RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 20 Décembre 2017
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/01522
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Novembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/02624
APPELANT
Monsieur [H] [V]
[Adresse 1]
[Localité 1]
né le [Date naissance 1] 1983
représenté par Me Olivier LIGETI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0560
INTIMEE
SARL [A] AUBRAC
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Monique CALMELET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0476
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Octobre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Laure TOUTENU, Vice-présidente placée, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Catherine SOMMÉ, président
Monsieur Benoit HOLLEAUX, conseiller
Madame Laure TOUTENU, vice-présidente placée
Greffier : Mme Laurie TEIGELL, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par Madame Catherine SOMMÉ, Président et par Madame Laurie TEIGELL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [H] [V] a été engagé par la société [A] Aubrac, qui exploite le restaurant 'La maison de l'Aubrac' à [Localité 2] en qualité de chef de rang, suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 mars 2010. La relation de travail était régie par la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants.
L'entreprise emploie plus de dix salariés à la date de la rupture.
La société [A] Aubrac a porté plainte pour escroquerie commise le 6 janvier 2013 pour un montant de 5 000€, en soutenant qu'un individu avait subtilisé la somme en espèces, alors qu'il était descendu au coffre avec M. [V] dans le cadre de la réservation d'un groupe.
M. [V] a fait l'objet d'un arrêt de travail à compter du 9 janvier 2013, prolongé ensuite à plusieurs reprises.
Reprochant plusieurs manquements à son employeur, par lettre du 25 février 2013, M. [V] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Le 1er mars 2013, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris. Il a formé des demandes tendant à dire que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec paiement des indemnité légale de licenciement, indemnité de préavis et congés payés afférents, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour perte de chance du droit individuel à la formation, de dommages et intérêts pour rétrogradation dans des conditions vexatoires, d'un rappel d'heures supplémentaires et congés payés afférents, d'un rappel de majoration d'heures supplémentaires et congés payés afférents, de contrepartie obligatoire au repos, de dommages et intérêts pour non respect de la durée maximale du travail et d'indemnité pour travail dissimulé, avec exécution provisoire.
Par jugement du 9 septembre 2015 notifié le 8 janvier 2016, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté M. [V] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens.
M. [V] a interjeté appel de cette décision le 28 janvier 2016.
Aux termes de ses écritures visées par le greffier et soutenues oralement le 16 octobre 2017, M. [V] demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de :
- dire que sa prise d'acte est justifiée et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamner la société [A] Aubrac à lui payer les sommes suivantes :
1 320 € à titre d'indemnité légale de licenciement
4 400 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
440€ au titre des congés payés afférents
17 600 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
700 € pour perte de chance d'utiliser ses droits acquis au titre du droit individuel à la formation
5 000 € à titre de dommages et intérêts pour rétrogradation dans des conditions vexatoires
à titre principal 26 299 € à titre d'heures supplémentaires au-delà de la 40ème heure du 1er mars 2010 au 6 janvier 2013 et 2 629,90 € au titre des congés payés afférents
subsidiairement 12 162,80 € au titre des majorations afférentes aux heures supplémentaires à partir de la 36ème heures et 1 216,29 € au titre des congés payés afférents
19 227 € à titre d'indemnité compensatrice de contrepartie obligatoire en repos
5 000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la durée maximale hebdomadaire de travail
13 200 € à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil
3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société [A] Aubrac reprend les termes de ses conclusions visées par le greffier et demande à la cour de dire que la prise d'acte de M. [V] s'analyse en une démission, la confirmation du jugement, le rejet de l'ensemble des demandes de M. [V], outre sa condamnation à lui verser une indemnité de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de rappel de salaires pour heures supplémentaires
M. [V] déclare qu'il a effectué de nombreuses heures supplémentaires au-delà des 39 heures contractuelles, que son employeur n'a pas payé les heures effectuées après 39 heures et ne s'est pas acquitté des majorations.
La société [A] Aubrac indique que le salarié a effectué 169 heures par mois, qu'il n'étaye pas sa demande au titre d'heures supplémentaires, que les éléments du dossier confirment qu'il n'a pas accompli d'heures supplémentaires.
Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il appartient donc au salarié de produire au préalable des éléments de nature à étayer sa demande.
Le contrat de travail de M. [V] prévoit :
- qu'il est rémunéré sur une base actuelle de cotisation s'élevant à 2 164 € 2ème catégorie
- que le service collecté auprès de la clientèle (15% du chiffre d'affaires hors taxe) n'est pas centralisé et réparti par l'employeur, que la centralisation et la répartition entre les différents bénéficiaires sont effectuées par un membre du personnel désigné à cet effet, M. [G], que les bulletins de paie sont établis en fonction de la grille forfaitaire publiée par l'URSSAF et prévue par les arrêtés des 14 janvier 1975 et 10 février 1977
- qu'il travaille trente neuf heures par semaine soit 169 heures par mois.
M. [V] sollicite le paiement des sommes suivantes :
26 299 € au titre des heures supplémentaires effectuées entre le 1er mars 2010 et le 6 janvier 2013 à partir de la 40ème heure, sur la base d'un taux horaire brut de 13 € et des heures supplémentaires à hauteur de 589 heures en 2010, 736 heures en 2011, 698 heures en 2012
outre les congés payés afférents
Il produit un décompte des heures travaillées selon lui montrant un nombre total d'heures travaillées par semaine de 54 heures en général, avec quelques variations à la baisse et à la hausse, et calculant des majorations en application de l'article 4 de la convention collective applicable. Il verse également aux débats plusieurs attestations de salariés corroborant le fait que les heures supplémentaires étaient courantes :
- M. [R] : 'nos heures supplémentaires ne sont pas payées. Nous avons un planning 'officiel' et 'officieux' et celui-ci diffère des heures de présence que l'on nous demande de signer'
- M. [D] : '... tout en travaillant plus de 10 heures par jour'
- M. [M] : 'en réalité nous effectuons bien plus d'heures de travail'
La demande du salarié est étayée de sorte que l'employeur est en mesure d'y répondre.
L'employeur souligne plusieurs contradictions dans le décompte produit par le salarié, qui n'a pu travailler pendant certaines absences comme son congé paternité ou des congés payés, et produit notamment l'attestation de M. [T] qui indique que M. [V] ne travaillait pas plus de 169 heures par mois. Il ajoute que le salarié a, chaque mois, signé des reçus relatifs à la répartition du pourcentage service attestant qu'il avait effectué les 169 heures.
Au vu des éléments du dossier après analyse des pièces produites par chacune des parties, la cour a la conviction que M. [V] a accompli des heures supplémentaires non rémunérées au-delà des 39 heures prévues à son contrat de travail, qu'elle évalue à 8 941 € pour la période du 1er mars 2010 au 6 janvier 2013, outre 894,10 € au titre des congés payés afférents. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
Sur la demande au titre de la majoration des heures accomplies au-delà de la 36ème heure
M. [V] sollicite le paiement de la somme de 12 162,80 € au titre des majorations afférentes aux heures réalisées à compter de la 36ème heure en application des articles 4, 5.1 et 5.2 de l'avenant n°2 du 5 février 2007 à la convention collective applicable, au titre de la période du 1er mars 2010 au 6 janvier 2013, outre les congés payés afférents.
La société [A] Aubrac fait valoir que le salarié a signé un reçu indiquant qu'il avait effectué le nombre d'heures figurant sur son bulletin de paie correspondant à 169 heures par mois. La société [A] Aubrac précise que pour les salariés rémunérés au pourcentage service en application des articles L. 147-1 et suivants du code du travail, la rémunération tirée du pourcentage service calculé sur le chiffre d'affaires est réputée rémunérer l'intégralité des heures de travail, qu'en outre, l'URSSAF confirme que les heures conventionnelles déjà incluses dans la rémunération au service n'ont pas à être portées sur les bulletins de paie. La société [A] Aubrac souligne que les seules demandes qui pourraient être examinées ne pourraient porter que sur les seules majorations.
Au vu des éléments du dossier et des bulletins de paie de M. [V], l'employeur n'a pas fait apparaître le paiement des majorations afférentes aux heures réalisées à compter de la 36ème heure, conformément à l'article 4 de l'avenant précité à la convention collective applicable.
M. [V] sollicite le paiement de la majoration au titre de :
164 heures en 2010
180 heures en 2011
192 heures en 2012
soit un total de 536 heures sur la base d'un taux horaire de 13€ brut.
