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01/12/2017 | FRANCE | N°15/23515

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 01 décembre 2017, 15/23515


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 6



ARRÊT DU 01 DÉCEMBRE 2017



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/23515



Décision déférée à la cour : jugement du 09 octobre 2015 - Tribunal de grande instance de PARIS - RG n° 13/04303





APPELANTE



Madame [I] [V] veuve [P]

née le [Date naissance 1] 1933 au [Localité 1]

[

Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Marie-Laure BONALDI, avocate au barreau de PARIS, toque : B0936

Ayant pour avocat plaidant Me Dominique CASANOVA, avocat au barreau de PARIS, toque : C2...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRÊT DU 01 DÉCEMBRE 2017

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/23515

Décision déférée à la cour : jugement du 09 octobre 2015 - Tribunal de grande instance de PARIS - RG n° 13/04303

APPELANTE

Madame [I] [V] veuve [P]

née le [Date naissance 1] 1933 au [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Marie-Laure BONALDI, avocate au barreau de PARIS, toque : B0936

Ayant pour avocat plaidant Me Dominique CASANOVA, avocat au barreau de PARIS, toque : C28

INTIMÉE

SA COGEFI CONSEIL DE GESTION FINANCIÈRE agissant poursuites et diligences de tous représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 622 020 030

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Ayant pour avocat Me Martine SAMUELIAN du Cabinet JEANTET ASSOCIÉS, avocate au barreau de PARIS, toque : T04 substituée par Me Virginia BARAT, avocate au barreau de PARIS, toque : T04

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 octobre 2017, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Françoise CHANDELON, présidente de chambre

Monsieur Marc BAILLY, conseiller

Madame Christine SOUDRY, conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de Procédure Civile.

GREFFIÈRE, lors des débats : Madame Corinne de SAINTE MARÉVILLE

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Françoise CHANDELON, présidente et par Madame Josélita COQUIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A la suite du décès de son époux, survenu le [Date décès 1] 2000, Madame [I] [V] veuve [P] disposait, dans les livres de la société Conseil de Gestion Financière (COGEFI) avec qui son couple était entré en relation depuis l'année 1996, de trois comptes qui seront désignés par leur quatre derniers chiffres :

- un plan épargne en actions (PEA) n°[Compte bancaire 1], dont elle avait confié la gestion à COGEFI le 25 avril 1996,

- deux compte-titres n°[Compte bancaire 2] et [Compte bancaire 3].

Elle souscrivait par son intermédiaire, le 6 septembre 2000 un contrat d'assurance vie auprès des Mutuelles du Mans Vie abondé à hauteur de 10 millions de francs.

Le compte [Compte bancaire 3] a été clôturé le 4 décembre 2003 et ses actifs transférés sur le compte [Compte bancaire 2].

Ce compte et le PEA ont été transférés dans un établissement concurrent les 31 mai et 1er juin 2004 conformément à la demande formulée par Madame [P] le 4 mai 2004.

Par jugement irrévocable du 16 décembre 2014, le tribunal de grande instance du Mans a validé la renonciation opérée par Madame [P] le 15 février 2013 du contrat d'assurance-vie et a ordonné à l'assureur de restituer la prime versée déduction faite des rachats opérés.

Reprochant à COGEFI différents manquements à l'origine de la dégradation subie par son portefeuille jusqu'à la rupture de leurs relations, Madame [P], après avoir saisi le médiateur de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) le 5 mars 2012, a engagé la présente procédure par exploit du 20 mars 2013.

Par jugement du 9 octobre 2015, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré son action prescrite et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de 2 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 23 novembre 2015, Madame [P] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions du 17 février 2016, elle demande à la cour d'infirmer la décision en ce qu'elle a déclaré son action prescrite et de condamner la société COGEFI à lui verser les sommes suivantes :

- 3 189 860,92 € avec intérêts légaux à compter de la délivrance de la présente, pour ce qui concerne le compte-titre.

Cette somme correspond aux pertes enregistrées par le compte entre le 29 décembre 2000 et le 30 avril 2004, déduction faite des retraits opérés.

- 80 621,09 € avec intérêts légaux à compter de la délivrance de la présente, pour ce qui concerne le PEA.

Cette somme correspond à la perte de valeur du PEA entre le 30 juin 2000 et le 30 avril 2004.

- 1 748 637,04 € avec intérêts légaux à compter de la délivrance de la présente assignation, au titre de la perte de chance de réaliser un investissement sécuritaire à la suite du décès de son époux.

La somme réclamée correspond d'une part aux intérêts légaux produits par les sommes de 7 026 331,94 €, valeur des comptes titres à la date du 29 décembre 2000 et de 280089,35€, valeur du PEA au 30 juin 2000, d'autre part au rendement qu'aurait pu lui assurer une assurance-vie en supports euro.

- 10.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions du 14 avril 2016, la société COGEFI sollicite principalement la confirmation du jugement et réclame une indemnité de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 septembre 2017.

