Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ARRÊT DU 19 DÉCEMBRE 2017
(n° , 15 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/00871
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Septembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/12618
APPELANTS
Monsieur [W] [B]
demeurant [Adresse 1]
[Adresse 2]
né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 1]
Monsieur [G] [M]
demeurant [Adresse 3]
[Adresse 4]
né le [Date naissance 2] 1959 à QUESNOY SUR DEULE
Représentés par Me Christine BASLE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0559
INTIMEE
SA VAN ROBAEYS FRERES
ayant son siège social [Adresse 5]
[Adresse 6]
N° SIRET : 075 550 731
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090
Rayant pour avocat plaidant Me Alexander MEYER, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Novembre 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Isabelle DOUILLET, Conseillère, chargée du rapport et M. François THOMAS, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur David PEYRON, Président de chambre
Madame Isabelle DOUILLET, Conseillère
Monsieur François THOMAS, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffière, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
MINISTÈRE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Madame Brigitte GARRIGUES, Substitute Générale, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur David PEYRON, président et par Madame Cyrielle BURBAN, greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La société VAN ROBAEYS FRERES (ci-après la société VRF) expose qu'elle a, depuis 1928, une activité de teillage du lin, qui consiste à transformer les tiges de lin après récolte en fibres qui seront utilisées essentiellement par l'industrie textile, du vêtement ou de l'ameublement.
Elle indique qu'elle a mis au point une toile de lin non tissé ou hydrolié, c'est-à-dire liée par l'eau et non par le tissage, grâce à un traitement de projection d'eau permettant de dissoudre la colle naturelle du lin et qu'elle a déposé, le 13 mai 1993, un brevet français n° 2 705 369 intitulé 'non-tissé à base de fibres de lin et procédé de fabrication'.
Elle précise que souhaitant diversifier son activité dans d'autres secteurs que le textile, elle a collaboré à plusieurs projets, notamment un projet avec la société SOPREMA concernant un projet d'usine d'hydroliage pour confectionner des toiles de lin hydrolié destinées à l'isolation de toitures dans le cadre duquel la société SOPREMA a déposé, le 14 février 2007, un brevet français n° 2 912 441 intitulé 'écran perméable à la vapeur d'eau et imperméable à l'eau et son procédé de fabrication' et un projet avec la société NORAFIN, située en Allemagne, concernant des stores en lin hydrolié, à l'occasion duquel la société TDA, spécialisée dans l'assemblage et l'installation de stores et dont le gérant, M. [G] [M], frère de son propre P.D.G. à l'époque, M. [M] [M], s'est proposée d'acquérir de la toile de lin auprès de la société NORAFIN et d'assembler des stores en toile de lin hydrolié et de les commercialiser.
Parallèlement, M. [G] [M] et M. [W] [B] ont déposé, le 4 février 2009, une demande de brevet français n° 09 00467 (ci-après, le brevet FR 467), intitulé 'toile pour la déstructuration de la lumière', délivré le 14 septembre 2012 et, le 4 février 2010, une demande de brevet européen délivré le 16 janvier 2013 sous le n° EP 2 393 979 B1(ci-après, le brevet EP 979 B1).
Le 4 janvier 2010, MM. [G] [M] et [W] [B], d'une part, et la société VRF, d'autre part, ont conclu un contrat de licence d'exploitation exclusive portant sur la demande de brevet français FR 467.
Des tensions sont apparues entre les parties et par exploit d'huissier du 4 juin 2012, MM. [G] [M] et [W] [B] ont assigné la société VRF devant le tribunal de grande instance de Dunkerque pour voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de licence et obtenir réparation de divers préjudices, découlant notamment de la rupture brutale de pourparlers. MM. [M] et [B] ont été déboutés de leurs demandes par jugement du 4 octobre 2016 dont il a été interjeté appel ; cette affaire est actuellement pendante devant la cour d'appel de Douai.
C'est dans ce contexte que la société VRF a, par acte d'huissier en date du 21 juin 2013, assigné devant le tribunal de grande instance de Paris M. [G] [M] et M. [W] [B] en nullité du brevet français FR 467 et de la partie française du brevet européen EP 979 B1.
Dans un jugement rendu le 10 septembre 2015, le tribunal a :
- dit la société VRF recevable dans sa demande en nullité du brevet FR 467 et de la partie française du brevet EP 979 B1,
- annulé les revendications 1 à 5 et 11 du brevet français FR 467 et de la partie française du brevet européen EP 979 B1 pour défaut de nouveauté,
- annulé les revendications 9 et 10 du brevet français n° 09 00467 et de la partie française du brevet européen n° EP 979 B1 pour insuffisance de description,
- annulé les revendications 6 à 8 du brevet français n° 09 00467 et de la partie française du brevet européen n° EP 979 B1 pour défaut d'application industrielle,
- ordonné la transmission à l'INPI, à la requête de la partie la plus diligente, du jugement, une fois celui-ci devenu définitif aux fins d'inscription au registre national des brevets,
- annulé le contrat de licence conclu entre MM. [G] [M] et [W] [B] et la société VRF le 4 janvier 2010 pour défaut d'objet,
- dit que les demandes de MM. [M] et [B] en résiliation judiciaire du contrat de licence et en paiement d'indemnités liées au contrat de licence sont devenues sans objet,
- débouté la société VRF de sa demande en dommages et intérêts liée à la nullité du brevet français FR 467,
- condamné in solidum MM. [M] et [B] à payer à la société VRF la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision sauf en ce qui concerne la mesure d'annulation des revendications de la partie française du brevet européen n° EP 979 B1 et du brevet français FR 467,
- condamné in solidum MM. [M] et [B] aux dépens.
Le 22 décembre 2015, MM. [M] et [B] ont interjeté appel de ce jugement.