Il sera donc fait droit à la demande de M. [V] à raison d'une majoration de 10% sur les heures effectuées entre la 36ème heure et la 39ème heure, soit 13 x 10% x 536 = 696,80 €, outre 69,70 € au titre des congés payés afférents.
Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande au titre de l'heure de base, celle-ci ayant été incluse dans la rémunération versée au salariée.
S'agissant du pourcentage service, la cour constate qu'il n'est pas établi au vu des pièces produites par chacune des parties et après les avoir analysées, que le salarié a accompli des heures qui auraient dû faire l'objet d'une majoration non payée.
Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
Sur la demande au titre de l'indemnité compensatrice obligatoire en repos
M. [V] indique qu'en vertu de l'article 5.3 de l'avenant précité à la convention collective le contingent d'heures annuelles est fixé à 360 heures, que les heures effectuées au-delà de ce seuil peuvent donner lieu à repos compensateur et à une indemnisation de ce repos compensateur quand le salarié n'a pu en bénéficier. Il expose qu'au vu de son décompte il a effectué de nombreuses heures supplémentaires et a dépassé le contingent annuel chaque année, que la société intimée employant plus de 20 salariés, il a droit à l'indemnité compensatrice.
Au vu des éléments retenus par la cour pour les heures supplémentaires effectuées, il n'est pas démontré que M. [V] a accompli des heures supplémentaires au-delà du contingent annuel. Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] de sa demande d'indemnité de ce chef.
Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé
M. [V] expose que les heures supplémentaires réalisées ne figurent pas aux bulletins de paie et ajoute que la société intimée minorait son chiffre d'affaires afin de léser ses salariés rémunérés au chiffre d'affaires réalisé.
La société [A] Aubrac fait valoir que toutes les heures travaillées sont payées et qu'il ne peut y avoir de travail dissimulé. Elle précise qu'en application des articles L. 147-1 et suivants du code du travail, la rémunération tirée du pourcentage service calculé sur le chiffre d'affaires est réputée rémunérer l'intégralité des heures de travail.
Il résulte des dispositions des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail, que le fait, pour l'employeur, de mentionner intentionnellement sur le bulletin de paie du salarié un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli est réputé travail dissimulé et ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaires.
En l'espèce, il résulte des développements qui précèdent que les bulletins de paie de M. [V] mentionnent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli et que l'employeur ne pouvait l'ignorer ce fait.
Par conséquent, M. [V] est fondé à obtenir paiement d'une indemnité égale à six mois de salaire, soit sur la base d'un salaire mensuel moyen de 2 200 € comme demandé, la somme de 13 200 €. Le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point.
Sur l'imputabilité de la rupture
M. [V] indique que les manquements graves de son employeur, qui empêchaient la poursuite du contrat de travail, l'ont contraint à prendre acte de la rupture, alors même qu'il n'avait pas d'autre emploi.
La société [A] Aubrac fait valoir que le salarié ne rapporte pas la preuve des prétendus manquements qu'il invoque et qu'en cas de doute, la rupture produit les effets d'une démission.
Il résulte des dispositions de l'article L. 1231-1 du code du travail que le salarié peut prendre acte de la rupture du contrat de travail et que cette prise d'acte produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'il rapporte la preuve de manquements de l'employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d'une démission.
En l'espèce, M. [V] reproche à son employeur les manquements suivants :
- une rétrogradation du poste de maître d'hôtel au poste de chef de rang et une menace de sanction pécuniaire illégale ;
- le non-paiement de majorations d'heures supplémentaires de la 36ème à la 39ème heure de travail, le non-paiement d'heures supplémentaires accomplies et de repos compensateurs, de majorations et l'absence de mention sur les bulletins de paie des majorations et repos compensateurs ;
- la minoration de la base de calcul de la rémunération entraînant une minoration de la rémunération.
