Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 05 DECEMBRE 2017
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/24961
Décision déférée à la Cour :Sentence partielle du 6 novembre 2015 rendue par le tribunal arbitral composé de MM. [F] et [W], arbitres, et de M. [C], président et ordonnance d'exequatur rendue le 23 novembre 2015 par le président du tribunal de grande instance de Paris
DEMANDERESSE AU RECOURS :
RÉPUBLIQUE TOGOLAISE représentée par le garde des Sceaux, ministre de la justice chargé des relations avec les institutions de la République
[Adresse 6]
[Localité 8] - TOGO
représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477
assistée de Me Andréa PINNA, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : K35 et Me Alexis Coffi AQUEREBURU et Me Tchitchao TCHALIM, avocats du barreau du TOGO
DÉFENDERESSES AU RECOURS :
S.A.S. ACCOR AFRIQUE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : K0065
assistée de Me Christophe SERAGLINI et Me Jean-Georges BETTO, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : C2477
SOCIÉTÉ TOGOLAISE D'INVESTISSEMENT ET D'EXPLOITATION HÔTELIÈRE 'STIEH'
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 5]
[Localité 8] - TOGO
représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : K0065
assistée de Me Christophe SERAGLINI et Me Jean-Georges BETTO, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : C2477
S.A. ACCOR nom commercial 'ACCORHOTELS'
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : K0065
assistée de Me Christophe SERAGLINI et Me Jean-Georges BETTO, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : C2477
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 31 octobre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Dominique GUIHAL, présidente
Mme Dominique SALVARY, conseillère
M. Jean LECAROZ, conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Dominique GUIHAL, présidente et par Mme Mélanie PATE, greffier présent lors du prononcé.
Par un contrat du 18 février 1998, la République togolaise a donné à bail à Accor Afrique SAS un ensemble immobilier situé à [Localité 8], dénommé [7]. La durée du bail était fixée à quinze années renouvelables. Le preneur s'engageait à réaliser d'importants travaux avant l'ouverture de l'établissement.
Un différend portant sur l'ampleur des travaux est survenu entre les parties à la suite d'un rapport de visite diligentée par la République togolaise en juillet 2008. Le 24 avril 2013, Accor Afrique a notifié au bailleur sa demande de renouvellement du contrat pour le compte de sa filiale togolaise, la Société togolaise d'investissement et d'exploitation hôtelière (STIEH). La République togolaise a répondu par une lettre du 27 mai 2013 que le preneur était déchu de son droit à renouvellement pour l'avoir exercé tardivement.
Mise en demeure de libérer les lieux, Accor Afrique a déposé auprès de la Chambre de commerce internationale le 12 mai 2014 une demande d'arbitrage pour son compte et pour celui de la STIEH.
Par une ordonnance de référé du 11 juillet 2014, confirmée en appel le 7 mai 2015, le président du tribunal de grande instance de Lomé a ordonné l'expulsion d'Accor Afrique sous astreinte. Cette décision a été immédiatement exécutée.
Le 6 mars 2015, la République togolaise a assigné au fond devant le tribunal de première instance de Lomé Accor Afrique, STIEH, ainsi que la société Accor SA, en sa qualité de caution, pour obtenir leur condamnation solidaire à payer une somme de 22 milliards FCFA (environ 34 millions d'euros) au titre de loyers impayés et en réparation des préjudices d'image et financiers résultant des manquements contractuels dans l'exploitation de l'hôtel et de la libération tardive des lieux.
Le 30 mars 2015, Accor SA a présenté une demande d'arbitrage à la C.C.I. relativement au cautionnement stipulé par le contrat de bail.
Le 6 novembre 2015, le tribunal arbitral composé de MM. [F] et [W], arbitres, et de M. [C], président a rendu une sentence partielle rejetant les exceptions d'incompétence ratione personae et ratione materiae et se déclarant compétent pour trancher les questions soumises par l'ensemble des parties, à titre principal, d'une part, par Accor Afrique SAS et la STIEH au titre du contrat de bail commercial et, d'autre part, par Accor SA au titre du contrat de cautionnement, et à titre reconventionnel par la République togolaise.
Cette dernière a formé un recours contre la sentence le 7 décembre 2015.
Par des conclusions notifiées le 16 octobre 2017, elle demande à la cour d'en prononcer l'annulation pour incompétence du tribunal arbitral, ainsi que l'annulation ou l'infirmation de l'ordonnance d'exequatur rendue le 23 novembre 2015 par le président du tribunal de grande instance de Paris, de rejeter les prétentions des parties adverses et de les condamner solidairement à lui payer la somme de 80.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par des conclusions notifiées le 27 septembre 2017, les sociétés Accor SA, Accor Afrique SAS et STIEH demandent à la cour de rejeter le recours, de débouter la demanderesse de ses prétentions et de la condamner à payer les sommes de 50.000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive et 80.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile;
SUR QUOI :
Sur le moyen unique d'annulation tiré de l'incompétence du tribunal arbitral (article 1520, 1° du code de procédure civile) :
La République togolaise expose que la clause compromissoire porte sur les seuls différends découlant de l'interprétation du contrat et qu'elle n'est donc pas applicable au présent litige relatif à l'exécution de la convention.
Considérant que le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage et d'en déduire les conséquences sur le respect de la mission confiée aux arbitres;
Considérant que le bail commercial conclu le 18 février 1998 entre la République togolaise et la société Accor Afrique SAS avec le cautionnement de la SA Accor comporte un article 12 'Droit applicable et résolution des litiges' qui stipule :
'Le présent bail est régi par le droit togolais.
Tout différend né de l'interprétation ou de l'exécution du présent bail est réglé à l'amiable.
A défaut d'accord amiable, tous différends découlant de l'interprétation du présent contrat seront tranchés définitivement selon le règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, par un ou plusieurs arbitres nommés conformément à ce règlement. Le lieu d'arbitrage sera Paris.';
Considérant que la République togolaise se prévaut des différences de rédaction du deuxième et du troisième alinéas pour soutenir que l'intention des parties était d'exclure de l'arbitrage les litiges qui ne portaient pas sur l'interprétation du contrat et spécialement ceux qui concernaient son exécution; que les défenderesses soutiennent pour leur part que les alinéas deux et trois ne sont pas autonomes, qu'ils sont liés par l'expression 'à défaut d'accord amiable' et que l'ensemble constitue une 'clause d'escalade' dans laquelle les deux modes de règlement ont vocation à régir, successivement en cas d'échec du premier, les mêmes litiges;
Considérant qu'il apparaît ainsi que la portée de la clause compromissoire est ambiguë et, par conséquent, sujette à interprétation;
Considérant qu'il est de principe en droit international de l'arbitrage que l'interprétation des contrats consiste à rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes; que cette recherche doit notamment s'inspirer du principe de l'effet utile qui présume que les parties ont entendu donner une portée effective aux stipulations qu'elles ont introduites dans leurs conventions;
Considérant qu'en l'espèce, la volonté des contractants de recourir à l'arbitrage sous l'égide de la Chambre de commerce internationale résulte clairement de la clause litigieuse; que le contrat ne prévoit d'ailleurs pas d'autre mode contentieux de règlement des différends sauf, à l'article 10, l'intervention du juge des référés pour ordonner l'expulsion des lieux loués;
Considérant que la clause compromissoire ne saurait donc s'entendre en un sens qui priverait d'efficacité l'intervention des arbitres en scindant un même litige entre la juridiction arbitrale et des juridictions étatiques de fond;
Considérant qu'il s'en déduit que l'intention des parties n'a pas été d'opposer les alinéas 2 et 3 de l'article 12 et de réduire l'arbitrage aux seules questions d'interprétation du contrat, mais, au contraire, d'étendre la compétence des arbitres, comme cela est d'ailleurs expressément stipulé, à tout ce qui 'découle' de l'interprétation, c'est-à-dire, à toutes les demandes portant sur l'exécution des obligations contractuelles dont la consistance est discutée;
Considérant qu'en l'espèce, le tribunal arbitral était saisi, d'une part, d'une demande d'indemnité d'éviction et de réparation du préjudice d'image présentée par les sociétés Accor Afrique et STIEH, d'autre part, d'une demande de la caution, Accor SA, tendant à voir dire le cautionnement nul ou inapplicable aux dommages-intérêts demandés par la République togolaise ou sans objet faute de créance de celle-ci à l'égard d'Accor Afrique et de la STIEH, enfin, d'une demande reconventionnelle de la République togolaise d'indemnités en réparation de l'inexécution par le preneur de ses obligations contractuelles;
Considérant qu'ainsi que cela résulte des écritures des parties, leur différend portait en substance sur deux questions : d'une part, quels étaient les travaux impliqués par le standard international homologué '4 étoiles' par référence auquel étaient stipulées les obligations de rénovation et d'embellissements à la charge du preneur, d'autre part, quelle était la portée de l'article 4-2 du bail - clause de préavis ou clause de rendez-vous - et quelle était la date d'entrée en vigueur du contrat, qui déterminaient les conditions de son renouvellement; que de ces points, qui portent sur l'interprétation de la convention, découlaient toutes les demandes de condamnations pécuniaires formées par les parties; que le tribunal arbitral était donc compétent pour en connaître, ainsi que des défenses qui y étaient opposées;
Considérant que le moyen unique tiré de l'article 1520, 1° du code de procédure civile sera écarté et le recours en annulation rejeté;
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Considérant que la République togolaise, qui succombe, ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sera condamnée sur ce fondement à payer aux défenderesses la somme globale de 30.000 euros;
PAR CES MOTIFS :
Rejette le recours en annulation de la sentence partielle rendue à Paris entre les parties le 6 novembre 2015.
Condamne la République togolaise aux dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et au paiement à la SAS Accor Afrique, à la SA Accor et à la Société togolaise d'investissement et d'exploitation hôtelière de la somme de 30.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE