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13/12/2017 | FRANCE | N°16/06281

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 13 décembre 2017, 16/06281


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 13 Décembre 2017

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/06281



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Avril 2016 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS section RG n° 12/11627



APPELANTE



SAS ENTREPRISE GUY CHALLANCIN

[Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 572 043 833

représentée par Me D

avid RAYMONDJEAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0948



INTIMEE



Madame [B] [R] épouse [F]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 1] 1969

représentée par Me Van...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 13 Décembre 2017

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/06281

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Avril 2016 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS section RG n° 12/11627

APPELANTE

SAS ENTREPRISE GUY CHALLANCIN

[Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 572 043 833

représentée par Me David RAYMONDJEAN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0948

INTIMEE

Madame [B] [R] épouse [F]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

née le [Date naissance 1] 1969

représentée par Me Vanessa FRIMIGACCI, avocat au barreau de PARIS, toque : B1029

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2016/023930 du 02/08/2016 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 Septembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Benoît HOLLEAUX, Conseiller faisant fonction de Président

Mme Christine LETHIEC, Conseillère

Mme Laure TOUTENU, Vice-présidente placée

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Aurélie VARGAS, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile

- signé par Monsieur Benoit HOLLEAUX, conseiller faisant fonction de Président et par Madame Laurie TEIGELL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Mme [B] [R] épouse [F] a été engagée par la SA PROPRETE ENVIRONNEMENT INDUSTRIEL, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le 23 mai 1990, pour y exercer les fonctions d'ouvrier de nettoyage.

La salariée a été ensuite recrutée par la SARL BRENNE à compter du 1er avril 2002 avec une reprise de son ancienneté au 23 mai 1990.

Le 28 janvier 2008, Mme [B] [R] épouse [F] a été victime d'un accident de travail et elle a fait l'objet d'un arrêt de travail jusqu'au 25 février 2008.

Lors de la visite médicale de reprise intervenue le 29 février 2008, le médecin du travail a déclaré la salariée apte avec les réserves suivantes :

«Doit faire attention aux gestes et postures et aller à son rythme.»

Le contrat de travail de l'intéressée a été transféré, le 1er avril 2008, auprès de la SAS CHALLANCIN PROPRETE MULTISERVICES devenue ultérieurement la SAS ENTREPRISE GUY CHALLANCIN.

La salariée exerçait, en dernier lieu, les fonctions d'ouvrière nettoyeuse sur le site SNCF TRG, en contrepartie d'une rémunération horaire de 8.97 € et d'une durée mensuelle de travail de 151h67, répartie du lundi au vendredi de 6h à 12h et le samedi de 6h à11h.

Suite à une rechute de son accident de travail, Mme [B] [R] épouse [F] a été arrêtée à compter du 26 janvier 2010 jusqu'au 6 mars 2012.

Le 18 mars 2010, la caisse primaire d'assurance maladie de Seine Saint Denis a notifié à la salariée une décision de prise en charge de la rechute du 26 janvier 2010 au titre des risques professionnels, celle-ci étant imputable à l'accident du travail survenu le 28 janvier 2008.

Lors d'une visite médicale organisée par l'employeur, le 4 août 2011, pendant la période de suspension du contrat de travail, le médecin du travail a rendu l'avis suivant :

«Inaptitude au poste d'agent de service. Pas de station debout prolongée ou de flexion ou extension du tronc, ni de position accroupie, ni port de charges.

Inaptitude en 1 fois pour danger immédiat.

Art. R.4624-31.»

A l'issue d'une visite médicale organisées les 5 et 25 juin 2012, la médecine du travail rendait un avis d'inaptitude en ces termes:

«Inaptitude définitive au poste de travail.

1ère visite.

Apte à un poste sans station debout prolongée ( $gt;15 min), sans port de charge ( $gt; 5 kgs), sans position penchée en avant, sans marche prolongée ( $gt; 30 min), sans escalier à descendre et à monter (+ de 2 fois).»

Lors de la seconde visite médicale organisée le 25 juin 2012, le médecin du travail confirmait cet avis d'inaptitude définitive de la salariée au poste de travail en des termes identiques, tout en préconisant une surveillance médicale renforcée.

