RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 07 Décembre 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/11204
Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 21 Juillet 2016 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - RG n° R16/01451
APPELANT
Monsieur [V] [N]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Jean-claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945, avocat postulant
représenté par Me Richard SINTES, avocat au barreau de PARIS, toque : D0540, avocat plaidant
INTIMEE
SA CARMIGNAC GESTION
N° SIRET : 349 501 676
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125, avocat postulant
représentée par Me Isabelle ZAKINE ROZENBERG, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 octobre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Catherine MÉTADIEU, Président
Madame Martine CANTAT, Conseiller
Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine MÉTADIEU, Président et par Madame FOULON, Greffier.
**********
Statuant sur l'appel interjeté le 31 Aout 2016 par M. [V] [N] d'une ordonnance de référé rendue le 21 juillet 2016 par le conseil de prud'hommes de Paris qui, saisi par l'intéressé de demandes tendant essentiellement au paiement par provision d'un rappel de bonus à concurrence de la somme de 59 915,97 €, a dit n'y avoir lieu à référé tant sur la demande principale que sur la demande reconventionnelle (en réalité une demande au titre des frais irrépétibles) et condamné M. [V] [N] aux dépens,
Vu l'arrêt rendu par cette chambre le 30 mars 2017, qui a déclaré recevable l'appel formé par M. [V] [N] et fixé après établissement d'un calendrier de procédure la clôture au 14 septembre 2017 et la date de l'audience de plaidoiries au 05 octobre 2017,
Vu les conclusions d'appelant transmises par le RPVA le 31 juillet 2017 par M. [V] [N], qui demande à la cour de :
Réformer la décision entreprise dans toutes ses dispositions,
Et, statuant de nouveau :
Dire et juger qu'il y a lieu à référé et,
En conséquence :
Condamner la Société CARMIGNAC GESTION à lui verser un rappel de bonus à titre provisionnel de 59.915,97 €, ainsi que la somme de 5.991,60 € au titre des congés payés afférents,
Condamner la Société CARMIGNAC GESTION à lui verser des dommages et intérêts pour rétention abusive à hauteur de 5.000 €,
Fixer les intérêts au taux légal en application des articles 1146 et 1153 du code civil depuis le jour de l'introduction de la demande,
Mettre les dépens à la charge de l'employeur,
Condamner la Société CARMIGNAC GESTION à lui verser la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les conclusions d'intimé transmises par le RPVA le 13 septembre 2017 par la société anonyme CARMIGNAC GESTION qui demande à la cour de :
Confirmer la décision déférée en :
Constatant l'existence d'une contestation sérieuse quant à l'existence même d'une supposée créance invoquée par M. [V] [N] ;
Disant n'y avoir lieu à référé ;
En tout état de cause :
Condamner M. [V] [N] au paiement d'une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître TEYTAUD, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire :
Dire n'y avoir lieu à ordonner le paiement à titre provisionnel de la part variable quantitative de rémunération réclamée dès lors que M. [V] [N] ne peut prétendre à un calcul de prime quantitative que sur la base du travail développé pour les clients DCP placés sous sa supervision sachant que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 avril 2016 concernant Monsieur [V] n'attribue d'aucune manière ce client à la DCP,
Rejeter l'ensemble des demandes formulées par M. [V] [N],
La cour faisant expressément référence aux conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 14 septembre 2017,
SUR CE, LA COUR
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé en date du 16 mars 2005, M. [V] [N] a été engagé par la société CARMIGNAC GESTION en qualité de directeur du développement de la clientèle privée (DCP) sous contrat de travail à durée indéterminée ayant pris effet le 1er avril 2005, statut cadre dirigeant, moyennant une rémunération constituée d'une part fixe de 100 000 € bruts x 12 mois et d'une part variable incluant un bonus garanti, un intéressement de 20 % sur l'ensemble des commissions générées par l'équipe des conseillers et un intéressement complémentaire sur la progression, liée à la collecte de l'année, des commissions sur en-cours OPCVM.
Par avenant en date du 1er mars 2013, la part variable quantitative de M. [V] [N] a été redéfinie comme suit':
«'1) Vous percevrez une rémunération variable égale à 20 % du montant cumulé de la part variable quantitative allouée trimestriellement à l'ensemble des conseillers de la direction de la Clientèle Privée.
Cette rémunération variable vous sera versée trimestriellement en même temps que la rémunération fixe des mois de mars, juin, septembre et décembre.
2) Vous percevrez une rémunération variable selon la progression ' liée à la collecte investie de l'année ' des commissions sur en cours OPCVM':
- de 15 % pour une progression de commission annuelle
- de 20 % pour une progression de commission annuelle $gt; 400 000 €
Il est précisé que le montant de la progression sera obtenu en multipliant le chiffre de la collecte nette par 1,5 % et en divisant ce ration par 2, soit un coefficient de 0,75 %.
Cette rémunération vous sera versée annuellement.'»
Le 03 octobre 2013, M. [V] [N] a été désigné représentant de la section syndicale CFTC au sein de la société CARMIGNAC GESTION.
Par lettre du 03 juin 2015, la société CARMIGNAC GESTION a notifié à M. [V] [N] son licenciement pour faute grave, après autorisation de l'inspection du travail.
Par jugement du 17 janvier 2017, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de l'inspection du travail, un recours devant la cour administrative d'appel étant pendant.
Entre-temps, par arrêt en date du 15 avril 2016, cette chambre statuant en référé a tranché un litige opposant la société CARMIGNAC GESTION à M. [B] [V] en condamnant celle-là à payer par provision à celui-ci la somme de 299.579,87€ au titre de sa part variable quantitative, calculée sur le montant des collectes nettes à compter du deuxième trimestre 2013, étant précisé que M. [B] [V] exerçait des fonctions de conseiller financier au sein de la DCP.
Se fondant sur l'avenant du 1er mars 2013 à son contrat de travail, M. [V] [N] a par lettre du 09 mai 2016 mis en demeure la société CARMIGNAC GESTION de lui verser la somme de 59 915 € correspondant à 20 % de la part variable quantitative allouée en justice à M. [B] [V].
Par courrier du 12 mai 2016, la société lui a répondu qu'elle n'était aucunement redevable à ce jour d'une obligation de régularisation à son égard.
C'est dans ces conditions que M. [V] [N] a saisi en référé le 25 mai 2016 le conseil de prud'hommes de Paris de la procédure qui a donné lieu à l'ordonnance entreprise.
MOTIFS
M. [V] [N] sollicitant paiement de diverses sommes sur la base du contrat de travail liant les parties, sont applicables les dispositions de l'article R 1455-7 du code du travail, en vertu desquelles dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Pour s'opposer à la demande en paiement, la société CARMIGNAC GESTION fait valoir en substance que le client très spécifique dont il est question, la fondation «'X'», qui relevait de la direction de la clientèle professionnelle et institutionnelle (DCPI), a été attribué à M. [B] [V] en raison des liens personnels qu'il entretenait avec ce client pour lequel aucune prestation de conseil n'était effectuée, que dans son arrêt du 15 avril 2016 la cour n'a jamais fait le lien entre ce client spécifique et la DCP, que ce n'est pas au titre de la DCP que M. [B] [V] a été payé des commissions concernant ce client et qu'elle n'avait dès lors aucune raison de régler à M. [V] [N] des commissions sur la part variable obtenue par M. [B] [V] pour un client hors DCP.
Elle soutient encore que la notion de collecte nette investie utilisée pour le calcul de la part variable quantitative attribuée aux collaborateurs selon leur contrat de travail s'entend nécessairement de la collecte réalisée auprès de clients privés, alors que la fondation «'X'» est un client institutionnel, et que M. [V] [N] était parfaitement conscient du caractère discrétionnaire des commissions versées en relation avec le suivi de ce client et du fait qu'elles ne relevaient pas du régime contractuel instauré par le contrat de travail.
Dans le cadre du litige l'opposant à M. [B] [V], la société avait déjà soutenu qu'en vertu de l'article 6 de l'avenant au contrat de travail du 28 février 2013 de l'intéressé, la part variable quantitative correspond «'à 0,8% de la collecte nette investie'» réalisée au cours du trimestre échu et que ladite collecte s'entend nécessairement de la collecte réalisée auprès de clients privés de sorte que la part de collecte correspondant à un client institutionnel tel que le client «'X'» ne pouvait entrer dans l'assiette de calcul de la part variable quantitative prévue audit avenant. Elle avait ajouté que M. [B] [V] avait en outre perçu des primes discrétionnaires pour son travail de «'relations publiques'» avec le client «'X'» et qu'il en avait accepté le principe.
Dans son arrêt du 15 avril 2016, la cour avait en particulier relevé que':
« -'s'il résulte de ces courriels [échangés entre le directeur général délégué et M. [B] [V]] qu'à tout le moins, le compte du client «'X'» est un compte particulier, la société CARMIGNAC GESTION justifiant en outre que les mouvements de fonds de ce client ne sont pas enregistrés sur des comptes domiciliés en France auprès du teneur de comptes NATIXIS suivis dans l'outil de gestion «'SOLIAM'», il n'en reste pas moins qu'au regard des divers tableaux de collecte produits de part et d'autre, établis par le «'Comité de gestion'», ce client donne lieu à l'enregistrement de mouvements de souscription, de rachats et donc d'une collecte nette au même titre que les clients privés,
- à supposer que le client «'X'» ou «'Fondation B'», qui semble être la fondation BETTENCOURT dirigée par M. [W] [O] au regard de la pièce n° 37 de l'intimée, soit un client institutionnel en dépit des lettres et vocables discrets employés pour la désigner, la circonstance qu'au sein de la société CARMIGNAC GESTION les clients professionnels et institutionnels soient en principe suivis par une autre division nommée DCPI (direction de la clientèle professionnelle et institutionnelle) est sans emport dès lors qu'il résulte des écritures et pièces des parties que pour des raisons relationnelles et commerciales, le dossier de la fondation B a bien été transféré de la DCPI à M. [B] [V],
- contrairement à l'argumentation de l'employeur faisant état d'une charge de travail modérée pour ce qui concerne ce client, allégation contredite par l'attestation de M. [X], directeur administratif et financier de «'TET'» et de la «'Fondation B'» (pièce n° 26 de l'appelant), l'intérêt du travail de M. [B] [V] consacré audit client se déduit du montant important des commissions unilatéralement versées par l'employeur en juin 2013 (156 157,48 €) et en juin 2014 (22 764,50 €),
- par ailleurs, en l'absence de plus amples précisions dans le contrat de travail liant les parties, l'attribution au salarié de sa part variable quantitative ne saurait dépendre de l'outil de gestion utilisé par l'employeur,
- il s'ensuit qu'aucun élément probant ne permet d'exclure du champ contractuel ayant lié les parties la gestion du client «'X'» et le suivi de ses comptes,
- dès lors, si l'employeur entendait ne pas appliquer le contrat de travail en ce qui concerne les prestations de travail relatives au client «'X'», il lui appartenait de recueillir l'accord exprès du salarié,
- or, cet accord exprès n'a jamais été recueilli (').'»
Il résulte de ces éléments que quand bien même la fondation «'X'» serait un client institutionnel, il n'en reste pas moins que pour des raisons relationnelles et commerciales ce client a été transféré de la DCPI à M. [B] [V], conseiller à la DCP sous les ordres de M. [V] [N], que ce client a donné lieu à l'enregistrement de mouvements de souscription, de rachats et donc d'une collecte nette au même titre que les clients privés et que faute d'accord exprès entre les parties en ce sens, les prestations de travail relatives au client «'X'», quelle que soit leur nature exacte, ne pouvaient être exclues du champ contractuel défini par l'avenant du 28 février 2013.
En ce qui concerne M. [V] [N], l'avenant du 1er mars 2013 à son contrat de travail stipule qu'il percevra «'une rémunération variable égale à 20 % du montant cumulé de la part variable quantitative allouée trimestriellement à l'ensemble des conseillers de la direction de la Clientèle Privée'».
Or, la part variable quantitative allouée à titre provisionnel à M. [B] [V] par la cour dans son arrêt du 15 avril 2016 l'a bien été à un conseiller de la DCP sur la base du contrat de travail qui le liait en cette qualité à son employeur.
Il s'ensuit que l'obligation à la charge de la société CARMIGNAC GESTION de régler à M. [V] [N] 20 % de cette part variable n'est pas sérieusement contestable, la cour ne pouvant distinguer là où le contrat de travail liant les parties au présent litige ne distingue pas.
En conséquence, la société CARMIGNAC GESTION sera condamnée à payer à titre provisionnel à M. [V] [N] la somme de 59 915,97 € à ce titre, outre celle de 5 991,60 € au titre des congés payés afférents, la décision entreprise étant donc infirmée en toutes ses dispositions.
Les intérêts couront au taux légal à compter de la date de réception par la société CARMIGNAC GESTION de sa convocation devant le conseil de prud'hommes de Paris, sans qu'il y ait lieu à capitalisation.
Considérant les circonstances de la cause, il n'y a aucune raison pertinente de juger abusif le refus opposé par l'employeur de régler le complément de rémunération variable litigieux. Il sera dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande en dommages-intérêts présentée à ce titre par l'appelant.
Il apparaît équitable d'allouer la somme de 1 500 € à M. [V] [N] en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés depuis l'introduction de la procédure.
La société CARMIGNAC GESTION qui succombe n'obtiendra aucune indemnité sur ce fondement et supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société CARMIGNAC GESTION à payer à titre provisionnel à M. [V] [N] la somme de 59 915,97 € au titre de sa rémunération variable correspondant à 20 % de la part variable quantitative allouée à M. [B] [V] par l'arrêt de cette chambre en date du 15 avril 2016, outre celle de 5 991,60 € au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société CARMIGNAC GESTION de sa convocation devant le conseil de prud'hommes de Paris, sans capitalisation ;
Dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande en dommages-intérêts présentée par l'appelant ;
Condamne la société CARMIGNAC GESTION à payer à M. [V] [N] la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés depuis l'introduction de la procédure ;
Condamne la société CARMIGNAC GESTION aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT