.

442.Par ailleurs, le fait que la DGCCRF ait été informée de la mise en place de la CEIC en 2002 ne peut nullement être considéré comme étant constitutif d'une assurance précise, inconditionnelle et concordante dans la mesure où elle n'a rendu aucun avis ni exprimé une quelconque opinion sur le mécanisme de la CEIC et des CSC son silence ne pouvant être interprété comme une garantie de licéité des pratiques en cause.

3. Sur le bilan favorable pour le consommateur

443.La société Le Crédit industriel et commercial et la Confédération nationale du Crédit mutuel, de même que la société BNP Paribas, font valoir que le prononcé d'une sanction pécuniaire était, en l'espèce, inapproprié en raison de l'impact très bénéfique de l'introduction de l'EIC, accompagnée de la CEIC, sur les consommateurs des services de remise de chèques.

444.Cependant les conséquences de l'avantage résultant pour les consommateurs de l'instauration de l'EIC ont déjà été examinées dans le cadre de l'exemption. Les conditions de l'octroi de celle-ci n'étant pas réunies, il n'y a pas lieu de remettre en cause le principe du prononcé de la sanction au regard du bénéfice que l'EIC a pu constituer pour les consommateurs.

B. Sur l'appréciation portée sur les critères de détermination énoncés par l'article L. 464-2 du code de commerce

445.Il résulte de l'article L. 464-2 du code de commerce que les sanctions prononcées par l'Autorité de la concurrence doivent être « (...) proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ».

446.Ces parties critiquent la mise en 'uvre de chacun de ces paramètres, qui seront tour à tour examinés.

1. Sur la gravité des pratiques

La CEIC

447.L'Autorité a caractérisé la gravité des pratiques au regard de plusieurs éléments : leur nature (décision attaquée, § 647 à 657), la connaissance par les parties de leur caractère anticoncurrentiel (décision attaquée, § 658 à 663), la durée des pratiques (décision attaquée, § 664 à 666), le marché affecté (décision attaquée, § 667 à 675) et enfin l'affectation des finances publiques (décision attaquée, § 676).

a) La nature de la pratique

448.L'Autorité a rappelé, au paragraphe 648 de la décision attaquée, que les accords portant sur la CEIC et les commissions AOCT constituent une entente horizontale, qui est l'une des pratiques les plus graves ; elle a pondéré cette appréciation au regard de plusieurs critères.

449.Elle a précisé que la CEIC a été perçue par les banques tirées lors de chaque transaction interbancaire par chèque, qu'elle ne correspond à aucun service rendu aux banques remettantes, ni à aucun coût particulier subi par les banques tirées à l'occasion de cette transaction et que cette commission est venue accroître de manière purement artificielle le coût de la remise de chèques, pesant ainsi indirectement sur le niveau des prix. Sur ce dernier point, elle a précisé que, si les parties n'étaient pas tenues, aux termes de l'accord litigieux, de répercuter le montant des commissions versées sur leurs clients, la facturation du service de remise de chèques, directe ou indirecte, est adossée aux charges pesant sur les banques remettantes. Dès lors que le solde de CEIC perçue et versée représente une charge nette pour les banquiers majoritairement remettants en volume (nombre de chèques), ce surcoût a nécessairement pesé sur la formation des prix, directs ou indirects, du service de la remise de chèques ou, compte tenu des spécificités de la tarification des services bancaires, sur l'équilibre global de la relation de la banque avec son client. Ainsi, l'instauration de la CEIC a favorisé à la hausse la formation des prix des services bancaires, empêchant la détermination des prix par le libre jeu du marché.

450.Au titre des éléments d'atténuation de la gravité, l'Autorité a retenu que l'accord litigieux ne constituait pas une entente sur les prix finaux (décision attaquée, § 652), qu'il était limité aux relations interbancaires (décision attaquée, § 655), que la Banque de France, autorité de tutelle des établissements bancaires, avait exercé un rôle influent dans sa(décision attaquée, § 656) et qu'il n'était pas assimilable à un cartel secret (décision attaquée, § 657).

451.La cour adopte ces motifs.

452.Les requérantes soutiennent que c'est à tort que l'Autorité a rangé les pratiques en cause, en tant qu'elles constituent un accord horizontal, parmi les « pratiques anticoncurrentielles les plus graves ». Elles soulignent que tout accord horizontal ne constitue pas nécessairement une infraction « particulièrement grave » aux règles de la concurrence et qu'il n'en va ainsi que lorsqu'un tel accord est constitutif d'un cartel, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

453.La cour observe, en premier lieu, que, même si cette qualification n'a pas de caractère absolu, et l'appréciation du degré de gravité relevant d'un examen au cas par cas effectué au vu des circonstances de chaque espèce, certains accords horizontaux pouvant ne présenter alors qu'une gravité modérée et certains accords verticaux s'avérant, en revanche, constituer des infractions particulièrement graves, il n'en reste pas moins que l'Autorité a pu rappeler, sans dénaturer l'état du droit, que les ententes horizontales relevaient, en général, de la catégorie des pratiques anticoncurrentielles les plus graves. La cour rappelle néanmoins à ce sujet qu'ainsi que l'a précisé le Tribunal de l'Union, « [i]l est de jurisprudence constante que le partage des marchés et les ententes horizontales en matière de prix ont toujours été considérés comme faisant partie des infractions les plus graves au droit de la concurrence et peuvent donc, à eux-seuls, être qualifiés de très graves » TUE, arrêt du 20 mai 2015, Timab Industries et CFPR / Commission, T-456/10, point 155). Une pratique d'entente horizontale portant sur un élément de coût relève de celles portant sur les prix, même si, dans ce cas, le degré d'intensité de la gravité peut, selon les circonstances de l'espèce, être amoindri.

454.En outre, le fait que la qualification de pratiques les plus graves ait été appliquée aux cartels, c'est-à-dire aux ententes secrètes entre les opérateurs d'un secteur, n'interdit pas que soit aussi considérée comme telle une pratique d'entente entre opérateurs visant, d'une part, à fixer et appliquer en commun un élément de coût, qui fait obstacle à leur liberté tarifaire, d'autre part, à maintenir pendant une période les équilibres financiers du secteur. Certes, et ainsi que l'a d'ailleurs considéré l'Autorité, cette gravité est atténuée par le fait que l'entente n'a pas été secrète et qu'elle n'a pas porté directement sur les prix. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle n'a pas qualifié les pratiques de « très graves », contrairement à ce que soutient la société HSBC France, ou de « particulièrement graves ».

455.Les parties contestent qu'une pratique qui ne constitue pas un accord de fixation des prix finaux puisse être considérée comme relevant des pratiques les plus graves.

456.Cependant, ainsi que l'a relevé la cour au paragraphe 204, et ainsi que l'a précisé l'Autorité au paragraphe 649 de la décision attaquée, l'instauration de la CEIC a, notamment, introduit un coût artificiel qui, du fait de la spécificité du financement du mode de paiement par chèque, lequel s'opère par subventions croisées, a nécessairement un impact sur les prix des banques concernées. Cette pratique est donc particulièrement nocive au regard de ses conséquences sur le jeu de la concurrence et a été à juste titre considérée comme relevant des pratiques les plus graves.

457.De même, le fait que l'instauration de la CEIC ait été limitée aux relations interbancaires est un élément qui vient atténuer le degré de gravité dans la catégorie des pratiques les plus graves mais ne peut justifier qu'elles soient considérées comme d'une moindre importance. Quant au caractère limité en valeur de la hausse possible des prix, invoqué par les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais, il relève de l'appréciation du dommage à l'économie mais ne concerne pas la gravité de la pratique.

458.Contrairement à ce que soutiennent ces parties, la qualification du degré de gravité par la prise en compte des conséquences nécessaires de la CEIC sur le niveau des prix n'est pas incompatible avec la qualification d'une infraction par objet, dans la mesure où c'est bien au regard des effets nécessaires et nocifs pour le jeu de la concurrence qu'une telle pratique est qualifiée d'anticoncurrentielle par objet. Cette qualification n'est par ailleurs pas incompatible avec la recherche de la possibilité d'accorder aux parties le bénéfice de l'exemption qu'elles invoquaient. De plus, il n'est pas inexact de considérer que la CEIC a instauré un élément de coût artificiel ne correspondant à aucun service, puisque les pertes de trésorerie éventuelles liées à la mise en place de l'EIC ne constituent pas un coût et que, de plus, le montant de la CEIC n'a pas été fixé au regard de la réalité de ces pertes. Il n'est pas plus fondé de reprocher à l'Autorité de ne pas avoir pris en compte, dans le cadre de son appréciation de la gravité des pratiques, la compensation de ce coût avec les gains de trésorerie générés par la dématérialisation, dès lors qu'ainsi qu'il a déjà été dit, la CEIC a privé les banques remettantes de la partie des gains correspondant à son montant.

b) Les caractéristiques du marché affecté

459.L'Autorité a relevé à juste titre sur ce point que l'accord litigieux a été conclu par les douze établissements de crédit les plus importants dans le secteur de la banque de détail et de la banque commerciale, qui représentaient, à l'époque des faits, plus de 80 % des chèques interbancaires émis et remis, et que la CEIC a été prélevée par l'ensemble des établissements de crédit participant au système de règlement interbancaire du chèque. Elle souligne que les services bancaires sont d'une importance cruciale tant pour les consommateurs que pour les entreprises, c'est-à-dire pour l'ensemble de l'économie, et que, parmi les services bancaires, le chèque représentait au cours de la période en cause l'un des principaux moyens de paiement utilisés en France, même si son usage a reculé pendant la durée des pratiques, passant de 37 % des paiements scripturaux en 2000 à 26 % en 2006 (décision attaquée, § 667 à 669).

460.L'Autorité a encore précisé que le chèque est un secteur dans lequel la concurrence est limitée par un certain nombre de caractéristiques. D'une part, le choix des utilisateurs du système du chèque est entièrement contraint par le monopole bancaire, les tireurs comme les bénéficiaires ne pouvant obtenir ce service qu'auprès des établissements de crédit. Cette situation caractérise l'existence d'une clientèle captive au sens économique. D'autre part, il n'existe pas une parfaite substituabilité entre les différents moyens de paiement, qui permettrait aux utilisateurs des services bancaires de s'affranchir du chèque, car celui-ci est utilisé de préférence à la carte bancaire pour les achats de montant élevé et il constitue, du fait de la gratuité de la délivrance des formules de chèque, un moyen de paiement privilégié pour une partie de la clientèle, notamment, la clientèle de particuliers modestes, ce qui implique, sur l'autre face du marché, l'impossibilité pour la plupart des commerçants, et notamment des grandes surfaces, de se passer du service bancaire de la remise de chèques. En outre, le secteur du chèque est caractérisé par l'opacité tarifaire et l'asymétrie d'information entre la banque et son client (décision attaquée, § 671 à 675).

461.Contrairement à ce que soutiennent la société HSBC France et la Société générale, ces caractéristiques du marché, certes indépendantes des pratiques en cause, ont pour conséquence de renforcer leur gravité, dans la mesure où elles accroissent la portée des effets nocifs de la CEIC. Ainsi, la captivité de la clientèle conduit à ce qu'elle ne puisse se reporter sur d'autres offres, sans qu'importe à ce sujet que le monopole bancaire soit d'origine légale et regroupe de nombreux opérateurs ; le caractère opaque de la tarification, qui résulte du système de subventions croisées, n'est pas retenu comme cause d'aggravation parce que les banques seraient responsables de ce système, mais parce qu'il empêche que l'entente soit décelable ; la substituabilité imparfaite entrave la possibilité pour les clients concernés de ne pas subir les effets des pratiques, et, enfin, l'importance persistante du paiement par chèque est de nature à maintenir la portée des effets potentiels pendant la durée des pratiques.

462.S'il est exact que, comme le soulignent les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais, l'offre de chèque s'inscrit dans une offre globale et que la concurrence entre les banques s'exerce sur le service bancaire dans son ensemble, il s'ensuit que les pratiques mises en 'uvre sur le service de chèque ont une répercussion sur l'ensemble de l'offre et ne peuvent qu'affecter le jeu de la concurrence sur l'ensemble de l'offre globale. Par ailleurs, ainsi que le rappelle l'Autorité dans ses observations, le paiement par chèque représentait, à l'époque de la mise en 'uvre des pratiques en cause, de 37 à 26 % de l'ensemble des moyens de paiement, ce qui implique que le service de chèque représentait plus du quart de l'offre liée au compte bancaire et conduit à confirmer que les pratiques ont concerné une part importante de cette offre et qu'elles s'inscrivent donc dans la catégorie des pratiques les plus graves, sans toutefois être « très graves » ou « particulièrement graves ».

463.Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais, ainsi que La Banque postale et la Société générale, la référence à l'opacité qui résulte de la globalité du financement des comptes chèques et de ce que les clients des banques, dans leur majorité, ignorent comment est rémunéré le service de paiement par chèque et ne peuvent se rendre compte de la valeur de ce service ainsi que de son coût, correspond à une réalité de ce secteur. Il ne saurait résulter de cette référence un préjugé défavorable de la part de l'Autorité à l'égard des parties en cause.

c) La durée des pratiques

464.Au paragraphe 664 de la décision attaquée, l'Autorité indique que la durée des pratiques est différente selon les commissions concernées, puisque la CEIC a été prélevée entre le 1er janvier 2002 et le 1er juillet 2007 et que les commissions AOCT sont prélevées de façon continue depuis le 1er juillet 2002. L'Autorité souligne qu'en outre, contrairement à ce qui était prévu dans l'accord du 3 février 2000, ces commissions n'ont fait l'objet d'aucun réexamen, contrairement à ce qui était prévu dans l'accord du 3 février 2000, à l'issue d'une période de trois ans suivant leur instauration. Relevant encore que les pratiques n'ont pas cessé spontanément, mais « sous la pression de l'instruction de l'enquête en cours », l'Autorité a estimé que la durée des pratiques, supérieure à cinq ans, peut être regardée comme relativement longue.

465.La société La Banque postale conteste que cette durée de perception des commissions puisse ainsi être prise en compte, alors que la notification de griefs ne vise que la création des commissions.

466.Ce grief n'est pas fondé.

467.En effet, s'il est exact que le grief notifié concernant la CEIC vise formellement la création de la CEIC ainsi que des CSC, au nombre desquelles figurent les commissions AOCT, et la fixation en commun de leurs montants, la nocivité de la CEIC et les effets des commissions AOCT sur le jeu de la concurrence résultent de leur application, ce qui résulte clairement des développements de la notification de griefs.

468.Les sociétés Crédit agricole, Le Crédit lyonnais, La Banque postale, BPCE et HSBC France contestent cette analyse. Elles font valoir à ce titre que, si l'Autorité avait notifié la saisine d'office à la Commission bancaire, ce qu'elle n'a pas fait en violation de l'article 35 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence (codifié à l'article R. 463-9 du code de commerce), la Banque de France aurait demandé aux banques, dès 2003, le réexamen, voire la suppression des commissions, comme elle l'a fait à l'automne 2007, réduisant ainsi la durée des pratiques à un an tout au plus.

469.Cependant, ainsi qu'il a été précédemment retenu au paragraphe 98, l'Autorité n'a pas violé le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 en ne notifiant pas d'emblée la saisine d'office à la Commission bancaire. Par ailleurs, il appartient aux services d'instruction de l'Autorité de décider, dans le respect des droits de la défense et au regard des difficultés et nécessités de l'enquête, à quel moment il convient de notifier aux autres autorités publiques compétentes au plan sectoriel les saisines qui peuvent les concerner.

470.En outre, les représentants d'un certain nombre de banques ont été entendus dans le cadre de l'enquête et de l'instruction tant par les services de la DGCCRF, dans le courant de l'année 2005, que par le rapporteur de l'Autorité, en septembre et octobre 2006, lequel a informé les personnes entendues de la saisine d'office de l'Autorité, ce qui pouvait les alerter sur les risques qu'elles encouraient en maintenant les pratiques.

471.Enfin, ainsi qu'il a été relevé précédemment, les parties ne pouvaient ignorer que la jurisprudence nationale et communautaire avait qualifié, à de multiples reprises, les commissions interbancaires comme étant non conformes aux dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 85, paragraphe 3 du Traité (devenu, depuis, l'article 101 du TFUE), le seul doute qu'elles pouvaient nourrir étant celui de la possibilité de bénéficier d'une exemption.