L'entreprise qui employait, au jour de la rupture, plus de dix salariés, est assujettie à la convention collective de la manutention ferroviaire et des travaux annexes.

Par lettre recommandée du 22 août 2012, la Sas CHALLANCIN PROPRETE MULTISERVICES a convoqué Mme [B] [R] épouse [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 septembre 2012.

Un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifié à l'intéressée par courrier recommandé du 10 septembre 2012, rédigé en ces termes :

« Nous vous avons convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu le 4 septembre 2012 à la suite de l'avis d'inaptitude constatée par la médecine du travail lors de votre visite de reprise du 25 juin 2012, afin d'envisager avec vous les possibilités de reclassement qui pouvaient s'offrir au sein de notre société.

Nous avons longuement étudié votre dossier et les différents postes disponibles au sein de notre groupe au regard des conclusions de la médecine du travail (')

Malheureusement aucun reclassement n'est possible au sein du groupe CHALLANCIN. En effet, les seuls postes disponibles sont ceux d'ouvriers ou d'agents de propreté pour lesquels vous êtes précisément déclarée inapte.

Pa r courriers du 27 juin 2012, nous avons écrit aux différentes sociétés de notre groupe afin de les interroger sur les possibilités de reclassement envisageables à votre égard.

Malheureusement aucune de ces sociétés n'a la possibilité d'assurer votre reclassement.

Nous avons également écrit à la société l'AUDACIEUSE dans ce même but. Cette dernière nous a répondu le 28 juin 2012 ne disposer d'aucun poste de reclassement répondant aux restrictions et recommandations du médecin du travail de notre société.

Dans le cadre de l'éventualité de votre reclassement, nous avons envisagé de vous proposer un poste de gardiennage au sein de la Société CHALLANCIN GARDIENNAGE à laquelle nous avons également écrit dans l'optique de votre reclassement, mais un tel poste suppose en raison des sites sur lesquels elle intervient, l'obligation de disposer de tout son potentiel physique et nécessite une station debout prolongée outre des compétences et des aptitudes spécifiques, ce qui n'est malheureusement pas envisageable dans votre cas.

Nous ne disposons pas d'un poste compatible avec les conclusions du docteur [I], médecin du travail.

En conséquence, nous sommes contraints de vous licencier pour inaptitude physique dûment constatée par le médecin du travail »

Estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [B] [R] épouse [F] a saisi le 18 octobre 2012 le conseil de prud'hommes de Paris, lequel, par jugement rendu en formation de départage le 15 avril 2016, a dit que l'employeur n'avait pas respecté les dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte et prévues aux articles L. 1226-10et L.1226-12 du code du travail, et l'a en conséquence condamné à verser à la salariée les sommes suivantes :

- 3 051.60 € d'indemnité compensatrice légale de préavis.

- 305.16 € au titre des congés payés afférents.

- 8 251.91 € d'indemnité spéciale de licenciement

- 27 400 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Outre la capitalisation des intérêts et une exécution provisoire supplémentaire à hauteur de 15 000 €.

Le 22 avril 2016, la Sas ENTREPRISE GUY CHALLANCIN a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions visées par le greffe le 27 septembre 2017 et soutenues oralement, la Sas ENTREPRISE GUY CHALLANCIN demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions dès lors qu'il n'est pas démontré un lien entre l'inaptitude de la salariée et son accident de travail survenu le 28 janvier 2008.

A titre subsidiaire, elle fait valoir qu'elle a consulté les délégués du personnel et, plus subsidiairement encore, elle conclut au rejet de l'indemnité spéciale prévue à l'article L. 1226-14 du code du travail.

Par conclusions visées par le greffe le 27 septembre 2017 et soutenues oralement, Mme [B] [R] épouse [F] sollicite la confirmation du jugement entrepris en ses dispositions de condamnation au titre des indemnités légales de rupture, exception faite de l'indemnisation pour rupture abusive qu'elle demande à la cour de porter à la somme de 27 646.40 €, outre les intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil des prud'hommes et leur capitalisation.

La salariée forme par ailleurs un appel incident en réclamant contre la société appelante les autres sommes suivantes :

- 1 525.80 € au titre du préavis rallongé du fait de son statut de travailleur handicapé.

- 152.58 € au titre des congés payés afférents.

Elle sollicite, également, la condamnation de l'employeur à produire le livre d'entrée et de sortie du personnel, sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du prononcé de la décision et à lui remettre, sous la même astreinte journalière, les documents sociaux conformes.

Mme [B] [R] épouse [F] forme également une demande accessoire de 2 500 € en vertu de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, outre la condamnation de la société Challancin Propreté- Multiservices aux dépens.

Pour un plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées oralement lors de l'audience des débats.

MOTIFS

1/ Sur la rupture du contrat de travail

a) Sur le caractère professionnel de l'accident de la salarié survenu le 26 janvier 2010

Les règles protectrices applicables aux victimes d'accidents du travail s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine l'accident de travail et que l'employeur en avait connaissance.

En l'espèce, lorsque Mme [B] [R] épouse [F] travaillait pour le compte de la société BRENNE, elle a été victime, le 28 janvier 2008, d'un accident de travail et elle a fait l'objet d'un arrêt de travail jusqu'au 25 février 2008.

Lors de la visite médicale de reprise intervenue le 29 février 2008, le médecin du travail a déclaré la salariée apte avec les réserves suivantes :

«Doit faire attention aux gestes et postures et aller à son rythme.»

Suite au transfert de son contrat de travail, le 1er avril 2008, auprès de la Sas CHALLANCIN PROPRETE MULTISERVICES, la salariée a été victime d' une rechute de son accident de travail, le 26 janvier 2010, et elle a été arrêtée jusqu'au 6 mars 2012.

Il ressort des dispositions de l'article L. 1226-6 du code du travail qu'en principe, un salarié ne peut pas bénéficier de la protection spécifique aux victimes d'accident du travail dès lors qu'il connait une rechute d'un accident du travail survenu alors qu'il était au service d'un précédent employeur.

Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables lorsqu'un salarié passe au service d'un nouvel employeur en application de l'article L.1224-1 du code du travail, dans la mesure où le nouvel employeur doit respecter les garanties offertes par la loi aux victimes d'accident du travail.

Il en résulte que Mme [B] [R] épouse [F] peut prétendre au bénéfice de la protection des victimes d'accident du travail dès lors qu'il existe un lien de causalité entre la rechute de l'accident de travail initial survenu chez un précédent employeur et les conditions de travail ou tout autre événement inhérent à ses fonctions au service du nouvel employeur.

La Sas ENTREPRISE GUY CHALLANCIN reproche à la salariée de ne pas rapporter la preuve d'un lien de causalité entre l'accident du travail survenu le 28 janvier 2008 qui lui est inopposable, la rechute du 26 janvier 2010 et les avis d'inaptitude de la médecine du travail émis les 5 et 25 juin 2012 après que la salariée ait bénéficié d'arrêts de travail pour maladie et non pour accident de travail et qu'elle ait été indemnisée au titre de la seule maladie à compter du 3 août 2011.

Toutefois, la salariée verse aux débats la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de Seine Saint Denis, notifiée le 18 mars 2010, de prise en charge de sa rechute du 26 janvier 2010 au titre des risques professionnels dès lors que cette rechute est imputable à l'accident du 28 janvier 2008.

Mme [B] [R] épouse [F] produit, également, la déclaration de rechute de cet accident de travail, établie le 26 janvier 2010, le certificat médical de rechute, daté du même jour, constatant des «Dorsalgies d'origine traumatique» et prescrivant un arrêt de travail jusqu'au 9 février 2010 ainsi que les certificats médicaux de prolongation de cet arrêt pour accident de travail jusqu'au 6 décembre 2011 et la fiche d'inaptitude établie par le médecin du travail le 4 août 2011, mentionnant une visite après accident de travail.

La cour déduit de l'ensemble de ces éléments que l'employeur était, parfaitement, informé, dès le 26 janvier 2010, des démarches de la salariée en vue de la prise en charge de l'accident du 26 janvier 2010 au titre d'une rechute de l'accident de travail initial du 28 janvier 2008 et qu'en l'absence de reprise du travail par l'intéressée, il avait connaissance du fait que l'inaptitude de Mme [B] [R] épouse [F] avait, au moins, partiellement, pour origine l'accident de travail initial, étant observé que cette inaptitude avait été constatée dès le 4 août 2011 dans le cadre d'une simple visite médicale organisée par l'employeur alors même que la salariée n'avait pas repris le travail.

Il est donc établi que, lorsqu'elle a engagé la procédure de licenciement de Mme [B] [R] épouse [F], la Sas ENTREPRISE GUY CHALLANCIN connaissait l'existence d'un lien de causalité entre l'accident de travail initial survenu le 28 janvier 2008 et la rechute survenue le 26 janvier 2010, peu important que la salarié ait fait l'objet d'arrêts de travail pour maladie à compter du 6 décembre 2011, s'agissant d'arrêts de prolongation de la déclaration de rechute du 26 janvier 2010 et que les avis d'inaptitude de la médecine du travail émis les 5 et 25 juin 2012 ne mentionnent pas d'accident de travail.

Mme [B] [R] épouse [F] est donc fondée à se prévaloir des dispositions des articles L.1226-7 et suivants du code du travail, conformément à ce qu'ont retenu les premiers juges dont la décision sera confirmée sur ce point.

b) Sur la régularité de la procédure de licenciement

Mme [B] [R] épouse [F] reproche à la Sas ENTREPRISE GUY CHALLANCIN de s'être abstenue de consulter les délégués du personnel ce que conteste l'employeur qui verse aux débats un procès-verbal de réunion des délégués du personnel daté du 21 août 2012.

Aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail, « Lorsqu'à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation destinée à lui proposer un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.»

En l'espèce, le compte rendu de la réunion des délégués du personnel, prévue le 21 août 2012, mentionne l'absence de tous les délégués du personnel, titulaires et suppléants, et la seule présence de Mme Vanessa Reculard pour la direction de l'entreprise, sans que ce document soit signé par cette dernière.

Par ailleurs, il n'est pas davantage justifié de l'envoi des convocations des délégués du personnel à cette réunion, les courriers ayant été rédigés par Mme Vanessa Reculard, sans autre précision ni signature, et n'ayant fait l'objet d'aucun émargement par les destinataires ou d'envoi en recommandé afin d'en assurer le suivi.

La cour déduit de l'ensemble de ces éléments que l'employeur ne démontre pas avec l'évidence nécessaire, avoir satisfait à son obligation de recueillir l'avis des délégués du personnel, préalablement à la mise en 'uvre de la procédure de licenciement de la salariée pour inaptitude, de sorte que ce manquement prive de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude de Mme [B] [R] épouse [F], notifié le 10 septembre 2012, et entraîne par voie de conséquence la sanction civile édictée à l'article L.1226-15 du code du travail, conformément à ce qu'ont retenu les premiers juges dont la décision sera tout autant confirmée.

c) Sur l'obligation de reclassement mise à la charge de l'employeur

Mme [B] [R] épouse [F] reproche, également, à la Sas ENTREPRISE GUY CHALLANCIN de ne pas avoir satisfait à son obligation de recherche de reclassement d'un salarié inapte suite à un accident de travail, de n'avoir procédé à aucune recherche de reclassement et de ne pas lui avoir notifié par écrit les motifs d'opposant à son reclassement.

La Sas ENTREPRISE GUY CHLLANCIN rappelle que, dès le 10 août 2011, elle a convoqué la salariée à un entretien pour faire le point de ses compétences, qu'une formation lui a été proposée par lettre recommandée du 2 novembre 2011 qui a été refusée par l'intéressée le 8 novembre suivant, celle-ci refusant d'effectuer des tests et réitérant ce refus le 5 juillet 2012.

Elle précise avoir interrogé, le 27 juin 2012, différentes sociétés du groupe sur les possibilités de reclassement qui se sont révélées infructueuses, tout en soulignant que les postes administratifs ne représentent que 1.24% de l'effectif total et que l'essentiel du personnel est constitué d'ouvriers conduits à se rendre chez les clients pour y effectuer des prestations de nettoyage.

Selon les dispositions de l'article L.1226-12 du code du travail : «Lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement.

L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L.1226-10 du code du travail, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions....».

L'obligation de reclassement n'est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyens renforcée dont le périmètre s'étend à l'ensemble des sociétés du même secteur d'activité avec lesquelles l'entreprise entretient des liens ou compose un groupe dont la localisation et l'organisation permettent la permutation de tout ou partie du personnel.

L'employeur n'est ainsi pas tenu de proposer un poste qui n'est pas disponible ni de créer un poste nouveau, sans réelle utilité ou encore incompatible avec le bon fonctionnement de l'entreprise

Il lui appartient donc de démontrer par des éléments objectifs qu'il a satisfait à cette obligation et que le reclassement du salarié par le biais de l'une des mesures prévues par la loi s'est avéré impossible, soit en raison du refus d'acceptation par le salarié d'un poste adapté à ses capacités et conforme aux prescriptions du médecin du travail, soit en considération de l'impossibilité de reclassement à laquelle il se serait confronté.

En l'occurrence, la Sas ENTREPRISE GUY CHALLANCIN, qui s'abstient d'apporter le moindre élément sur l'offre d'emploi proposée à la salariée, ne démontre pas que le refus de celle-ci, le 8 novembre 2011, de suivre une formation caractérise un refus d'accepter un quelconque poste alors même que Mme [B] [R] épouse [F] se trouvait toujours en arrêt pour accident de travail ainsi que l'atteste le certificat médical de prolongation d'arrêt de travail établi le 6 novembre 2011 jusqu'au 6 décembre 2011.

Le commentaire du service des ressources humaines de l'entreprise sur le comportement de Mme [B] [R] épouse [F] lors de son entretien de reclassement le 24 août 2011, postérieurement à la visite médicale du 4 août 2011 ayant constaté l'inaptitude de la salariée à son poste d'agent de service ainsi que l'entretien individuel effectué le 5 juillet 2012, dans le cadre d'un reclassement, qui indique l'absence de niveau d'études de la salariée et son incapacité à remplir des tests de logique ne caractérisent pas davantage un refus de l'intéressée d'accepter une proposition de poste pour laquelle l'employeur n'apporte aucun élément.

Il convient de relever que l'employeur ne justifie pas avoir adressé au salarié des propositions précises de reclassement afin de permettre à l'intéressé d'accepter le poste en connaissance de cause.

La Sas ENTREPRISE GUY CHALLANCIN, qui fait partie d'un groupe employant 5 500 salariés majoritairement affectés à des prestations de nettoyage, emploie, outre du personnel administratif, des salariés chargés de prestations de services portant sur la gestion des espaces consignes et objets trouvés et la gestion du courrier.

Il lui appartient d'établir qu'elle ne dispose d'aucun autre poste compatible avec l'inaptitude de la salariée et de faire connaître à celle-ci, par écrit, les motifs qui s'opposent au reclassement avant de procéder au licenciement.

Elle ne justifie pas avoir effectué de propositions de reclassement compatibles avec les restrictions émises par la médecine du travail et elle ne démontre, pas davantage, s'être efforcée d'aménager le poste de la salariée selon les préconisations du médecin du travail.

Elle s'est limitée à adresser, le 16 août 2011, quatre courriers identiques aux sociétés Audacieuse, Pantia, MBS et Chalancin Gardiennage auxquels seule la société Audacieuse a répondu par la négative le 22 août 2011.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la Sas ENTREPRISE GUY CHALLANCIN a fait preuve d'une certaine précipitation dans la mise en 'uvre de la procédure de licenciement pour inaptitude, qu'elle n'a pas respecté les obligations lui incombant en matière de reclassement, et que cette irrégularité prive de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude de Mme [B] [R] épouse [F], notifié le 10 septembre 2012, avec le prononcé de la sanction civile édictée à l'article L.1226-14 du code du travail, conformément à ce qu'ont retenu les premiers juges dont la décision sera de la même manière confirmée.

2/ Sur les conséquences indemnitaires de la rupture du contrat de travail

La salariée dont le salaire mensuel de référence est de 1 525.80 €, en application de l'article L. 1226-14 du code du travail, est fondée à solliciter une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.1234-5 du code du travail, soit la somme de 3 051.60 € correspondant à deux mois de salaires, outre les congés payés afférents d'un montant de 305.16 €.

*

En vertu des dispositions du même article L 1226-14, Mme [B] [R] épouse [F] est tout autant fondée en sa demande d'une indemnité spéciale de licenciement qui est égale au double de l'indemnité de licenciement prévue par l'article L.1234-9 du code du travail, soit la somme de 8 251.91 €.

*

Aux termes de l'article L 1226-15 du code du travail, «en cas de licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte prévues aux articles L.1226-10 à L.1226-12.... le tribunal octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité ne peut être inférieure à douze mois de salaires.»

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise supérieur à dix salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [B] [R] épouse [F], de son ancienneté de plus de 22 années et des conséquences du licenciement à son égard, en particulier sa situation de demandeur d'emploi non indemnisé, bénéficiant du revenu de solidarité active, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle adopte, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties en allouant à la salariée, sur le fondement de l'article L. 1226-15, une somme de 27 400 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement en violation du texte précité.

*

Le jugement déféré qui a alloué à Mme [B] [R] épouse [F] lesdites sommes sera donc confirmé.

*

Mme [B] [R] épouse [F], qui affirme avoir la qualité de travailleur handicapé, réclame en outre le paiement d'un mois de préavis supplémentaire, soit la somme de 1 525.80 € , outre les congés payés afférents d'un montant de 152.58 €.

Aux termes de l'article L. 5213-9 du code du travail, «En cas de licenciement, la durée du préavis déterminée en application de l'article L.1234-1 est doublée pour les bénéficiaires du chapitre II, sans toutefois que cette mesure puisse avoir pour effet de porter au-delà de trois mois la durée de ce préavis....»

La salariée qui verse aux débats les deux décisions de la Commission des Droits et de l'Autonomie des Personnes Handicapées notifiées les 27 janvier et 9 février 2012, justifie bénéficier de la qualité de travailleur handicapé qui lui est reconnue pour la période du 10 mai 2010 au 9 mai 2015.

Toutefois, Mme [B] [R] épouse [F] ne peut prétendre bénéficier des dispositions de l'article L. 5213-9 du code du travail lesquelles ne sont pas applicables à l'indemnité compensatrice prévue à l'article L.1226-14 du code du travail en cas d'inaptitude déclarée par le médecin du travail suite à un accident de travail.

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris qui a débouté la salariée de ce chef de demande (1 525,80 € + 152,58 €).

*

Il sera ordonné à l'employeur de délivrer au salarié des bulletins de paie, un certificat de travail et une attestation pôle emploi conformes au présent arrêt sans que le prononcé d'une astreinte ne soit nécessaire.

En application des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les créances de nature salariale porteront intérêts de droit à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, et celles à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

En application de l'article 1154 du code civil recodifié sous l'article 1343-2 par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière, étant précisé que la première demande en capitalisation a été formée le 18 octobre 2012.

3/ Sur les autres demandes

Mme [B] [R] épouse [F] sollicite la remise du livre d'entrées et de sorties du personnel sous astreinte de 50 e par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir.

Cependant, la salariée dont le licenciement a été déclarée infondé, et qui s'est vu allouer les indemnités spécifiques résultant des articles L 1226- 14 et L. 1226-15 du code du travail, ne justifie pas d'un intérêt à obtenir la remise du document sollicité, de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris qui l'a débouté de ce chef de demande.

La Sas ENTREPRISE GUY CHALLANCIN, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel, tout en versant au conseil de Mme [B] [R] épouse [F] une indemnité de 2 000 € au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Y AJOUTANT,

ORDONNE à la Sas ENTREPRISE GUY CHALLANCIN de délivrer à Mme [B] [R] épouse [F] des bulletins de paie, un certificat de travail et une attestation pôle emploi conformes au présent arrêt

RAPPELLE qu'en application des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les créances de nature salariale porteront intérêts de droit à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, et que celles à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement

RAPPELLE qu'en vertu de l'article 1154 du code civil recodifié sous l'article 1343-2 par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts dus au moins pour une année entière

CONDAMNE la SAS ENTREPRISE GUY CHALLANCIN à verser au conseil de Mme [B] [R] épouse [F] une indemnité de 2 000 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

CONDAMNE la SAS ENTREPRISE GUY CHALLANCIN aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 16/06281
Date de la décision : 13/12/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°16/06281 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-12-13;16.06281 ?
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