Dans leurs dernières conclusions numérotées 2, transmises le 11 septembre 2017, MM. [M] et [B], poursuivant l'infirmation du jugement, demandent à la cour :
- de déclarer la société VRF irrecevable, faute d'intérêt à agir, dans son action en nullité du brevet FR 467 et de la partie française du brevet européen EP 979 B1, tant sur le fondement de l'article 31 du code de procédure civile que sur celui des dispositions du contrat de licence,
- de juger que le brevet FR 467 et la partie française du brevet EP 979 B1 couvrent une invention brevetable dès lors que :
- les revendications 1, 2, 3, 4, 5, 11 du brevet FR 467 et de la partie française du brevet européen EP 979 B1 constituent une nouveauté,
- la description des revendications 1, 2, 6, 7, 8, 9, 10 et 11 du brevet FR 467 et de la partie française du brevet EP 979 B1, permet à l'homme de l'art de réaliser ledit brevet,
- les revendications 1, 2, 3, 4, 5, 7, 8, 11 du brevet FR 467 et de la partie française du brevet européen EP 979 B1 présentent une activité inventive
- il existe la possibilité d'une exploitation industrielle des revendications 6 à 8 du brevet FR 467 et de la partie française du brevet EP 979 B1,
- de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de licence à date du 4 janvier 2010 aux torts exclusifs de la société VRF compte tenu des nombreuses violations contractuelles commises par celle-ci,
- en conséquence :
- de condamner la société VRF au paiement de :
- la somme de 750 000 euros au titre de la perte définitive de pays significatifs pour lesquels des extensions ont été souscrites puis ont été abandonnées en cours de procédure, en violation des articles 4 et 5 du contrat de licence,
- la somme de 634 000 euros au titre de la perte d'exploitation du brevet depuis 2011, - la facture de 9 999,30 euros correspondant au suivi de la demande de brevet pour les USA,
- de condamner la société VRF à la restitution des études, inventaires des stocks et mesures prévues au contrat de licence,
- de condamner la société VRF à leur verser la somme de 30 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions transmises par RPVA le 8 septembre 2017, la société VRF sollicite :
- la confirmation du jugement en ce qu'il :
- l'a déclarée recevable dans sa demande en nullité du brevet FR 467 et de la partie française du brevet européen EP 979 B1,
- a annulé les revendications n°1 à 5 et 11 du brevet FR 467 et de la partie française du brevet européen EP 979 B1, pour défaut de nouveauté,
- a annulé les revendications n° 9 et 10 du brevet FR 467 et de la partie française du brevet européen EP 979 B1, pour défaut de description,
- a annulé les revendications n°6 à 8 du brevet FR 467 et de la partie française du brevet EP 979 B1, pour défaut d'application industrielle,
- a ordonné la transmission à l'INPI à la requête de la partie la plus diligente, du présent jugement, une fois celui-ci devenu définitif aux fins d'inscription au registre national des brevets,
- a annulé le contrat de licence conclu le 4 janvier 2010 pour défaut d'objet,
- a condamné in solidum MM. [M] et [B] aux dépens et au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'infirmation du jugement pour le surplus et demande à la cour :
- de prononcer la nullité du brevet FR 467 et de la partie française du brevet européen EP 979 B1 pour défaut d'activité inventive,
- de condamner MM. [M] et [B] à lui verser :
- la somme de 50 000 eruos en réparation du préjudice causé par la nullité du brevet, - celle de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- le débouté de MM. [M] et [B] de l'ensemble de leurs demandes.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2017.
MOTIFS DE L'ARRET
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées ;
Sur le brevet FR 467 et le brevet EP 979 B1
Sur la présentation brevet FR 467 et du brevet EP 979 B1
Le brevet français FR 467
Considérant que l'invention porte sur une toile comprenant un support et une couche de déstructuration de la lumière caractérisée en ce que cette couche comprend de la nacre ou une substance ayant des propriétés de diffractions ou d'irisation de la lumière, depuis la gamme des UV jusqu'à celle des infra rouges [IR], sensiblement identique à celle de la nacre ;
Que l'invention porte également sur les procédés permettant de produire cette toile, ainsi que sur l'utilisation de cette toile pour produire des toiles de store ;
Qu'il est rappelé dans la partie descriptive du brevet que l'on connaissait déjà des toiles réalisées avec de la fibre de verre, de l'acrylique ou du polyester, permettant un rejet de seulement 55 à 65 % des infrarouges, et qu'il existait également dans le commerce des produits nommés 'store film' composés d'un film en polyester renfermant des particules d'aluminium, lesquelles peuvent rejeter jusqu'à 94 % des infrarouges ; que cependant, ces toiles rejettent la lumière visible et ont comme inconvénient d'opacifier exagérément les surfaces couvertes ;
Considérant que le brevet vise à remédier à ces inconvénients en proposant des toiles permettant un rejet des infrarouges jusqu'à 98 % tout en permettant un passage satisfaisant de la lumière visible ;
Considérant que le brevet se compose de 11 revendications qui se lisent comme suit :
' Revendication 1 : toile comprenant un support et une couche de déstructuration de la lumière caractérisée en ce que ladite couche comprend de la nacre ou une substance ayant des propriétés de diffraction ou d'irisation de la lumière depuis la gamme des UV jusqu'à celle des IR sensiblement identique à celle de la nacre.
' Revendication 2 : toile selon la revendication 1 caractérisée en ce que ladite couche est incorporée dans la masse dudit support.
' Revendication 3 : toile selon la revendication 1 ou 2 caractérisée en ce que ledit support est un non tissé.
' Revendication 4 : toile selon la revendication 3 caractérisée en ce que ledit non tissé est choisi dans le groupe comprenant les non tissés composés en tout ou partie de fibres minérales, de fibres d'origine animales, de fibres végétales et de fibres chimiques.
' Revendication 5 : toile selon la revendication 4 caractérisée en ce que ledit non tissé et un lin non tissé.