472.En l'espèce, il ne ressort d'aucun élément du dossier que l'Autorité aurait, dans ces circonstances, porté atteinte aux droits des parties en ne notifiant la saisine qu'au moment de la notification des griefs. De surcroît sur ce point, la cour relève que l'affaire en cause était, ainsi que l'indique la société Le Crédit industriel et commercial, d'une complexité rare, qu'elle a nécessité plusieurs expertises, ainsi que l'audition des représentants de 40 entreprises, le dossier comportant plus de 40 000 pièces.

473.Pour les mêmes motifs la Société générale n'est pas fondée à soutenir que, si l'instruction avait été moins longue, les pratiques auraient duré moins longtemps.

474.À ce titre enfin, la cour relève que si dans sa décision du 3 octobre 2007, Visa Europe Ltd et Visa International Service C (2007) 4471, la Commission européenne a pris en compte, dans la durée de l'infraction, le seul délai écoulé entre la notification de griefs et la cessation de l'infraction, c'est parce que la société Visa, auteur des pratiques, avait, depuis 1990, notifié la règle dont l'application a été, dans cette espèce, considérée comme anticoncurrentielle. En conséquence la Commission a considéré qu'elle devait bénéficier d'une immunité d'amende jusqu'à la date de l'entrée en vigueur du règlement n° 1/2003 et, qu'à compter de la notification de griefs, elle ne pouvait plus avoir de doute sur le caractère anticoncurrentiel de l'application de la règle en cause, qu'elle avait pourtant poursuivie jusqu'en 2006 (voir point 341 de la décision de la Commission européenne et note de bas de page 312).

475.Il s'ensuit que c'est à juste titre que l'Autorité a retenu, pour qualifier la gravité des pratiques, que celles-ci s'étaient déroulées pendant cinq ans, soit une durée relativement longue.

d) Les autres éléments

476.La société Crédit du Nord fait encore grief à la décision attaquée de ne pas avoir pris en compte la situation qui prévalait avant la mise en place de l'EIC et le progrès considérable que ce nouveau système a apporté.

477.Cependant, ainsi qu'il a été retenu précédemment, il n'a pas été démontré que l'instauration de la CEIC était nécessaire au passage à l'EIC. Dans cette circonstance, le progrès apporté par l'EIC ne peut être pris en compte pour minorer le caractère de gravité des pratiques. Sur ce point, les éléments invoqués par la société Crédit du Nord, à savoir, l'inefficience du système antérieur, le nombre particulièrement élevé de paiement par chèques en France et la nécessité de rationnaliser cette particularité, la réglementation par des conventions internationales, la nécessité d'un accord de toutes les banques, y compris des réseaux les plus réticents, sont inopérants. La cour rappelle à ce titre que l'intervention des pouvoirs publics est prise en compte dans l'appréciation de la gravité des pratiques.

478.Par ailleurs, c'est à juste titre que l'Autorité a refusé de tenir compte de la cessation des pratiques en 2007 comme élément de minoration de la gravité des pratiques. En effet, d'une part, ainsi qu'elle le précise, cette cessation est intervenue à la suite des mesures d'enquêtes et non de manière spontanée, d'autre part, l'accord du 3 février 2000 prévoyait que la CEIC devait être appliquée pendant une durée de trois ans. Sa mise en application ayant débuté au 1er janvier 2002, elle aurait dû cesser au 1er janvier 2005, ce qui n'a pas été le cas. Cette persistance justifie l'analyse de l'Autorité sur ce point, sans qu'importe que la cessation soit intervenue avant la notification de griefs à un moment où les parties pouvaient envisager qu'elles bénéficieraient d'une exemption.

479.Plusieurs parties reprochent à l'Autorité de ne pas avoir tenu compte, dans son appréciation de la gravité, du faible nombre de cas avérés de répercussion de la CEIC et de l'absence de démonstration que les pratiques en cause aient pu avoir un effet sensible sur le marché. Cependant, ces circonstances relèvent non de la gravité de la pratique, mais du dommage à l'économie qui sera examiné dans les développements qui suivent.

480.La Société générale soutient que l'Autorité aurait dû prendre en compte, au titre des éléments de minoration de la gravité, que les parties ont activement recherché un compromis pour permettre le passage à l'EIC. Elle reproche à l'Autorité de ne pas avoir pris en considération l'absence d'intentionnalité des parties de mettre en 'uvre une pratique anticoncurrentielle.

481.Cependant, et pour autant que l'absence d'intention de mettre en 'uvre une pratique anticoncurrentielle puisse constituer un élément de minoration de la gravité des pratiques, il résulte des développements qui précèdent que les parties ne pouvaient ignorer, au regard de la jurisprudence antérieure, que les commissions interbancaires constituaient une pratique anticoncurrentielle, la seule incertitude qu'elles pouvaient avoir étant celle de la possibilité de bénéficier d'une exemption au titre du progrès économique. Par ailleurs, dans ce contexte, elles n'ont pas recherché quelles seraient les pertes nettes qu'elles étaient susceptibles de subir pour justifier la mise en place de la CEIC, alors même que cette démarche était préconisée par le groupe de travail de la CIR. Au surplus, elles n'ont pas mis un terme à la CEIC en 2005, alors que la perception de cette commission ne devait durer que trois ans. Enfin l'objectif affiché de la CEIC, tendant à ce que la mise en place de la dématérialisation ne puisse porter atteinte aux équilibres financiers du secteur, constitue un objectif d'obstruction au jeu de la concurrence. Au regard de l'ensemble de ces éléments, les banques en cause ne sont pas fondées à invoquer l'absence d'intention anticoncurrentielle.

482.Enfin, contrairement à ce que soutiennent les parties, l'Autorité n'avait pas à chiffrer un pourcentage retenu au titre de la gravité ou des éléments atténuant cette gravité, le coefficient de 0,2625 % appliqué permettant de constater qu'elle a bien tenu compte de l'ensemble des éléments retenus à ce titre.

Les commissions AOCT

483.S'agissant des commissions AOCT, l'Autorité a retenu à juste titre, au paragraphe 649 de la décision attaquée, que l'entente portant sur ces commissions est de moindre gravité que celle portant sur la CEIC, car ces commissions avaient pour objet de rémunérer un service ponctuellement rendu par une banque à une autre. Il n'en demeure pas moins que les montants des commissions AOCT ont été fixés sans examen des coûts de ces prestations et sans que soit établi qu'ils étaient proportionnés aux gains d'efficience attendus. L'Autorité a, en outre, précisé que l'ensemble des éléments qu'elle a retenu à titre de minoration de la gravité de la CEIC valaient aussi pour les commissions AOCT (décision attaquée, § 651).

484.Le fait que les montants des commissions AOCT aient été fixés au regard des mêmes commissions portant sur d'autres moyens de paiement, ne permet pas de démontrer qu'ils auraient été fixés de manière objective, contrairement à ce que soutient la société La Banque postale. Il est, en outre, sans effet sur l'appréciation de cette gravité que l'expertise menée par les parties, après le prononcé de la décision attaquée, en exécution de l'injonction qui leur avait été faite de procéder à la révision des montants des commissions AOCT ait démontré que ceux-ci étaient inférieurs aux coûts de la banque la plus efficace. En effet, et ainsi qu'il a déjà été précisé, aucun élément ne permet de considérer que les coûts examinés dans ladite expertise étaient les mêmes que ceux existant à l'époque des pratiques.

485.Pour le surplus, en tant que de besoin et sous réserve du degré de gravité différent des deux types de commissions, la cour renvoie aux motifs par lesquels elle a répondu aux moyens relatifs à l'appréciation de la gravité invoqués au sujet de la CEIC.

2. L'importance du dommage causé à l'économie

486.La cour rappelle que l'importance du dommage causé à l'économie ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale qu'elles sont de nature à engendrer pour l'économie.

487.Ni l'Autorité, ni la cour dans son office de contrôle d'une décision de l'Autorité, ne sont tenues de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie. Elle doivent en revanche procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause.

488.En présence d'une pratique anticoncurrentielle par objet et pour laquelle les effets ne sont pas caractérisés par la décision, le dommage à l'économie doit être apprécié de la même façon en prenant en compte les effets potentiels que la pratique est susceptible d'avoir sur le ou les marchés, notamment, au regard de l'ampleur de l'infraction, telle que caractérisée, entre autres, par la taille du marché affecté, des caractéristiques économiques pertinentes du secteur ou du marché concerné, ainsi que de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles. Par ailleurs, les effets, tant avérés que potentiels, de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre. La référence à des effets potentiels ne conduit pas, contrairement à ce que soutiennent les parties, à présumer le dommage à l'économie, dès lors qu'elle est étayée par des éléments objectifs et matériels vérifiables et crédibles.

La CEIC

489.En l'espèce l'Autorité a précisé que le dommage à l'économie doit être apprécié par rapport à la situation de concurrence qui aurait prévalu dans l'hypothèse d'un passage à l'EIC sans CEIC, et non celle qui aurait été observée dans l'hypothèse du maintien d'un système manuel de compensation des chèques (décision attaquée, § 679).

490.Sur la taille du marché affecté, l'Autorité a précisé qu'en raison de l'opacité de la tarification bancaire, il n'est pas possible d'évaluer précisément la valeur des ventes réalisées par les banques à raison des services d'émission et de remise de chèques affectés par les pratiques en cause. Mais elle a rappelé que les chèques représentaient en 2002, soit au début de la mise en 'uvre de la pratique, 37 % des moyens de paiement scripturaux utilisés en France, et 26 % en 2006. Elle en a déduit qu'ils représentaient donc nécessairement une part non négligeable des coûts des banques afférents à la gestion des moyens de paiement de leurs clients ou à la gestion de leurs flux créditeurs. La facturation des services bancaires étant adossée aux coûts des banques, le chèque représentait donc une part significative du prix facturé pour ces services, dans le cadre de l'équilibre global de la relation entre la banque et son client (décision attaquée, § 683 et 684).

491.L'Autorité a aussi relevé que la pratique avait eu deux effets potentiels, la hausse du prix de la remise du chèque et la raréfaction de l'offre de remise de chèques. Elle a évalué la hausse du prix de la remise du chèque à 220 millions d'euros sur l'ensemble de la période considérée (entre le 1er janvier 2002 et l'automne 2007, en tenant toutefois compte d'un effet retard tant lors du commencement de la pratique qu'à sa cessation). Elle a, à cet égard, examiné les données dont elle disposait selon les différentes catégories de clients remettants (Trésor Public, « grands remettants », autres entreprises, particuliers) démontrant l'effectivité d'une répercussion. Sur la raréfaction de l'offre de remise de chèque, l'Autorité a relevé que, lorsque la CEIC n'a pas été répercutée intégralement sur les clients remettants, la rentabilité de l'offre de services bancaires de remise de chèque était de ce fait dégradée, ce qui était de nature à réduire l'incitation des banques à se faire concurrence sur le marché de la remise de chèques, au détriment des grandes entreprises remettantes (décision attaquée, § 710).

492.Les parties contestent le contrefactuel retenu, ainsi que les éléments d'appréciation tant en ce qui concerne la taille du marché que les effets potentiels.

a) Le contrefactuel « EIC sans CEIC » pour apprécier les effets de l'infraction

493.La Société générale et la société HSBC soulignent que sans la CEIC, l'EIC n'aurait pas pu être mis en place. C'est donc, selon elles, au regard de la situation qui aurait prévalu sans la CEIC, c'est-à-dire au regard de la situation antérieure, que l'Autorité aurait dû examiner les effets de la commission en cause. Selon ces requérantes et la société Le Crédit industriel et commercial, en n'adoptant pas ce contrefactuel, l'Autorité a surévalué le dommage, puisqu'elle n'a pas pris en compte les gains permis par le passage à l'EIC.

494.Ce moyen n'est pas fondé. En effet, pour apprécier l'impact concret d'une infraction sur le marché, il convient de se référer au jeu de la concurrence qui aurait normalement existé en l'absence de l'infraction (TUE arrêts du 8 octobre 2008, Carbone-Lorraine/Commission, T-73/04, Rec. p. II-2661, point 83, et la jurisprudence citée, et Visa Europe et Visa International Service/Commission, précité, point 271).

495.En l'espèce, il n'est pas contesté que, dans les faits, la CEIC a décidé les banques réticentes au passage au système de l'EIC à l'accepter finalement. Toutefois, ainsi qu'il a été vu aux paragraphes 276 et suivants, il n'est pas démontré que la CEIC était objectivement nécessaire au passage à ce nouveau système, dans la mesure où, d'une part, les banques en cause n'ont pas recherché, au moyen d'un bilan des pertes et des gains liés au passage à l'EIC, si elles allaient subir des pertes de ce fait, d'autre part, il n'est pas établi qu'une au moins des banques majoritairement tirées pouvait, de manière suffisamment réaliste, envisager qu'elle devait subir des pertes en raison de la mise en place de l'EIC. À ce sujet, le fait que, comme le fait observer la Société générale, la décision de mise en 'uvre de l'EIC relevait de la seule volonté des banques ne change rien, car, dès lors que les banques en cause décidaient de mettre en 'uvre l'EIC, elles devaient le faire dans le respect du droit de la concurrence et donc à condition de rechercher et de constater que l'une au moins d'entre elles pouvait de façon suffisamment réaliste envisager qu'elle allait subir des pertes.

496.Dans ces circonstances, il n'est pas établi que les gains apportés par la mise en place de l'EIC n'auraient pas pu être réalisés sans perception de la CEIC, et c'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré que le contrefactuel qui devait être retenu était la situation résultant de la mise en place de l'EIC sans CEIC, cette commission ne représentant pas seulement un manque à gagner, mais des pertes pour elles et leurs clients et, à ce titre, un dommage à l'économie.

497.Par ailleurs, dans les circonstances précédemment relevées, il n'y a pas lieu, contrairement à ce que soutient la Société générale, de prendre en considération le fait que le bilan net pour le secteur bancaire dans son ensemble aurait été négatif. Cette affirmation est en tout état de cause contredite par le rapport de la CIR qui considérait que la mise en place de l'EIC aboutissait à « un jeu à somme nulle » pour la profession (voir ci-dessus § 287).

498.C'est aussi à juste titre que l'Autorité a considéré que l'évaluation du dommage à l'économie devait porter sur l'ensemble des chèques interbancaires compensés par les établissements de crédit en France, et non sur les seuls montants remis par les entreprises. En effet, et contrairement à ce que soutient la Société générale, le rapport de l'expert économiste des parties du 11 août 2009 ne montre pas que les clients particuliers des banques n'ont subi aucun préjudice du fait de l'application de la CEIC.

499.En outre, contrairement à ce que soutient la société HSBC France, le dommage à l'économie ne porte pas sur le solde net entre les montants de CEIC versés par les banques remettantes et les montants perçus par les banques tirées, dont le résultat serait d'ailleurs nul. En effet, le versement de ces commissions a causé un dommage à l'économie en ce que, constituant une charge artificielle pour les banques remettantes, il a nécessairement été répercuté, de façon directe ou indirecte, sur les prix des services bancaires. À l'inverse, les sommes perçues, destinées à compenser pour les banques tirées la perte de la rémunération apportée par le placement du « float », n'avaient pas vocation à être répercutées sur les clients et il n'est d'ailleurs ni soutenu, ni établi qu'elles l'aient été.

500.Enfin, contrairement à ce que soutient la société HSBC France, l'ampleur du dommage à l'économie n'est pas estimée par la décision attaquée en retenant un postulat selon lequel la mise en place de l'EIC sans CEIC se serait caractérisée par une baisse des prix égale aux économies de coûts et une transmission au client de 100 % de l'accélération de trésorerie. L'examen du contrefactuel de l'EIC sans CEIC conduit à examiner quelle aurait été la situation si la mise en place de l'EIC ne s'était pas accompagnée de la perception de la commission et donc à regarder si cette commission a eu un effet d'augmentation des prix des services bancaires, en tenant compte de ce que, compte tenu de la baisse des coûts entraînée par la dématérialisation, les prix auraient dû à tout le moins rester stables. De même, c'est à juste titre que l'Autorité a, dans la décision attaquée, considéré que les banques auraient dû (ou pu) faire bénéficier leurs clients de l'accélération de l'encaissement, dès lors que les fonds en cause appartiennent à ces clients, et non à la banque qui encaisse les chèques.

b) Sur la taille du marché de référence

501.L'Autorité a retenu que le chèque qui représentait en 2002, lors du début de la mise en 'uvre des pratiques, 37 % des moyens de paiement et 26 % en 2006. Elle en a déduit, à juste titre, que la part des coûts afférents au chèque était à cette époque nécessairement non négligeable dans l'ensemble des coûts des banques concernées par la pratique et que, compte tenu du système de financement par subventions croisées des services bancaires, l'introduction de la CEIC avait nécessairement affecté dans une part significative le prix facturé pour ces services.

