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19/12/2017 | FRANCE | N°14/08304

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 19 décembre 2017, 14/08304


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 19 Décembre 2017

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/08304



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Juin 2014 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° F11/06777





APPELANTE

Madame [V] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



comparante en personne, assistée de Me France LENAIN, avoc

at au barreau de PARIS, toque : R121





INTIMEE

SA SANOFI AVENTIS FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 403 335 904



représentée par Me Emmanuelle LEVET, avocat au barreau de...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 19 Décembre 2017

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/08304

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Juin 2014 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° F11/06777

APPELANTE

Madame [V] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparante en personne, assistée de Me France LENAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R121

INTIMEE

SA SANOFI AVENTIS FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 403 335 904

représentée par Me Emmanuelle LEVET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0312

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Novembre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Sylvie HYLAIRE, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sylvie HYLAIRE, président

Madame Jacqueline LESBROS, conseiller

Madame Valérie AMAND, conseiller

Greffier : Mme Aurélie VARGAS, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Sylvie HYLAIRE, Présidente et par Madame Aurélie VARGAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [V] [N], née le [Date naissance 1] 1954, a été engagée le 1er novembre 2006 par la société Schering-Plough en qualité de «chargée de communication médicale».

Au cours de l'été 2010, Madame [N] est entrée en contact avec la SA SANOFI-AVENTIS France par l'intermédiaire d'un cabinet de recrutement Altigapharma qui lui avait présenté le poste de « Médecin-Régional Cardio-Thrombose Rhône-Alpes» au sein de cette société.

Le 1er septembre 2010, la SA SANOFI-AVENTIS France a adressé à Madame [N] une proposition d'embauche en contrat à durée indéterminée en qualité de «Médecin-Régional Rythmologie -région Rhône-Alpes» au sein de la direction des opérations Hôpital et Spécialités ; cette proposition précisait les conditions de la rémunération et demandait à Madame [N] de lui communiquer sa date de disponibilité.

Le 5 octobre 2010 , alors qu'elle se trouvait en congé sabbatique, Madame [N] a démissionné de la société Schering-Plough en adressant une lettre exposant les raisons de sa démission et à la même date, elle a confirmé par courriel adressé à [B] [M], responsable des ressources humaines de la SA SANOFI-AVENTIS France qu'elle sera libérée de ses obligations à l'égard de la société Schering-Plough le 17 novembre 2010 et pourra faire partie des effectifs de la SA SANOFI-AVENTIS France à compter du 18 novembre.

C'est dans ce contexte que les parties ont signé le 22 octobre 2010 un contrat à durée indéterminée à effet du 18 novembre 2010.

Aux termes de ce contrat, Madame [N] était engagée en qualité de Médecin-régional Rythmologie - Région Rhône-Alpes-Auvergne , position cadre itinérant, niveau 7 B, coefficient 460 de la convention collective de l'industrie pharmaceutique, moyennant un salaire brut mensuel de 6.250 € plus une rémunération variable pouvant atteindre 12,5% du salaire de base annuel ainsi que précisé dans un courrier distinct en date du 12 octobre 2010.

L'article premier du contrat stipule que la société « pourra à tout moment, modifier le secteur de Madame [N] [et que] cette modification constituera un simple changement de ses conditions de travail sauf si elle devait entraîner le transfert de son domicile», la salariée demeurant à [Adresse 3].

La fiche de fonction d'un médecin régional (MR) indique notamment que « dans le cadre de la stratégie médicale régionale définie avec le DOR et en accord avec la direction médicale, il est responsable de la relation avec les experts médicaux référents régionaux avec lesquels il assure la mise en 'uvre et le suivi de projets médico-scientifiques contractualisés répondant aux besoins scientifiques de la région ».

Madame [N] expose avoir découvert deux semaines après son arrivée qu'un plan de réorganisation de l'activité était en cours au sein de la SA SANOFI-AVENTIS France.

Au mois de janvier 2011, elle a été informée par Madame [M] de la direction des ressources humaines que la réorganisation entraînerait la suppression de 4 postes de Médecins régionaux dont ceux de rythmologie et le 17 février 2011, l'employeur avait informé tous les salariés que lors de la réunion du Comité d'entreprise du 16 février 2011, la direction générale avait confirmé l'objectif de 575 départs en évitant les départs contraints du sureffectif, notamment par l'amélioration des conditions d'accès aux mesures de cessation anticipée d'activité en faisant passer de 333 à 504 le nombre potentiel qui y seront éligibles.

L'appelante indique s'être retrouvée dans une situation stressante et déprimante en réalisant qu'elle ne remplirait pas les conditions d'ancienneté pour bénéficier du plan de cessation anticipée d'activité de la SA SANOFI-AVENTIS France et a été placée en arrêt de travail à compter du 7 mars 2011.

Madame [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 28 avril 2011 pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail en invoquant le manquement à l'obligation d'exécution de bonne foi du contrat et la légèreté blâmable de l'employeur qui l'avait débauchée de son précédent emploi pour la recruter à une date où il ne pouvait ignorer que le poste proposé était voué à disparaître.

Le 26 mai 2011, la SA SANOFI-AVENTIS France a proposé à Madame [N] le poste de médecin régional, spécialité diabète, zone centre et centre-ouest ( départements 28,41,45,37,36,18,79,86,17,16,87,23 et 19) qu'elle a refusé par courrier du 7 juin 2011 en relevant que cette proposition emportait modification de son contrat tant quant à ses attributions qu'en ce qui concerne le secteur géographique.

L'arrêt de travail de Madame [N] ayant pris fin, elle a été déclarée apte à la reprise par le médecin du travail le 25 juillet 2011.

Le 28 juillet 2011, un nouveau poste de «chef de projets pharmacovigilance», basé à Paris, lui a été proposé ; une réponse d'ici le 22 août lui était demandée et compte tenu de la fermeture du siège jusqu'au 16 août et des congés annuels, elle était dispensée d'activité jusqu'au 23 août.

Le 14 août 2011 Madame [N] a refusé cette seconde proposition de poste, invoquant notamment le changement radical de fonction, un déménagement nécessaire au détriment de sa vie personnelle et familiale, la légèreté blâmable de son embauche sans information donnée sur le contexte de réorganisation en cours au sein de SANOFI et la perte de chance de bénéficier du plan de cessation anticipée d'activité qui était en cours au sein de la société Schering-Plough au moment de sa démission.

Madame [N] a alors été, comme d'autres collaborateurs non affectés ou ayant refusé un nouveau poste, dispensée d'activité.

Le 1er septembre 2011 Madame [N] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 15 septembre 2011en vue d' une mesure pouvant aller jusqu'au licenciement.

Elle a été licenciée le 22 septembre 2011 pour cause réelle et sérieuse et, compte tenu de la demande de la salariée de bénéficier de ses congés payés du 18 septembre jusqu'au 2 octobre 2011, elle a été dispensée d'effectuer son préavis d'une durée de quatre mois à compter du 3 octobre 2011.

La lettre de licenciement est rédigée dans les termes suivants :

«Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 2 septembre 2011, nous vous avons convoquée à un entretien afin de vous exposer les raisons pour lesquelles nous envisagions de vous licencier et recueillir vos observations.

Vous vous êtes présentée accompagnée de Madame [O], représentante du personnel, au cours de cet entretien qui s'est déroulé le 15 septembre 2011.

Après réflexion, nous vous informons que nous avons décidé de mettre un terme a votre contrat de travail pour motif personnel.

Vous avez intégré la société le 18 novembre 2010 pour occuper un poste de Médecin Regional qui était vacant depuis plusieurs mois et pour lequel nous avions missionné un cabinet de recrutement.

Dés le début de l'année 2011, vous avez exprimé des inquiétudes sur votre avenir professionnel au sein de la société évoquant des rumeurs de suppressions de postes du fait de la mise en place d'une nouvelle organisation.

Mais, alors que votre hiérarchie s'est efforcée de vous rassurer sur le fait que votre emploi n'était pas menacé ni la pérennité de nos relations contractuelles, vous avez décidé d'instaurer, directement puis par l'intermédiaire de votre Conseil, une polémique.

Vous avez d'abord indiqué ne pas être en mesure de vous investir dans vos fonctions du fait du climat d'incertitude qui régnait au sein de la société.

Nous l'avons contesté et votre hiérarchie a même été contrainte de vous demander d'exécuter votre travail, ce qui est pour le moins inhabituel compte tenu de vos niveaux de fonctions et responsabilités.

En outre, vous avez affirmé avec agressivité, par l'intermédiaire de votre Conseil le 21 mars 2011, que la décision de mettre un terme à votre contrat de travail aurait été arrêtée et, de surcroît, que nous aurions commis une faute en procédant à votre recrutement.

Le 26 mai 2011, disposant d'une meilleure visibilité sur l'organisation de l'entreprise et notamment la répartition des régions et spécialités pharmaceutiques, nous vous avons soumis notre projet d'affectation sur la Région Centre et Ouest en Diabétologie.

Cependant, vous avez catégoriquement refusé ce poste au motif d'une modification de votre contrat de travail, confirmant les intentions que vous aviez de longue date affichées auprès de votre hiérarchie, de vous opposer à toute proposition qui pourrait vous être faite.

Or, cette affectation n'emportait pas modification de votre contrat de travail puisque vos fonctions demeuraient celles de Médecin Régional et votre rémunération était inchangée.

En outre, la région Centre et Ouest qui vous était confiée était sensiblement similaire à la précédente et n'impliquait aucun déménagement, les déplacements étant inhérents à vos fonctions.

Enfin, la diabétologie correspond à un axe de développement stratégique de la société, de sorte que cette affectation constituait une véritable opportunité.

Sur ce point, nous contestons formellement qu'un Médecin Régional puisse être définitivement rattaché à une spécialité, laquelle est nécessairement amenée à être modifiée, ne serait-ce que pour s'adapter aux évolutions de plus en plus rapides du marché.

Votre refus d 'affectation était donc illégitime et c'est la raison pour laquelle nous vous avons demandé de bien vouloir reconsidérer votre position.

C'est, de surcroît, avec une particulière loyauté que nous vous avons également proposé d'occuper un poste de Chef de Projets Pharmacovigilance situé a Paris qui s'avérait vacant et compatible avec votre profil professionnel.

Vous avez à nouveau rejeté toutes nos propositions pour les mêmes motifs illégitimes.

Nous sommes dès lors contraints de constater une situation de blocage imputable à votre manque de loyauté dans l'exécution de votre contrat de travail et à votre refus de vous soumettre au pouvoir de direction de la société.

Votre comportement ne nous permet donc plus d'envisager la poursuite de nos relations contractuelles.

En conséquence, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse est effectif et votre préavis d'une durée de 4 mois commencera à courir à compter de la première présentation de ce courrier à votre domicile.

Les congés payés que vous avez sollicités vous ayant d'ores et déjà été accordés du 18 septembre jusqu'au 2 octobre 2011, ils sont exceptionnellement maintenus.

A compter du 3 octobre 2011, vous serez dispensée de l'exécution de votre préavis qui vous sera néanmoins rémunéré aux échéances habituelles et au terme duquel nous vous adresserons l'ensemble de vos documents de fin de contrat et réglerons votre solde de tout compte» .

Par jugement rendu le 26 juin 2014, le conseil de prud'hommes de Paris, statuant en formation de départage, a débouté Madame [N] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, a dit que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la SA SANOFI-AVENTIS France à lui payer les sommes suivantes avec délivrance des documents conformes de fin de contrat et exécution provisoire :

19.000 € à titre de dommages intérêts pour rupture abusive,

1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame [N] a été déboutée du surplus de ses prétentions et notamment de celle tendant à obtenir réparation d'un préjudice distinct reposant sur la perte de chance d'avoir pu bénéficier d'un départ en cessation anticipée d'activité offerte dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi qui était en cours au sein de la société Schering-Plough au moment de sa démission le 5 octobre 2010.

Madame [N] a relevé appel de la décision.

Madame [V] [N] demande à la cour de :

A titre principal :

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur,

- dire que ladite résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la SA SANOFI-AVENTIS France à lui payer la somme de 112.500 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (18 mois de salaire),

A titre subsidiaire :

- dire que son licenciement est illicite ou abusif,

- condamner la SA SANOFI-AVENTIS France à lui payer la somme de 112.500 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement illicite ou abusif,

En tout état de cause lui allouer les sommes suivantes :

- 350.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct résultant de la perte de chance de bénéficier d'une cessation anticipée d'activité,

- 9.375 € bruts à titre de rappel de prime outre 937,50 € bruts au titre des congés payés afférents, 

- 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sollicite la remise d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi rectifiées, sous astreinte pour chacun de ces documents de 100 euros par jour de retard à compter du 10ème jour suivant le prononcé du jugement à intervenir et demande à la cour d' assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de prud'hommes.

La SA SANOFI- AVENTIS France demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le confirmer en ce qu'il a débouté Madame [V] [N] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de ses autres demandes. Elle sollicite la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat

En application des dispositions de l'article 1184 du code civil, devenu l'article 1224, en cas d'inexécution de ses obligations par l'une des parties, l'autre partie peut demander au juge de prononcer la résiliation du contrat.

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

La résiliation judiciaire à la demande du salarié n'est justifiée qu'en cas de manquements de l'employeur d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

En l'espèce, Madame [N] soutient que la SA SANOFI-AVENTIS France a manqué à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail et n'a pas fait preuve de la loyauté escomptée dans la relation de travail en omettant de lui fournir lorsqu'il l'a débauchée, les informations cruciales relativement au poste pour lequel elle était recrutée, de sorte que son consentement a été vicié au stade de la conclusion du contrat et qu'elle n'aurait pas accepté de quitter son emploi au sein de la société Schering-Plough, qui était alors en plein plan de sauvegarde de l'emploi, si elle avait pu imaginer que son poste de médecin régional rythmologie avait vocation à disparaître.

C'est à bon droit et par une juste analyse des échanges de mails entre le cabinet de recrutement, Madame [N] et la SA SANOFI-AVENTIS France que le premier juge a retenu qu'il n'en résultait pas la preuve que Madame [N] a été débauchée par la SA SANOFI-AVENTIS France et qu'il ressort au contraire de la lettre de démission qu'elle a adressée le 5 octobre 2010 à la société Schering-Plough, d'une part, qu'elle avait envisagé un départ négocié compte tenu des difficultés économiques rencontrées par cette dernière et, d'autre part, qu'elle était alors en congé sabbatique.

C'est ainsi qu'elle indique dans sa lettre de démission : « (...) Sur 800 postes de CDI impactés, il y a quelques chances que le mien (poste de CCM) le soit ou puisse être occupé par une personne qui, sans cela, serait licenciée, j'aurais été candidate à un départ volontaire ....compte tenu de mon âge 56 ans, j'aurais pu aussi choisir un départ en pré-retraite, je supporte difficilement cette situation d'attente, aussi j'ai demandé un congé sabbatique de quelques mois pour prendre un peu de recul (....). Nous avons examiné ensemble par téléphone l'éventualité d'un départ négocié en amont du PSE, vous me dites que la direction s'oppose à cette idée .... je vous confirme donc ma décision de démissionner de mon poste de CCM. Je souhaite ne pas effectuer la totalité de mon préavis....nous avons avancé un départ possible le 15 novembre 2010».

Il ressort également des différentes pièces communiquées que Madame [N] a démissionné après plusieurs mois de réflexion et de rendez-vous avec le service RH de SANOFI puisque selon mail qui lui a été adressé le 21 Juin 2010 par le cabinet de recrutement Altigapharma, le premier rendez-vous avec SANOFI a eu lieu le 28 juin 2010 ; c'est elle qui a repris contact le 27 juillet avec la DRH de SANOFI (mail du même jour de la DRH à Altigapharma) au sujet de son salaire pour lequel elle souhaitait 10% de plus que chez la société Schering-Plough, le courriel sollicitant des renseignements notamment sur les congés/RTT, congés de solidarité car elle faisait des voyages humanitaires ; enfin, d'autres rendez-vous ont également été fixés.

Il est par ailleurs établi, notamment par les mails internes à la SA SANOFI-AVENTIS France que la disparition du poste de MR Rythmologie n'était pas envisagée à la date du recrutement de Madame [N] puisqu'au contraire, un cycle de formation était mis en place pour son arrivée et qu'elle a commencé à le suivre à compter du 23 novembre 2010 et que la SA SANOFI-AVENTIS France procédait également au recrutement d'un autre MR pour la région Nord-Normandie.

La réalité du besoin de MR en rythmologie était effective à la date d'embauche de l'appelante puisqu'il est justifié que la Haute Autorité de Santé (HAS) avait précisément émis le 2 juin 2010 un avis favorable à l'inscription, sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivité, du médicament [B] fabriqué par les laboratoires Sanofi-Aventis France.

Il est également justifié, contrairement à ce qui est soutenu par l'appelante, que le poste pour lequel elle a été embauchée n'avait pas un contenu vide puisque du rapport de la HAS, il ressort que le médicament [B] était commercialisé en France depuis le 25 octobre 2010 et que Madame [N] a pu au contraire exercer sa fonction en étant intégrée à l'équipe à laquelle elle appartenait et aux projets du département, l'annulation de certaines réunions ne suffisant pas à établir l'inverse, alors même que Madame [N] a été en arrêt de travail dès le 7 mars 2011 soit à peine 4 mois après le début de son contrat de travail et qu'elle avait déjà suivi des formations les 23 novembre, 7 et 9 décembre 2010 et 4 janvier 2011.