CELA ETANT EXPOSE,

LA COUR

Considérant que Madame [P] reproche en substance à son prestataire de service d'investissement (PSI) de n'avoir pas satisfait aux obligations prescrites par l'article L513-13 du code monétaire et financier à savoir de s'enquérir de ses objectifs d'investissement comme de ses capacités financières à faire face au risque et de son aptitude à l'appréhender;

Qu'elle soutient ainsi que mariée très jeune, elle ne s'est jamais impliquée dans la gestion du patrimoine commun, alors encore que son époux était un financier averti ;

Que si elle ne remet pas en cause les choix opérés par ce dernier, elle considère que le PSI devait prendre en compte sa différence de profil après sa disparition ;

Considérant qu'elle reproche encore à la société COGEFI, dont elle soutient qu'elle disposait d'un mandat de gestion sur les comptes titres, un recours abusif au placement en OPCVM au détriment des fonds monétaires et/ou valeurs immobilières et de ne pas avoir modifié cette orientation lorsque la conjoncture économique a été défavorable;

Qu'elle lui fait encore grief de lui avoir conseillé de souscrire une assurance vie en unités de comptes plutôt que vers un fonds euro à une époque où elle se proposait de vendre son portefeuille, alors bien valorisé, exposant que le PSI devait, selon les termes du mandat signé, opérer une gestion diversifiée en bon père de famille ;

Considérant que pour conclure au rejet de la fin de non recevoir tirée de la prescription, elle soutient n'avoir pris conscience des fautes reprochées à son mandataire qu'à la suite de leurs échanges de correspondances en 2003 et 2004, ignorant auparavant si les pertes enregistrées étaient dues à la crise ou à sa mauvaise gestion ;

Qu'en toute hypothèse elle considère que le point de départ de la prescription doit être fixé au 4 mai 2004, date à laquelle elle a clôturé ses comptes et résilié le mandat, ajoutant que la situation de son portefeuille continuait à se dégrader à cette date, de sorte que le préjudice se poursuivait ;

Sur le droit applicable

Considérant que l'article L513-13 du code monétaire et financier entré en vigueur le 1er novembre 2007 à la suite de la transposition de la directive MIF n'a pas vocation à régir l'hypothèse d'espèce ;

Qu'à la date du décès de son époux, le règlement 96-03 de la Commission des Opérations de Bourse se bornait à imposer au PSI, avant d'accepter un mandat de gestion, de s'enquérir des objectifs, de l'expérience et de la situation du client potentiel ainsi que de lui communiquer toute information utile pour lui permettre de prendre une décision d'investissement conforme à ses attentes ;

Considérant que toute relation contractuelle ayant cessé entre les parties en mai 2004, le point de départ du délai de prescription de l'article L110-4 du code de commerce, n'est pas celui de l'article 2224 du code civil, entré en vigueur le 19 juin 2008 ;

Qu'il doit être fixé à la date de la réalisation du dommage ou de sa révélation à la victime si cette dernière établit qu'elle n'en avait pas connaissance auparavant ;

Sur l'analyse des prétentions

Considérant que c'est à tort que Madame [P] soutient avoir confié à COGEFI la gestion de ses comptes titres ;

Qu'il n'est en effet produit qu'un seul mandat, celui qu'elle a signé le 23 avril 1996 pour le PEA et qu'elle ne peut invoquer d'arbitrages du PSI sur les comptes titres au seul motif que celui-ci procédait à des ventes d'actifs pour permettre le virement mensuel de 22800 € sur son compte courant n°[Compte bancaire 2], dont elle avait exigé la mise en oeuvre comme le démontrent les relevés produits qu'elle n'a jamais contestés ou opérait des souscriptions complémentaires de titres de même nature que ceux composant son portefeuille, lorsqu'elle remettait des chèques, les autres avis invoqués ayant trait à des opérations sur lesquelles COGEFI n'avait aucune maîtrise (division, échange, attribution, indemnisation, crédit coupons) ;

Sur la prescription

Considérant qu'il convient de distinguer, dans les demandes formées par Madame [P], celles visant à obtenir la compensation des pertes subies qui ont trait à une exécution, jugée défectueuse, du contrat de celles tendant à obtenir l'indemnisation d'une perte de chance d'avoir opéré un placement plus judicieux, si le PSI avait satisfait à ses obligations d'information, une telle obligation s'imposant, selon l'argumentation développée par l'appelante, à la date à laquelle elle a repris la gestion du patrimoine commun dans les conditions précitées (2ème semestre 2000) ;

Sur les fautes de gestion alléguées

Considérant qu'en arrêtant ses pertes au mois de mai 2004, Madame [P] se prévaut d'une gestion défaillante de ses avoirs jusqu'au terme du contrat de sorte que de telles demandes n'étaient pas prescrites à la date de la saisine du médiateur de l'AMF, le 5 mars 2012 ;