502.Les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais contestent sur ce point que la CEIC puisse être considérée comme un coût et que les services liés au chèque fassent l'objet d'une rémunération par des subventions croisées avec les autres services bancaires. Elles en déduisent qu'il ne peut être considéré par principe que la CEIC aurait, d'une manière ou d'une autre, pu affecter l'ensemble des services bancaires. Selon elles, rien ne permet d'établir que la pratique a pu avoir un effet au-delà du marché du chèque, voire du seul marché de la remise.

503.Ce moyen n'est pas fondé. En effet, le système dans lequel s'inscrit l'utilisation du moyen de paiement par chèque est un système global, les services proposés étant rémunérés de façon forfaitaire et négociée au niveau de chaque client et non pas service par service (décision attaquée, § 31). La cour renvoie sur ce point aux développements de la décision attaquée, notamment son paragraphe 673, qui décrivent l'opacité des tarifs bancaires quant aux prix et aux coûts et se réfèrent à différents rapports d'études, ainsi qu'au rapport de MM. [Q] et [N] sur la tarification des services bancaires, cité par ces requérantes elles-mêmes, selon lequel « (...) Les coûts de gestion des chèque pèsent [...] sur les autres services de banque au quotidien et accentuent les phénomènes de subventions croisées ».

504.Dans ce cadre, il est exact de considérer que la CEIC a bien constitué un coût pour les banques et que, du fait du système de subventions croisées, les effets de cette pratique se sont répercutés sur l'ensemble des services, au-delà des seuls services liés au chèque. La cour observe sur ce point qu'il n'a pas été démontré en l'espèce que les gains issus de la mise en place de l'EIC, ne permettaient pas de compenser les pertes liées au transfert de « float ». En tout état de cause, le fait qu'un coût puisse éventuellement être compensé n'a pas pour conséquence qu'il soit inexistant. Il n'est, en outre, pas démontré que la rémunération apportée aux banques par les jours de valeur aient été spécifiquement dédiée aux services rendus au titre du chèque et n'ait pas rémunéré de façon globale les services rendus au client.

505.Il s'en déduit que ces moyens doivent être rejetés.

c) La hausse du prix de la remise de chèques

506.L'Autorité a rappelé que le montant total de CEIC collectées pendant la mise en 'uvre de la pratique s'est élevé à 766 867 661 euros. Ce chiffre n'est pas contesté par les parties.

507.L'Autorité a retenu, sans être sérieusement contestée sur ce point, que, pour chaque centime répercuté (sur les 4,3 centimes que compte la CEIC), la facturation supplémentaire pour les clients représente entre 30 et 35 millions d'euros par an, en tenant compte des seuls volumes de chèques interbancaires échangées sur le marché. Elle rappelle à ce sujet que la part de ces chèques est de 80 % et que, par conséquent, pour chaque centime répercuté, la hausse des prix payés s'est élevée, environ à 220 millions d'euros sur l'ensemble de la période considérée.

508.Or, ainsi que le retient l'Autorité, de nombreuses pièces du dossier permettent de constater que la CEIC a été répercutée, sinon sur tous, au moins sur un nombre significatif de clients.

i) Le Trésor public

509.Il n'est pas contesté que la Banque de France a répercuté la CEIC au Trésor public, son principal client, représentant annuellement 5 % des chèques remis en France. Cette répercussion, pour un montant total de 36 millions d'euros, constitue un premier effet démontré du dommage à l'économie.

510.Il est inopérant à ce sujet que, comme le soulignent les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais, cette répercussion ait été prévue par la convention conclue entre le Trésor public et la Banque de France, en application de l'article L. 141-7 du code monétaire et financier et de l'article 101 du Traité CE, devenu 123 du TFUE, qui stipule la rémunération par le Trésor public des coûts engagés par sa Banque au titre des prestations qu'elle lui rend. En effet, quand bien même est-elle prévue par leur convention, la CEIC dont il n'est pas démontré qu'elle aurait été nécessaire à la mise en place de l'EIC, a été répercuté au Trésor public et a, à ce titre, causé un dommage à l'économie.

511.Il est aussi sans effet que le Trésor public ait pu bénéficier en contrepartie d'une réduction moyenne du délai applicable au crédit des chèques sur son compte, puisque cette réduction devait en tout état de cause résulter de la mise en place de l'EIC qui avait pour effet d'accélérer le traitement des chèques. Le gain financier dont a pu bénéficier à ce titre leTrésor public n'a pas pu compenser le montant de CEIC qui lui a été répercuté puisqu'elle aurait, du fait même de l'EIC, réalisé ce gain.

ii) Les grands remettants

512.L'Autorité s'est appuyée à cet égard sur le sondage de prix effectué pendant l'instruction auprès de 700 entreprises françaises disposant toutes d'un service de gestion de trésorerie, cet échantillon représentant près de 10 % des chèques remis en France, hors prise en compte des chèques du Trésor public. Les données retenues par l'expert avoisinent 6 % des chèques remis en France, hors prise en compte des chèques du Trésor public, soit environ 200 millions de chèques par an (décision attaquée, § 693).

513.Sur la base du sondage de prix, l'Autorité a constaté que cette catégorie d'entreprises a subi, en moyenne, une hausse significative du prix unitaire de la remise de chèques pendant la période considérée et que, si une certaine partie d'entre elles étaient parvenues à l'éviter, celles-ci étaient toutefois très minoritaires et disposaient d'un fort pouvoir de négociation vis-à-vis des établissements bancaires compte tenu du volume d'affaires apportées.

514.La hausse de prix a été évaluée, par le rapport de l'expert qui a analysé le sondage de prix (rapport du 11 août 2009), à une fourchette s'établissant entre 1,07 et 1,75 centimes d'euros, au cours de la période 2001-2004, et entre 1,04 et 1,58 centimes d'euros, au cours de la période 2001-2006, pour un prix moyen des conditions bancaires aux grands remettants d'environ 3 centimes d'euro. (décision attaquée, § 695). Cette hausse porte sur la seule évolution des prix faciaux du service de remise de chèques et ne tient pas compte de l'évolution tarifaire liée, par exemple, à l'évolution des dates de valeur imposées aux entreprises. Cette dernière avait été évaluée par l'expert à 0,6 centimes par chèque.

* Contestation de la fiabilité des données

515.Les sociétés HSBC France, Crédit agricole et Le Crédit lyonnais contestent la fiabilité des données du sondage de prix.

516.Elles invoquent à ce titre l'analyse réalisée par leur propre expert économiste, qui a corrigé des problèmes de méthode relevés par lui et a tenu compte de la progressivité des hausses de prix, ainsi que de leurs baisses entre 2004 et 2006 et de la décroissance du nombre de chèques.

517.Sur ce point, toutefois, la cour relève que l'étude de l'expert économiste des parties fait état, ainsi que le relève l'Autorité dans ses observations, d'une hausse du prix facial de la remise de chèques de 1,2 centimes d'euros en moyenne par chèque remis, hausse qui se tient dans la fourchette retenue par l'Autorité dans le paragraphe 695 de la décision attaquée.

518.En outre, si l'expert économiste des parties conclut que la prise en compte de la progressivité de la hausse des prix conduit à réduire l'estimation moyenne de la hausse des prix par chèque remis à 0,557 centimes d'euros, cette analyse, qui se borne à examiner les hausses sur la seule période d'application de la CEIC, ne prend pas en compte le fait que les conditions bancaires ont nécessairement été affectées par la CEIC, même postérieurement à la disparition de cette commission, en raison de l'inertie caractérisant le marché, du fait, notamment, que les contrats entre banques et clients remettants sont souvent conclus sur une base pluriannuelle, ce dont attestent les différentes baisses des prix consécutives à la suppression de la CEIC qui ont pu être constatées entre 2008 et 2009 (décision attaquée, § 703 et 704).

519.Par ailleurs, l'Autorité a tenu compte du fait que l'échantillon des entreprises sondées comprenait une sur-représentation d'entreprises de la grande distribution (décision attaquée, § 696). Toutefois, cette sur-représentation est favorable aux parties en ce que ces entreprises ayant suffisamment de puissance économique pour résister aux hausses de prix, la hausse constatée est très probablement sous-évaluée. Enfin, l'expert indépendant qui a analysé les résultats du sondage de prix a certifié la sincérité de l'agrégation des données confidentielles de celui-ci, attestant ainsi de l'objectivité et de la fiabilité des données exploitées, cet expert ayant par ailleurs produit divers tableaux de synthèse, dont certains ont exclu les données considérées par les banques comme non comparables. Les données du paragraphe 695 de la décision attaquée prennent en compte l'ensemble des échantillons ainsi proposés par l'expert indépendant. Le fait que l'Autorité n'ait pas choisi entre les échantillons retenus par le rapport d'expertise du 11 août 2009, comme l'observe la société HSBC France, n'est pas de nature à affaiblir les constatations qui sont tirées de ce rapport et qui constituent des éléments parmi d'autres d'un faisceau d'indices sur la mesure du dommage à l'économie.

520.À ce titre, la cour observe que les hausses de prix consécutives à l'instauration de la CEIC sont corroborées par plusieurs pièces de la procédure démontrant explicitement que les sociétés Le Crédit industriel et commercial, Le Crédit lyonnais, BNP Paribas, ainsi que la Confédération nationale du Crédit mutuel et la Banque de France ont répercuté la CEIC sur des clients grands remettants (décision attaquée, § 698 à 702). Il importe peu que les preuves directes de ces répercussions soient peu nombreuses au regard du nombre de grands remettants présents sur les marchés français. En effet, d'une part, leur seule existence démontre que, même pour des clients représentant une surface financière, et donc une puissance de négociation, importante, les banques en cause ont fait primer l'intérêt que représentait pour elles la répercussion sur le risque de perte de leur clientèle. Ceci permet de déduire avec suffisamment de certitude que tel a été aussi le cas pour d'autres clients de moindre importance, ayant moins de poids financier pour négocier les conditions financières de leurs banques.

521.Sur ce point, les réponses qualitatives invoquées par la société BNP Paribas, par lesquelles un certain nombre d'entreprises interrogées auraient indiqué que leurs conditions financières n'avaient pas été renégociées par leur banque à la suite de la mise en place de la CEIC, ne sont pas suffisantes à établir l'absence de répercussion de cette commission, dès lors que le mécanisme de financement par subventions croisées permettait de ne pas en répercuter directement le coût et que, par ailleurs, l'opacité des conditions financières des banques ne favorisait pas la compréhension d'une répercussion indirecte. Il en est de même pour la prise en compte des tarifs de la société Auchan, dont le responsable avait déclaré ne pas avoir subi de hausse de tarif.

522.Par ailleurs, les requérantes ne sauraient revendiquer la prise en compte des gains réalisés par les clients, liés à l'accélération de l'encaissement des chèques permis par l'EIC, dès lors qu'ainsi qu'il été dit précédemment, il n'est pas démontré que l'instauration de la CEIC était objectivement nécessaire à la mise en place de l'EIC et que, si les clients ont pu bénéficier d'une accélération de l'encaissement des chèques, il ne peut, en conséquence, être considéré que ce gain doive être déduit de la charge qu'a pu représenter la répercussion de l'EIC.

* Sur l'évolution des dates de valeur

523.La décision attaquée a repris le constat figurant au rapport d'expertise du 11 août 2009, selon lequel l'évolution des dates de valeur avait, concernant les grands remettants, accru l'augmentation des prix d'environ 0,6 centime d'euro par chèque. La société HSBC France critique cette analyse. Elle fait valoir à ce titre que les conclusions des rapporteurs reposent sur une hypothèse erronée, selon laquelle 100 % des gains de productivité auraient, en l'absence de CEIC, été répercutés au client et que toute diminution des dates de valeurs qui serait inférieure à la diminution du délai d'encaissement interbancaire serait analysée comme une augmentation de prix. Or, selon elle, l'analyse économique montre que les entreprises ne transmettent à leurs clients qu'une partie des gains de productivité en situation de concurrence imparfaite. Les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais opposent sur cette question que le rapport du 19 août 2009 fait ressortir qu'en moyenne, les banques ont transféré à leurs clients grands remettants plus de 90 % de l'accélération, soit 1,1 jour ouvré. La réduction d'un jour de valeur représentant en moyenne un gain supérieur à l'augmentation marginale du prix unitaire de remise, elles en déduisent que les clients ayant connu une hausse marginale du prix unitaire de remise et une réduction des dates de valeur ont en réalité bénéficié d'une baisse tarifaire globale supérieure.

524.Il convient sur ce point de préciser que la notion de « dates de valeur » correspond à la pratique consistant à décaler la date de débit ou de crédit du compte courant du client par rapport à la date d'opération, afin, notamment, de tenir compte des délais techniques d'encaissement, et donc de la date effective à laquelle la banque est elle-même débitée ou payée. Les « jours de banques » consistent à créer un décalage supérieur au délai technique d'encaissement, ce qui constitue un mode de rémunération indirecte pour la banque, qui peut placer les sommes correspondantes à son profit dans l'intervalle (« float ») (décision attaquée, note 4 sous § 32).

525.En l'espèce, si parmi les 54 conditions bancaires étudiées dans le rapport d'expertise du 11 août 2009, aucune augmentation des dates de valeur n'a été constatée avec le passage à l'EIC, il n'en demeure pas moins que l'expert indépendant a observé une augmentation des jours de banques qui n'est pas contestée par les parties. Or cette augmentation a conduit à ce que, en pratique, les banques ont accordé à leurs clients grands remettants une diminution des dates de valeur inférieure en moyenne à l'accélération permise par la mise en place de la dématérialisation. L'expert économiste des parties a considéré que, selon les hypothèses, les clients ont bénéficié de 61 à 70 % de la valeur de l'accélération.

526.Certes, il n'est pas obligatoire pour un opérateur économique de faire bénéficier ses clients des économies de coûts qu'il réalise et cette répercussion n'est pas automatique. Mais, ainsi que le fait valoir l'Autorité dans ses observations, les grands remettants représentent une clientèle importante pour les banques qui candidatent à des appels d'offres pour obtenir cette clientèle et indiquent se livrer à une vive concurrence à leur endroit. Dans ces circonstances, c'est à juste titre que l'Autorité a analysé comme équivalente à une augmentation de prix, et partant comme une répercussion de la CEIC, les augmentations de jours de banques, pratiquées par les banques en cause à leurs clients grands remettants, et destinées à conserver une partie du gain de trésorerie permis par l'accélération de l'encaissement des chèques. Enfin, si la valorisation de cette augmentation n'est pas totalement exacte, elle contribue toutefois au faisceau des indices d'appréciation de l'ampleur du dommage à l'économie.

* Sur les échanges entre banques et leurs clients grands remettants

527.Les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais contestent que la lettre du 30 octobre 1999, adressée par cette dernière à l'un de ses clients et citée au paragraphe 699 de la décision attaquée, puisse démontrer une volonté de répercussion de la CEIC. Toutefois, si les termes de cette lettre, qui expliquent au client en quoi les éléments de cette nouvelle offre ne sont pas comparables point par point à la précédente, ne comportent pas expressément l'indication de la répercussion de la CEIC, ils précisent néanmoins que cette « nouvelle offre intègre les surcoûts liés au traitement EIC par la banque remettante qui doit désormais assurer les fonctions de dématérialisation et d'archivage du chèque tout en supportant des charges interbancaires plus lourdes que dans le système précédent » (souligné par la cour). Les charges interbancaires ainsi mentionnées, plus lourdes que dans le système précédent, renvoient, nécessairement, à la CEIC au moins en partie. De plus, les avantages de la nouvelle offre, cités par les requérantes dans leurs conclusions (§ 1034 à 1036), ne démontrent pas à eux seuls que celles-ci n'auraient pas répercuté le montant de la CEIC, alors même que la lettre précitée annonçait l'inverse par les termes repris ci-dessus, ce qui est confirmé par l'augmentation du prix unitaire de la remise, admis par les requérantes dans leurs conclusions.