' Revendication 6 : toile selon l'une des revendications 1 à 5 caractérisée en ce que ladite couche de déstructuration de la lumière est continue.
' Revendication 7 : toile selon l'une des revendications 1 à 6 caractérisée en ce qu'elle comprend en outre une couche comprenant des particules métalliques ou à reflet métalliques tels que produites par la poudre et/ou la pierre à aiguiser.
' Revendication 8 : toile selon l'une des revendications l à 6 caractérisée en ce que ladite couche de déstructuration de la lumière comprend en outre des particules métalliques et/ou de la poudre de pierre à aiguiser.
' Revendication 9 : procédé de préparation d'une toile selon l'une des revendications l à 8 comprenant une étape consistant à imprégner un support dans une solution de nacre.
' Revendication 10 : procédé de préparation d'une toile selon la revendication caractérisée en ce que ladite solution de nacre comprend 10 à 20% de nacre.
' Revendication 11: utilisation d'une toile selon l'une des revendications 1 à 8 ou d'une toile obtenue par un procédé selon la revendication 9 à 10 pour la fabrication de produits rejetant les infrarouges comme les toiles de store, les toiles de tente et les vêtements.
Le brevet européen EP 979 B1
Considérant que dans le brevet européen, la couche de déstructuration de la lumière comprend de la nacre exclusivement ; qu'à la différence du brevet français, il n'est pas prévu l'option d'une autre substance ayant des propriétés de diffractions ou d'irisation de la lumière ;
Qu'ainsi, la revendication 1 dans le brevet européen a été modifiée par rapport au brevet français et est rédigée de la façon suivante : toile comprenant un support et une couche de déstructuration de la lumière caractérisée en ce que ladite couche comprend de la nacre ;
Que les autres revendications du brevet européen n'ont pas été modifiées par rapport à la rédaction du brevet français ;
Considérant que pour les deux brevets objets du litige, les revendications 1 à 8 visent un produit (la toile), alors que les revendications 9 et 10 visent un procédé ;
Sur la définition de l'homme du métier
Considérant que pour les appelants, l'homme du métier est un 'ennoblisseur' ;
Considérant que l'homme du métier est celui qui possède les connaissances normales de la technique en cause et est capable, à l'aide de ses seules connaissances professionnelles, de concevoir la solution du problème que propose de résoudre l'invention ;
Qu'en l'espèce, le problème que cherche à résoudre l'invention est l'obtention de toiles permettant à la fois un rejet des infrarouges jusqu'à 98 % et un passage satisfaisant de la lumière visible ;
Que la définition retenue par le tribunal, selon laquelle l'homme du métier est un spécialiste des toiles protégeant de la chaleur émise par les rayons du soleil, sera en conséquence adoptée ;
Sur la recevabilité de la société VRF à agiren nullité des brevets
Considérant que MM. [M] et [B], pour soutenir que la société VRF était dépourvue d'intérêt à agir à titre principal en nullité du brevet FR 467 et de la partie française du brevet européen EP 979 B1, arguent qu'au jour de son assignation (juin 2013) cette société n'avait pas exercé d'activité dans la commercialisation des toiles de lin autre que celle dépendant du brevet contesté et qui avait pris fin en 2011, qu'elle n'avait pas non plus de projet de recherche ou de développement dans ce domaine d'activité, son seul secteur d'intervention étant le teillage du lin ;
Que la société VFR répond qu'elle a bien commercialisé de la toile de lin entre les années 2010 et 2013, qu'elle avait en outre le projet d'en commercialiser, les parties étant censées exploiter le produit issu de l'invention, et qu'elle est recevable à agir en tant que licenciée en vertu d'un contrat dont la résiliation judiciaire est demandée par le cédant ;
Considérant qu'aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé ;
Que cet intérêt à agir, qui s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice, doit être direct, personnel, né et actuel ;
Qu'en matière d'action en nullité de brevets, a un intérêt à agir celui qui établit que, au jour de l'introduction de sa demande, les revendications dont il sollicite l'annulation constituent ou sont susceptibles de constituer pour lui une entrave dans l'exercice de son activité économique, parce qu'il exerce ou projette d'exercer une activité dans le domaine dont relève l'invention brevetée ;
Considérant qu'en l'espèce, il est constant que la société VRF exerce une activité dans le teillage du lin, ce qui consiste en la transformation de la plante en fibres en vue de leur commercialisation auprès de l'industrie du textile, du vêtement ou de l'ameublement ;
Qu'il ressort des explications et pièces fournies par la société VRF qu'elle a cherché dès 1993 à diversifier son activité en investissant d'autres marchés (dépôt d'un brevet français n° 2 705 369 intitulé 'non-tissé à base de fibres de lin et procédé de fabrication' en 1993, projets avortés avec la société POLYFEUTRE (1993) portant sur un paillage en lin non tissé destiné à couvrir les semis en bordure de routes et lignes de chemin de fer ou contenir des éboulements et avec la société SOPREMA (2008) pour la réalisation de toiles de lin hydrolié destinés à l'isolation des toitures) ; que le procès-verbal de l'assemblée générale ordinaire du 23 mars 2012 fait état de ces efforts de diversification de l'activité ; que l'intimée produit, en outre, deux factures en date des 23 août et 2 octobre 2012 adressées à la société SWISS TEXART portant sur de la toile de lin non tissé et des échantillons de lin, un échange de courriels avec la société COVALDIS de juillet et septembre 2010 concernant un projet de lancement de nappes/serviettes/chemin de table en lin et des extraits de compte montrant la facturation à cette société COVALDIS en octobre 2010 et septembre 2011 ;
Que surtout, il n'est pas contesté que dans le cadre d'un projet avec la société NORAFIN et TDA, la société VRF est devenue, le 4 janvier 2010, licenciée pour l'exploitation exclusive de la demande de brevet FR 467 de MM. [M] et [B] qui concerne une invention portant sur une toile essentiellement destinée à la fabrication de stores composée préférentiellement de lin non tissé et de nacre naturelle ; qu'il ressort d'ailleurs d'un arrêt rendu le 24 mai 2016 par la cour d'appel de Versailles qu'elle a vendu de la toile de lin à la société TDA précitée selon différentes factures échelonnées entre octobre 2010 et décembre 2011 ;
