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12/12/2017 | FRANCE | N°16/01643

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 12 décembre 2017, 16/01643


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRÊT DU 12 Décembre 2017

(n° , 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/01643



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Janvier 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY section Encadrement RG n° F13/04810





APPELANTE :



SABP (SOCIETE ANONYME DES BATISSEURS PARISIENS)

sise [Adresse 1]

[LocalitÃ

© 1]

N° SIRET : 388 758 773

représentée par Me Yves KAYAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0760, Mme Francine METIVIER (Président Directeur Général) en vertu d'un pouvoir général...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRÊT DU 12 Décembre 2017

(n° , 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/01643

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Janvier 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY section Encadrement RG n° F13/04810

APPELANTE :

SABP (SOCIETE ANONYME DES BATISSEURS PARISIENS)

sise [Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 388 758 773

représentée par Me Yves KAYAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0760, Mme Francine METIVIER (Président Directeur Général) en vertu d'un pouvoir général

INTIMÉ :

Monsieur [Z] [Y]

né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 2]

demeurant au [Adresse 2]

[Localité 3]

comparant en personne, assisté de Me Mathieu BONARDI, avocat au barreau de PARIS, toque : D2149

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 Octobre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Roselyne GAUTIER, Conseillère faisant fonction de président

Mme Soleine HUNTER FALCK, Conseillère

Mme Marianne FEBVRE-MOCAER, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Clémentine VANHEE, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, prorogé à ce jour,

- signé par Mme Roselyne GAUTIER, conseiller faisant fonction de président et par Mme Clémentine VANHEE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [Z] [Y] a été engagé le 3 mai 2010 par la Société Anonyme des Bâtisseurs Parisiens (la société SABP, ci-après) en qualité de directeur administratif et financier dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps complet prévoyant une rémunération annuelle forfaitaire brute de 70.000 € sur 13 mois, pour 169 heures de travail par mois (ou 39 heures par semaine). Deux avenants signés en 2011 lui ont accordé une sixième semaine de congés payés et un quatorze mois de salaire payé en août.

La société SABP est une entreprise familiale spécialisée dans la construction de logements collectifs en Ile de France pour des maîtres d'ouvrages privés et sociaux. Elle est soumise à la convention collective du bâtiment. Ses effectifs se sont accrus au fil des années, pour attendre environ 160 salariés à la fin de la relation contractuelle.

Le 19 juillet 2013, après entretien préalable, M. [Y] a fait l'objet d'un blâme pour 'harcèlement', 'comportement désobligeant' et 'pressions' à l'encontre de salariées placées sous son autorité, à savoir Mmes [R], [E] et [Z].

Après avoir vainement contesté cette sanction, le salarié a saisi le conseil des prud'hommes de Bobigny le 19 septembre 2013 pour en demander l'annulation.

Le 14 novembre 2013, le médecin du travail l'a déclaré temporairement inapte en raison de l'importance de ses troubles anxieux réactionnels, précisant sur la fiche de visite que le salarié devait être revu par son médecin traitant pour des soins et un arrêt de travail et par lui-même lors de la reprise effective du travail. Le lendemain, M. [Y] a consulté son médecin qui l'a placé en arrêt du 15 novembre au 1er décembre 2013. Il a été déclaré apte à l'exercice de ses fonctions lors de la visite de reprise en date du 3 décembre 2013.

Le 23 décembre 2013, le salarié a complété ses demandes devant le conseil des prud'hommes, pour solliciter la résolution judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, l'indemnisation des préjudices subis et le paiement de diverses sommes liées à l'exécution de son contrat de travail (heures supplémentaires, repos compensateurs, non respect de la durée maximale légale et travail dissimulé).

Le 14 février 2014, M. [Y] a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire et a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 3 mars suivant. Il a été licencié pour faute grave par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 7 mars 2014 formulant les griefs suivants :

'Retenue de garantie : les dirigeants n'étaient pas informé de la décision que vous avez prise pour les sous-traitants d'abandon de toute retenue de garantie pour les commandes de travaux supplémentaires inférieures ou égales à 5.000 euros, alors qu'elle est habituelle dans l'entreprise et prévue par la législation sur les marchés de travaux dans le bâtiment.

Cette décision a pour conséquence un manque dans la trésorerie, une perte de garantie, un engagement supplémentaire pour SABP au titre des travaux et une complication voire une confusion et une source d'erreur qui ne manquera pas de se produire dans le calcul de la retenue de garantie lors de son éventuel déblocage aux sous-traitants.

Cette décision n'a pas été soumise aux Dirigeants qui l'ignoraient, elle n'était pas de votre compétence.

Poursuite du harcèlement du personnel féminin (comportements gestuels inacceptables à l'encontre de Madame [Z] et de Madame [E]), dépendant du service administratif et financier sous vos ordres, malgré un précédent blâme pour harcèlement moral, ayant pour conséquence un très mauvais fonctionnement du service, un management inadéquat et une relation dégradée.

Relation très dégradée avec les personnes dépendant de votre service, la mise en place d'un clivage entre le personnel et la clanification (création de clans) dans l'entreprise (voir le rapport de l'APST).

Manquement aux fonctions administratives (et notamment, voir la lettre de l'Inspection du Travail du 11 Février 2014).'

M. [Y] a alors modifié à nouveau ses prétentions devant le conseil des prud'hommes de Bobigny, pour contester cette décision.

La cour est saisie de l'appel régulièrement interjeté le 2 février 2016 par la société SABP du jugement rendu le 6 janvier 2016 par le conseil de prud'hommes de Bobigny qui :

* a annulé la sanction disciplinaire du 19 juillet 2013,

* l'a condamnée à régler à M. [Y] les sommes de 3.058,38 € à titre de rappel de salaire de la mise à pied et 305,83 € pour congés payés incidents, avec intérêts de droit à compter du 23 septembre 2013, date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation,

* a prononcé la résolution judiciaire du contrat de travail de M. [Y] à ses torts exclusifs et fait produire à cette décision les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* l'a condamnée à régler au salarié les sommes suivantes :

- 22.402,03 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 2.240,20 € pour congés payés incidents,

- 9.743,04 € à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts de droit à compter du 23 septembre 2013, date de réception, par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation,

- 58.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement,

* lui a ordonné de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [Y] dans la limite de six mois,

* a débouté le salarié du surplus de ses prétentions,

* a rejeté sa demande reconventionnelle,

* l'a condamnée aux dépens.

Vu les conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience de plaidoirie du 17 octobre 2017 par la société SABP qui demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes au titre des heures supplémentaires, de la contrepartie obligatoire en repos, du travail dissimulé, des dommages-intérêts pour non respect de la durée maximale hebdomadaire de travail,

- infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions portant sur l'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés, l'indemnité de licenciement, l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, les dommages-intérêts pour préjudice moral et l'article 700 du code de procédure civile

- dire et juger que la rupture du contrat de travail de M. [Y] ne pouvait être prononcée à ses torts exclusifs,

- en conséquence, ordonner le remboursement par M. [Y] de la somme de 31.865.80 € versée au titre de l'exécution provisoire,

- dire et juger que le licenciement pour faute grave est justifié,

- débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes,

- condamner ce dernier au paiement d'une somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Vu les conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience de plaidoirie du 17 octobre 2017 par M. [Y], aux fins de voir :

- ordonner l'annulation du blâme en date du 19 juillet 2013 ;

- prononcer la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société SABP ;

- à titre subsidiaire, juger le licenciement pour faute grave sans cause réelle et sérieuse;

- en toutes hypothèses, condamner la société SABP à lui verser les sommes suivantes:

- 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral suite à harcèlement,

- 109.166,40 € bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires et 10.916,64 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 74.069,74 € à titre de rappel de salaire sur la contrepartie obligatoire en repos non prise et 7.406,97 € bruts pour congés payés afférents,

- 47.993,49 € à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la durée maximale hebdomadaire,

- 95.442 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 22.402,03 € bruts à titre d'indemnité de préavis et 2.240,20 € pour congés payés sur préavis,

- 9.743,04 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 3.058,38 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied et 305,84 € pour congés payés afférents,

- enjoindre à la société SABP de lui remettre une attestation ASSEDIC conforme sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la signification décision à intervenir ;

- condamner la société SABP à lui payer la somme de 3.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- assortir les condamnations d'intérêts au taux et prononcer la capitalisation des intérêts;

- ordonner le remboursement des allocations POLE EMPLOI dans la limite de six mois d'allocations ;

- condamner la société SABP aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions susvisées.

A l'issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue le 5 décembre 2017 par mise à disposition au greffe.

SUR CE :

- Sur la sanction disciplinaire :

En cas de litige sur une sanction disciplinaire, la juridiction apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. Elle peut en effet annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise. L'employeur doit donc notamment fournir au juge les éléments qu'il a retenu pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l'espèce, pour annuler le blâme infligé à M. [Y] le 19 juillet 2013 et condamner la société SABP à lui payer des dommages et intérêts, le conseil des prud'hommes de Bobigny a écarté des débats les lettres établies par trois salariées de l'entreprise après avoir relevé qu'elles ne présentaient aucun caractère d'objectivité, étant écrites sur le même modèle. Il a ainsi constaté que l'employeur ne produisait aucune pièce justifiant les griefs reprochés au salarié et a retenu que le blâme était le premier élément du scénario constitué par la société SABP pour éliminer M. [Y] de son effectif.

Au soutien de son appel, après avoir critiqué la partialité du jugement, la société SABP soutient en substance que le blâme était justifié et que la sanction était légère au regard des faits de harcèlement moral et abus d'autorité dont le salarié s'était rendu coupable en provoquant stress et anxiété chez ses subordonnées auquel il s'adressait sur un ton élevé, voire en criant, répétant les mêmes reproches et sans savoir se contenir. L'employeur se réfère :

- au contenu des courriers reçues en juin 2013 des trois salariées travaillant sous l'autorité de M. [Y], Mmes [E], [R]-[S] et [Z],

- à un certificat médical justifiant de l'état d'anxiété généralisé de la deuxième,

- à la saisine de la médecine du travail de cette situation en juillet 2013,

- à une attestation établie le 15 juillet 2013 par une quatrième salariée, Mme [L], relatant la situation catastrophique vécue par une cinquième salariée, Mme [Q],

- à un certificat médical daté du 9 juillet 2013 indiquant que cette dernière est sous antidépresseur suite à un harcèlement moral.

M. [Y] qui demande à la cour de confirmer la décision des premiers juges oppose:

- que les griefs retenus par l'employeur sur la base de la plainte des trois salariés sont imprécis, non circonstanciés ni datés,

- qu'il avait pris connaissance de leurs courriers dans le cadre de l'instance prud'homale et que, de ce fait, il n'a pas été mis en mesure de se défendre lors de l'entretien préalable comme il l'avait souligné dans son courrier de contestation du 9 août 2013,

- que l'employeur a délibérément refusé de diligenter une enquête pour vérifier la sincérité des déclarations des trois salariées en raison du risque d'infirmation des faits par les autres collaborateurs,

- que les représentants du personnel n'ont jamais été saisis du problème,

- que deux des trois salariées concernées venaient de se voir octroyer des augmentations de salaire tout à fait inhabituelles et qu'il était possible que les plaintes aient été rédigées 'sur ordre',

- que la concomitance de ces plaintes était étonnante et leur contenu - sur le même modèle - fantaisiste,

- qu'en 2012, dans le cadre de leur évaluation, ces salariées faisaient état de bonnes relations avec leur supérieur hiérarchique,

- que l'un des courriers démontraient que la salariée se sentait soutenue par la Mme [A], la PDG, et autorisée à refuser d'exécuter les consignes de son supérieur hiérarchique immédiat ainsi qu'à le défier,

- que le rapport établi par l'APST à la demande du médecin du travail mettait en évidence que, par un phénomène de cristallisation, ses actions avaient pu être vécues comme source d'humiliation voire de harcèlement dans l'organisation mise en place par Mme [A], et dont il était lui-même victime (bouc émissaire),

- que d'autres membres de l'entreprise, de sexe masculin, étaient mis en cause quant au caractère machiste de leur propos sans qu'ils aient fait l'objet de la moindre remarque,

- que le témoignage d'autres collaborateurs confirme qu'il n'avait pas eu le comportement qui lui était reproché.

La cour constate que les trois plaintes sur lesquelles la société SABP s'est fondée pour sanctionner M. [Y] ont été établies dans le même laps de temps (15, 19 et 29 juin 2013) et - comme noté par le conseil des prud'hommes - sont établies selon le même modèle, à savoir un rapport de situation débutant par un historique complet ('...lors de son arrivée dans la société, M. [Y] ...', '...j'ai choisi de faire un retour en arrière...', ' M. [Y] dès sa prise de fonctions...') paraissant répondre à une commande de Madame [A], PDG de la société à laquelle les salariées concernées s'adressaient personnellement ('Cela fait 11 ans que je travaille avec vous ... j'espère, Madame, que vous pourrez mettre fin à ces désagréments', 'Il n'a de cesse de tenter de modifier vos directives, et de vouloir me mettre en porte à faux vis-à-vis de vous ... Madame [A], j'ai totalement confiance en vous et je continuerai toujours à travailler dans l'intérêt de SABP', 'Madame [A], je vous avoue que M. [Y] à cet instant m'a fait peur ... Voici Madame et Monsieur [A] quelques exemples du comportement de M. [Y] à mon égard').

Par ailleurs, les faits relatés par Mmes [E], [R] [S] et [Z] soit ne sont pas datés, soit sont antérieurs au mois d'octobre 2012, période à laquelle le salarié aurait - selon l'employeur - déjà fait l'objet d'un recadrage. Les seuls incidents datés émanent de Mme [R] [S] et Mme [Z] et sont les suivants :

- le 11 mai 2013, avoir demandé à la première, qui rentrait de congés, de s'atteler à la saisie des factures,

- le 13 juin 2013, avoir donné sa propre interprétation des directives relatives aux procédures de suivi des sous-traitants à la sortie d'une réunion avec Mme [A],

- en mai 2013, avoir voulu payer le premier à l'issue d'un déjeuner en déclarant qu'il était prioritaire car il était leur chef,

- le 28 juin 2013, être entré de manière agressive dans le bureau de Mme [R] [S] pour lui demander où elle en était de son travail,

- le 24 juin 2013, avoir demander à Mme [Z] de saisir les ventes et de mettre de côté un travail que Mme [A] lui avait confié,

- le 28 juin 2013, s'être énervé contre Mme [Z], en approchant son visage du sien et en lui répétant plusieurs fois qu'elle devait en priorité payer les notes de frais.

Or aucun de ces faits n'est confirmé par des éléments extérieurs aux salariées concernées, dont l'allégeance à l'employeur était en parallèle récompensée par une augmentation de salaire tout à fait inhabituelle (21,85% pour Mme [R] [S], 9,76% pour Mme [Z] quand celle des autres salariées du service était bien moindre, de 3,19 à 5%).

Quant à l'attestation établie le 15 juillet 2013 par Mme [L], elle indique que Mme [Q] est en dépression depuis janvier 2011 et elle présume que des remarques verbales faites par M. [Y] et par M. [X] (autre salarié de l'entreprise) ont aggravé l'état mental de son amie qui venait de perdre son père. Outre que cette attestation ne fournit aucune précision sur la période à laquelle il est fait référence ou sur les propos imputés à M. [Y], il en ressort que l'auteur y relate seulement les déclarations d'une amie sans rapporter de faits dont elle aurait été personnellement témoin.

La cour observe également que le salarié n'avait pas été mis en mesure de prendre connaissance des courriers qui l'accusaient, qu'il avait formellement contesté les éléments dont il avait été oralement informé lors de l'entretien préalable ainsi que cela résulte de la lettre de notification de la sanction ('Lors de cet entretien, nous vous avons fait part des griefs invoqués ... Votre seule réponse a été de dénier les faits relatés...') et que la société SABP venait quant à elle d'être informée de l'ouverture par le médecin du travail d'une enquête confiée à une équipe pluridisciplinaire spécialisée dans les aspects organisationnels des situations de travail afin de l'aider à prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale de ses salariés 'conformément à l'article L.4121-1 du code du travail', c'est-à-dire dans le cadre de son obligation de sécurité de résultat.

Sur ce dernier point, la cour constate que - contrairement aux affirmations de la société SABP - le rapport ultérieurement établi par cette équipe sous la houlette du médecin du travail de l'APST ne confirme pas les faits reprochés au salarié mais - en utilisant toujours le conditionnel concernant les faits dénoncés par les uns ou les autres - fait l'hypothèse d'une forme de cristallisation des difficultés - qui étaient liées à la croissance importante de l'entreprise - sur la figure de M. [Y], seul membre de la direction qui était extérieur à la famille [A] et dont le management a pu être'vécu comme source d'humiliations, voire de harcèlement'.

Enfin, à l'instar du conseil des prud'hommes, la cour souligne que, s'ils avaient été matériellement avérés, les faits reprochés à M. [Y] auraient dû entraîner d'autres mesures et, a minima, la saisine des instances représentatives du personnel (CE ou CHSCT) ou la médecine du travail. Or tel n'a pas été le cas. Notamment, et contrairement à ce qu'elle tente de faire accroire, la société SABP n'est pas à l'origine de l'enquête diligentée par l'APST, ayant seulement 'accédé à (la) demande' du salarié à ce sujet comme elle l'indique dans un courrier du 24 septembre 2013.

Au vu de ce qui précède, la cour constate que l'employeur ne rapporte pas la preuve de faits de 'harcèlement ou assimilé' de la part du salarié sur ses subordonnées. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a annulé le blâme dont il a fait l'objet le 19 juillet 2013.

- Sur le harcèlement moral :

Selon l'article L.1152-1 du code du travail, le harcèlement moral se caractérise par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte au droit et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Il peut donc être constitué indépendamment de toute intention de nuire. Les agissements visés ne peuvent toutefois résulter ni de contraintes de gestion ni d'un exercice normal par l'employeur de son pouvoir de direction. Ils doivent être la conséquence d'éléments identifiables portant atteinte à la dignité de la personne et créant un environnement intimidant, hostile ou humiliant. L'article 1152-4 fait par ailleurs peser sur l'employeur - qui est tenu à une obligation de sécurité de résultat envers ses salariés - la responsabilité de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Si l'article 1154-1 du code du travail impose à l'employeur de prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral lorsque survient un litige relatif à l'application de ces textes, le salarié doit cependant établir au préalable des faits qui permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement.

En application de ces textes, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si, pris dans leur ensemble, ces éléments permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe alors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, le conseil des prud'hommes de Bobigny a constaté notamment que :

- les relations de travail se sont modifiées à la suite de remarques formulées auprès de la direction générale par trois salariés appartenant à son équipe,

- les remarques et agissements de ces salariés apparaissent comme ayant été téléguidées par la direction générale de la société SABP, ce qui est corroboré par les extraordinaires augmentations de salaires qui sont venus récompenser ces trois salariées rapidement après les faits reprochés à M. [Y],

- ces agissements tant de la direction générale de la société SABP que des subordonnées de M. [Y] constituent des faits de harcèlement ayant nui considérablement tant à l'état physique que psychique de M. [Y],

- le salarié a dû subir des traitements médicaux importants pour corriger de graves troubles de santé tant prescrits par le médecin du travail que par son propre médecin,

- la société SABP n'a pas jugé bon de faire appel au CHSCT constitué en son sein alors que la direction générale avait été informée et avait même participé à la commission des faits qui ont conduits à l'état pathologique de M. [Y],

- cette absence de saisine d'un organe social tel que le CHSCT par la direction générale de la SABP constitue une faute dans la gestion de cette entreprise,

- une telle saisine aurait pu permettre de mieux comprendre les problèmes, de les analyser et d'en tirer des conséquences raisonnées,

- le manquement de la société SABP a contribué à l'aggravation de l'état de santé de M. [Y].

Dans le cadre de son appel, la société SABP conteste l'existence d'un harcèlement moral au préjudice de M. [Y] en soulignant que Mme [A] a fait preuve d'une grande patience à son égard, que son courrier du 24 septembre 2013 répond point par point à l'ensemble des faits invoqués par le salarié, qu'aucun des éléments avancés n'est constitutif de harcèlement moral et qu'en toute hypothèse, elle justifie que les agissements qui lui sont reprochés sont étrangers à tout harcèlement.

M. [Y] objecte que, comme l'a jugé le conseil des prud'hommes, il existe un ensemble de circonstances permettant d'établir sa mise à l'écart et une dégradation orchestrée de ses conditions de travail caractérisant un harcèlement.

Il fait état d'un certain nombre de faits dont il convient tout d'abord d'examiner la matérialité, à la lumière des contestations de l'employeur.

A cet égard, la cour constate que :

- les remarques désobligeantes de Mme [A] sur le travail de M. [Y] sont établies par de nombreux mails qu'elle lui a adressés à compter de la fin de l'année 2012, avec une forme de montée en puissance à partir de l'été 2013, la PDG s'abstenant même de répondre à certains de ses mails sur des questions d'ordre professionnel ou lui faisant notifier des instructions par l'intermédiare de ses subordonnées ou d'autres colloborateurs de l'entreprise,

- le salarié s'est vu retirer la possibilité d'accéder aux armoires contenant des documents nécessaires à l'exercice de ses fonctions de directeur administratif et financier hors la présence de ses subordonnées,

- M. [Y] a été sanctionné par un blâme injustifié en juillet 2013, dans des circonstances démontrant que l'employeur a refusé de prendre sa situation en considération,

- le salarié s'est plaint par écrit et à plusieurs reprises de subir des mises à l'écart et humiliations constitutives de harcèlement moral,

- notamment il a été le seul cadre désigné pour rester au sein de l'entreprise le 27 octobre 2013 ce qui lui a interdit de participer au repas organisé par le comité d'entreprise, alors qu'il représentait jusque là la direction lors des réunions du CE et du CHSCT,

- il justifie avoir été parallèlement privé des fonctions RH qui lui avaient été initialement confiées,

- le montant de sa prime de fin d'année pour 2012 (350 €) est dérisoire par rapport à ce qu'il avait perçu par le passé (3.000 fin 2010, 5.000 € fin 2011) et correspond au minimum de ce qui a été attribué aux membres du personnel cette année-là,

- son état de santé s'est fortement dégradé au point qu'ayant obtenu son accord à ce sujet, le médecin du travail a pris contact avec la direction en juillet 2013 pour organiser une enquête confiée à une équipe pluridisciplinaire chargée de comprendre les difficultés rencontrées par le personnel de l'entreprise,

- que le médecin a fait le choix de le revoir régulièrement et, le 14 novembre 2013, après constaté qu'il était inapte au moins temporairement à l'exercice de ses fonctions en raison de signes évocateurs d'un état anxiodépressif réactionnel avec répercussion sur les chiffres tensionnels, l'a invité à consulter son médecin traitant pour être arrêté et soigné, ce qui a été le cas.

La cour estime que, pris dans leur ensemble, ces éléments permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Or, elle constate parallèlement que la société SABP ne justifie pas que les décisions ou les attitudes qui lui sont reprochées sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. A cet égard, elle relève en effet :

- que les appréciations et commentaires portés par la direction sur la fiche d'évaluation du 31 janvier 2013 du salarié ne constituent pas des éléments objectifs, alors surtout que M. [Y] y a formellement contesté avoir eu des relations difficiles avec le personnel de bureau ou irrévérencieux envers la direction comme cela était mentionné,

- qu'il n'est pas établi que M. [Y] a fait état de 'très mauvaises relations' avec Mme [A] et, s'il s'est plaint d'un manque d'écoute lors de cette évaluation, la PDG a noté qu'il réclamait davantage de soutien de la part de la direction,

- que l'employeur procède par voie d'affirmation lorsqu'il indique que Mme [A] a fait preuve d'une grande patience à l'égard du salarié faute de justifier de la réalité des manquements qu'il lui impute,

- que la lettre adressée par Mme [A] à M. [Y] le 24 septembre 2013 n'est pas un élément objectif, s'agissant d'une réponse destinée à justifier du bien fondé des décisions prises à l'égard de l'intéressé,

- que cette lettre débutait en effet sur un ton particulièrement polémique et partial ('je reçois de votre part nombre de courriers et mails que je finis par considérer comme étant une forme de harcèlement à l'encontre de la direction, celui-là même que vous avez fait, et faites subir à vos collaboratrices'),

- que, compte tenu du contexte précédemment décrit, de la précipitation dans laquelle il a été notifié et de l'absence de considération pour la parole de M. [Y], le blâme est non seulement injustifié mais également dépourvu de tout caractère d'objectivité,

- que, peu important qu'elle n'ait pas eu un effet direct sur l'emploi de M. [Y], cette sanction a porté atteinte à la confiance normalement attendue dans les rapports entre une direction générale et son directeur administratif et financier,

- que l'interdiction faite à ce cadre d'accéder aux armoires où étaient rangés les dossiers administratifs et comptables de l'entreprise hors la présence de l'une de ses subordonnées à compter de l'été 2013 est le signe d'une défiance à son égard,

et non d'une décision fondée sur des éléments objectifs, dès lors qu'il n'est justifié ni de 'précédentes disparitions' ni d'instructions écrites informant l'ensemble du personnel au sujet de nouvelles procédures, alors surtout que M. [Y] se voyait à l'inverse reprocher de ne pas avoir laissé les clés de ses armoires à la direction générale pendant ses propres congés d'été,

- que la réunion du CHSCT du 14 octobre 2013 dont l'ordre du jour était les 'risques psycho-sociaux présents chez certains membres du personnel' n'avait pas pour objet de prendre en considération le mal-être de l'ensemble du personnel - pourtant constaté par le service de la médecine du travail -, de sorte que l'exclusion de M. [Y] n'était pas justifiée par une situation objective,

- que l'employeur ne justifie pas avoir précédemment astreint un cadre ou même un autre membre du personnel à rester dans l'entreprise le jour du repas annuel organisé par le comité d'entreprise, ni avoir transmis un écrit pour expliquer sa décision et ses critères de sélection de la personne désignée,

- que si le montant de la prime de fin d'années est à la discrétion de la direction, la société SABP n'explique par aucun élément objectif le niveau particulièrement faible de sa gratitude envers M. [Y] - dont la qualité du travail n'était en cause à la fin 2013, la procédure de licenciement ayant été engagée le 14 février 2014 seulement -

- que - contrairement aux allégations de la société SABP - cette baisse de prime n'était pas compensée par l'attribution d'une sixième semaine de congés payés ou d'un quatorzième mois de salaire, dès lors que ces avantages avaient été prévus dans des avenants signés en 2011,

- que l'employeur affirme, sans en justifier, que M. [Y] rencontrait des difficultés à rendre des comptes à Mme [A] du fait qu'elle était une femme.

La cour constate également à la lecture du rapport établi par l'équipe pluridisciplinaire de l'APST qui met en exergue les défaillances dans l'organisation du travail au sein de la société SABP ainsi que de la lettre de l'inspecteur du travail en date du 11 février 2014 que cette entreprise - dont le caractère familial était prééminent - avait continué de gérer son personnel sur la base de rapports affectifs devenus inadaptés face à l'évolution de sa taille et avait - de ce fait - manqué à ses obligations à l'égard de l'ensemble de son personnel en laissant s'instaurer un système de 'clanification' entre les anciens - fidèles au modèle proposé par les fondateurs - et les nouveaux - qui tentaient d'instaurer de nouvelles méthodes manifestement mal vécues par les premiers.

En définitive, il ressort des moyens et arguments des parties ainsi que des pièces versées aux débats que le personnel a été dans son ensemble soumis de la part de par la direction à des méthodes de gestion constituant - par son déficit d'égard vis-à-vis de certains dont M. [Y] - une forme de harcèlement moral managérial.

M. [Y] réclame 30.000 € de dommages et intérêts de ce chef, en invoquant un préjudice d'une rare intensité et en affirmant notamment avoir été arrêté à plusieurs reprises par son médecin traitant. Il ne justifie cependant que d'un avis d'inaptitude temporaire et d'un arrêt de travail de 15 jours en novembre 2013.

C'est donc à bon droit que le conseil des prud'hommes a fixé l'indemnité réparatrice à la somme de 10.000 €. Le jugement sera confirmé.

- Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Le salarié peut demander au conseil de prud'hommes la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquement grave de l'employeur à ses obligations empêchant la poursuite de ce contrat. Lorsqu'il est saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail par un salarié ultérieurement licencié, le juge doit d'abord vérifier si les faits invoqués par le salarié à l'encontre de l'employeur sont établis et, dans l'affirmative, si ces manquements présentent une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat aux torts de l'employeur.

Si les faits reprochés à l'employeur sont suffisamment graves pour justifier la résiliation sollicitée, le licenciement notifié au salarié après l'introduction de sa demande est privé d'effet. Quant à la résiliation judiciaire, elle produit ses effets à la date de l'envoi de la lettre de licenciement et non à la date du prononcé de la décision comme cela est le cas lorsque le salarié est toujours présent dans l'entreprise à la date du prononcé de la décision.

En cas de harcèlement moral, le salarié est légitime à demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et, dans ce cas, la rupture produit les effets d'un licenciement nul conformément aux dispositions de l'article L.1152-3 du code du travail.

En l'espèce, la demande de résiliation judiciaire formalisée par M. [Y] le 23 décembre 2013 a été enregistrée par le conseil des prud'hommes le 27. Elle est donc antérieure au licenciement pour faute grave privative de préavis et d'indemnité de licenciement notifié par la société SABP le 7 mars 2014.

Cette demande est justifiée au regard de la situation de harcèlement moral à laquelle le salarié s'est trouvé confronté et constatée ci-dessus.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il l'a accueillie et en ce qu'il a condamné la société SABP à payer à M. [Y] 22.402,03 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents, 9.743,03 € à titre d'indemnité de licenciement ainsi que 3.058,38 € à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire.

M. [Y] sollicite par ailleurs une somme de 95.442 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. S'agissant d'une indemnité destinée à réparer les conséquences d'une rupture illicite, il convient de d'allouer au salarié une somme de 60.000 € au vu à la fois des circonstances, de son ancienneté, de son âge au moment de la rupture (53 ans), du montant de sa rémunération ainsi que du fait qu'il justifie avoir été confronté à des difficultés pour retrouver un emploi.

Le jugement entrepris sera donc réformé sur ce point.

- Sur les heures supplémentaires :

La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles. Elle peut être fixée par une convention individuelle de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois. Cependant, l'existence d'une telle convention n'interdit pas au salarié de prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies en sus du forfait convenu et ne le prive pas de son droit au repos compensateur au titre des heures supplémentaires réellement travaillées.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Il appartient toutefois au salarié demandeur de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer ses prétentions, suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié compte tenu, notamment, des dispositions des articles D.3171-2 et D. 3171-8 du code du travail qui lui imposent d'afficher l'horaire collectif de travail ou, à défaut, de décompter la durée de chaque salarié par un enregistrement quotidien et l'établissement d'un récapitulatif hebdomadaire. Le salarié ne peut être débouté du seul fait qu'il n'a jamais réclamé le paiement de ses heures supplémentaires.

En l'espèce, le conseil des prud'hommes des prud'hommes a rejeté les prétentions de M. [Y] après avoir constaté que ce dernier n'apportait pas la preuve du nombre d'heures supplémentaires effectuées, que son statut de cadre supérieur et de directeur administratif et financier justifiait un déplacement de ses horaires qui auraient pu faire l'objet de demandes spécifiques auprès de la direction lorsque les dépassements devenaient trop importants, ce qu'il n'avait pas fait au fur et à mesure, que ses relevés informatiques ne pouvaient être considérés comme une description précise de ses horaires de travail car ils indiquaient seulement le début de l'activité et la fin, sans fournir d'information sur la durée des absences entre ces deux périodes.

En cause d'appel, le salarié réitère sa demande de paiement de 2..254,34 heures supplémentaires travaillées sur la période de mai 2010 à février 2014 au-delà du forfait hebdomadaire de 39 heures prévu à son contrat, en faisant valoir :

- qu'on ne pouvait lui opposer les dispositions applicables aux cadres, n'ayant pas disposé dans les faits des attributs liés à ce statut,

- que la charge de la preuve des horaires accomplis ne lui incombe pas spécialement,

- qu'il fournit suffisamment d'éléments permettant d'étayer ses déclarations au sujet du fait qu'il s'était conformé aux horaires de travail qui lui avaient été imposés, étant présent de 7 heures à 19 heures, avec 1 heure de pause méridienne au maximum,

- que la société SABP se contente de critiquer ces éléments sans fournir le moindre décompte des heures de travail qu'il avait accomplies.

L'employeur oppose que les éléments de preuve fournis ne sont pas convaincants, que le salarié ne justifie pas qu'il lui avait été demandé de travailler de l'ouverture à la fermeture des bureaux, que sa demande intervient tardivement, que les éléments issus de son ordinateur sont partiels et peu convaincants dès lors qu'ils ne fournissent aucune information sur les heures de travail effectif entre le moment où cet appareil était allumé et celui auquel il était éteint, que le rapport d'événement débute seulement le 20 décembre 2012, que son ordinateur fixe pouvait être utilisé par d'autres personnels, que l'envoi tardif de courriels provenait de son ordinateur portable seul connecté à internet, que le témoignage de M. [B] n'était pas probant puisque ce dernier travaillait sur les chantiers et non au siège, que M. [Y] était libre d'organiser ses journées et pouvait prendre plus d'une heure pour déjeuner et, enfin, qu'il bénéficiait d'une rémunération forfaitaire incluant un quota de 4 heures supplémentaires par semaine avec, rapidement, une 6ème semaine de congés payés et un 14ème mois de salaire.

Cependant, dans la mesure où le contrat de travail prévoyait un salaire annuel forfaitaire pour 39 heures de travail hebdomadaires dont 4 heures supplémentaires, M. [Y] est en droit de prétendre au paiement d'heures de travail dépassant le quota fixé.

Il convient également d'observer que le salarié fournit un certain nombre d'éléments suffisamment précis, de nature à étayer ses prétentions sur l'accomplissement d'heures supplémentaires au-delà du forfait, à savoir :

- les horaires d'ouverture des bureaux (7h-19h)

- le rapport de l'APST qui relève que 'la charge propre de travail est en elle-même très importante (ce qui) amène certaines catégories de salariés à travailler sur des amplitudes très larges (7h-19h voire 20h)',

- les rapports des événements de l'ordinateur fixe de M. [Y] à partir du 20 décembre 2012 confirmant cette amplitude le concernant, compte tenu des heures d'ouverture et de fermeture de sa session informatique,

- l'absence d'activité sur son ordinateur pendant ses absences infirmant la thèse d'une utilisation de son ordinateur par d'autres membres du personnel,

- le relevé des horaires tenu quotidiennement par le salarié depuis son entrée dans l'entreprise,

- les heures et dates d'envoi de courriers électroniques,

- les feuilles de présence aux réunions du CE et du CHSCT débutant à 8h,

- les attestations établies par M. [I] [B], Mme [M] et M. [D],

- l'organigramme de l'entreprise avant et après le départ du salarié, démontrant une augmentation des effectifs au sein de son service.

Or, bien que mise en situation de répondre, la société SABP ne fournit aucun élément propre à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Quant aux griefs qu'il formule à la marge sur le décompte du salarié, ils ne sont pas fondés. Notamment, l'ouverture de la session de l'ordinateur de M. [Y] le 15 novembre 2013 au matin peut s'expliquer par la prise d'un rendez-vous en début d'après-midi. Et le médecin aura alors daté son certificat du jour même pour éviter que le salarié ne retourne au travail. Par ailleurs, l'employeur ne démontre pas que le salarié pouvait s'absenter en journée pour des motifs d'ordre personnel. Enfin, il ne saurait tirer aucun argument de la durée des repas de midi en se fondant sur les notes de frais remises par le salarié aux fins de remboursement, s'agissant précisément de temps consacré à sa prestation de travail.

Au vu de ces éléments, il y a donc lieu d'accueillir la demande de paiement d'heures supplémentaires présentée par M. [Y]

Sur le repos hebdomadaire

Se fondant sur les articles L.3121-16 et suivants du code du travail (dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016) ainsi que sur les dispositions de la convention collective fixant à 185 heures le contingent au-delà duquel la contrepartie est égale à 100% des heures supplémentaires accomplies, M. [Y] réclame le paiement d'une somme de 74.069,74 € à titre de rappel de salaire au titre de la contrepartie obligatoire en repos qu'il n'a pas prise.

Il y a lieu d'infirmer le jugement qui a rejeté ces prétentions au motif que le salarié ne justifiait pas avoir effectué des heures supplémentaires et de condamner la société SABP qui se borne - quant à elle - à contester l'existence des heures supplémentaires accomplies par M. [Y] pour s'opposer à sa demande de ce chef.

Sur la durée maximale du travail

Invoquant les dispositions du code du travail relatives à la durée maximale de l'horaire hebdomadaire de travail (48 heures), M. [Y] réclame l'allocation d'une somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts.

La société SABP ne s'oppose à cette demande qu'en contestant l'existence d'heures supplémentaires.

La cour constate cependant que le salarié ne justifie pas du préjudice qu'il prétend avoir subi et qu'il n'en fait même pas état, ce qui lui interdit de prétendre à l'octroi de dommages et intérêts par application des règles de droit commun relatives à la responsabilité contractuelle.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point, par substitution de motifs.

Sur le travail dissimulé :

M. [Y] sollicite le paiement d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé sur le fondement des dispositions de l'article L.8223-1 du code du travail au terme duquel le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L.8221-5 du même code - notamment en mentionnant sciemment sur le bulletin de salaire un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli - a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire en cas de rupture de la relation de travail quel qu'en soit le mode.

La société SABP ne s'oppose à cette demande qu'en contestant l'existence d'heures supplémentaires.

La cour rappelle pour sa part que le travail dissimulé doit être caractérisé dans ses éléments matériel et intentionnel, ce dernier ne pouvant se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie. Or, en l'espèce, peu important le nombre d'heures supplémentaires accomplies, le salarié ne produit aucun élément démontrant que l'employeur a agi avec une intention dissimulatrice afin d'échapper au paiement des cotisations sociales afférentes.

Le jugement sera donc également confirmé sur ce point.

- Sur les autres demandes :

La capitalisation des intérêts est de droit conformément à l'article 1343-2 nouveau du code civil (ancien 1154 du code civil).

Il est fait droit à la demande de remise des documents sociaux sans que l'astreinte soit nécessaire.

En revanche, il n'y a pas lieu d'ordonner, dans le cadre de la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [Y], le remboursement des allocations chômage par application de l'article L.1235-4 du code du travail.

Il serait inéquitable que M. [Y] supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la société SABP qui succombe doit en être déboutée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement :

DÉCLARE l'appel recevable ;

CONFIRME le jugement rendu le 6 janvier 2016 en ce qu'il a annulé la sanction disciplinaire notifiée le 19 juillet 2013, prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail, rejeté les demandes de dommages et intérêts pour non respect de la durée maximale hebdomadaire et d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, et sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral, l'indemnité de licenciement, l'indemnité compensatrice de préavis, le rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire et les frais irrépétibles,

INFIRME le jugement en ce qu'il a dit que la rupture a produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'en ses dispositions relatives à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, aux heures supplémentaires, à la contrepartie obligatoire du repos non pris et au remboursement des allocations chômage au Pôle Emploi,

Statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant,

DIT que suite au harcèlement moral, la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul,

CONDAMNE la société SABP à payer à M. [Z] [Y] les sommes suivantes :

- 60.000 € à titre d'indemnité en réparation du préjudice lié à la perte de son emploi, somme nette de tous prélèvements sociaux,

- 109.166,40 € à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, en brut,

- 10.916,64 € au titre des congés payés afférents, en brut,

- 74.069,74 € à titre de rappel de salaire pour contrepartie obligatoire en repos non pris, en brut,

- 7.406,97 € au titre des congés payés afférents, en brut,

DIT n'y avoir lieu à remboursement au Pôle Emploi des allocations chômage versées à M. [Z] [Y],

DIT que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire, à compter et dans la proportion du présent arrêt ;

DIT que la société SABP devra transmettre à M. [Z] [Y] dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision un certificat de travail et une attestation Assedic/Pôle emploi conformes ainsi qu'un bulletin de salaire récapitulatif ;

REJETTE toutes autres demandes ;

CONDAMNE la société SABP aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à M.[Z] [Y] la somme de 3.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 16/01643
Date de la décision : 12/12/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K4, arrêt n°16/01643 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-12-12;16.01643 ?
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