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06/12/2017 | FRANCE | N°17/07204

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 06 décembre 2017, 17/07204


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 3



ARRET DU 6 DECEMBRE 2017



(n° 801 ,9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 17/07204



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 Mars 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/57862





APPELANT



Monsieur [I] [G]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité

2]



Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

assisté de Me Fabienne MOLURI, avocat au barreau de LILLE





INTIMEES



Sociét...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 3

ARRET DU 6 DECEMBRE 2017

(n° 801 ,9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 17/07204

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 Mars 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/57862

APPELANT

Monsieur [I] [G]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 2]

Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

assisté de Me Fabienne MOLURI, avocat au barreau de LILLE

INTIMEES

Société GOOGLE INC agissant en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3] ETATS-UNIS

SARL GOOGLE FRANCE à associé unique, agissant en la personne de son gérant

[Adresse 3]

[Localité 4]

N° SIRET : 443 061 8411

Représentées par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

assistées de Me Aurelie BREGOU, substituant Me Pierre DEPREZ du cabinet DEPREZ GUIGNOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS , toque : P 221

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Octobre 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne-Marie GRIVEL, Conseillère et Mme Mireille QUENTIN DE GROMARD, Conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Martine ROY-ZENATI, Premier Président de chambre

Mme Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Mme Mireille QUENTIN DE GROMARD, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Véronique COUVET

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Martine ROY-ZENATI, président et par Mme Véronique COUVET, greffier.

M. [I] [G], qui exerce la profession d'expert-comptable et de commissaire aux comptes, a été condamné le 17 novembre 2011 par le tribunal correctionnel de Metz pour escroquerie et tentative d'escroquerie à la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d'amende, avec l'obligation de rembourser à l'administration fiscale la somme de 257 257 euros, cette décision ayant été confirmée le 9 octobre 2013 par la cour d'appel de Metz, laquelle a porté la peine d'emprisonnement à dix mois avec sursis, le pourvoi en cassation interjeté par l'intéressé ayant été rejeté le 11 mars 2015. Deux comptes rendus d'audience ont été publiés sur le site internet du journal le Républicain Lorrain le 18 novembre 2011et le 15 novembre 2013 et restent accessibles aujourd'hui encore sur le moteur de recherche de Google lorsque sont saisis les nom et prénom de '[I] [G]'. Les sociétés Google France et Google Inc. n'ayant pas accédé à sa demande de suppression des deux liens, celui-ci les a assignées en référé d'heure à heure, par acte d'huissier du 18 juillet 2016, afin d'obtenir leur condamnation sous astreinte à supprimer les données litigieuses le concernant du moteur de recherche.

Par ordonnance de référé en date du 9 mars 2017, le président du tribunal de grande instance de Paris a :

- prononcé la mise hors de cause de la société Google France ;

- prononcé la nullité de l'assignation délivrée à la société Google Inc. ;

- déclaré recevable l'intervention volontaire à l'instance de la société Google Inc. ;

- débouté M. [I] [G] de ses demandes de déréférencement ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [G] aux dépens.

Par déclaration du 4 avril 2017, M. [I] [G] a interjeté appel de cette ordonnance.

Par conclusions transmises le 24 octobre 2017, il demande à la cour de :

- réformer l'ordonnance du 9 mars 2017 ;

- condamner la société Google Inc. à supprimer, de la liste des résultats d'une recherche effectuée sur son moteur de recherche à partir des prénom et nom "[I] [G]", les deux liens renvoyant vers les pages des sites web du Républicain Lorrain, à savoir :

www.republicain-lorrain.fr/actualite/2011/11/18/fraude-a-la-tva-comptable-condamne

www.republicain-lorrain.fr/moselle/2013/11/15/peine-aggravee-pour-l-expert-comptable-messin.

- condamner Google Inc. au paiement d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 7ème jour suivant la signification de la décision ;

- condamner Google Inc. au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, qui seront recouvrés par la société BDL Avocats conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Il fait valoir :

- que, conformément à l'arrêt dit "Google Spain" de la CJUE du 13 mai 2014, les articles 12, b), et 14, premier alinéa, a), de la directive du 24 octobre 1995 doivent être interprétés en ce que 'l'exploitant d'un moteur de recherche est obligé de supprimer de la liste de résultat, affichée à la suite d'une recherche effectuée à partir du nom d'une personne, des liens vers des pages web publiés par des tiers et contenant des informations relatives à cette personne, également dans l'hypothèse où ce nom et ces informations ne sont pas effacés préalablement ou simultanément de ces pages web, et ce, le cas échéant, même lorsque leur publication en elle-même sur lesdites pages est licite', que 'dans le cadre de l'appréciation des conditions d'application de ces dispositions, il convient notamment d'examiner si la personne concernée a un droit à ce que l'information en question relative à sa personne ne soit plus, au stade actuel, liée à son nom par une liste de résultats affichée à la suite d'une recherche effectuée à partir de son nom, sans pour autant que la constatation d'un tel droit présuppose que l'inclusion de l'information en question dans cette liste cause un préjudice à cette personne' ; que 'cette dernière pouvant, eu égard à ces droits fondamentaux au titre des articles 7 et 8 de la Chartre, demander que l'information en question ne soit plus mise à la disposition du grand public du fait de son inclusion dans une telle liste de résultats, ces droits prévalent, en principe, non seulement sur l'intérêt économique de l'exploitant du moteur de recherche, mais également sur l'intérêt de ce public à accéder à ladite information lors d'une recherche portant sur le nom de cette personne', et que 'tel ne serait pas le cas, s'il apparaissait pour des raisons particulières, tel que le rôle joué par ladite personne dans la vie publique, que l'ingérence dans ces droits fondamentaux est justifiée par l'intérêt prépondérant dudit public à avoir, du fait de cette inclusion, accès à l'information en question' ;

- que, conformément à l'article 8, paragraphe 5 de la directive du 24 octobre 1995, le traitement de données relatives aux infractions, aux condamnations pénales ou aux mesures de sûreté ne peut être effectué que sous le contrôle de l'autorité publique ou si des garanties appropriées et spécifiques sont prévues par le droit national, sous réserve des dérogations qui peuvent être accordées par l'Etat membre sur la base de dispositions nationales prévoyant des garanties appropriées et spécifiques, ce que rappelle l'article 9 de la loi du 6 janvier 1978, dont ne peut se prévaloir un moteur de recherche qui ne bénéficie pas de l'exception journalistique ;

- que la mention d'une condamnation pénale est une donnée à caractère personnel ;

- que l'exploitant d'un moteur de recherches n'ayant pas pour activité le journalisme ou l'expression artistique ou littéraire ne peut invoquer à son profit les exceptions inhérentes au traitement de données personnelles effectué aux fins de journalisme ;

- que les dispositions susvisées doivent être interprétées à la lumière de l'article 17 du Règlement général sur la protection des données qui entrera en vigueur en 2018 et qui prévoit que la personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement l'effacement de données à caractère personnel, et le responsable du traitement a l'obligation d'effacer ces données dans les meilleurs délais, lorsqu'elles ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ;

- qu'en l'espèce, le journal Le Républicain Lorrain a lui-même procédé à l'archivage des données, si bien que la société Google ne peut pas se fonder sur l'exercice de la liberté d'expression et d'information puisque les données ont été archivées par les éditeurs de presse et que la finalité de la publication, soit la diffusion de comptes rendus d'audiences contemporains à la publication, a disparu ;

- que la CJUE estime dans son arrêt du 13 mai 2004 que l'ingérence dans les droits fondamentaux pourrait être justifiée par l'intérêt prépondérant du public à connaître de l'information ; que cet exception n'est pas spécifiquement posée dans le domaine des condamnations pénales qui font l'objet d'un principe et d'une exception dans la directive de 1995 ; qu'ainsi la société Google Inc. ne peut invoquer à son profit "une dérogation portant sur tous les domaines" et qu'en tout état de cause, l'application de cette règle nécessite que soit opéré un contrôle de proportionnalité ;

- qu'en l'espèce, l'information n'est plus "d'actualité", le procès étant ancien, les articles archivés par l'éditeur ; que la CNIL s'est prononcée pour une anonymisation des décisions de justice ; que la publication d'une sanction pénale sur un support numérique a une portée punitive non limitée dans le temps et qu'elle est donc disproportionnée ;

- que la condamnation est intervenue pour des faits relevant d'une opération patrimoniale privée sans rapport avec son activité professionnelle, que la publication lui cause un trouble professionnel alors qu'en outre, il ne joue aucun rôle dans la vie publique, si bien qu'il n'existe pas d'intérêt pour le public de connaître cette information ;

- qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il s'estime donc bien fondé à obtenir le retrait des deux liens renvoyant aux publications archivées par le journal Le Républicain Lorrain.

Par conclusions transmises le 19 octobre 2017, les sociétés Google Inc. et Google France demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance entreprise ;

- débouter M. [I] [G] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner M. [G] à payer à la société Google France la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à la société Google Inc. la somme de 3 000 euros sur ce même fondement ;

- condamner M. [I] [G] aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

- dire que les dépens d'appel pourront être recouvrés directement par la société Lexavoué-Paris-Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Elles font valoir :

- que l'assignation délivrée à la société Google Inc. étant nulle, celle-ci était recevable en son intervention volontaire, étant seule responsable du traitement opéré sur google.fr, et que la société Google France doit être mise par voie de conséquence hors de cause ;

- que le moteur de recherche, saisi d'une demande de déréférencement que ce soit dans le cas de l'article 40 ou de l'article 38 de la loi du 6 janvier 1978, doit l'apprécier en recherchant un juste équilibre entre l'intérêt du public à avoir accès à l'information en question et les droits fondamentaux de la personne en cause ;

- que l'article 17 du règlement général européen sur la protection des données, qui n'entrera en vigueur que le 25 mars 2018, dispose que la personne concernée a le droit d'obtenir l'effacement des données à caractère personnel lorsqu'elles ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées, ou traitées d'une autre manière, ou que la personne s'oppose au traitement pour des raisons tenant à sa situation particulière, ce droit ne s'appliquant pas lorsque ce traitement est nécessaire à l'exercice du droit à la liberté d'information ;

- que le référencement des deux liens est légitime dès lors que la société Google Inc. ne réalise pas un traitement de données à caractère personnel tendant à la constitution d'un fichier de condamnations pénales, si bien que le fait de référencer des articles de presse évoquant des décisions de justice ne peut être assimilé à l'édition d'une base de données de décisions de justice, seule visée à l'article 9 de la loi du 6 janvier 1978 et par la délibération n°01-057 de la CNIL du 29 novembre 2001 posant l'obligation d'anonymisation des décisions de justice ;

- que les condamnations datent du 17 novembre 2011 et du 9 octobre 2013, qu'un pourvoi en cassation a été rejeté il y a à peine deux ans, et que le sursis court jusqu'en mars 2020, si bien que les données en cause ne sont pas périmées ;

- que les articles de presse n'ont pas été supprimés du site internet du journal Le Républicain Lorrain mais simplement archivés et que les abonnés y ont encore accès, que les données collectées incluent les archives et que la Cour européenne des droits de l'Homme comme la Cour de cassation ont reconnu leur importance pour protéger la liberté de la presse ; qu'ainsi, la finalité d'un moteur de recherche n'est pas d'exclure les résultats "anciens", que cela contreviendrait aux principes d'ouverture et de neutralité de l'Internet ;

- que la fraude commise est en lien étroit avec l'activité de M. [G], qui est membre d'une profession réglementée, et que sa vie privée n'est pas en cause dès lors que les faits livrés à la connaissance du public par les comptes rendus judiciaires sortent de la sphère de la vie privée, et que la liberté d'expression et le droit du public à l'information justifient que l'on puisse évoquer cette affaire judiciaire ; qu'il existe un intérêt prépondérant du public à avoir accès à ces informations ;

- que la CNIL enfin considère qu'un critère pertinent pour déterminer s'il y a lieu d'ordonner le déréférencement est de "savoir si l'accès du public à une information particulière participe de sa protection contre des comportements publics ou professionnels contestables" et que tel est le cas en l'espèce, les faits ayant été commis au détriment de la collectivité.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions transmises et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS

Considérant que conformément à l'article 3 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, dite loi informatique et liberté, modifiée par la loi n°2004-801 du 6 août 2004, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, qui assure la transposition de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, 'le responsable d'un traitement de données à caractère personnel est, sauf désignation expresse par les dispositions législatives relatives à ce traitement, la personne, l'autorité publique, le service ou l'organisme qui détermine ses finalités et ses moyens' ; qu'il ressort des pièces produites et qu'il n'est pas discuté que la société Google Inc. exploite le moteur de recherche Google Web Search (Google), et est le responsable du traitement des données opéré au moyen de ce moteur de recherche, à l'exclusion de la société Google France, qui n'a pour seule activité que de fournir des prestations de marketing auprès de la clientèle française comme support d'assistance à la vente de la société américaine, pour laquelle elle ne peut agir comme mandataire ; qu'il convient donc de confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a mis hors de cause la société Google France, et reçu l'intervention volontaire de la société Google Inc. après avoir constaté la nullité de son assignation, points qui ne font plus l'objet de discussion en appel, les conclusions de l'appelant n'étant prises qu'à l'encontre de Google Inc. ;

Considérant que par application de l'article 809 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal de grande instance peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit ; que bien que l'appelant ne précise pas le fondement de sa demande en référé, sa demande de suppression sous astreinte des deux liens le concernant apparaissant sur le site Google ne peut être fondée que sur ces dispositions ;

Considérant qu'aux termes de l'article 40 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, modifiée par la loi n°2004-801 du 6 août 2004, toute personne physique peut demander à un moteur de recherche de supprimer de la liste des résultats toutes les données à caractère personnel qui sont inexactes, incomplètes, équivoques, périmées, ou dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite et qu'en application de l'article 38 modifié de la même loi, elle peut plus généralement s'opposer pour des motifs légitimes à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement ; que ces dispositions assurant la transposition de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, spécialement de ses articles 12 et 14, elles doivent donc s'interpréter au regard de ladite directive et compte tenu de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne ; que comme l'a dit pour droit la CJUE dans l'arrêt du 14 mai 2014 -affaire Google Spain SL, Google Inc./AEPD, Costeja Gonzalez-, l'exploitant d'un moteur de recherche est tenu de supprimer de la liste des résultats d'une recherche effectuée à partir du nom d'une personne les liens vers des pages Internet contenant des informations relatives à cette personne, quand bien même leur publication ne serait pas illicite et sans que la recevabilité de la demande soit subordonnée à la preuve de l'existence d'un préjudice, le droit à la protection des données personnelles, posé par l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, prévalant, en principe, sur le droit à l'information, sauf s'il existe un motif particulier à ce que le public dispose desdites informations ; que ce droit au déréférencement consiste ainsi, non à faire disparaître du site source l'information litigieuse, mais à rendre impossible de retrouver ledit site à partir d'une recherche comprenant le nom et le prénom de la personne intéressée ; que pour être fondamental, ce 'droit à l'oubli'n'en est cependant pas pour autant absolu, et comporte donc, selon la CJUE, une exception tenant au droit à l'information, -lui-même protégé par l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux-, du moins s'il existe des 'raisons particulières, telles que le rôle joué par ladite personne dans la vie publique', justifiant que l'ingérence dans ses droits fondamentaux soit primée par l'intérêt prépondérant du public à avoir accès à l'information en question ; que le trouble manifestement illicite auquel l'appelant demande de mettre fin résulte de ce que le second serait exercé abusivement au détriment de l'autre, étant observé que la CJUE a, dans l'arrêt précité, fixé une hiérarchie entre les deux droits fondamentaux en posant comme principe le droit au déréférencement de ses données à caractère personnel et comme exception l'intérêt particulier du public ;

Considérant qu'il est constant que les deux publications litigieuses sur le site Google qui relatent la condamnation pénale dont a fait l'objet Monsieur [G] contiennent des données à caractère personnel au sens de la loi du 6 janvier 1978 ; que l'appelant n'en demande pas la suppression au motif qu'elles seraient inexactes, incomplètes, équivoques, périmées ou illicites, -si bien que la discussion relative à la durée restant à courir du sursis est sans intérêt en l'espèce, l'information n'étant ni périmée ni illicite comme pourrait l'être la publication d'une condamnation amnistiée, tout comme l'est celle relative à l'absence d'anonymisation des deux articles puisqu'il ne s'agit pas du traitement d'une base de données juridiques-, mais bien en ce qu'il aurait un motif légitime à voir disparaître toute référence à des condamnations anciennes qui génère un trouble dans l'exercice de sa vie professionnelle ; qu'il convient, ainsi qu'il vient d'être vu, de rappeler à cet égard que l'intéressé n'a pas à justifier du préjudice que lui causerait l'existence des deux liens litigieux, -qui apparaissent en troisième position sur Google lors d'une recherche effectuée à partir de son nom- ; qu'en revanche, il importe donc de rechercher 'le juste équilibre', selon les termes de la CJUE, entre son droit à la protection de ses données à caractère personnel et l'intérêt légitime des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à l'information relative à sa condamnation pénale ; qu'à cet égard, il convient de relever que si la finalité poursuivie par le journal 'Le Républicain lorrain', au sens de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, était de donner une information sur l'actualité judiciaire d'intérêt local, information journalistique rapidement dépassée, ce qui explique l'archivage des deux articles sur son site, celle de Google est nécessairement différente de par son activité même de moteur de recherche, et peut légitimer le traitement des mêmes données à caractère personnel pour une durée différente, condition exigée à leur conservation posée par l'article 6 susvisé ; que par ailleurs, si les données litigieuses ne sont pas relatives à la vie professionnelle de l'intéressé, -l'infraction d'escroquerie au fisc ayant été commise dans le cadre de la sphère privée de Monsieur [G]-, il n'en reste pas moins que leur référencement conserve un caractère pertinent en raison de la profession même de ce dernier, qui est amené en sa qualité d'expert-comptable à donner des conseils de nature fiscale à ses clients et dont la condamnation a révélé, à tout le moins, un manque de prudence et de discernement dans ce domaine ; que ses fonctions de commissaire aux comptes chargé de contrôler la sincérité et la régularité des comptes des sociétés appellent de surcroît une probité particulière que sa condamnation a entachée, ce qui intéresse le public ; qu'enfin, au regard du seul critère à ce jour posé par la CJUE, l'intérêt du public à avoir une information varie notamment en fonction du rôle joué par la personne concernée dans la vie publique, et qu'en sa qualité de membre d'une profession réglementée, Monsieur [G] doit être naturellement considéré comme ayant un rôle dans la vie publique, qui justifie que le public puisse avoir accès à une information qui conserve, comme il vient d'être vu, un lien avec sa profession ; qu'en conséquence, aucun trouble manifestement illicite n'apparaît caractérisé en l'espèce et l'ordonnance déférée doit être confirmée en toutes ses dispositions ;

Considérant que le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge ; qu'en appel, si Monsieur [G], partie perdante, doit supporter les dépens, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile, il ne paraît en revanche pas inéquitable de laisser à la charge des intimées leurs frais irrépétibles ;

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

Confirme l'ordonnance de référé du 2 mai 2017 du tribunal de grande instance de Paris,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [G] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par la société Lexavoué-Paris-Versailles.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 17/07204
Date de la décision : 06/12/2017

Références :

Cour d'appel de Paris A3, arrêt n°17/07204 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-12-06;17.07204 ?
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