Que dès lors, comme l'a retenu le tribunal, en qualité de licenciée d'un contrat de licence portant sur l'exploitation du brevet FR 467 dont la résiliation était demandée par les cédants, elle avait, à la date de l'assignation, un intérêt à agir à titre principal en nullité des deux brevets de MM. [M] et [B] qui étaient susceptibles de constituer une entrave à son activité économique dans le domaine de la toile de lin et de ses applications ;
Que le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir de MM. [M] et [B] et dit la société VRF recevable dans ses demandes en nullité du brevet FR 467 et de la partie française du brevet EP 979 B1 ;
Sur la validité du brevet FR 467 et de la partie française du brevet EP 979 B1
Considérant que selon l'article L.611-10 du code de la propriété intellectuelle, sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d'application industrielle ;
Que l'article 52 alinéa 1 de la Convention de Munich sur la délivrance de brevets européens (CBE) dispose que les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu'elle soit nouvelle, qu'elle implique une activité inventive et qu'elle soit susceptible d'application industrielle ; qu'en application de l'article 138 a) de la CBE, un brevet doit être annulé si l'objet du brevet européen n'est pas brevetable aux termes des articles 52 à 57 ;
Considérant que la société VRF demande la nullité :
- des revendications 1 à 5 et 11 des brevets pour défaut de nouveauté,
- des revendications 6, 8, 9 et 10 des brevets pour insuffisance de description,
- des revendications 1 à 8 pour défaut d'activité inventive,
- de toutes les revendications pour absence d'application industrielle ;
Sur le défaut de nouveauté
Considérant qu'en application des articles L. 611-11 du code de la propriété intellectuelle et 54 de la CBE, une invention est considérée comme nouvelle si elle n'est pas comprise dans l'état de la technique, lequel est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen ; que l'article L 613-25 a) du code de la propriété intellectuelle dispose que le brevet est déclaré nul si son objet n'est pas brevetable aux termes des articles L. 611-10, L. 611-11 et L. 611-13 à L. 611-19 ; qu'en application de l'article 138-1 a) de la CBE, le brevet européen est déclaré nul si l'objet du brevet n'est pas brevetable aux termes des articles 52 à 57 ;
Que pour être comprise dans l'état de la technique et être privée de nouveauté, l'invention doit s'y trouver toute entière dans une seule antériorité au caractère certain, avec les mêmes éléments qui la constituent, dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique ;
Considérant, en l'espèce, que la nouveauté s'appréciant à la date du dépôt ou de la priorité, il faut se placer à la date du 4 février 2009, date du dépôt du brevet français, priorité sous laquelle a été enregistré le brevet européen ;
Considérant que la société VRF soutient que la nouveauté du brevet est détruite par la divulgation dont il a été l'objet lors d'essais réalisés à la demande des inventeurs par le Centre européen du non tissé (CENT) qui dépend de l'Institut français du tissage et de l'habillement (IFTH) en décembre 2008 et lors d'une présentation de l'invention à l'[Localité 2] polytechnique en janvier 2009, ces essais et présentation n'ayant fait l'objet d'aucun accord de confidentialité ; que la société intimée invoque, par ailleurs, trois documents au titre d'antériorités destructrices de la nouveauté du brevet (brevet coréen du 18 octobre 2001 « tissu composite comprenant une couche de nacre flexible et son procédé de fabrication », brevet chinois du 25 décembre 2007 « procédé d'impression moussante sur tissus avec des nanoparticules de nacre » et brevet japonais du 11 novembre 1996 « vêtement intégrant des perles») ; qu'elle ajoute que les caractéristiques de la revendication 11 étaient déjà obtenues avec de la toile de lin non tissé issue de son propre savoir-faire ;
Que MM. [M] et [B] opposent qu'ils n'ont fait réaliser aucun essai par le CENT puisque c'est la société VRF qui a loué les installations de ce Centre 'pour que les inventeurs réalisent eux-mêmes leurs essais' (page 19), que M. [B] a incorporé lui-même, en la saupoudrant, une poudre blanche dans la fibre, ceci aux fins d'obtenir une toile et que le personnel présent ignorait totalement tant la composition de la poudre, que la destination de la toile, ou les propriétés recherchées et obtenues, que, de plus, il a été découvert que la poudre que M. [B] croyait être de la nacre véritable était une poudre de pigments nacrés impropre à la réalisation de l'invention, de sorte que personne, pas même les inventeurs, n'ont véritablement eu de connaissance, au moment des essais réalisés au CENT, de la composition du produit incorporé à la fibre ; qu'ils précisent que le CENT était tenu par une obligation de confidentialité ; qu'invoquant le bénéfice des dispositions de l'article L. 611-13, ils soutiennent qu'aucune divulgation n'a pu intervenir sans un abus de la société VRF commis à leur préjudice ; qu'en ce qui concerne la réunion tenue à l'[Localité 2] polytechnique, ils font valoir qu'il s'agissait d'une visite informelle qui n'avait pour but que d'examiner la possibilité de confier un projet de fin d'études au fils aîné du PDG de la société VRF, M. [I] [M], élève de cette école et qu'aucune divulgation n'est démontrée ;
Considérant que la divulgation destructrice de nouveauté peut résulter d'une auto-divulgation, peu important que l'inventeur n'ait pas eu l'intention de divulguer son oeuvre ;
Que l'article L. 611-13 dispose : 'Pour l'application de l'article L. 611-11, une divulgation de l'invention n'est pas prise en considération dans les deux cas suivants :
- si elle a lieu dans les six mois précédant la date du dépôt de la demande de brevet ;
- si elle résulte de la publication, après la date de ce dépôt, d'une demande de brevet antérieure et si, dans l'un ou l'autre cas, elle résulte directement ou indirectement :
a) D'un abus évident à l'égard de l'inventeur ou de son prédécesseur en droit ;
b) Du fait que l'invention ait été présentée par eux dans une exposition officielle ou officiellement reconnue au sens de la convention révisée concernant les expositions internationales signée à [Localité 3] le 22 novembre 1928.
Toutefois, dans ce dernier cas, l'exposition de l'invention doit avoir été déclarée lors du dépôt et une justification produite dans les délais et conditions fixés par voie réglementaire.' ;
Considérant, en ce qui concerne les essais réalisés au CENT en décembre 2008, que la société VFR produit l'attestation de M. [N], ingénieur au sein de l'IFHT, qui relate qu'il a assisté aux essais effectués les 16 et 17 décembre 2008 au CENT en qualité de spécialiste textile, notamment du lin, au cours desquels 'M. [B] a saupoudré sur des fibres de lin un produit présenté comme de la poudre de nacre avant les étapes de nappage, d'aiguilletage et d'hydroliage' ; qu'il ressort de ce témoignage - dont l'authenticité n'est pas mise en doute, les appelants produisant eux-mêmes une photographie de M. [B] saupoudrant un produit au dessus d'une toile - qu'ont bien été présentées des fibres de lin sur lesquelles était projeté ou "incorporé" pour reprendre le terme des appelants, un produit présenté comme de la nacre, ce qui correspond à des éléments constitutifs de l'invention, peu important que ce produit n'ait en réalité pas été de la nacre, dès lors que les personnes présentes, notamment M. [N], spécialiste du lin, ont compris et retenu qu'il s'agissait de nacre ;
Qu' en ce qui concerne la présentation effectuée à l'[Localité 2] polytechnique en janvier 2009, la société VRF produit une attestation de M. [I] [M] qui indique qu'il était présent lors de la réunion qui s'est déroulée le 19 janvier 2009 en présence de MM. [G] [M] et [W] [B] (les inventeurs) et de M. [X] [M] (salarié de la société VFR et fils de M. [M] [M], PDG de VRF à l'époque) et également de M. [P], professeur de M. [I] [M], et qu'à cette occasion toutes ces personnes ont "discuté de l'invention de MM. [G] [M] et [W] [B] visant à incorporer de la nacre dans un support de lin hydrolié" ; que les appelants produisent le compte rendu établi par M. [X] [M] de cette réunion qui confirme la présence des personnes susnommés, précise que "[I] doit effectuer une épreuve en chimie. Nous lui avons proposé de travailler sur le projet stores en lin. Nous nous sommes rencontrés à Polytechnique afin de rencontrer son professeur et de préciser les objectifs de l'étude" et, au chapitre "Cahier des charges", qu' "Il s'agit de démontrer la capacité de chaque élément. Il faudra procéder par étape : analyse élémentaire de la nacre et du lin (validation scientifique des caractéristiques), propriétés de la nacre concernant la diffraction de la lumière ; stabilité de l'ensemble lin/nacre ; saturation de la nacre ; stabilité de la nacre avec les autres éléments qui vont être ajoutés (teinture, non-feu, déperlent). Essais avec de la cire chaude ' Bons résultats d'après [W]. Rechercher des similitudes avec la nacre pour envisager des évolutions et bloquer la concurrence" ;
Considérant que MM. [M] et [B] soutiennent qu'ils ont été victimes d'un abus de la part de la société VRF qui a violé l'accord de confidentialité pris en vue des essais effectués en décembre 2008 au CENT ; que pour justifier du caractère confidentiel de ces tests, ils produisent un devis de prestation R&D en date du 1er juillet 2009 établi à la demande de la société VRF dont l'article 7 "Confidentialité" indique que "les dispositions relatives à la confidentialité sont régies par un accord séparé signé entre les parties le 24 novembre 2008 et entré en vigueur rétroactivement le 14 novembre 2008" ; que si les appelants peuvent être suivis quand ils affirment que ce devis concerne les essais effectués en décembre 2008 au CENT, l'accord de confidentialité visé n'est cependant pas produit aux débats et la preuve de son existence ne peut résulter du courriel daté du 28 novembre 2008 de M. [N] indiquant : "Nous avons bien reçu l'accord de confidentialité signé et allons vous le retourner rapidement." , ce courrier étant adressé à M. [X] [M] (VRF) et non pas aux inventeurs ;
Que de même, MM. [M] et [B] arguent que le compte rendu de la réunion tenue à l'[Localité 2] polytechnique fait état d'un accord de confidentialité ; que ce document, qu'ils produisent et invoquent mais dont ils contestent en même temps l'authenticité, et qui est en tout état de cause corroboré par le témoignage de M. [I] [M], indique seulement "Tous les documents seront confidentiels. Une fois l'étude terminée, les documents peuvent être remis à l'industriel ou détruits. L'[Localité 2] insiste sur la signature d'un accord de confidentialité. [I] a déjà reçu le projet de confidentialité. Mr [P] a l'habitude de travailler en toute transparence et confidentialité avec les industriels (...)" ; qu'en l'absence d'accord de confidentialité produit aux débats, ces mentions ne peuvent en tenir lieu ;
Considérant que les appelants invoquent donc vainement le bénéfice de l'article L. 611-13 dont les conditions très restrictives ne sont pas remplies en l'espèce, les intéressés ne démontrant pas la réalité d'un abus commis à leur égard, ni la présentation de l'invention dans le cadre officiel prévu par ces dispositions ;
Considérant qu'il ressort du témoignage de M. [N] et du compte rendu de la réunion tenue au sein de l'[Localité 2] polytechnique que les essais effectués les 16 et 17 décembre 2008 au CENT et la présentation à l'[Localité 2] polytechnique ont divulgué les revendications 1 à 5 et 11 des brevets ;
Qu'il y a lieu, par conséquent, sans qu'il soit besoin d'examiner le surplus de l'argumentation relative aux antériorités résultant des trois brevets coréen, chinois et japonais et au test effectué par M. [G] [M] en 2009, au demeurant postérieurement à la date de dépôt du brevet français, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité des revendications 1 à 5 et 11 des brevets pour défaut de nouveauté ;
Sur l'insuffisance de description
Considérant qu'en application des articles L. 612-5 du code de la propriété intellectuelle et 83 de la CBE , l'invention doit être exposée dans la demande de brevet de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ; que l'article L. 613-25 b) du code de la propriété intellectuelle dispose que le brevet est déclaré nul s'il n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ; qu'en application de l'article 138-1 b) de la même Convention, le brevet est déclaré nul s'il n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ;
Qu'il s'ensuit que l'homme du métier doit trouver dans la description du brevet les moyens de reproduire l'invention par le jeu de simples opérations d'exécution à l'aide de ses connaissances professionnelles normales théoriques et pratiques, auxquelles s'ajoutent celles qui sont citées dans le brevet ; que la description qui ne satisfait pas à cette exigence vicie le brevet et le rend annulable ;
Considérant que la société VRF soutient que les revendications 9 et 10 des brevets souffrent de lacunes dans la description de la solution de nacre, les termes de 'poudre de nacre' et de 'solution de nacre' n'étant pas définis, et que les techniques anciennes invoquées par les inventeurs, censées venir pallier ces insuffisances, sont sans rapport avec l'invention ;
Que MM. [M] et [B] répondent que les témoignages de MM. [Y] et [O] sur lesquels le tribunal s'est fondé pour retenir l'insuffisance de description des revendications 9 et 10 ne sont pas probants (manque de neutralité de M. [Y], secrétaire général et président des associations CLUBTEX et UP-TEX dont la société VRF est adhérente, et manque de pertinence du témoignage [O]), que le témoignage de M. [H], produit en appel, n'est pas éclairant ; qu'ils expliquent que le carbonate de calcium (Ca CO 3) qui compose pour l'essentiel la nacre est vulgairement utilisé depuis des centaines d'années comme charge pigmentaire et qu'on le trouve dans le blanc de [Localité 4] ou la craie mais aussi dans le 'gesso'' (enduit servant à badigeonner des toiles, notamment des toiles de lin) ou le 'gofun' (peinture à base de coquille d'huître broyée utilisée par les japonais pour peindre sur de la soie), que l'homme du métier est rompu à manipuler différents pigments et différentes charges qui se présentent depuis des lustres sous forme de farines plus ou moins fines, pures et homogènes et à mettre en 'uvre ces pigments sur des textiles composés eux-mêmes de fibres et que la farine de nacre, essentiellement composée de carbonate de calcium, ne se distingue en rien des pigments et autres charges communément utilisées composées également de carbonate de calcium ; qu'ils ajoutent qu'en tout état de cause, la fabrication et la commercialisation du produit de l'invention démontrent que celle-ci était suffisamment décrite et qu'en application de l'article 10 du contrat de licence, la société VRF, exploitante, ne pouvait plus se prévaloir d'un quelconque défaut de documents techniques ou de renseignements relatifs à la mise au point du produit au-delà d'une période de trois mois à compter de la signature du contrat ;
Considérant que l'article 10 ('Communication des documents techniques de l'invention') du contrat de licence signé le 4 janvier 2010 entre MM. [M] et [B] et la société VRF prévoit que 'les concédants s'engagent à fournir à l'exploitant tous documents techniques et tous renseignements complémentaires qui s'avéreraient nécessaires pour la mise au point des produits du contrat ainsi que toutes indications relatives à la commercialisation desdits produits ; cette obligation de renseignements sera réputée remplie par les concédants au terme d'une période de trois mois à compter de l'entrée en vigueur des présentes saufs accords ponctuels contraires' ;
Que cette stipulation, qui concerne l'exécution du contrat de licence, n'a pas pour effet de priver la société VRF, exploitante, de la faculté d'invoquer l'insuffisance de description du brevet dans le cadre d'une action en nullité dudit brevet ;
Considérant que les procédés des revendications 9 et 10 concernent la solution de nacre dont doit être imprégnée la toile ; que la revendication 10 indique que cette solution de nacre comprend 10 à 20 % de nacre ; que les descriptions des brevets précisent que 'le terme 'nacre'fait référence à la nacre sous ses différentes formes et notamment sous la forme de poudre de nacre', la description du brevet européen précisant (page 3, ligne 15) que 'Parmi les poudres de nacre utilisables dans le cadre de l'invention, on peut citer notamment la poudre de nacre issue du broyage de l'intérieur des coquilles de mollusques' ;
Que la société VRF produit :
- un avis technique de M. [R] [O], professeur des universités à l'Ecole nationale supérieure des arts et industries textiles (ENSAIT), qui indique notamment : 'La faisabilité de l'invention est dépendante de la faisabilité du procédé décrit au sein des revendications 9 et 10 (...) Au sens chimique, le terme de solution est insuffisant pour permettre la réalisation de l'invention et pose de nombreuses questions. Principalement constituée de carbonate de calcium sous sa forme cristalline aragonite, la nacre est en effet très peu soluble dans l'eau. Il faudrait donc savoir exactement de quoi est composée la solution. En toute hypothèse, une solubilisation stricto sensu de la nacre entraînerait une perte des propriétés optiques recherchées. Il est plus probable que la poudre de nacre doive être dispersée dans une formulation polymère susceptible de garantir des interactions suffisantes avec le support, et déposée par un procédé d'enduction après que la nacre ait été réduite en poudre. Cette formulation pourrait être une solution polymère aqueuse (de type latex), un polymère thermodurcissable capable de réticuler sous l'effet de la chaleur, ou encore un polymère thermoplastique déposé à chaud sur la surface textile. Mais dans ce cas, la réalisation de l'invention se heurterait à des difficultés techniques connues non résolues par le brevet, à savoir ; ' Que l'évaporation de l'eau, la réticulation de la résine thermodurcissable, ou la cristallisation du polymère thermoplastique, entraînent des variations dimensionnelles qui provoqueront elles-mêmes un effet de gondolement du support. ' Que la formulation polymère possédant une viscosité relativement élevée, il sera difficile d'obtenir une dispersion satisfaisante, en particulier dans le cas de nanoparticules. On constate en effet généralement, en l'absence de tout traitement chimique de nanoparticules destiné à séparer leurs feuillets constitutifs, une tendance à leur agrégation susceptible de perturber l'effet recherché (...) La granulométrie des charges fonctionnelles doit impérativement être spécifiée (...) De plus, il faut souligner qu'aucune information sur la formulation d'enduction et sur son mode de dépôt n'est fournie' ; que M. [O] conclut que l'invention lui apparaît comme insuffisamment décrite en ce que 'l'on ignore de quoi est composée la solution destinée à contenir de la nacre, que l'on ignore également tout de la formulation d'enduction et de son mode de dépôt, et qu'enfin, la granulométrie n'est pas spécifiée' ;
- un avis technique de M. [H] [Y], ingénieur textile ENSAIT, qui relève également que 'le brevet ne donne aucune indication sur la formulation de la 'solution de nacre' (revendication 10) alors que cet élément est essentiel' puisqu'il définit à la fois la composition de la couche dont il faut assurer l'homogénéité lors de la préparation, son état, sa capacité à pénétrer ou non le support ou sa capacité d'adhésion audit support, ni sur la (ou les) technique(s) qui serai(en)t employée(s) pour le dépôt de la couche ainsi obtenue sur le support ; que M. [Y] observe, à cet égard, que dans la revendication 9, on parle d'une 'étape consistant à imprégner un support dans une solution de nacre' mais que 'rien ne permet dans les revendications précédentes, de faire le lien entre la technique de préparation de la 'solution de nacre' et cette technique d'imprégnation qui, de plus, est très imprécise' ; qu'il conclut qu'il n'est pas possible, à ses yeux, qu'un professionnel sache comment réaliser le produit ;
- un avis technique de M. [P] [H], ingénieur de recherche à l'Institut de recherche Dupuy de Lôme (IRDL), duquel il ressort que 'la nacre est composée d'une succession de couches de plaquettes d'aragonite séparées par des couches de protéines', ce qui lui confère des propriétés optiques exceptionnelles, mais que 'sous l'effet d'endommagements tels que par exemple un broyage ou une micronisation, la nacre est déstructurée et la structure de ses plans d'aragonite est dégradée ; ses propriétés optiques ne sont plus les mêmes et s'en trouvent fortement altérées, la réflexion des ondes lumineuses ne présentant plus les mêmes caractéristiques' ;
Qu'ainsi, il ressort de ces deux premiers avis techniques - qui sont circonstanciés et concordants, ce qui permet d'écarter la critique des appelants quant au manque d'objectivité de M. [Y] - que le brevet ne donne pas d'indication sur la formulation de la solution de nacre mentionnée dans les revendications de procédé 9 et 10 ; qu'il résulte du troisième avis que l'obtention de la solution de nacre revendiquée est loin d'être une évidence en raison de la composition même de la nacre qui peut se dégrader sous l'effet d'actions de broyage ou de micronisation ;
Qu'à ces trois avis techniques, MM. [M] et [B] n'opposent pas l'avis d'un autre homme du métier mais seulement des procédés traditionnels qui auraient tous en commun de faire coopérer du carbonate de calcium avec une toile de lin ; que sont ainsi fournis des documents (leurs pièces 45, 46 et 49) qui enseignent que le blanc de [Localité 4], appelé aussi craie ou blanc d'Espagne ou carbonate de calcium, est du calcaire broyé qui sert dans la préparation des peintures et des enduits, comme le 'gesso' dont on peut recouvrir les toiles de lin avant de peindre, ce qui permet d'augmenter la capacité couvrante des peintures, et que le 'gofun' est une préparation à base de carbonate de calcium, normalement obtenu en réduisant en poudre fine des coquilles d'huîtres et en mélangeant cette poudre avec de la colle (de riz ou animale), utilisée dans certaines peintures ou estampes japonaises pour souligner la blancheur des visages féminins et imiter la poudre blanche opaque ('oshiroi') dont était recouvert le visage des courtisanes et des geishas ; que les appelants versent également des documents (leurs pièces 47, 48 et 53) pour montrer que l'hydroflam, qui est un produit ignifuge se présentant sous forme liquide et servant à retarder l'inflammation de tissus naturels, tel le lin, a été utilisé par la société VFR en 2009 mélangé à de la nacre ; que cependant il n'est pas démontré que la connaissance de ces produits par l'homme du métier, à la supposer établie, permettrait de pallier les insuffisances de description de la solution de nacre revendiquée dès lors que les produits invoqués (blanc de [Localité 4], 'gesso', 'gofun') servent traditionnellement à la préparation de peintures ou de toiles destinées à recevoir de la peinture, domaine totalement étranger à l'élaboration de produits permettant de filtrer efficacement les infrarouges tout en laissant passer la lumière ; que l'utilisation expérimentale d'hydroflam mélangé à de la nacre par la société VRF en 2009 ne peut pas plus être utilement invoquée au regard des courriels échangés entre les parties en mai, juin et juillet 2011 à propos des difficultés rencontrées pour mettre au point le produit selon l'invention (pièces VRF 14 à 16 : 'nos faiblesses (...) pas de doc technique (...) toile pas au point') et de l'attestation de M. [Z], responsable recherche et développement chez NORAFIN, qui expose les difficultés rencontrées et indique qu'en octobre 2010, le produit n'était 'toujours pas au point', de sorte que la société NORAFIN a décidé de ne pas poursuivre son développement ;
Qu'enfin, la fabrication et la commercialisation de l'invention, démenties par la société intimée, à les supposer avérées, seraient sans emport sur l'insuffisance de description ;
Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité des revendications 9 et 10 des brevets pour insuffisance de description et également celle des revendications dépendantes 6 à 8 (ce qui n'a cependant pas été mentionné au dispositif), ces revendications portant sur le produit 'toile' étant nulles du fait que les revendications de procédé de préparation de cette toile 9 et 10 le sont ;
Que, par suite, il convient de constater la nullité du brevet FR 467 et de la partie française du brevet EP 979 B1 sans qu'il soit besoin d'examiner leur nullité pour défaut d'activité inventive et défaut d'application industrielle ;
Sur la demande indemnitaire de la société VRF liée à la nullité du brevet français
Considérant que la société VRF demande réparation du préjudice résultant pour elle de la nullité du brevet français en raison des sommes qu'elle a engagées pour le projet (285 706 €), expliquant qu'elle a été trompée, la prétendue invention n'en étant pas une ;
Considérant cependant que la société VRF a été associée à tous les stades du processus d'élaboration du brevet, comme le montre sa pièce 9, prenant même en charge les tests effectués au CENT en décembre 2008 ; qu'en outre, en tant que professionnel de la toile de lin, elle ne pouvait ignorer les aléas de l'activité économique liée au dépôt du brevet ; que la nullité de ce brevet ne vaut pas démonstration d'une tromperie à son égard ; qu'il est par ailleurs relevé que la société VRF reconnaît qu'aucune redevance ne lui a été réclamée pour l'exploitation du brevet (hormis 200 euros en août 2011) ;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande ;
Sur la demande en résiliation du contrat de licence aux torts exclusifs de la société VRF et les demandes indemnitaires de MM. [M] et [B]
Considérant que les appelants sollicitent la résiliation du contrat de licence aux torts de la société VRF, ainsi que des dommages et intérêts venant réparer leur préjudice résultant à la fois du non respect par la société VRF de ses obligations contractuelles (perte de la protection pour plusieurs pays du fait du non paiement du coût des extensions par VRF) et de l'impossibilité d'exploiter le brevet depuis 2012 du fait des procédures en cours ; qu'ils demandent, en outre, le remboursement des frais qu'ils ont dû engager pour s'assurer, en lieu et place de l'exploitante, de la protection du brevet aux USA ;
Considérant que c'est à juste raison que le tribunal a retenu, au visa de l'article 1108 du code civil dans sa version alors en vigueur et applicable aux faits de l'espèce, que les brevets qui étaient l'objet du contrat de licence ayant été annulés, le contrat de licence était dépourvu d'objet et devait donc être annulé également, ce qui rendait sans objet la demande de MM. [M] et [B] en résiliation du contrat de licence aux torts exclusifs de la société VRF ; qu'il en est nécessairement de même des demandes indemnitaire et en remboursement liées à la non exécution prétendue par la société VRF de ses obligations contractuelles relatives à l'extension du brevet à l'étranger et au maintien en vigueur du titre, comme de la demande tendant à la restitution par la société VRF de divers documents prévue au contrat de licence ;
Que la demande fondée sur l'impossibilité d'exploiter le brevet du fait des procédures en cours ne peut prospérer en raison de la nullité prononcée, étant de plus observé qu'au regard des éléments du dossier montrant les difficultés rencontrées pour la mise au point du produit objet de l'invention, le lien de causalité entre le défaut d'exploitation du brevet et les procédures engagées n'apparaît pas évident et que l'action en nullité engagée en juin 2013 par la société VRF fait suite à celle initialement engagée par MM. [M] et [B] en juin 2012 en résiliation du contrat de licence ;
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Considérant que MM. [M] et [B] qui succombent seront condamnés aux dépens d'appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées ;
Que la somme qui doit être mise à la charge de MM. [M] et [B] au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société VRF peut être équitablement fixée à 10 000 euros, cette somme complétant celle allouée en première instance ;
PAR CES MOTIFS :
La cour,
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :
- rejeté la fin de non-recevoir de MM. [M] et [B] et dit la société VRF recevable dans ses demandes en nullité du brevet FR 467 et de la partie française du brevet EP 979 B1,
- annulé les revendications 1 à 5 et 11 du brevet FR 467 et de la partie française du brevet EP 979 B1 pour défaut de nouveauté et les revendications 6 à 10 du brevet FR 467 et de la partie française du brevet EP 979 B1 pour insuffisance de description, étant précisé qu'il n'y a lieu d'examiner la nullité des revendications des brevets pour défaut d'activité inventive et défaut d'application industrielle ;
- annulé le contrat de licence conclu entre MM. [M] et [B] et la société VRF le 4 janvier 2010 pour défaut d'objet,
- dit que les demandes de MM. [M] et [B] en résiliation judiciaire du contrat de licence et en paiement d'indemnités liées au contrat de licence sont sans objet,
- débouté la société VRF de sa demande en dommages et intérêts liée à la nullité du brevet français FR 467,
- condamné in solidum MM. [M] et [B] aux dépens et au paiement à la société VRF de la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
ORDONNE la transmission à l'INPI, à la requête de la partie la plus diligente, de cet arrêt, une fois celui-ci devenu définitif aux fins d'inscription au registre national des brevets ;
CONDAMNE in solidum MM. [M] et [B] aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement à la société VRF de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
C. BURBAN D. PEYRON