RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 14 Décembre 2017
(n° , 4 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/10339
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Septembre 2014 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'EVRY RG n° 12-01337
APPELANTE
Madame [D], [M] [E] veuve [V]
Née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 1])
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparante en personne et assistée de Me Carole DA SILVA, avocat au barreau de l'ESSONNE, (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2014/050820 du 28/11/2014 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMEES
CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE VIEILLESSE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par M. [B] [G], en vertu d'un pouvoir spécial
Madame [T] [C]
née le [Date naissance 2] 1943 à [Localité 2]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]E)
représentée par Me Jacky GOZLAN, avocat au barreau des Hauts-de-Seine
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 4]
[Adresse 4]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Octobre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Odile DEVILLERS, Conseiller, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Claire CHAUX, Présidente
Madame Marie-Odile FABRE-DEVILLERS, Conseiller
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller
Greffier : Mme Anne-Charlotte COS, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Claire Chaux, Président, et par Mme Anne-Charlotte COS, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS , PROCEDURE, PRETENTIONS DES PARTIES
Monsieur [Y] [V] est décédé le [Date décès 1] 2010.
Madame [D] [E] , qu'il avait épousée en France le [Date mariage 1] 1975 et dont il a eu 6 enfants, a sollicité le 14 mai 2012 de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse le bénéfice de la pension de réversion de son époux.
La Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse lui a, le 12 juin 2012, notifié un refus d'attribution au motif qu'elle n'avait pas la qualité de conjointe au regard du droit français puisque son époux était déjà engagé dans les liens du mariage quand il l'a épousée, pour s'être marié en Algérie le [Date mariage 2] 1965 avec Madame [T] [C].
Madame [E] saisi la commission de recours amiable , qui le 25 octobre 2012 a rejeté son recours. Elle a dès lors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Evry.
Celui-ci , après avoir mis dans la cause Madame [C] a , par jugement du 4 septembre 2014, débouté Mme [E] de toutes ses demandes au motif que le second mariage de M. [V] devait être considéré comme illégal et que seule Madame [C] avait la qualité de conjoint survivant.
Madame [E] a fait appel de cette décision et fait soutenir oralement à l'audience par son avocat des conclusions écrites dans lesquelles elle demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau :
- condamner la CNAV à lui verser la pension de réversion à compter du 14 mai 2012,
- condamner la CNAV à lui verser la somme de 1500€ à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et financier subi.
Elle soutient que c'est la date de transcription du mariage qui confère la qualité de conjoint, que le mariage de Madame [C] a été transcrit tardivement , qu'il s'agit vraisemblablement d'un faux, alors que son mariage a été célébré en France et qu'aucune mention d'un mariage de son conjoint ne figurait sur les actes d'état civil, que M. [V] a obtenu la nationalité française ce qui prouve qu'il n'est pas bigame.
La Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse fait soutenir oralement à l'audience par son représentant des conclusions écrites dans lesquelles elle demande à la Cour de confirmer le jugement déféré et de débouter Mme [E] de toutes ses demandes.
Elle fait valoir que ce n'est pas la date de transcription du mariage qui lui donne sa validité mais celle de sa célébration, que même si au moment du mariage de Madame [E] avec Monsieur [V], la précédente union de ce dernier n'avait pas été transcrite à l'état civil algérien, ce deuxième mariage, contracté alors que l'époux était encore marié, ne pouvait conférer à Madame [E] la qualité de conjoint survivant.
Elle demande verbalement à la Cour de préciser les modalités du partage.
Madame [C] fait soutenir oralement à l'audience par son avocat des conclusions écrites dans lesquelles elle demande à la Cour de confirmer le jugement déféré.
Elle soutient que ce n'est pas la date de transcription du mariage sur les registres qui lui donne valeur légale mais la date de sa célébration, qu'ainsi la date de son mariage avec M. [V] est bien celle du [Date mariage 2] 1965, même si le mariage n'a été transcrit à l'état civil algérien que le 19 février 1986. Elle fait valoir en conséquence, que le deuxième mariage, célébré en France par un époux dans les liens d'un autre mariage est nul et que c'est donc à bon droit que la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse a considéré que Madame [E] n'était pas la veuve de Monsieur [V] aux yeux de la loi française et ne pouvait prétendre à la pension de réversion.