528.La société HSBC France invoque les déclarations de trois responsables de sociétés de grande distribution qui ont déclaré que la CEIC ne leur avait pas été répercutée ou qu'ils avaient veillé à ce que tel ne soit pas le cas. Toutefois, ces seuls témoignages ne remettent pas en cause la répercussion pour d'autres entreprises ayant la qualité de « grand remettant », révélée par le sondage de prix ainsi que par les échanges sus-mentionnés entre certaines banques et leurs clients. La cour observe à ce titre que les directeurs de la trésorerie des sociétés Auchan, Casino et Carrefour ont décrit des situations dans lesquelles l'ensemble des banques refacturaient la CEIC, sauf deux d'entre elles, pour les sociétés Auchan ainsi que Casino, et, finalement, une d'entre elles, pour la société Carrefour (PV Cotes 2904 et suivantes, 2867 et suivantes, 2904 et suivantes). En outre, le témoignage du directeur de la trésorerie de la société Carrefour précise clairement, au contraire de ce que prétendent certaines parties, que cette société a été confrontée à « un front très uni des banques », tous les établissements avec lesquels cette entreprise travaillait ne souhaitant pas continuer à lui fournir un service de remise de chèques sans refacturation de la CEIC.

529.À compter de 2003, la Banque de l'Économie du Crédit mutuel et le CCF, entités du groupe HSBC, ont refacturé la CEIC. Ce n'est qu'à la fin de l'année 2004 que la société Carrefour, après de multiples négociations aux cours desquelles elle a envisagé de faire passer le flux des chèques par la filiale financière du groupe et donc de se passer des banques, a obtenu que la CEIC ne lui soit pas facturée, en échange toutefois de l'exclusivité accordée à la société BNP Paribas.

530.Ces témoignages montrent que les banques en cause avaient décidé de facturer la CEIC à leurs clients et que ce n'est que pour certains clients, et au prix de négociations exigeantes et difficiles, qu'elles ont accepté d'y renoncer. La dénégation invoquée par la société HSBC France qui expose, concernant la société Carrefour, que la nouvelle tarification visait à harmoniser les conditions appliquées aux différents magasins, auparavant hétérogènes, ne permet pas, compte tenu de la généralité de l'attitude opposée à la société Carrefour, de rapporter la preuve que la société HSBC France aurait accepté de ne pas facturer la CEIC à la société Carrefour, ce qu'elle ne prétend d'ailleurs pas. À ce sujet, la cour relève que les déclarations, lors de la séance de l'Autorité, du responsable de la société Carrefour, non retranscrites et seulement rapportées par certaines parties, ne sauraient rapporter la preuve contraire de ce qui résulte des procès-verbaux figurant au dossier.

531.Enfin, les responsables des sociétés Auchan et Casino ont, pour leur part, indiqué qu'ils n'avaient constaté aucune manifestation du raccourcissement des délais d'encaissement, ce qui montre que la répercussion pouvait être indirecte et se traduire simplement en ne faisant pas bénéficier les clients de l'accélération de l'encaissement.

532.Ce mécanisme a été confirmé par les déclarations du directeur de la trésorerie d'EDF lors d'une audition du 10 juin 2008 (Cote 8958), selon lesquelles « [s]'agissant de la Banque de France, la répercussion directe de la CEIC, voulue par la banque, a finalement été abandonnée au profit d'une facturation indirecte sur le « float » : en pratique, alors que l'EIC pouvait faire passer ces dates de valeur de J+2 à J+1, EDF a accepté d'en rester à J+2 (...). Nous avons dû nous séparer du CIC (...) Ils étaient inflexibles dans leur volonté de répercuter la CEIC. Pour La Banque postale, le Crédit du Nord et le Crédit agricole, il n'y a pas eu de demande formelle de renégociation de leur part à l'occasion du passage à l'EIC, en partie parce que nos contrats avec eux se terminaient peu de temps après (...). Lors de l'appel d'offres qui a suivi, les conditions bancaires ont évolué par rapport à ce qui existait précédemment. À cet égard, un point mérite d'être souligné : si la répercussion de la CEIC n'a jamais été explicite dans les offres des banques, de nombreux services, jusqu'ici gratuits ou fixés à un certain niveau, sont devenus payants ou ont vu leur niveau augmenter (....) ».

533.Il est en outre sans portée que certaines banques en cause ne soient pas citées dans ces exemples de répercussions, ou que toutes n'aient pas adopté la même politique quant à la répercussion, dès lors que le coefficient relatif à la gravité des pratiques et le dommage à l'économie prend en compte de telles circonstances qui sont de nature à réduire l'ampleur de ce dommage.

* Sur le lien de causalité

534.Les sociétés HSBC France, Crédit agricole, Le Crédit lyonnais et BNP Paribas contestent qu'un lien de causalité puisse être établi entre les hausses de prix constatées par le sondage de prix ainsi que le rapport d'expertise du 11 août 2009 et la mise en 'uvre de la CEIC.

535.Cette critique n'est pas fondée. En effet, le lien de causalité est tout d'abord démontré par les éléments qui témoignent par eux-mêmes de la répercussion de la CEIC, que ce soit les échanges entre les banques et les entreprises ou les témoignages des responsables de celles-ci. Par ailleurs, il est conforté par le constat que la suppression de la CEIC en 2007 a été suivie d'une baisse des tarifs des banques. L'Autorité a retenu à ce titre, d'une part, l'étude des appels d'offres auxquels avait participé la Société générale, d'autre part, trois exemples d'entreprises dans leurs relations avec plusieurs banques.

536.Si ces exemples ne constituent pas à eux seuls des preuves directes du lien de causalité, ils confortent néanmoins le faisceau des indices de son existence, et alors qu'aucun élément du dossier ne permet de remettre en cause leur véracité. Par ailleurs, rien ne démontre que, comme le prétendent les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais, les baisses de prix s'expliquerait par l'amortissement des investissements réalisés pour le passage à l'EIC.

537.C'est en vain, sur ce point, que ces mêmes requérantes soutiennent que l'évolution tarifaire constatée par le sondage des prix serait liée au changement de nature des services fournis par les banques, à la diminution constante des volumes traités et à la fourniture des services complémentaires intégrés dans la prestation, dès lors que, dans un tel cas, aucune baisse des prix n'aurait dû être constatée à compter de la suppression de la CEIC en 2007. Pour les mêmes raisons, les facteurs exogènes invoqués par la société HSBC France ne conduisent pas à remettre en cause l'analyse menée par l'Autorité, qui s'appuie sur des éléments objectifs et pertinents que la cour approuve.

538.Il est encore sans portée que les rapporteurs aient, au stade de la notification de griefs, considéré que la répercussion était difficile à établir pour les entreprises ne payant pas la remise de chèque à l'opération, dès lors que la suite de l'instruction a permis d'apporter des éléments remédiant à cette difficulté. En revanche, leur constat, dans leur rapport du 19 août 2008, d'une stabilité des prix de remise entre 2000 et 2001, avant l'instauration de la CEIC, témoigne lui aussi du lien de causalité entre la mise en 'uvre de cette commission et l'augmentation constatée de ces tarifs à partir de 2002.

539.Enfin, le moyen de la société La Banque postale selon lequel la répercussion de la CEIC sur certains grands remettants ne peut avoir causé de dommage à l'économie, car ces montants permettaient de couvrir en partie les coûts induits par la gratuité du chèque, n'est pas fondé. En effet, ainsi qu'il a été précisé, les coûts de la gratuité du chèque sont compensés de plusieurs manières, la facturation de la remise, le « float », des commissions de mouvement, mais aussi par la mutualisation des coûts. Dans ce contexte, la perte d'une partie du « float » a pu être compensée par les autres moyens de rémunération, mais aussi par les gains provenant de la mise en place de l'EIC et, dès lors, il n'était pas nécessaire de mettre en place la CEIC pour couvrir spécifiquement les coûts de la gratuité du chèque. En outre, l'objet de la CEIC n'était pas de couvrir les coûts de la gratuité, mais de compenser les pertes résultant de l'accélération de l'encaissement des chèques invoquées par les Banques.

iii) Sur la répercussion concernant les autres entreprises et les particuliers

540.L'Autorité a, par une juste analyse que la cour adopte, considéré qu'il était certain que les entreprises qui n'appartenaient pas à la catégorie des grands remettants et qui, de ce fait, d'une part, ne disposaient que d'un pouvoir de négociation limité vis-à-vis de leur établissement bancaire, d'autre part, étaient peu informées des modalités indirectes de facturation des services bancaires et du prix réel de ceux-ci, avaient subi la plus forte augmentation tarifaire du fait de la répercussion de la CEIC.

541.Les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais opposent à ce sujet que l'hypothèse d'une plus forte répercussion d'une hausse de coût sur les prix facturés aux clients ayant un moindre pouvoir de négociation est contredite par la théorie économique, comme l'a rappelé le rapport de leur expert économiste du 22 octobre 2010. Selon ce rapport, invoqué par ces requérantes ainsi que par la société HSBC France, un pouvoir de négociation réduit impliquerait une moindre réactivité des prix aux « chocs de coûts ».

542.Cependant, la cour observe que cette affirmation de l'expert économiste des parties n'est pas explicitée ni étayée que ce soit par lui, ou par les parties. Par ailleurs, si la répercussion d'un choc de coût serait, ainsi que l'affirme l'expert économiste des parties, plus importante sur les marchés pour lesquels la concurrence est forte et les prix bas, il n'en demeure pas moins que les entreprises qui n'ont pas de pouvoir de négociation ou un pouvoir amoindri, ont une faible capacité à résister à une augmentation de prix qui leur est imposée par un de leurs partenaires économiques. En outre, cette tendance a été en l'espèce confirmée par l'observation du sondage de prix, qui a établi que l'ampleur de la répercussion de la CEIC était inversement proportionnelle au volume des chèques remis, ce qui correspond à la situation des entreprises n'ayant pas le statut de grand remettant. De plus, la forte concurrence entre elles qu'invoquent les parties, ne les a pas empêchées en l'espèce de s'accorder sur la création, le montant et la mise en 'uvre de la CEIC.

543.S'agissant des particuliers, la société HSBC France soutient que les présomptions les concernant sont « hors sujet », car la saisine d'office ne portait que sur les « tarifs et conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis par les entreprises aux fins d'encaissement ». Ce grief n'est pas fondé. En effet, la limitation du champ de la saisine concerne la ou les pratiques visées, mais ne saurait limiter le champ du dommage à l'économie causé par la ou les pratiques, quand bien même serait-il constaté sur un marché ou un secteur différent de celui concerné par les pratiques.

544.La décision attaquée (§ 707) a retenu sur ce point que l'ampleur de la répercussion n'est pas quantifiable. Il n'est toutefois pas contesté que celle-ci s'est traduite par une accélération des encaissements moindre que ce qu'aurait permis l'accélération du règlement interbancaire, portant ainsi un préjudice aux clients à découvert et à ceux optimisant leur trésorerie, le préjudice des autres clients étant difficile à monétiser. Cette difficulté ne permet toutefois pas de conclure que le dommage à l'économie n'aurait pas été constitué au regard des clients particuliers. Le fait que ceux-ci soient davantage tirés que remettants n'en réduit pas moins leur préjudice à néant car ils sont aussi remettants. Il n'y a en outre, et pour le même motif, pas lieu de considérer que le dommage à l'économie ne devait être examiné qu'au regard des chèques remis par les entreprises et non au regard des chèques remis par les particuliers.

545.Enfin, c'est en vain que certaines banques font valoir que leurs clients n'ont pu subir aucun préjudice du fait de la CEIC, dès lors que le dommage à l'économie est causé de manière globale par tous les participants à l'entente et ne recouvre pas le préjudice qu'ont pu subir tel ou tel client des entreprises auteures des pratiques.

546.Il se déduit de l'ensemble de ce qui précède que, quand bien même ne serait-il pas quantifiable, l'Autorité a suffisamment établi le dommage à l'économie résultant d'un effet de hausse des prix de la remise du chèque et, de façon plus générale, des services bancaires en raison du mécanisme de subventions croisées. Les moyens des parties sur ce point sont rejetés.

iv. La raréfaction de l'offre sur le marché de la remise de chèques

547.L'Autorité a retenu, au paragraphe 710 de la décision attaquée, que, dans les cas où les banques n'avaient pas pu répercuter la CEIC sur leurs clients, l'offre de service de remise de chèque a été dégradée, ce qui a réduit l'incitation qu'elles avaient à se faire concurrence. Elle a estimé que cette situation était démontrée, d'une part, par le refus de la Société générale de donner suite à la proposition d'un de ses clients « très grand remettant » de lui apporter l'intégralité de son service de remise de chèque à la condition de ne pas inclure dans le prix de remise le montant de la CEIC (cote 3770), d'autre part, par un regain de participation de la Société générale aux appels d'offres des entreprises remettantes après la suppression de la CEIC, constaté dans une étude du 28 mai 2008.

548.La Société générale qui oppose que le dommage à l'économie n'est, sur ce point, pas démontré, ne conteste toutefois pas que la difficulté de répercuter la CEIC a justifié son refus d'accepter l'offre du client auquel se réfère la décision attaquée, raison qui a d'ailleurs été expressément indiquée dans sa lettre de refus (cote 3770) qui précisait qu' « [e]n tant que banque très impliquée auprès des Grands Remettants, nous sommes très pénalisés par les dernières dispositions liées à l'interchange. (...) La fourchette attendue par un groupe tel que Carrefour pour ce type de prestation ne nous permettra pas, bien évidemment, de couvrir l'impact de l'interchange. Cette prestation ne peut donc être que déficitaire ». Comme les autres parties, elle ne conteste pas non plus que la CEIC et la difficulté qu'elle pouvait rencontrer pour la répercuter à certains grands remettants diminuaient pour elle l'intérêt que représentait cette activité. L'argument, invoqué à ce sujet par la société HSBC France, selon lequel l'offre des banques sur ce marché aurait toujours été fluctuante pour des raisons de stratégies qui leur étaient propres, est sans portée, dans la mesure où il n'est ni invoqué ni démontré une autre raison qui aurait justifié ce désintérêt, lors de la période concernée. Il est sur ce point tout autant dépourvu d'effet que les banques en cause aient continué et continuent d'offrir leurs services d'encaissement des chèques à leurs clients.

549.Enfin, contrairement à ce que soutient la société BPCE, il n'est pas contradictoire de soutenir, d'un côté, que la CEIC a causé un dommage à l'économie du fait de la répercussion de son montant sur les clients et, de l'autre, que, dans les cas où cette répercussion n'a pas été possible du fait de la puissance de négociation des clients concernés, l'existence de la CEIC a alors été de nature à amoindrir l'offre sur le service de la remise de chèques, secteur où pourtant les banque étaient en concurrence entre elles.

Les commissions AOCT

550.L'Autorité a, s'agissant des commissions AOCT, retenu que, faute d'éléments sur le niveau de coût exposés à l'occasion des opérations d'annulation à tort, le dommage à l'économie ne pouvait être quantifié avec précision, mais que ce dommage était de faible ampleur et significativement moindre que celui causé par la CEIC (décision attaquée, § 711).

551.L'Autorité a rappelé à ce sujet que les commissions AOCT sont prélevées sur une minorité d'opérations de compensation de chèques interbancaires et que la potentialité des effets anticoncurrentiels était limitée du fait du montant des commissions collectées, d'une part, et de la nature de la pratique, d'autre part. La cour relève que le montant de ces commissions représente moins de 0,3 % du montant de la CEIC (décision attaquée, § 713 et 715).

552.En outre, la décision attaquée a rappelé que les commissions AOCT constituent une charge d'exploitation pesant sur les résultats des banques dont une partie peut être répercutée sur les clients finaux via une facturation directe ou indirecte. Le montant de ces commissions n'ayant pas été fixé au regard des coûts exposés, ils sont susceptibles de conduire indirectement à une inflation du prix des services bancaires. Cependant, seule une fraction du montant des commissions AOCT, correspondant à la différence entre leur tarif et le coût réel du service, représente un surcoût imposé à la banque qui doit acquitter ces commissions, lequel est susceptible d'entraîner un dommage à l'économie.

553.Il résulte de l'ensemble de ces éléments objectifs que les commissions AOCT ont causé un dommage à l'économie qui, s'il est faible, n'en est pas pour le moins existant.