Il ressort par ailleurs des échanges de courriers entre les parties que si très tôt, Madame [N] a eu la crainte de voir son poste menacé par l'existence d'un plan de réorganisation au sein de la SA SANOFI-AVENTIS France, ce dont elle a fait part à l'employeur, elle a en fait elle été rassurée par sa hiérarchie quant au fait qu'elle ne ferait pas l'objet de licenciement puisque la réorganisation devait intervenir sur la base du volontariat et qu'il est d'ailleurs justifié par la SA SANOFI-AVENTIS France que dès le mois de janvier 2011, l'objectif de réduire les médecins régionaux à 6 (dont Madame [N]) sur 13 avait été atteint sans qu'aucun licenciement ne soit prononcé pour ces postes.

Ainsi, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté Madame [V] [N] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, la preuve n'étant pas rapportée par Madame [V] [N] de manquements graves de la SA SANOFI-AVENTIS France à son obligation de bonne foi et de loyauté rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

Il s'ensuit que Madame [V] [N] est non fondée en sa demande en paiement de dommages intérêts qui sera rejetée.

Sur le licenciement

En application des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié.

La SA SANOFI- AVENTIS France soutient que le refus de la salariée d'accepter une modification des conditions de travail est fautif et justifie qu'il y soit mis un terme et qu'il y a lieu de tenir compte du fait que l'entreprise évolue de façon constante, ce qui a nécessairement un impact sur l'évolution des emplois des salariés notamment pour les entreprises du secteur de l'industrie pharmaceutique qui doivent s'organiser en permanence en fonction des avis des autorités de santé ( tel le déremboursement) ou les pertes de brevets ('générification').

La société ajoute que dans le présent litige, elle a dû faire face à la décision de déremboursement du médicament [B] , médicament qui relevait de la rythmologie et sur lequel travaillait Madame [N].

La société a alors dû recentrer ses priorités sur la diabétologie, axe majeur de développement du groupe et c'est dans ce contexte qu'elle a été amenée à modifier l'affectation des médecins régionaux rythmologie dont Madame [N].

La société fait valoir que la nouvelle affectation de Madame [N] s'inscrivait dans le cadre des stipulations de son contrat, que ni la modification de l'aire thérapeutique, ni la modification du secteur géographique, qui était comparable à son secteur d'embauche, n'emportaient une raison légitime de refus de l'appelante qui était cadre itinérant ce qui impliquait, par nature, une mobilité sur les différents départements.

Madame [N], tout en soutenant ne pas avoir entretenu de polémique, ni avoir refusé de travailler, fait valoir que les deux propositions de poste qui lui ont été faites constituaient bien des modifications de son contrat de travail puisque d'une part, elle avait été engagée comme MR Rythmologie pour laquelle une formation était prévue et que pour pouvoir intervenir en diabétologie, elle aurait dû nécessairement suivre une nouvelle formation et que, d'autre part, comme elle l'a indiqué, le changement de secteur géographique ne lui permettait plus d'exercer ses fonctions dans un secteur compatible avec son domicile, ce qui la contraignait à un déménagement.

Il ne peut être contesté que la société intimée a été confrontée à l'avis de la HAS en date du 22 juin 2011, émis à la suite de la demande de la commission de la transparence de réévaluer la spécialité [B] au regard des données de pharmacologie mentionnant la survenue d'événements indésirables graves depuis sa mise sur le marché français, au déremboursement de son produit et son retrait de la liste des produits agréés à l'usage des collectivités.

Elle devait donc réorienter les axes de son développement et revoir les secteurs d'intervention de ses MR en rythmologie pour lesquels ils avaient été formés ou étaient en cours de formation telle Madame [N] sur le principe actif Dronédarone de [B] et il ne peut être reproché à la société d'avoir ainsi fait choix de réorienter son développement sur le secteur diabétologie :Madame [V] [N] n'avait pas de compétence spécifique initiale en rythmologie lorsqu'elle a été embauchée ainsi qu'il ressort du curriculum vitae remis à la SA SANOFI-AVENTIS France et il est concevable qu'après une formation, Madame [N] aurait pu assurer correctement un poste de MR en diabétologie.

Il est en revanche non sérieusement contestable, ainsi que justement retenu par le premier juge que le changement de secteur impliquait un rallongement de plusieurs heures (5h 30 à l'aller au lieu de 2h ) des déplacements pour visiter les experts ainsi qu'invoqué par Madame , [N] dans sa lettre de refus du premier poste et constituait une modification justifiant chez une salariée, de plus de 57 ans, un transfert de son domicile dans un lieu plus central des départements du nouveau secteur alors que son domicile était situé à l'extrémité est de l'ensemble de ces départements.

Enfin le second poste proposé situé à Paris impliquait de manière encore plus légitime un transfert de son domicile.

Dès lors, c'est à bon droit que le jugement déféré a justement considéré que Madame [N] a invoqué la modification de son contrat de travail par la SA SANOFI-AVENTIS France et que son refus de cette modification ne constituait pas une cause légitime de licenciement, lequel est dès lors nécessairement jugé sans cause réelle et sérieuse .

Compte tenu de son ancienneté dans la SA SANOFI-AVENTIS France inférieure à deux ans, Madame [N] peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice subi en application de l'article L 1235-5 du code du travail.

Madame [N] avait un salaire mensuel brut de 6.250 € ; elle a été prise en charge par Pôle Emploi puis a exercé en qualité de médecin régional au sein d'une société AbbVie à partir du 5 novembre 2012 avec une rémunération équivalente à celle qu'elle percevait chez SANOFI mais sur 13 mois.

Il ressort en outre des pièces qu'elle communique qu'elle exerce depuis 2015, des fonctions de médecin de prélèvement, qu'elle cotise à titre personnel à l'URSSAF.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments il y a lieu de juger que la somme de 19.000 € allouée à Madame [N] en première instance est appropriée au préjudice objectivement subi et justifié.

Il a été jugé qu'aucun comportement blâmable ne peut être retenu à l'encontre de la SA SANOFI-AVENTIS France à l'occasion de l'embauche de Madame [V] [N] qui a volontairement donné sa démission à la société Schering-Plough alors qu'elle se trouvait en congé sabbatique.

Il s'ensuit qu'elle est non fondée à invoquer une perte de chance de bénéficier d'une cessation anticipée d'activité au sein de la société Schering-Plough et des conditions d'un départ volontaire et que sa demande de dommages intérêts pour perte de chance doit être rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.

Sur la demande de rappel de prime

Le 12 octobre 2010, la SA SANOFI-AVENTIS France a indiqué à Madame [N] qu' à compter du 18 novembre 2010, sa rémunération variable individuelle a pour cible 12,5% de son salaire de base annuel.

Selon le manuel de fonctionnement de l'attribution et de la composition de la rémunération variable, les objectifs sont fixés en début de chaque année entre le manager et son collaborateur, la grille d'évaluation des objectifs individuels étant fixée page 10 du manuel pour la part qualitative.

Il n'est pas contesté qu'aucun objectif individuel n'a été fixé à Madame [N], ni pour le reste de l'année 2010, ni pour l'année 2011. Celle-ci est par conséquent fondée à solliciter le paiement de la rémunération variable prévue au contrat.

Compte tenu de la durée de la présence effective de Madame [N] dans l'entreprise, il sera fait droit à sa demande à hauteur de la somme de 9.375 € outre les congés payés afférents.

Sur les autres demandes

Il convient de faire droit à la demande remise de documents conformes rectifiés (certificat de travail, attestation pôle emploi ) sans qu'il n'y ait lieu à astreinte.

La SA SANOFI-AVENTIS France, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à Madame [N] la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel en sus de la somme allouée à ce titre par les premiers juges.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté Madame [V] [N] de sa demande relative au rappel de rémunération variable,

L'infirmant de ce chef et statuant à nouveau,

Condamne la SA SANOFI-AVENTIS France à payer à Madame [V] [N] la somme de 9.375 € bruts au titre de la rémunération variable outre celle de 937,50 € bruts au titre des congés payés afférents,

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Ordonne la remise par la SA SANOFI-AVENTIS des documents conformes (certificat de travail, attestation pôle emploi) dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt,

Rejette les autres demandes des parties,

Condamne la SA SANOFI-AVENTIS France aux dépens ainsi qu' à payer à Madame [V] [N] la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles d'appel .

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 14/08304
Date de la décision : 19/12/2017

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°14/08304 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-12-19;14.08304 ?
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