Que le jugement sera infirmé de ce chef ;

Mais considérant que comme il vient d'être précisé, la société COGEFI ne saurait se voir reprocher une mauvaise gestion des comptes titres ou de l'assurance-vie alors qu'elle n'était pas mandatée pour y procéder ;

Et considérant, s'agissant du PEA, que si l'article 4 du contrat de mandat comporte, comme le soutient Madame [P], l'engagement pris par COGEFI, de gérer 'en bon père de famille', elle ne saurait sérieusement lui reprocher les supports d'investissement choisis, seules les actions ou OPCVM classifiés en actions y étant éligibles ;

Considérant ainsi qu'en l'absence de tout autre grief, Madame [P] ne rapportant pas la preuve du conseil qui lui aurait été donné par le PSI, et que ce dernier conteste, d'investir dans un contrat d'assurance-vie, étant encore observé qu'elle n'a pas sollicité de l'assureur, dans le cadre de la procédure de renonciation engagée, d'autre préjudice que moral, sa demande visant à faire supporter par COGEFI les conséquences d'une crise boursière de grande ampleur est mal fondée ;

Que le quantum des réclamations ne l'est pas davantage, au moins pour le compte titre, COGEFI soutenant, sans être contredit, que depuis l'origine les investissements avaient enregistré une plus value latente de 1 133 000 € (courrier du 17/02/2004) ;

Qu'elle sera déboutée de ses demandes ;

Sur les manquements aux règles de bonne conduite

Considérant que Madame [P] soutient que si le PSI avait satisfait à son obligation, qu'elle qualifie 'd'information' ou 'de conseil', elle aurait pu soit souscrire une assurance vie en fonds euros, soit modifier la composition de ses comptes titres pour investir dans de l'immobilier ou du monétaire ;

Qu'elle qualifie à bon droit de perte de chance le préjudice consécutif ;

Qu'il en résulte que ce préjudice s'est manifesté à la date de souscription du contrat d'assurance-vie, soit le 6 septembre 2000, puis dans les semaines suivant le décès de son époux, juin/juillet 2000 pour les comptes titres ;

Que la prescription alors décennale de l'article L110-4 du code de commerce, dont la durée n'a pas été prolongée par l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, était acquise à la date de saisine du médiateur de l'AMF ;

Et considérant que même à supposer, au regard des particularités de l'espèce, [O] [P] gérant seul le patrimoine commun, que COGEFI ait dû s'assurer que Madame [P] avait conscience du risque afférent à des placements opérés essentiellement en actions, permettant de reporter le point de départ du délai de prescription à la date à laquelle le risque s'est révélé, c'est à bon droit que le tribunal a retenu qu'il ne pouvait être différé au delà du 31 décembre 2001 ;

Qu'il résulte en effet des relevés trimestriels, que l'appelante ne conteste pas avoir reçus, que la valorisation du compte [Compte bancaire 3] dont la composition est restée inchangée a connu l'évolution suivante :

- 6 067 350 € le 31/12/2000,

- 5 369 100 € le 31/03/2001,

- 4 370 850 € le 30/09/2001,

celle du compte [Compte bancaire 2] s'établissant aux mêmes dates comme suit :

- 912 889,30 €,

- 849 468,29 €,

- 754 827,64 € ;

Que la même observation s'impose pour le contrat d'assurance vie qui avait perdu 26 % de sa valeur entre le 31 décembre 2000 et le 31 décembre 2001 ;

Que les relevés de compte détaillant la nature des titres comme la composition du portefeuille, leur seule lecture permettait à Madame [P] de se convaincre des risques encourus du fait des placements opérés de sorte qu'elle ne saurait retarder le point de départ du délai de prescription aux discussions ou rencontres qu'elle a eues avec son PSI, lesquelles n'apportent aucun élément nouveau, ce dernier se bornant à évoquer la crise sans précédent apparue au cours de cette période sans que Madame [P], qui admettait ne pas avoir modifié les orientations prises par son mari, ne lui fasse aucun grief précis ;

Considérant qu'il convient en conséquence, confirmant le jugement entrepris, d'accueillir la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par COGEFI ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à COGEFI une indemnité de 5 000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré prescrites les demandes d'indemnisation formées par Madame [I] [V] veuve [P] au titre des manquements contractuels de la société COGEFI ;

Statuant à nouveau de ce chef ;

Déclare l'action recevable mais mal fondée ;

Déboute Madame [I] [V] veuve [P] de ses demandes ;

Confirme pour le surplus les dispositions du jugement non contraires au présent arrêt ;

Condamne Madame [I] [V] veuve [P] au paiement d'une indemnité de 5 000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;

Condamne Madame [I] [V] veuve [P] aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 15/23515
Date de la décision : 01/12/2017

Références :

Cour d'appel de Paris I6, arrêt n°15/23515 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-12-01;15.23515 ?
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