554.Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais, le fait que les commissions AOCT contribuent à assurer le bon fonctionnement du système, puisqu'elles compensent la charge pour les banques concernées des coûts engagés en cas d'opération compensées à tort, n'implique pas nécessairement que leur perception n'a pas pu causer de dommage à l'économie. En effet, dans l'impossibilité de connaître les coûts réels de ces services, au moment de la création et de la perception de ces commissions jusqu'au prononcé de la décision attaquée, rien ne permet de dire que celles-ci étaient proportionnées aux coûts et, éventuellement, à l'objectif d'incitation à la limitation des erreurs et, partant qu'elles n'ont pas fait supporter aux banques, ainsi qu'aux clients auxquels ces commissions étaient facturées, un surcoût, constitutif d'un dommage à l'économie.

555.Par ailleurs, ce dommage ne peut être évalué à l'aune des constatations effectuées par l'expert indépendant désigné par les parties pour se conformer à l'injonction de l'article 5 de la décision attaquée, dès lors que celui-ci n'a pas travaillé sur les coûts des banques supportés à l'époque des faits.

556.Il se déduit de l'ensemble de ces éléments, que la cour adopte, que l'Autorité a, à juste titre, considéré que le dommage à l'économie causé par les commissions AOCT a été de faible ampleur.

C. Sur la méthode de détermination des sanctions

557.Pour déterminer le montant des sanctions, l'Autorité a pris en compte, non la valeur des ventes de produits ou services en relation avec l'infraction, mais, s'agissant des banques autres que la Banque de France, leur part sur le marché de l'émission et de la remise de chèques et leur produit net bancaire, au moyen d'une formule de calcul intégrant aussi le produit net bancaire de l'ensemble des banques mises en cause et un coefficient multiplicateur.

558.Les sociétés HSBC France, Société générale, BPCE, Crédit agricole et Le Crédit lyonnais prétendent que la décision attaquée est entachée d'un défaut de motivation en ce qui concerne l'application de cette méthode de détermination du montant des sanctions qui leur ont été infligées ; la société HSBC France soutient, par ailleurs, que cette méthode a été mise en 'uvre au mépris du principe du contradictoire.

1. Sur le respect du contradictoire

559.L'Autorité a considéré qu'il n'était pas possible, compte tenu des spécificités du secteur bancaire, de déterminer la valeur des ventes des services en cause, à savoir les services d'émission et de remise de chèques, et qu'en conséquence, il convenait d'asseoir le montant de base des sanctions sur les autres critères, ci-dessus rappelés, tirés de la part des établissements sur le marché de l'émission et de la remise de chèques et sur leur produit net bancaire.

560.La société HSBC France reproche à l'Autorité d'avoir ainsi « exclu d'office » la prise en compte de la valeur des ventes, sans en débattre contradictoirement avec les parties en cause, et d'avoir, ce faisant, « irrémédiablement violé les principes généraux du procès équitable et des droits de la défense consacrés par le droit national et conventionnel », de sorte que la décision attaquée doit être annulée.

561.Comme l'Autorité l'a rappelé dans la décision attaquée, « [l]a Commission européenne ainsi que la plupart des autorités de concurrence en Europe se réfèrent, pour fixer le montant de base de la sanction, à la valeur des ventes de biens ou services, réalisées par l'entreprise, en relation avec l'infraction sur le marché géographique concerné » (§ 750).

562.Mais, pour habituel qu'il soit, le recours à cette méthode ne s'imposait nullement à l'Autorité, qui statuait, en l'espèce, antérieurement à son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la détermination du montant des sanctions (le communiqué sanctions), lequel, pour le calcul du montant de base, retient en principe, et sauf circonstances particulières, la valeur des ventes de biens et services, en proportion de la gravité des faits et du dommage à l'économie. Il lui était, en revanche, loisible à cette date d'appliquer toute autre méthode lui paraissant plus appropriée, sans que ce choix ait, en lui-même, à faire préalablement l'objet d'un débat contradictoire, dès lors que l'Autorité ne s'est appuyée sur aucun élément qui n'ait été soumis à un tel débat.

563.Tel est bien le cas en l'espèce, puisque l'Autorité a exposé, dans la décision attaquée, les raisons qui l'ont conduite à écarter le critère de la valeur des ventes, en indiquant qu'il « n'[était] pas possible, en raison des spécificités du secteur bancaire, de déterminer la valeur des ventes de services d'émission et de remise de chèques réalisées par les banques au cours de la période en cause. En effet, cette valeur ne peut être quantifiée, compte tenu des diverses modalités, directes et indirectes, de tarification de ces services, et de l'existence d'importantes subventions croisées avec d'autres services bancaires » (décision attaquée, § 750). Ce constat conduisait donc l'Autorité à recourir à une autre méthode de détermination du montant de base des sanctions, sans qu'on puisse lui faire grief d'avoir manqué au principe du contradictoire.

564.Le moyen d'annulation de la société HSBC France sera donc rejeté.

2. Sur la motivation de la décision attaquée

565.Les sociétés HSBC France, BPCE, Crédit agricole, Le Crédit lyonnais, et Société générale soutiennent que l'Autorité n'a pas satisfait à son obligation de motivation, en ce qui concerne tant sa décision d'écarter le critère de la valeur des ventes, que l'application de la formule de calcul qu'elle lui a substituée. Elles en concluent que la décision attaquée doit être annulée.

a) Sur la décision d'écarter le critère de la valeur des ventes

566.Les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais soutiennent que l'Autorité n'a pas motivé, de manière claire et précise, sa décision de ne pas s'appuyer sur la valeur des ventes des services concernés pour calculer le montant de base des sanctions et qu'elle n'a donc pas satisfait à son obligation de motivation.

567.Sur ce point, la cour rappelle au préalable, comme elle l'a fait plus haut, que, si la prise en compte de la valeur des ventes de biens ou services en relation avec l'infraction, pour calculer un montant de base de la sanction, est une méthode habituellement appliquée par les autorités de concurrence, et parmi celles-ci l'Autorité, comme en témoigne sa pratique décisionnelle, elle ne s'imposait nullement à l'Autorité, qui pouvait choisir d'appliquer toute autre méthode qu'elle jugeait plus appropriée au cas d'espèce, dans le respect des dispositions de l'article L. 464-2 du code de commerce relatives au montant maximal des sanctions et à leur proportionnalité.

568.La cour relève, ensuite, que, contrairement à ce qu'allèguent les requérantes, il ressort de la décision attaquée que l'Autorité y a exposé les motifs qui l'ont conduite, au cas particulier, à ne pas asseoir le montant de base des sanctions qu'elle a prononcées sur la valeur des ventes et à lui substituer une autre méthode de calcul. C'est ainsi que l'Autorité a constaté, au paragraphe 750 de la décision attaquée, que, compte tenu des spécificités du secteur bancaire, la détermination de la valeur des ventes, consistant ici dans la valeur des vente des services d'émission et de remise de chèques, s'avérait impossible.

569.Elle a justifié cette impossibilité en constatant que la tarification de ces services était l'objet de diverses modalités, directes et indirectes, et était caractérisée par l'existence de subventions croisées ; elle a, aux paragraphes 31 et 32 de la décision attaquée, explicité ces spécificités, en relevant, d'une part, que les banques recherchaient la rentabilité globale de leurs services au niveau de chaque client, et non service par service, de sorte qu'un service pouvait être fourni à perte, si un autre poste permettait de couvrir cette perte, et, d'autre part, que les modes de rémunération des services de chèques étaient variés ' consistant dans une tarification directe de la remise de chèques au moyen de commission à la transaction, dans le bénéfice du « float », c'est-à-dire du produit de placement par la banque et pour son propre compte des sommes disponibles au crédit des comptes courants non rémunérés de ses clients et dans des commissions de mouvement ', et pouvaient être combinés entre eux.

570.L'Autorité a considéré qu'il en résultait une « opacité » de la tarification, empêchant « d'évaluer précisément la valeur des ventes réalisées par les banques à raison des services d'émission et de remise de chèques affectés par les pratiques en cause » (décision attaquée, § 683).

571.Il ressort de ces éléments de motivation que l'Autorité a exposé, avec suffisamment de clarté et de précision, les raisons qui l'ont conduite, au cas d'espèce, à ne pas calculer le montant de base des sanctions à partir de la valeur des ventes de biens et services concernés. Le moyen soutenu de ce chef par les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais doit donc être rejeté.

b) Sur le produit net bancaire de chaque banque

572.La société BPCE rappelle que l'Autorité a, au paragraphe 751 de la décision attaquée, justifié la prise en compte, dans la formule de calcul, du produit net bancaire réalisé par chaque banque sur le territoire national par la circonstance que l'effet des pratiques en cause s'était étendu « au-delà du seul marché du chèque, pour toucher l'ensemble des activités bancaires des mises en cause ». Elle souligne que, pourtant, l'Autorité avait précédemment relevé que les marchés affectés étaient ceux de l'émission et de la remise de chèques, ainsi au paragraphe 670 de la décision attaquée, dans lequel elle indique que les commissions ont affecté « les différentes faces du marché, à savoir le marché de la remise de chèque et le marché de l'émission du chèque ». Elle reproche, par ailleurs, à l'Autorité de ne pas avoir expliqué en quoi le produit net bancaire refléterait la taille et la puissance économique d'une banque, alors qu'il est habituellement considéré, y compris par la Commission européenne, que la taille et la puissance économique d'une entreprise sont reflétées par son chiffre d'affaires. La société BPCE en conclut que la décision attaquée est affectée d'un défaut de motivation.

573.Sans doute l'Autorité a-t-elle effectivement considéré que les pratiques en cause avaient affecté le marché de la remise de chèques et le marché de l'émission de chèques, ceux-ci constituant « deux faces » du marché des services liés au paiement par chèques (décision attaquée, § 254 et 670) ; mais cette analyse n'est nullement contradictoire avec le constat, fait au paragraphe 751 de la décision attaquée, que, du fait des spécificités du secteur bancaire, tenant en particulier à l'existence de subventions croisées, les effets de ces pratiques ont touché l'ensemble des activités bancaires des mises en cause. L'Autorité a, ainsi, suffisamment motivé la prise en compte, pour le calcul du montant de base des sanctions, du produit net bancaire des mises en cause, celui-ci reflétant leur taille et leur puissance économique, au regard de l'ensemble de leurs activités bancaires, d'une façon plus appropriée que le chiffre d'affaires, habituellement retenu pour apprécier la taille des entreprises non financières.

c) Sur le produit net bancaire total des banques mises en cause

574.La société BPCE fait valoir que l'Autorité, après avoir exposé, au paragraphe 751 de la décision attaquée, qu'elle retiendrait deux éléments, la part de marché de chaque banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques et le produit net bancaire de chaque banque, s'est ensuite appuyée, « sans explication », sur le produit net bancaire total des banques en cause, qu'elle a intégré dans la formule de calcul présentée au paragraphe 755 de la décision attaquée, manquant ainsi à son obligation de motivation.

575.Mais la cour observe que, si le produit net bancaire total des mises en cause figurant dans la formule de calcul n'est pas explicitement mentionné au paragraphe 751 de la décision attaquée, dans lequel l'Autorité présente les éléments qu'elle retiendra, par préférence à la valeur des ventes, pour calculer le montant de base des sanctions, sa signification s'impose avec évidence, puisqu'il consiste dans l'addition du produit net bancaire de chacune des banques en cause, celui-ci permettant de tenir compte « de la taille et de la puissance économique de chaque banque et, partant, de ses capacités contributives » (décision attaquée, § 751).

3. Sur le bien fondé de la formule de calcul des sanctions

576.En application de la méthode définie au paragraphe 755 de la décision attaquée, le montant de base de la sanction a été calculé ainsi : [(part relative de la banque concernée sur le marché de l'émission et de la remise de chèques x produit net bancaire total des mises en cause) + produit net bancaire de la banque concernée] x coefficient multiplicateur.

a) Sur la présentation de la formule de calcul

577.Les parties soutiennent que cette formule est obscure et font grief à l'Autorité de ne pas avoir explicité les étapes du raisonnement.

578.Cette critique n'est pas fondée. En effet, chaque étape du raisonnement est explicitée par la formule de calcul précisée au paragraphe 755 de la décision attaquée, puis par les données propres à chacune des banques (coefficient et parts de marché sur le total de produit net bancaire en millions d'euros) aux paragraphes qui les concernent. Les données non précisées dans la décision attaquée sont ainsi reconstituables à partir des données propres à chaque banque (décision attaquée, § 759 à 787).

579.Dans le cadre de cette méthode l'Autorité a appliqué au montant de base un coefficient qu'un calcul par application de la règle de trois permet de chiffrer à 0,2625 %, ainsi qu'il ressort du tableau suivant :

Banque

Parts de marché

Parts de marché
(M €)

Produit net bancaire (M €)

montant de base de la sanction (M€)

coefficient multiplicateur

référence décision

attaquée

BNP-Paribas

11,48%

7766

10778

48,68

0,2625%

§ 759

BPCE - BP Participations

10,77%

7286

7225

38,09

0,2625%

§ 762

BPCE - CE Participations

8,68%

5872

9603

40,62

0,2625%

§ 764

Crédit agricole

24,02%

[Adresse 9]

8057

63,8

0,2625%

§ 768

LCL

6,30%

4262

2382

17,44

0,2625%

§ 772

HSBC

1,23%

832

2614

9,05

0,2625%

§ 775

Le Crédit industriel et commercial

6,12%

4140

3917

21,15

0,2625%

§ 777

Crédit Mutuel

10,23%

6920

6374

34,9

0,2625%

§ 779

Société Générale

9,47%

6406

10570

44,56

0,2625%

§ 782

Crédit du Nord

1,69%

1143

1516

6,98

0,2625%

§ 785

La Banque postale

10,01%

6772

4612

29,88

0,2625%

§ 787

Total

100,00%

67647

67647

355,15

0,2625%

580.Au regard des données de ce tableau, le calcul à effectuer pour connaître le coefficient est le suivant :

Montant de base de la sanction de la banque

(Part de marché de la banque X produit net total des banques) + produit net de la banque

581.Les moyens développés à ce sujet sont en conséquence rejetés.

b) Sur le choix du produit net bancaire au lieu de la valeur des ventes

582.Les parties reprochent à l'Autorité de s'être écartée de la valeur des ventes qui avait été évaluée par les rapporteurs.

583.Cependant, outre que l'Autorité n'est pas tenue de reprendre à son compte les évaluations proposées par les rapporteurs, il convient d'observer que celle présentée était insuffisamment fiable concernant l'évaluation de la valeur des ventes sur le marché de la remise de chèques, d'une part, en ce qu'elle ne couvrait pas l'ensemble des canaux de facturation indirecte du service, d'autre part, en ce qu'elle reposait sur des hypothèses incertaines en raison du manque de données disponibles. Il ne peut être reproché à l'Autorité de ne pas avoir demandé la communication des montants de valeur des ventes, qui n'avaient pas été transmis par les parties, puisque le produit net bancaire constituait, en tout état de cause, ainsi qu'il sera précisé ci-dessous, une assiette davantage justifiée au regard des exigences de proportionnalité de la sanction.

584.À ce sujet, la cour rappelle encore que le mécanisme de rémunération des services liés au chèque reposant en partie sur le système de subventions croisées déjà décrit, rendait nécessairement incertaine la détermination de la valeur des ventes de services liés aux chèques. De surcroît, la détermination de la sanction au regard de la seule valeur des ventes n'aurait pas permis de proportionner la sanction dans la mesure où la CEIC, compte tenu de ce financement, a eu des répercussions sur l'ensemble des services rendus par les banques à leurs clients.

585.Par ailleurs, si l'expert économiste des parties a procédé à sa propre évaluation de la valeur des ventes sur la face de l'émission des chèques, cette évaluation ne peut être retenue, dès lors que, comme l'oppose l'Autorité, elle ne prend pas en compte la valeur des services de chèque fournis aux particuliers, elle se limite à l'étude des prix faciaux et des jours de banque sans prendre en compte les modalités de tarification indirecte, telles que les commissions de mouvement, et elle repose sur l'exploitation exclusive des données du sondage de prix, lesquelles ne sont pas représentatives de l'ensemble des entreprises, dont la facturation est incomparable s'agissant des grands remettants ou des PME.

586.La Société générale, ainsi que les sociétés Crédit agricole, Le Crédit lyonnais et HSBC France soutiennent que la référence au produit net bancaire ne permettait ni de répondre à l'exigence de proportionnalité de la sanction, ni de traduire la taille et la puissance économique de chaque banque. La société HSBC France indique que cette méthode de calcul aboutit à un niveau de sanction déconnecté à la fois de la valeur du marché affecté et de l'effet des pratiques concernées.

587.Toutefois, c'est à juste titre que l'Autorité s'est référée au produit net bancaire.

588.En effet, cette donnée, qui, selon la définition de l'INSEE, mesure la contribution spécifique des banques à l'augmentation de la richesse nationale et peut, en cela, être rapprochée de la valeur ajoutée dégagée par les entreprises non financières (décision attaquée, § 630), est le résultat de la différence entre les produits et les charges d'exploitation bancaire. Il donne ainsi la mesure de l'activité de la banque et permet à la fois de mesurer sa puissance économique, sa place sur le marché global des services bancaires et sa faculté contributive. Cette donnée permet donc à la fois de déterminer la part prise par chaque banque au dommage à l'économie et de proportionner la sanction, d'une part, à la participation à l'infraction de chaque banque, d'autre part, à ses facultés contributives.

589.Par ailleurs, si le produit net bancaire est d'un montant plus élevé que la valeur des ventes des services de remise et d'émission de chèques, la référence à celui-ci se justifie dans les circonstances de l'espèce où les pratiques ont porté sur un service rémunéré par des subventions croisées et dont les effets se sont donc reportés sur l'ensemble de l'activité. De surcroît, ce choix de méthode est compensé par l'application d'un coefficient de faible portée permettant ainsi de minorer le montant de la sanction et de le proportionner à la gravité des pratiques et au dommage à l'économie.

590.En outre, si pour certaines banques (Crédit agricole, Le Crédit industriel et commercial, la Confédération nationale du Crédit mutuel, HSBC France et La Banque postale), le montant de la part de marché appliqué au produit net bancaire total excède le montant de leur produit net bancaire propre, ce constat ne reflète pas une incohérence de la formule employée, mais constitue le résultat de ce que, leur part sur le marché de la remise et de l'émission de chèques étant supérieure à ce qu'elle représente pour les autres banques, leur participation à la pratique a davantage impacté le marché.

591.Enfin, si, postérieurement à la décision attaquée, l'Autorité a, dans son communiqué sanctions, énoncé que la taille et la puissance économique seraient examinées comme un facteur d'aggravation ou d'atténuation de la sanction, cette prise de position n'invalide pas pour autant l'analyse différente, adoptée en l'espèce et consistant à estimer, en premier lieu, la part prise par chaque société participante au dommage à l'économie, compte tenu de sa part sur le marché du chèque, puis en second lieu, sa puissance économique traduite par son produit net bancaire.

592.Il s'ensuit que les critiques des parties sur ces points ne sont pas fondées.

c) Sur la combinaison des deux termes du calcul : parts de marché et produit net bancaire

593.L'Autorité a décidé, ainsi qu'il été dit précédemment, d'asseoir le montant de base de la sanction sur deux éléments, à savoir, d'une part, la part de marché de chaque banque sur le marché de l'émission et de la remise de chèques (traduite par la multiplication de la part de marché de l'émission et de la remise de chèques par le total du produit net bancaire) et, d'autre part, le produit net bancaire réalisé par chaque banque sur le seul territoire national.

594.Elle a précisé à juste titre, par une analyse que la cour adopte, que le premier élément permet de tenir compte de la position spécifique de chaque banque sur le marché affecté et que le second élément traduit la taille et la puissance économique de chaque banque et, partant, de ses capacités contributives.

595.La combinaison de ces deux éléments permet également de tenir compte de la circonstance que l'effet des pratiques en litige s'est étendu au-delà du seul marché du chèque, pour toucher l'ensemble des activités bancaires des mises en cause, en raison des modalités spécifiques de tarification de ces activités (subventions croisées).

596.Contrairement à ce que soutiennent certaines parties, il n'est pas incohérent d'appliquer les parts détenues par les banques en cause sur le marché de l'émission et de la remise de chèques au montant total des produits net bancaires. En effet, ainsi qu'il a été exposé ci-dessus, d'une part, l'Autorité ne disposait pas de données suffisamment fiables sur le marché de la remise des chèques, d'autre part, compte tenu du mécanisme de subventions croisées permettant le financement du chèque, la perception ou le paiement des commissions a nécessairement eu un effet sur le financement de l'ensemble des services rendus par les banques.

597.Par ailleurs, plusieurs parties font valoir qu'il n'est pas possible de prendre en compte un tel marché affecté dans la mesure où ni la saisine ni les griefs notifiés, ne concernaient le marché de l'émission de chèques et que, dans ces circonstances, l'Autorité n'était pas fondée à étendre le marché affecté au marché de l'émission de chèques.

598.Cependant, la notification de griefs a clairement énoncé au paragraphe 108 que « [l]e marché de produit est donc celui du chèque à l'exclusion des autres moyens de paiement en euros », ce qui conduit à considérer que ce marché était visé dans sa globalité. En outre, le rapport du 14 septembre 2008 indique, au paragraphe 541, que, pour donner un ordre de grandeur du dommage à l'économie, il convient d'apprécier la taille des marchés affectés et que le marché pertinent « est constitué de deux sous ensembles distincts, celui de l'émission des formules de chèques et celui de la remise de ces formules qui sont eux-mêmes interdépendants. ». Si, dans la suite de ce paragraphe, les rapporteurs se bornent à estimer la valeur des ventes de la remise de chèque, il n'en demeure pas moins qu'il est préalablement précisé que la remise et l'émission sont interdépendants et que l'Autorité n'était pas tenue, ainsi qu'il a été retenu précédemment, par cette analyse des services d'instruction. Il est sans portée à ce sujet que la saisine d'office ait été intitulée comme étant relative « aux tarifs et aux conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement » et que les deux rapports ultérieurs des rapporteurs aient repris cet intitulé, dès lors que le marché pertinent n'a, à aucun moment de la procédure, été restreint au marché de la remise de chèques. En effet, cet intitulé n'exclut en rien que les pratiques en cause aient aussi, en miroir, concerné l'émission de chèques, qui constitue l'autre face du marché. Cette activité est en lien avec l'infraction dès lors que la CEIC commission versée par les banques remettantes aux banques émettrices (les banques tirées) apportait une recette artificielle à ces dernières, faussant ainsi pour elles le jeu de la concurrence tout autant que, pour les banques remettantes, le coût artificiel du paiement de la CEIC. À ce titre, au surplus, la cour rappelle que la CEIC a été instaurée afin que les équilibres financiers des banques ne soient pas modifiés par la mise en place de l'EIC. Il s'en déduit que cette commission a affecté les activités de remise et d'émission, quand bien même aurait-elle pu favoriser une baisse des prix sur le segment de marché de la remise, ainsi que le soutient la société BPCE.

599.Pour les mêmes motifs, il est sans effet que la CEIC n'ait pas été perçue pour les chèques intrabancaires.

600.Les parties soutiennent encore que cette méthode aboutirait à intégrer à deux reprises le même produit net bancaire, lequel est d'abord multiplié par la part de marché avant d'être une seconde fois additionné au total.

601.Toutefois, ainsi qu'il a été retenu précédemment, la méthode appliquée, qui tient compte de l'ensemble constitué par la part de marché de chaque banque sur le total des produits net bancaires de toutes, puis, dans un second temps, du montant du produit net bancaire de chacune, est justifiée en ce qu'elle permet ainsi d'individualiser les sanctions tout en tenant compte dans leur montant, d'une part, d'un montant représentatif de son activité individuelle sur le marché affecté par les pratiques et, d'autre part, de la valeur ajoutée réalisée par chaque banque traduisant sa puissance économique.

d) Le coefficient

602.Les parties font valoir qu'aucun élément ne vient expliquer ou justifier la provenance du coefficient. La cour relève toutefois, d'une part, que le montant du coefficient appliqué par l'Autorité, s'il eût certes été préférable qu'il soit précisé dans la décision attaquée, est facilement reconstituable par l'application mathématique de la règle de trois, ainsi qu'il a été relevé précédemment (§ 579). Par ailleurs, ce coefficient constitue la traduction chiffrée de l'ensemble des éléments retenus tant au titre de la gravité de la pratique qu'en ce qui concerne le dommage à l'économie. Sur ce point, l'Autorité, qui a détaillé à la fois la méthode, mais aussi les éléments chiffrés qu'elle a pris en compte, puis les éléments retenus au titre des pratiques et du dommage à l'économie, n'avait pas à apporter d'autres précisions.

e) Sur la sur-évaluation prétendue des sanctions

603.Il ressort de ce qui précède que les paramètres retenus par l'Autorité pour la fixation de la sanction sont justifiés et fondés. Il est, dans ces conditions, sans effet que les sanctions prononcées aient été plus élevées que ce qu'elles auraient été si l'Autorité avait seulement retenu comme base de la sanction la valeur des ventes sur le marché de l'émission. C'est en vain que la société BNP Paribas reproche à l'Autorité de ne pas avoir tenu compte du montant des commissions perçues par elle « au titre du traitement de l'encaissement de chèques par des entreprises facturées à l'opération », communiqué à plusieurs reprises, puisque cette donnée n'est que très parcellaire au regard de la portée de la pratique. Il est indifférent que cette méthode aboutisse à sanctionner les pratiques au delà des profits que les banques auraient pu tirer de la perception des commissions en cause.

604.C'est aussi à tort que les parties invoquent d'autres affaires dans lesquelles les méthodes ou les coefficients appliqués auraient été différents, chaque espèce présentant ses spécificités propres, notamment, en ce qui concerne l'appréciation de la nécessité de prévenir les pratiques. Sur ce point, la cour relève que, si les dispositions de l'article L. 464-2 du code de commerce ne font pas référence à la fonction dissuasive de la sanction dans les critères de détermination qu'elles énoncent, il n'en demeure pas moins qu'il ne peut être reproché à l'Autorité d'avoir expliqué la sévérité des paramètres de calculs choisis, et que la cour approuve, en invoquant la nécessité de prendre en considération cet objectif de dissuasion, inhérent par principe à toute sanction.

f) Sur la rupture du principe d'égalité de traitement

605.La société BNP Paribas fait valoir que les principes d'égalité de traitement et de non-discrimination commandent que la formule de calcul du montant des sanctions pécuniaires soit la même pour tous les membres d'une même entente. Aussi, elle reproche à l'Autorité de ne pas lui avoir appliqué la formule de calcul qu'elle a retenue pour la Banque de France, et qui aurait abouti au prononcé d'une sanction d'un montant de 1 330 463 euros.

606.Mais le principe d'égalité de traitement ne peut être utilement invoqué que lorsque les entreprises ou organismes en cause sont placés dans des situations identiques ou équivalentes. Or, cette condition fait défaut en l'espèce, s'agissant, d'une part, de la société BNP Paribas et, d'autre part, de la Banque de France. En effet, comme elle l'a clairement explicité au paragraphe 757 de la décision attaquée, l'Autorité disposait pour la Banque de France, non d'un produit net bancaire, mais de son chiffre d'affaires, retraité pour refléter les recettes tirées de ses activités commerciales, lequel n'était pas homogène avec les données concernant les autres banques. C'est donc à juste titre qu'elle a appliqué à la Banque de France une formule particulière de calcul tenant compte des spécificités de celle-ci, différente de celle appliquée aux autres banques, reposant sur un coefficient multiplicateur du chiffre d'affaires et sur un abattement justifié par la faiblesse de sa part relative sur le marché de l'émission et de la remise de chèques.

607.Les moyens des parties sur la méthode de détermination des sanctions sont, en conséquence de ce qui précède, rejetés.

D- En ce qui concerne la situation individuelle des requérantes

1. Sur la réitération

608.L'Autorité a considéré que les sociétés Caisses d'Epargne, Crédit agricole, Le Crédit lyonnais, BNP Paribas et Société générale, ainsi que la Confédération nationale du Crédit mutuel, se trouvaient en situation de réitération, au sens de l'article L. 464-2 du code de commerce. Elle a rappelé à ce sujet que, par décision n° 00-D-28 du 19 septembre 2000, ces mêmes établissements avaient été précédemment condamnés par le Conseil de la concurrence à des sanctions pécuniaires pour avoir mis en 'uvre des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du code de commerce, sur le marché du crédit immobilier aux particuliers, en constituant entre elles un « pacte de non agression », tendant à restreindre les possibilités de renégociation des prêts immobiliers de leur clientèle, pacte qui a conduit ces divers organismes à adopter des politiques commerciales similaires. Elle en a conclu que cette décision, devenue définitive, constituait un « constat d'infraction antérieur » portant sur des pratiques similaires aux pratiques en cause dans la présente affaire et que les conditions d'une majoration des sanctions prononcées pour réitération étaient donc réunies. Au vu des circonstances de l'espèce, elle a fixé à 20 % le montant de cette majoration.

609.Les sociétés BNP Paribas, Crédit agricole, Le Crédit lyonnais, BPCE et Société générale demandent à la cour de réformer sur ce point la décision attaquée. Elles soutiennent, en effet, que les conditions d'une majoration de la sanction pour réitération ne sont pas remplies.

610.C'est ainsi qu'elles font valoir que la décision précitée du Conseil de la concurrence ne saurait être retenue à titre de constat d'infraction antérieur, puisque, rendue le 19 septembre 2000, elle est postérieure à l'accord du 3 février 2000 ayant instauré les commissions litigieuses.

611.Cependant, cette simple constatation ne fait pas obstacle à la prise en compte de cette décision ; en effet, ce qui, pour l'Autorité, caractérise la réitération n'est pas la conclusion de l'accord du 3 février 2000, mais, s'agissant de pratiques de nature continue, la poursuite, après cette décision, de l'entente « scellée » par ce même accord, lequel a été mis en 'uvre du 1er janvier 2002 au 1er juillet 2007, s'agissant de la CEIC, et depuis le 1er juillet 2002, s'agissant des commissions AOCT. À cet égard, l'Autorité invoque la pratique décisionnelle des autorités de concurrence et la jurisprudence, tant internes (Cons. conc. décis. n° 07-D-50 du 20 décembre 2007 relative à des pratiques mises en 'uvre dans le secteur de la distribution de jouets, CA Paris 28 janv. 2009, rejetant le pourvoi contre cette décision) que communautaires (TUE, arrêt du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T-54/03, confirmé par CJUE, arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C-413/08 P) ; elle souligne que dans ces différentes espèces, ont été majorées, au titre de la réitération, les sanctions pécuniaires infligées pour des pratiques qui avaient débuté avant la décision constatant et sanctionnant des pratiques identiques ou similaires, mais qui s'étaient poursuivies postérieurement.

612.La cour précise que la décision n° 00-D-28, du 19 septembre 2000, invoquée par l'Autorité, est devenue définitive, la cour d'appel de Paris ayant, par arrêt du 27 novembre 2001, rejeté les recours dont elle avait été l'objet et la Cour de cassation ayant, par arrêt du 23 juin 2004 (Chambre commerciale financière et économique, pourvois n° 01-17.928 et 02-10.066), rejeté les pourvois formés contre cet arrêt.

613.Par ailleurs, la cour rappelle que cette précédente décision portait sur des pratiques d'entente anticoncurrentielle entre plusieurs banques consistant dans le fait d'avoir conclu entre elles un pacte de non-agression sur le marché de la renégociation des prêts immobiliers, par lequel elles avaient convenu de ne pas accepter l'offre de clients proposant, à l'occasion de la baisse des taux de crédit immobilier, de changer de banque moyennant la renégociation de leurs prêts à un taux de crédit inférieur à celui obtenu auprès d'une banque partenaire de l'accord. La décision n° 00'D'28 précise que ces pratiques avaient un objet anticoncurrentiel et qu'elles ont porté une atteinte sensible au jeu de la concurrence et à l'intérêt des consommateurs.

614.Les pratiques reprochées aux banques en l'espèce sont similaires à celles sanctionnées par la décision n° 00-D-28, précitée et devenue définitive, en ce que leurs finalités ont été identiques. En effet, comme les pratiques sanctionnées en 2000, ces banques, face à une évolution du secteur de nature à modifier leurs situations sur le marché, tendu, ont, par une mesure concertée maintenu artificiellement les équilibres financiers existant entre elles et faussé ainsi le jeu de la concurrence.

615.Il est sans portée sur ce point que le marché de la renégociation des crédits immobiliers soit distinct de celui de la remise et de l'encaissement des chèques, ou que la jurisprudence ne se soit pas encore prononcée sur une commission identique ou similaire à la CEIC, ou encore que la DGCCRF, n'ait pas alerté les banques de la situation, alors qu'elle avait été informée de l'accord, et que celui-ci n'ait pas été secret, à la différence de la pratique sanctionnée en 2000.

616.Enfin, les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais font valoir que l'accord du 3 février 2000 s'imposait à toutes les banques françaises participant au système obligatoire de compensation et qu'il n'aurait pu être modifié que par une décision de l'ensemble de celles-ci et de la Banque de France, ce qui empêchait les parties de s'affranchir de son exécution ainsi que de s'y opposer.

617.Toutefois, la situation ainsi invoquée, si elle est réelle, ne constitue qu'une circonstance inopérante à l'existence objective d'une réitération. La cour observe sur ce point, à titre surabondant, qu'en tout état de cause aucune des banques concernées n'a alerté ses partenaires à l'entente ou manifesté à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2004 rendant définitive la décision 00-D-28 du Conseil de la concurrence, le moindre désaccord avec la pratique de la CEIC.

618.Il s'ensuit que les moyens des parties sont rejetés.

2. Sur le rôle dans les négociations justifiant une majoration des sanctions

619.Dans la décision attaquée, l'Autorité a indiqué qu'il ressortait des procès-verbaux des réunions de la CIR ' en réalité, du procès-verbal d'une seule de ces réunions ' que, durant les négociations, cinq banques, les sociétés Crédit agricole, BNP, La Banque postale, les Caisses d'Epargne, ainsi que la Confédération nationale du Crédit mutuel, s'étaient clairement exprimées en faveur de l'instauration d'une commission interbancaire fixe versée par la banque remettante à la banque tirée, alors que les autres parties avaient fait part de leurs réticences. Elle en a conclu que ces établissements, s'ils ne pouvaient, pour autant, être considérés comme des « meneurs » ou des « instigateurs » de l'entente, la jurisprudence réservant ces qualifications aux entreprises ayant représenté une force motrice significative ou ayant porté une responsabilité particulière et concrète dans le fonctionnement d'une telle entente, n'en avaient pas moins joué un « rôle actif de conviction de leurs partenaires dans le cours des négociations ayant conduit à la création des commissions litigieuses ». Pour ce motif, elle a décidé de majorer de 10 % le montant de la sanction infligée aux sociétés BNP Paribas, Crédit agricole, La Banque postale, et BPCE, venant aux droits de la société CE Participations, ainsi qu'à la Confédération nationale du Crédit mutuel.

620.Les requérantes critiquent cette analyse et demandent à la cour d'écarter la majoration qui leur a été ainsi appliquée, qu'elles estiment infondée en droit et en fait. Elles ajoutent qu'il en est résulté un défaut de symétrie, l'Autorité n'ayant pas minoré la sanction des banques défavorables à la CEIC, et une rupture de l'égalité de traitement, la sanction de la Banque de France, pourtant favorable à un compromis permettant l'adoption de cette commission, n'ayant pas été majorée. Enfin, la société BNP Paribas rappelle que la société Paribas, aux droits de laquelle elle vient, s'était prononcée contre son instauration.

621.Il convient, au préalable, d'observer que l'allégation d'une des requérantes, la société BNP Paribas, selon laquelle l'Autorité n'a pas démontré qu'elle aurait joué un rôle d'incitateur, de meneur ou d'instigateur, n'est pas discutée. En effet, comme la cour l'a relevé plus haut, l'Autorité a, dans la décision attaquée, expressément indiqué que le comportement des mises en cause, lors des négociations, ne correspondait à aucune de ces qualifications, telles que la jurisprudence interne et communautaire en avait fixé les contours. Elle a, en revanche, considéré que ces mêmes banques avaient tenu un « rôle actif de conviction » de leurs partenaires et « activement défendu l'instauration » de la CEIC et que cette circonstance justifiait de majorer de 10 % le montant de la sanction pécuniaire qui leur serait infligée.

622.Ceci posé, les requérantes soutiennent, en premier lieu, que l'Autorité a, ce faisant, créé « de toutes pièces » une circonstance aggravante « inédite », qui ne résulte ni des textes applicables, ni de la pratique décisionnelle des autorités de concurrence, ni de la jurisprudence, et qui se heurte ainsi au principe de légalité des peines. Elles rappellent que le pouvoir d'appréciation de l'Autorité est strictement encadré par l'article L. 464-2 du code de commerce, qui lui impose de n'appliquer, dans la détermination des sanctions pécuniaires, que des critères « objectifs et vérifiables », cette condition n'étant pas remplie en l'espèce.

623.La cour rappelle qu'il ressort de l'article L. 464-2 précité, dont les requérantes invoquent la violation, que l'Autorité, si elle juge établis les griefs dont elle a été saisie, peut infliger aux auteurs des pratiques en cause une sanction pécuniaire dont cet article fixe le montant maximum, s'agissant d'une entreprise, à 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel ces pratiques ont été mises en 'uvre.

624.Dans la limite de ce plafond, la loi laisse à l'Autorité le soin d'apprécier, par un examen individuel des circonstances de l'espèce et sous le contrôle du juge, le montant de la sanction qu'il y a lieu d'appliquer. Elle impose seulement que le montant ainsi retenu soit, selon les termes de l'article L. 464-2 I, alinéa 3, proportionné « à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre ».

625.Il en résulte que, dès lors qu'elle a respecté le principe de proportionnalité prévu par ces dispositions, l'Autorité peut, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir d'appréciation, prendre en considération toute autre circonstance de l'espèce qui lui paraîtrait de nature à justifier une aggravation ou une atténuation de la sanction.

626.Tel est le cas de la circonstance aggravante ci-dessus évoquée, mais non retenue dans la présente affaire, tirée du rôle de « meneur » ou d' « instigateur » de l'un des participants à l'entente ; le Conseil de la concurrence a, dans différentes espèces, considéré qu'il convenait d'aggraver la sanction prononcée lorsque l'entreprise en cause avait « orienté l'entente », créé un « effet d'entraînement » (Cons. conc., décis. n° 08-D-32 du 16 décembre 2008 relative à des pratiques mises en 'uvre dans le secteur du négoce des produits sidérurgiques) ou exercé des « pressions » sur les autres participants (Cons. conc. décis. n° 01-D-07 du 11 avril 2001 relative à des pratiques mises en 'uvre sur le marché de la répartition pharmaceutique ; Cass. Com. 18 février 2004, pourvoi n° 02-11-786).

627.De la même manière, l'Autorité a pu, au cas d'espèce, considérer qu'il convenait de rechercher si certains participants à l'entente, sans pouvoir être qualifiés de meneur ou d'instigateur, n'avaient pas joué un « rôle actif de conviction de leurs partenaires », cette circonstance justifiant d'aggraver la sanction, et elle a observé que tel était le cas des sociétés Crédit agricole, La Banque postale, Caisses d'Epargne, BNP et de la Confédération nationale du Crédit mutuel.

628.A cet égard, il importe peu que, comme le soulignent les requérantes, la prise en compte d'un tel « rôle actif de persuasion », clairement distinct des qualifications de meneur ou d'instigateur, soit sans précédent dans la pratique décisionnelle antérieure et présente un caractère inédit, puisqu'elle a sa source, non dans une disposition expresse des textes, mais dans le pouvoir d'appréciation que la loi confère à l'Autorité, au titre duquel il lui incombe d'examiner les circonstances propres de chaque espèce ainsi que de déterminer celles d'entre elles qui doivent être prises en compte dans la détermination du montant des sanctions. Il n'en résulte donc aucune atteinte au principe de légalité des peines, pas plus qu'aux dispositions de l'article L. 464-2 du code de commerce, le respect du principe de proportionnalité ayant été précédemment vérifié.

629.Par ailleurs, c'est à tort que la société BPCE fait valoir que le juge de l'Union aurait précisé que « la position exprimée par une entreprise en faveur d'une entente n'était pas un élément suffisant pour constituer une circonstance aggravante, justifiant la majoration de l'amende » et invoque, à l'appui de cette assertion, un arrêt du Tribunal de l'Union du 8 septembre 2010, Deltafina / Commission, (T-29/05). Dans cet arrêt, en effet, le Tribunal a seulement constaté qu'il n'était pas démontré que l'entreprise en cause avait représenté une « force motrice significative pour l'entente » et, comme telle, pouvait être considérée comme un « meneur » de cette entente et en a conclu que la « circonstance aggravante de meneur » ne pouvait par conséquent être retenue.

630.Il reste donc à déterminer si, en l'espèce, l'Autorité était fondée à considérer que les sociétés Crédit agricole, La Banque postale, les Caisses d'Epargne, et BNP, aux droits de laquelle vient la société BNP Paribas, ainsi que la Confédération nationale du Crédit mutuel avaient joué un « rôle actif de conviction de leurs partenaires » et, dans l'affirmative, si cette circonstance devait entraîner, et dans quelle mesure, une majoration de la sanction pécuniaire qui leur a été infligée.

631.L'Autorité a caractérisé ce « rôle actif » en prenant en considération les positions prises par les banques, dans le cours des négociations, en ce qui concerne l'éventuelle instauration d'une commission interbancaire destinée à compenser les déplacements de trésorerie résultant de l'accélération de la compensation des chèques en cas de mise en place d'un système d'EIC. À cette fin, elle s'est fondée sur les délibérations de la CIR, lors de sa réunion du 1er juillet 1999, qui s'était tenue au vu des constats et préconisations figurant dans le rapport que le groupe de travail restreint lui avait remis le 22 juin précédent. Elle a constaté qu'il ressortait du procès-verbal de cette réunion que des divergences étaient apparues entre les banques, les unes ayant fait part de leurs réticences, les autres (Crédit agricole, La Confédération nationale du Crédit mutuel, La Banque postale, Caisses d'Epargne, BNP) s'étant clairement prononcées en faveur de l'instauration d'une commission interbancaire. Elle a considéré que ces cinq établissements avaient, ce faisant, « activement défendu l'instauration de la commission au cours des négociations de la CIR » et qu'elles avaient « tenu un rôle actif de conviction de leurs partenaires ».

632.Les requérantes ne contestent pas avoir pris, lors de la réunion de la CIR du 1er juillet 1999, une position favorable à l'instauration d'une commission interbancaire.

633.En revanche, elles récusent la portée que l'Autorité a donné à ces expressions d'opinions, qui ne sauraient, selon elles, traduire aucun « rôle actif de persuasion ». Elles font valoir, en particulier, que ces opinions n'ont été exprimées qu'au cours d'un simple « premier tour de table » et ne se sont accompagnées d'aucune action de persuasion envers les autres membres de la CIR.

634.De fait, force est de constater que les éléments du dossier sur la base desquels l'Autorité a majoré la sanction infligée aux banques en cause ne démontrent pas que celles-ci auraient joué le « rôle actif de conviction » qu'elle leur prête. En effet, elle s'est fondée sur les seules mentions du procès-verbal de la réunion du 1er juillet 2000 de la CIR, dont elle a rappelé la teneur aux paragraphes 102 et 733 de la décision attaquée retranscrits ci-dessous :

« (...)

- le représentant des Caisses d'Epargne indique que celles-ci « sont favorables à la première solution présentée par le groupe de travail basée sur une HAJE à 18 h, un règlement à J+1, et une commission fixe de 0,50 F versée par la banque remettante à la banque tirée »,

- le représentant du Crédit Agricole indique également être favorable à cette première solution,

- le représentant de La Poste se prononce également en faveur de cette solution et indique qu'à défaut «  le maintien des équilibres par conservation du délai d'encaissement moyen actuel pourrait être envisagé »,

- le représentant du Crédit Mutuel « est favorable au règlement à J+1 et serait ouvert à la suggestion de la Banque de France de modération du montant de la commission » ,

- le représentant de la BNP indique être « résolument pour l'EIC et la commission fixe versée par la banque remettante, bien qu'elle soit elle-même beaucoup plus remettante que tirée » et que la banque « met en majeur dans son analyse la cohérence des moyens de paiement dans leur ensemble ».

635.Il ne ressort pas de ces seules mentions que les banques en cause, en même temps qu'elles se sont exprimées en faveur de l'instauration d'une commission interbancaire, auraient tenté de convaincre leurs interlocuteurs de se ranger à leur opinion ou que, dans ce même but, elles auraient fait preuve d'insistance ou d'efforts de persuasion, voire auraient exercé des pressions, de sorte qu'on pourrait leur imputer d'avoir joué un « rôle actif de conviction de leurs partenaires ».

636.La décision attaquée sera donc réformée en ce qu'elle a majoré de 10 % le montant de la sanction infligée aux sociétés BNP Paribas, Crédit agricole, La Banque postale, BPCE, venant aux droits de la société CE Participations, et à La Confédération nationale du Crédit mutuel.

3. Sur l'intégration du produit net bancaire du Crédit Coopératif dans le montant de base du calcul de la sanction infligée à la société BPCE venant aux droits de la société BP Participations

637.La société BPCE rappelle que, durant l'instruction de l'affaire, il avait été reproché aux rapporteurs de ne pas avoir mis en cause toutes les entreprises qui avaient pris part, y compris par l'intermédiaire d'un mandataire, aux décisions de la CIR ou les avaient appliquées. Elle souligne que, sur ce point, l'Autorité avait répondu, au paragraphe 291 de la décision attaquée, qu'une « double condition » avait été retenue et que les griefs avaient été notifiés aux banques qui, d'une part, avaient été membres de la CIR et, d'autre part, avaient appliqué l'accord litigieux.

638.Elle fait valoir que, si les Banques Populaires, aux droits desquelles elle vient, remplissaient bien ces deux conditions, tel n'était pas le cas du Crédit Coopératif. Elle soutient que, dès lors, c'est à tort que celui-ci, qui ne s'est affilié au réseau des Banques Populaires qu'en 2003, a pourtant été pris en compte, pour le calcul du montant de base de la sanction, dans leur produit net bancaire et dans leur part sur le marché de l'émission et de la remise de chèques. Elle en conclut qu'il convient de soustraire de la sanction prononcée les éléments relatifs au Crédit Coopératif, en en réduisant le montant de 1,7 million d'euros au titre de la CEIC et dans une proportion d'au moins 5 % au titre des commissions AOCT.

639.Mais il convient de distinguer, d'une part, les critères selon lesquels les entreprises ont été mises en cause pour avoir participé aux pratiques poursuivies et, d'autre part, la détermination des données entrant dans le calcul, à la date de la sanction, du montant de base. Le Crédit Coopératif faisant partie, à cette date, du réseau des Banques Populaires, l'Autorité, pour calculer le montant de base de la sanction prononcée contre celles-ci a, à juste titre et sans se contredire, pris en compte le produit net bancaire de cet établissement et sa part sur le marché du chèque.

4. Sur les facteurs d'atténuation des sanctions

a) Sur l'absence de rôle moteur

640.La société BPCE reproche à l'Autorité de ne pas avoir tenu compte, à titre de circonstance atténuante, du fait que les Banques Populaires s'étaient opposées à l'instauration de la CEIC et la Société générale fait valoir que, n'y ayant aucun intérêt, elle n'a pas joué de rôle moteur dans la mise en place de cette commission. La société HSBC France conteste, pour sa part, le rejet par l'Autorité du moyen par lequel elle faisait valoir qu'en raison de sa position marginale sur le marché du chèque, elle n'a eu aucune influence sur la pratique, qu'en tout état de cause, elle ne pouvait pas refuser.

641.Mais, comme l'Autorité l'a rappelé à juste titre, le comportement passif d'une entreprise ayant néanmoins appliqué l'accord litigieux ne peut être pris en compte pour atténuer la sanction, sauf à lui faire perdre tout caractère dissuasif, à moins que cette entreprise ait fait l'objet, ce qui n'est pas allégué en l'espèce, d'une contrainte. En outre, les requérantes ont, à de nombreuses reprises, rappelé, dans le cadre de leurs moyens, que leur unanimité était nécessaire à la mise en 'uvre de l'EIC. Ceci démontre à soi seul que, si l'une d'entre elles, même celles de moindre importance sur le marché du chèque, s'était opposée à la mise en 'uvre de la CEIC, les banques auraient dû rechercher une autre solution pour pouvoir aboutir à ce nouveau mécanisme d'encaissement.

b) Sur la position de l'entreprise sur le marché

642.La société HSBC France fait valoir que la sanction de 9,05 millions d'euros qui lui a été infligée représente 2,5 % du montant total des sanctions prononcées, alors que sa part sur le marché du chèque n'est que de 1,23 % et que cette disproportion résulte de ce que l'Autorité a pris en compte, dans le calcul du montant de base, le produit net bancaire individuel, lequel recouvre un grand nombre d'activités, dont la valeur est très supérieure à celle du chèque, qui génère une marge nulle, voire négative. Elle souligne que cette disproportion est encore plus flagrante si on ramène la sanction infligée à la valeur de ses ventes sur le marché affecté, soit 5,7 millions d'euros, puisqu'elle représente alors 160 % de son chiffre d'affaires sur le marché de la remise de chèques. Dans le même sens, la société BPCE souligne que les Caisses d'Epargne détenaient une très faible position sur le marché de la remise de chèques, de l'ordre de 4,6 % en volume, et en conclut que leur capacité à causer un dommage à l'économie était très limitée ; elle y voit une circonstance atténuante qui, selon elle, aurait dû conduire l'Autorité à réduire substantiellement le montant de l'amende qu'elle a prononcée.

643.Mais contrairement à ce qu'affirment ces requérantes, il a été tenu compte, dans la détermination du montant de la sanction, de la position particulière de chaque banque sur le marché. En effet, ainsi qu'il a été retenu précédemment, afin d'individualiser ces sanctions, l'Autorité a, pour le calcul du montant de base, combiné le produit net bancaire et la part sur le marché de l'émission et de la remise de chèques, permettant ainsi de prendre en compte les éventuelles disparités entre la position de chaque banque sur le marché du chèque et son poids au sein du secteur bancaire dans son ensemble.

c) Sur l'absence de profit retiré de l'entente

644.La Société générale fait valoir qu'elle n'a tiré aucun profit financier de l'accord, puisque, durant la période d'application de la CEIC, de 2002 à 2007, elle a versé plus de commissions (74 millions d'euros) qu'elle n'en a perçues (62,2 millions d'euros) et que, n'ayant pas répercuté ces commissions, elle a donc subi une perte nette de 12 millions d'euros. Elle soutient que cette circonstance aurait dû être prise en compte au titre de l'individualisation de la sanction pécuniaire, pour en diminuer le montant.

645.Dans le même sens, la société BNP Paribas fait valoir qu'elle était une banque majoritairement remettante en volume et qu'elle a donc subi du fait de la CEIC, dont elle a été le premier redevable et débiteur net, un déficit qu'elle évalue à 39,46 millions d'euros pour les années 2002 à 2007. Elle reproche à l'Autorité de ne pas en avoir tenu compte dans la fixation du montant des sanctions et, au contraire, d'avoir traité de la même manière les banques majoritairement remettantes et les banques majoritairement tirées, de sorte qu'elle s'est vue infliger une sanction pécuniaire excédant de plusieurs millions d'euros les sanctions infligées à certaines autres banques. Elle considère que, ce faisant, l'Autorité a manqué au principe d'égalité de traitement ainsi qu'à l'obligation d'individualiser les sanctions et d'en proportionner le montant à la gravité des faits et, de surcroît, d'avoir, en aggravant l'impact de la CEIC, faussé la concurrence entre les banques.

646.Enfin, la société HSBC France souligne qu'étant une banque majoritairement remettante, elle n'escomptait aucun gain de l'accord litigieux, mais, qu'à l'inverse, elle anticipait une aggravation de ses coûts, ce qui s'est vérifié, puisque, sur la période 2002-2007, le solde net de la CEIC qu'elle a versée aux autres banques s'est élevé à 8 millions d'euros. Elle fait valoir qu'en conséquence, sa situation ne peut être assimilée à celle de l'entreprise membre d'un cartel qui, par définition, espère, au moment de conclure l'accord, en retirer un profit, ce qui justifie, dans le cas où cette espérance ne se réalise pas, de ne pas en tenir compte à titre de circonstance atténuante.

647.Mais à supposer que les requérantes n'aient effectivement pas retiré de profit de l'entente qui leur est reprochée, ce qui n'est pas démontré, c'est à juste titre que l'Autorité a conclu que cette circonstance, n'était pas de nature à entraîner une diminution des sanctions.

648.Il n'en est résulté, en outre, aucune atteinte aux principes d'égalité de traitement et de proportionnalité des sanctions puisque, comme elle le rappelle dans ses observations, l'Autorité, en intégrant dans le calcul du montant de base la position de chaque banque sur le marché de l'émission de chèques, et non sur le seul marché de la remise de chèques, a pris en compte le fait que certaines banques, majoritairement tirées, on pu bénéficier plus directement de la CEIC.

d) Sur l'absence de répercussion de la CEIC

649.Les sociétés BNP Paribas et BPCE ainsi que la Société générale soutiennent qu'elles n'ont pas répercuté sur leur clientèle la CEIC qu'elles ont versée et qu'il aurait dû en être tenu compte, à titre de circonstance atténuante, dans la détermination du montant de la sanction qui leur a été infligée. C'est ainsi que la société BNP Paribas et la Société générale affirment qu'elles ont, par une réduction des jours de valeur et du montant des commissions de mouvement, fait bénéficier leurs clients des gains d'accélération nés du passage à l'EIC, la société BPCE souligne, en outre, qu'en indiquant dans la décision attaquée que les banques n'avaient pas démontré qu'elles n'avaient pas répercuté la CEIC, l'Autorité a renversé la charge de la preuve.

650.Mais la cour ayant tranché plus haut, dans le cadre de l'examen du dommage à l'économie, la question de savoir si la CEIC avait été répercutée, en jugeant, en particulier, qu'il était établi que cette commission avait été répercutée sur les clients grands remettants mais aussi sur les autres clients, et la détermination de la part imputable à chaque banque dans la réalisation de ce dommage n'étant pas nécessaire, la demande des requérantes tendant à ce qu'une circonstance atténuante soit retenue à ce titre, doit être rejetée.

e) Sur la suppression de la CEIC

651.La société BPCE fait valoir que les Banques Populaires sont à l'initiative de la suppression de la CEIC et de la révision des CSC, puisque leur organe central a, le 10 juillet 2007, adressé au G-SIT un courrier en ce sens qui, selon elle, a été l' « élément déclencheur » de la prise de position de la Banque de France demandant à l'ensemble des banques de revoir les commissions adoptées lors du passage à l'EIC.

652.Elle considère que cette circonstance doit conduire à atténuer le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée ; à l'appui de cette demande, elle invoque la jurisprudence et la pratique décisionnelle des autorités de concurrence, nationale et européenne, d'où il ressort, selon elle, que la cessation de l'infraction à la suite d'une enquête de concurrence constitue une circonstance atténuante, et elle souligne qu'en l'espèce, il a été mis fin aux pratiques en cause avant la notification de griefs.

653.Mais la cour rappelle qu'elle a jugé que la cessation des pratiques en 2007 ne constituait pas un élément de minoration de leur gravité, dans la mesure où, d'une part, cette cessation est intervenue à la suite des mesures d'enquête et, d'autre part, l'accord du 3 février 2000 prévoyait que la CEIC devait être appliquée pendant une durée de trois ans et aurait donc dû prendre fin le 1er janvier 2005, ce qui n'a pas été le cas.

654.Dès lors, la circonstance, à la supposer avérée, que les Banques Populaires auraient été à l'origine de la cessation des pratiques en 2007 ne peut être considérée comme devant conduire à diminuer le montant de la sanction pécuniaire prononcée.

f) Sur la prise en compte des effets bénéfiques de la CEIC et de l'EIC

655.La société BNP Paribas reproche à l'Autorité de ne pas avoir retenu, ni même examiné, des circonstances qui lui sont propres et auraient dû la conduire à atténuer la sanction prononcée. C'est ainsi qu'elle fait valoir l'amélioration des services offerts à sa clientèle, la baisse de ses commissions de mouvement la réduction de ses dates de valeur et elle affirme que, pour la quasi-totalité de ses clients, la CEIC n'a pas été répercutée et que son solde global net est très avantageux pour cette clientèle.

656.La requérante, cependant, ne démontre pas que les améliorations qu'elle allègue, s'agissant des services à sa clientèle, des commissions de mouvement et des dates de valeur, résultent, non de la mise en place de l'EIC, mais des commissions interbancaires en cause. De plus, les développements relatifs à cette question ont établi que la CEIC avait été, de façon générale, répercutée, directement ou indirectement, sur la clientèle des banques et la société BNP Paribas n'apporte pas d'éléments permettant de constater qu'elle n'aurait pas procédé à cette répercussion.

E- Sur le montant des sanctions

657.La cour n'a réformé la décision attaquée qu'en ce que l'Autorité a majoré de 10 % le montant de base des sanctions prononcées contre les sociétés BNP Paribas, BPCE venant aux droits de CE Participations, Crédit agricole, La Banque postale et la Confédération nationale du Crédit mutuel, cette majoration ayant été, le cas échéant, additionnée à la majoration de 20 % appliquée au titre de la réitération. Il en résulte que le montant des sanctions infligées à ces requérantes s'établit ainsi, après que la cour a procédé aux arrondis utiles :

- la sanction pécuniaire prononcée contre la société BNP Paribas s'élève, après majoration de 20 % du montant de base de 48,68 millions d'euros et arrondi au montant de 58,40 millions d'euros, soit 57 830 000 euros pour le premier grief et 580 000 euros pour le second grief.

- la sanction pécuniaire prononcée contre la société BPCE, venant aux droits de CE Participations, s'élève, après majoration de 20 % du montant de base de 40,62 millions d'euros et arrondi au montant de 48,74 millions d'euros, soit 48 260 000 euros pour le premier grief et 480 000 euros pour le second grief.

- la sanction pécuniaire prononcée contre la société Crédit agricole s'élève, après majoration de 20 % du montant de base de 63,80 millions d'euros, au montant de 76,55 millions d'euros, soit 75 800 000 euros pour le premier grief et 760 000 euros pour le second grief.

- la sanction pécuniaire prononcée contre la société La Banque postale s'élève au montant de base de 29,88 millions d'euros, soit 29 590 000 euros pour le premier grief et 290 000 euros pour le second grief.

658.S'agissant de la Confédération nationale du Crédit mutuel, le montant de base de 34,90 millions d'euros, majoré de 20 %, dépassant le plafond maximum de trois millions d'euros fixé par l'article L. 464-2 du code de commerce, la sanction pécuniaire prononcée contre celle-ci reste fixée à ce dernier montant, soit 2 970 000 euros pour le premier grief et 30 000 euros pour le second grief

F- Sur les demandes concernant l'injonction prononcée par l'Autorité et les frais d'expertise

1. Sur l'injonction

659.L'article 5 de la décision attaquée énonce qu'il est enjoint aux personnes morales visées à l'article 1er de procéder à la révision du montant des commissions AOCT, dans un délai de six mois à compter de la notification de cette décision, afin de faire cesser l'infraction visée à l'article 2. Il est demandé à ces sociétés d'en fixer le montant sur la base du coût de traitement des opérations AOCT auquel parvient la banque la plus efficace, tel que vérifié par une étude de coûts réalisée auprès d'un échantillon représentatif de banques et vérifiée par un expert indépendant.

660.Les sociétés Crédit agricole et Le Crédit lyonnais font valoir que les commissions AOCT ne visent pas à compenser des coûts, mais à la fois, d'un côté, à indemniser la banque concernée pour la charge d'une opération de compensation ou de rejet d'image chèque réalisée à tort par une autre banque, de l'autre, de dissuader les utilisateurs du système de compenser à tort des opérations. Elles estiment que le critère de calcul des commissions est inapproprié pour atteindre cet objectif, car, orienté vers les coûts, il aurait pour conséquence de réduire l'effet dissuasif au détriment de l'efficacité du système. Elles demandent, en conséquence, l'annulation de la décision attaquée sur ce point.

661.Il n'est pas contesté que cette injonction a été exécutée par les parties.

662.La cour observe que l'injonction, en précisant que le montant des commissions AOCT doit être fixé sur la base du coût de traitement des opérations AOCT auquel parvient la banque la plus efficace, n'interdit pas que, pour assurer le caractère dissuasif de cette commission, cet objectif soit au surplus pris en compte dans son montant dès lors que cette prise en compte se fait de manière proportionnée. Par ailleurs, la référence aux coûts dans le calcul de cette commission à nature d'indemnisation est justifiée, dans la mesure où le préjudice causé par une banque qui subit une annulation à tort, correspond bien pour elle au coût de la prestation rendue à ce titre.

663.Le moyen et la demande y afférente sont donc rejetés.

2. Sur les frais d'expertise

664.La Société générale expose que le montant des frais d'expertise n'a jamais été communiqué, ni a fortiori discuté avec les parties, qu'il ne figure pas dans la décision attaquée et ce, alors même que sa perception a déjà été ordonnée.

665.Elle ajoute que cette expertise a été diligentée à l'initiative des services d'instruction dans le seul but de procéder à de nouveaux calculs visant à mesurer la hausse alléguée du prix du service de remise de chèques et qu'en outre cette expertise est nulle, faute pour l'expert désigné d'avoir accompli la mission qui lui était impartie dans la décision du 17 février 2009. Elle estime qu'en conséquence, les frais occasionnés à cette occasion ne sauraient être mis à la charge des parties et demande l'annulation de l'article 7 de la décision attaquée.

666.Cependant, le fait que l'expertise ait été diligentée à l'initiative des services d'instruction ne justifie en rien que son coût ne soit pas mis à la charge des parties. Par ailleurs, si, ainsi que l'indique cette requérante, la mission de l'expert a, durant le cours des opérations, évolué par rapport à la mission initiale et qu'il lui a été demandé de procéder à d'autres calculs, cette évolution nécessaire pour répondre aux observations des parties et qui n'a rien de contraire à leurs droits ne justifie nullement que les frais d'expertise ne soient pas mis à leur charge. Il s'ensuit que les moyens et demandes de cette requérante sont rejetés.

667.Au regard de l'ensemble de ce qui précède, les moyens des recours sont rejetés.

3. Sur l'article 700 du code de procédure civile

668.Il n'y a pas lieu de prononcer en l'espèce au vu des éléments du dossier de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable l'intervention volontaire accessoire de l'association Union fédérale des consommateurs ' Que Choisir (UFC ' Que Choisir) ;

Déclare irrecevable la demande de l'association Union fédérale des consommateurs ' Que Choisir (UFC ' Que Choisir) tendant à la réformation de l'article 6 de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 relative aux tarifs et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d'encaissement ;

Déclare irrecevable l'intervention volontaire de l'association pour la défense des utilisateurs des moyens de paiement européens (ADUMPE) ;

Rejette l'ensemble des moyens de procédure tendant à l'annulation de la décision n° 10-D-28 ;

Réforme la décision n° 10-D-28 en ce qu'elle a prononcé une sanction de :

'62 650 000 euros pour le premier grief et de 630 000 euros pour le second grief à l'encontre de la société BNP Paribas,

'82 110 000 euros pour le premier grief et de 830 000 euros pour le second grief à l'encontre de la société Crédit agricole,

'32 540 000 euros pour le premier grief et de 330 000 euros pour le second grief à l'encontre de la société La Banque postale,

'52 280 000 euros pour le premier grief et de 530 000 euros pour le second grief à l'encontre de la société BPCE venant aux droits de la société CE Participations,

Statuant à nouveau de ce chef,

Prononce les sanctions pécuniaires suivantes :

' 57 830 000 euros pour le premier grief et de 580 000 euros pour le second grief à l'encontre de la société BNP PARIBAS,

' 75 800 000 euros pour le premier grief et de 760 000 euros pour le second grief à l'encontre de la société Crédit agricole,

' 29 590 000 euros pour le premier grief et de 290 000 euros pour le second grief à l'encontre de la société La Banque postale,

' 48 260 000 euros pour le premier grief et de 480 000 euros pour le second grief à l'encontre de la société BPCE venant aux droits de la société CE Participations,

Rejette les recours pour le surplus et toutes autres demandes des parties ;

Dit qu'en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en 'uvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, le présent arrêt sera transmis par la cour à la Commission de l'Union européenne ;

Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que chaque partie supportera ses propres dépens

LA GREFFIÈRE

Patricia DARDAS

LA PRÉSIDENTE

Valérie MICHEL-AMSELLEM


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 15/17638
Date de la décision : 21/12/2017

Références :

Cour d'appel de Paris I7, arrêt n°15/17638 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-12-21;15.17638 ?
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