MOTIFS
Madame [T] [C] a fourni un extrait des actes de mariage de la commune de [Adresse 3] , en Algérie portant la transcription de son mariage le [Date mariage 2] 1965 avec Monsieur [Y] [V], ainsi qu'un acte de naissance de [J] [V] née de ce mariage. Il apparaît que ces actes ont été transcrits tardivement à l'état civil : l'acte de naissance de Monsieur [V] fourni par Madame [C] mentionne une transcription du mariage en février 1986.
Il n'appartient pas aux tribunaux français d'apprécier ni l'existence d'un mariage célébré en Algérie entre deux personnes de nationalité algérienne au moment de la célébration de celui-ci ni la validité des actes d'état civil algérien, quel que soit le caractère tardif de la transcription.
L'absence de mention de ce mariage sur les actes d'état civil fournis au moment de l'acquisition de la nationalité française par M. [V], ne peut en aucun cas être la preuve du caractère de faux du mariage au regard de la loi algérienne, puisque c'était à l'intéressé qu'il appartenait de faire transcrire ce mariage qu'il ne pouvait ignorer, mais qui aurait pu être un obstacle à sa naturalisation.
Au vu des actes d'état civil algérien contre lesquels aucune procédure de faux n'a été intentée en Algérie et de l'attestation de versement de la retraite de la Caisse de retraite algérienne à Madame [C], reconnaissant ainsi son mariage, c'est à bon droit que la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse a considéré que Madame [C] dont le mariage n'était pas dissous à la date du décès de Monsieur [V] était bien la veuve de ce dernier et avait donc droit à sa pension de réversion.
Si, à la date de son mariage avec Mme [E], M. [V] était marié avec Mme [C] et l ne pouvait donc contracter ce deuxième mariage, la nullité de celui-ci n'a pas été judiciairement constatée par les tribunaux français, compétents en raison de la nationalité des époux et du lieu du mariage. Elle ne peut être invoquée d'office par la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse et ce d'autant que le mariage de Madame [E] et Monsieur [V] ayant été été célébré il y a plus de 30 ans, aucune nullité ne peut plus être prononcée.
A défaut d'avoir été judiciairement annulé, le deuxième mariage de M. [V] avec Mme [E] confère à cette dernière la qualité de conjoint survivant au sens des dispositions de l'article L353-1 du code de la sécurité sociale et le jugement doit être infirmé . Madame [E] doit être renvoyée devant la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse pour la liquidation de ses droits.
Aux termes de la convention générale du 1er octobre 1980 entre la France et l'Algérie, les arrérages de pension de réversion dus à une veuve résidant en Algérie sont versés à l'organisme algérien désigné par l'Arrangement administratif. Aux termes de l'article 34 de cette convention, les arrérages sont versés en totalité à l'épouse dont le droit est ouvert, quel que soit le lieu de sa résidence. S'il existe plusieurs épouses dont le droit est ouvert, la prestation est répartie entre elles par parts égales.
En conséquence , il appartient à la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse de notifier à la Caisse algérienne qu'elle doit verser à Madame [E] la moitié de la pension de réversion de Monsieur [V] à compter du 14 mai 2012.
Madame [E] en percevant la pension de réversion avec plus de 5 ans de retard a incontestablement subi un préjudice du fait du refus de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse de lui verser une pension alors qu'elle avait été mariée en France et avait vécu plus de 35 ans avec Monsieur [V] . Compte-tenu cependant de la modicité de la pension versée, et du fait qu'elle n'a droit qu'à la moitié, le préjudice sera justement évalué à la somme de 700€.
PAR CES MOTIFS
La Cour
Infirme le jugement entrepris ,
Statuant à nouveau ,
Dit que la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse doit faire droit à la demande de pension de réversion de Madame [E] du chef de son époux Monsieur [V],
Condamne la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse à payer à Madame [E] la somme de 700€ à titre de dommages et intérêts,
Enjoint à la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse d'aviser la caisse de retraite algérienne de l'obligation de partager par moitié la pension de réversion de Monsieur [V] à compter du 14 mai 2012 .
LE GREFFIER LE PRESIDENT