Sur la rétrogradation
M. [V] déclare qu'il a été rétrogradé, sans son accord. Il affirme qu'il occupait un poste de maître d'hôtel, accueillant les clients du restaurant et coordonnant le service en salle, tout en relevant les caisses, qu'à la suite de l'incident du 6 janvier 2013, il a été rétrogradé au poste de chef de rang, qu'il s'est ainsi trouvé rattaché hiérarchiquement à des salariés dont il était auparavant l'égal et qu'il a vu ses responsabilités limitées. Il soutient que ce seul fait est en lui-même suffisamment grave pour justifier la prise d'acte. M. [V] expose que cette sanction est irrégulière et injuste, en ce qu'elle a été signifiée oralement, alors même qu'il n'a commis aucune faute puisqu'il a été la première victime de ce vol qui a été possible parce que la société ne dispose pas de système de sécurité. M. [V] précise que sa promotion comme sa rétrogradation résultent de circonstances de fait, et non pas d'une formalisation contractuelle contrairement aux affirmations de l'employeur quant à sa promotion puis sa rétrogradation. M. [V] relève que sa rétrogradation a fait suite à son refus de rembourser les sommes volées aussitôt après l'incident, qu'elle a été prononcée en un instant. M. [V] ajoute que l'employeur l'a menacé de déduire la somme dérobée de son salaire, ce qui constitue une sanction pécuniaire illicite et qui justifie la prise d'acte de la rupture. Il indique être resté pendant au moins une année sans rémunération avant de créer sa société.
La société [A] Aubrac fait valoir que M. [V] a toujours eu la fonction de chef de rang, contrairement à ce qu'il indique, qu'il avait la responsabilité de la caisse uniquement le samedi et le dimanche sans aucune des autres prérogatives des maîtres d'hôtel, qu'il a d'ailleurs été rémunéré pour cette tache ponctuelle mais n'a pas été promu maître d'hôtel. La société [A] Aubrac souligne que c'est suite à un vol en présence de M. [V], qui a laissé un tiers le suivre au sous-sol pour de la monnaie, s'introduire dans la salle des coffres et subtiliser une liasse de billets, que le salarié a été en repos puis en arrêt de travail avant de prendre acte de la rupture de son contrat de travail. La société [A] Aubrac conteste les menaces et la rétrogradation alléguées. Elle affirme que c'est elle qui a été victime du vol et a porté plainte, qu'une porte blindée avait été posée pour protéger le coffre, qu'elle n'a pas eu le temps matériel de rétrograder le salarié, qui en outre n'a jamais quitté la fonction de chef de rang, qu'aucune menace de sanction pécuniaire n'a pesé sur lui.
La société [A] Aubrac fait état d'une responsabilité ponctuelle de caisse octroyée au salarié les samedi et dimanche uniquement, sans aucune autre des prérogatives du maître d'hôtel. Elle produit deux témoignages :
- M. [G], premier maître d'hôtel, le 14 novembre 2014 : 'M. [V] était chef de rang au sein du restaurant depuis mars 2010. Il avait la responsabilité de la caisse uniquement le samedi et le dimanche sans aucune autre des prérogatives des maîtres d'hôtels (par exemple management, planning)' ;
- M. [T], maître d'hôtel, le 14 novembre 2014 : 'M. [V] était chef de rang à la maison de l'Aubrac. Il avait la responsabilité de la caisse uniquement le samedi et le dimanche sans aucune autre des prérogatives de maître d'hôtel jusqu'à ce qu'il décide de quitter son emploi'.
La cour relève que ces attestations, émanant de salariés soumis au lien de subordination, sont rédigées en termes identiques s'agissant des responsabilités confiées à M. [V].
A l'inverse M. [V] produit de nombreuses attestations précises et concordantes sur les missions qui lui aient confiées :
- M. [R] : 'M. [V] occupait le poste de maître d'hôtel lors de mon entrée dans l'entreprise et qu'il a gardé ce poste jusqu'à l'incident du 6 janvier. Après cette date, M. [V] est réapparu en tant que chef de rang sur les plannings' ;
- Mme [F] : 'M. [V] était employé à la maison de l'Aubrac en tant que maître d'hôtel et que suite à l'incident du 6 janvier 2013 que mon collègue M. [V] est rétrogradé au poste de chef de rang';
- M. [D] : 'Suite à l'incident du 6 janvier 2013, cette personne a été rétrogradée sous aucun motif valable du poste de maître d'hôtel au poste de chef de rang' ;
- M. [F] [O] : 'M. [V] était employé à la maison de l'Aubrac en tant que maître d'hôtel et que suite à l'incident du 6 janvier 2013 que mon collègue M. [V] ait été rétrogradé au poste de chef de rang' ;
- M. [N] : 'j'atteste avoir rencontré M. [V] lors de mon intégration le 28 août 2011; celui-ci ayant été le responsable du matin dès le début de mon contrat. Suite à l'incident du 6 janvier 2013, M. [V] a été démis de son poste de maître d'hôtel et rétrogradé en chef de rang.'
Il résulte de ces attestations précises et concordantes que M. [V] a bien été promu maître d'hôtel puis rétrogradé au poste de chef de rang, ce que confirment les plannings versés aux débats puisque le salarié apparaît dans la catégorie des responsables depuis août 2011 et qu'à compter de janvier 2013 il est de nouveau affecté dans la catégorie des chefs de rang.
M. [V] déclare également que Mme [A] l'a menacé de déduire de ses salaires la somme correspondant au vol, soit 5 000 €. Cependant la seule attestation qu'il produit, établie par M. [S] qui déclare qu'après avoir commis une erreur, il a été obligé de la payer 'j'oublie de taper une bouteille de vin à 60€ et j'ai été obligé de la payer le lendemain', est insuffisante pour démontrer la menace de sanction pécuniaire à son encontre.
Au vu de ces éléments, il est établi que suite à l'incident survenu au sein de l'établissement le 6 janvier 2013, M. [V] a fait l'objet d'une rétrogradation du poste de responsable maître d'hôtel, à celui de chef de rang, sans procédure disciplinaire mise en oeuvre permettant au salarié de s'expliquer sur les faits reprochés.
Sur les heures supplémentaires et repos compensateurs
Au vu des développements qui précèdent, il y a lieu de considérer que le manquement est caractérisé en ce que M. [V] a accompli des heures de travail à compter de la 35ème heure et jusqu'à la 39ème heure qui n'ont pas fait l'objet d'une majoration et qu'il a également effectué des heures supplémentaires non rémunérées.
Sur la rémunération
M. [V] indique que l'employeur appliquait de façon frauduleuse la méthode du pourcentage service, en réduisant la masse à partager entre les salariés, en ponctionnant diverses sommes, comprenant le salaire de la femme de ménage, et en minorant la somme à répartir, entraînant en conséquence une minoration de sa rémunération ainsi que celle des autres salariés en contact avec la clientèle et que ce manquement grave justifie la prise d'acte de la rupture du contrat de travail.
La société [A] Aubrac expose que le système de rémunération au pourboire utilisé au sein de la société est fondé sur une répartition du service centralisée par un salarié responsable dans l'entreprise, M. [G], premier maître d'hôtel, que seuls les reçus signés mensuellement par le personnel sont conservés, que le système est régulier et que le service n'a pas servi à régler les prestations de ménage, qui ont fait l'objet de factures distinctes.
Au vu du dossier et de l'attestation de M. [G], premier maître d'hôtel, ce dernier était seul en charge de la répartition du pourcentage service : 'je centralise au jour le jour le service réalisé et le répartis en fonction des salariés en contact avec la clientèle selon un principe de point horaire. A la fin de chaque mois je répartis le service, en déduction des acomptes faits en cours de mois et des charges sociales (apparaissant sur les bulletins de paie) de chaque salarié un reçu mensuel est signé par chaque salarié attestant avoir perçu la somme du service en espèce. Aucun registre n'est tenu, aucune archive de la répartition n'est conservée. A ce jour aucun salarié ne m'a émis la moindre réclamation'.
Ainsi, chaque mois le salarié signe un reçu attestant avoir reçu en espèces une somme correspondant à 15% du chiffre d'affaires hors taxe après centralisation et répartition du service par M. [G].
En outre, l'employeur produit une lettre de l'URSSAF du 4 septembre 2013 concluant après vérification effectuée au sein de l'établissement, sur la période du premier janvier 2010 au 31 décembre 2012, à l'absence d'irrégularité.
En l'absence d'élément probant produit par le salarié, la méthode de répartition du pourcentage service ne donnant pas lieu à tenue de registre ou archive de la répartition dont les montants ne sont pas connus de l'employeur, le manquement invoqué n'est pas établi.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, les deux manquements caractérisés à l'encontre de l'employeur sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, de sorte que la prise d'acte de la rupture est justifiée et produit en conséquence les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. La décision entreprise doit être infirmé sur ce point.
Sur les conséquences pécuniaires de la rupture
Sur le préavis
M. [V] qui avait plus de deux années d'ancienneté est fondé à percevoir une indemnité compensatrice de préavis de deux mois de salaire sur le fondement des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail, soit la somme de 4 400 € ainsi que les congés payés afférents, soit 440 €.
Sur l'indemnité de licenciement
Au regard de son ancienneté, M. [V] est également fondé à percevoir une indemnité de licenciement sur le fondement des dispositions des articles L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail, à hauteur de sa demande, soit 1 320 €.
Sur les dommages et intérêts
L'entreprise comptant plus de dix salariés, M. [V], qui avait plus de deux ans d'ancienneté, a droit à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, et qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.
Au moment de la rupture, M. [V], âgé de 29 ans, avait une ancienneté de près de trois années. Il a créé son entreprise.
Au vu de cette situation, il convient de lui allouer la somme de 13 200 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Enfin, sur le fondement de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient de condamner l'employeur à rembourser les indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois.
Sur la demande de dommages et intérêts pour perte du droit individuel à la formation
Le salarié fait valoir à juste titre qu'il a été placé dans l'impossibilité d'exercer son droit individuel à la formation du fait de l'employeur. Il y a donc lieu de lui allouer une somme de 500 € à titre de dommages et intérêts à ce titre. La décision entreprise doit donc être infirmée sur ce point.
Sur la demande de dommages et intérêts pour rétrogradation
M. [V] reproche à son employeur de l'avoir rétrogradé de manière unilatérale, sans avoir été convoqué à un entretien pour s'expliquer. Il indique qu'il a été particulièrement blessé par le comportement de son employeur et qu'il n'avait jamais fait l'objet de reproches.
La société [A] Aubrac fait valoir que le salarié n'a jamais été promu maître d'hôtel.
Au vu des développements qui précèdent, il est démontré que M. [V] a été rétrogradé de manière brutale et unilatérale sans qu'aucune procédure ne soit mise en oeuvre. Il y a lieu d'indemniser le préjudice subi par M. [V] en lui allouant la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts pour rétrogradation dans des conditions vexatoires. Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages et intérêts pour non respect de la durée maximale hebdomadaire
Au vu de l'imprécision sur ce point du décompte produit par M. [V] qui cite deux semaines litigieuses pour lesquelles la durée du travail est exagérée, il n'est pas établi que M. [V] a travaillé au delà de la durée maximale hebdomadaire, qui est fixée à l'article L. 3121-35 du code du travail à 48 heures et à l'article 6 de l'avenant n°2 du 5 février 2007 de la convention collective applicable à 46 heures sur une période quelconque de douze semaines. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.
Sur les autres demandes
En application des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt. Il n'y a pas lieu de fixer un point de départ des intérêts à une date antérieure comme sollicité.
La société [A] Aubrac succombant à la présente instance, supportera les dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à payer à M. [V] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu'il y a lieu de fixer à 2 500 €.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté M. [H] [V] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la durée maximale hebdomadaire de travail et de sa demande d'indemnité compensatrice de la contrepartie obligatoire en repos ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
DIT que la prise d'acte de M. [H] [V] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la SARL [A] Aubrac à payer à M. [H] [V] les sommes de :
1 320 € à titre d'indemnité légale de licenciement
4 400 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
440 € au titre des congés payés afférents
8 941€ au titre des heures supplémentaires accomplies à compter de la 40ème heure du 1er mars 2010 au 6 janvier 2013
894,10 € au titre des congés payés afférents
696,80 € au titre de la majoration des heure supplémentaires à partir de la 36ème heure, du 1er mars 2010 au 6 janvier 2013
69,70 € au titre des congés payés afférents
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation
13 200 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
13 200 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé
500 € à titre de dommages et intérêts pour perte du droit à la formation
500 € à titre de dommages et intérêts pour rétrogradation dans des conditions vexatoires
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt
ORDONNE le remboursement par la SARL [A] Aubrac des indemnités de chômage versées à M. [H] [V] dans la limite de six mois d'indemnités ;
RAPPELLE qu'une copie certifiée conforme du présent arrêt est adressée par le secrétariat-greffe au Pôle emploi ;
CONDAMNE la SARL [A] Aubrac à payer à M. [H] [V] la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SARL [A] Aubrac aux dépens de première instance et d'appel
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT