RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 6
ARRÊT DU 29 Novembre 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/11061
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Novembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 12/11338
APPELANT :
Monsieur [O] [K]
[Adresse 1]
[Localité 1]
né le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me Jérémie BOULAY, avocat au barreau de PARIS, toque : D0748 substitué par Me Estelle CAMBER-ROUGE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0748
INTIMÉE :
SAS LA FINANCIÈRE RESPONSABLE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Philippe RENAUD, avocat au barreau de l'ESSONNE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Octobre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Séverine TECHER, Vice-Présidente Placée, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère
Madame Séverine TECHER, Vice-présidente placée
Greffier : Mme Martine JOANTAUZY, greffier lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire,
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Marie-Luce GRANDEMANGE, présidente et par Madame Martine JOANTAUZY, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [O] [K] a été engagé par la société La Financière Responsable suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 9 février 2009, en qualité de gérant-analyste ISR (investissement socialement responsable).
Entre le 16 février 2012 et le 2 mars 2012, puis à compter du 9 mars 2012, il a été en arrêt de travail pour cause de maladie.
Par lettre du 6 mars 2012, un avertissement a été notifié à M. [K].
Par lettre du 4 avril 2012, il a été licencié pour motif personnel.
La relation contractuelle était soumise à la convention collective nationale des sociétés financières du 22 novembre 1968.
L'entreprise employait habituellement moins de onze salariés lors de la rupture de cette relation.
Contestant le bien fondé de son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de l'intégralité de ses droits, M. [K] a saisi, le 12 octobre 2012, le conseil de prud'hommes de [Localité 4] qui, par jugement rendu le 15 novembre 2013, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :
- pris acte de la remise d'un chèque d'un montant de 122,22 euros à titre de rappel de salaire,
- condamné la société La Financière Responsable à payer à M. [K] les sommes de 12 664 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [K] du surplus de ses demandes,
- et condamné la société La Financière Responsable aux dépens.
Le 21 novembre 2013, M. [K] a régulièrement interjeté appel du jugement.
Par conclusions déposées le 16 octobre 2017, visées par le greffier et développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, M. [K] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a pris acte de la remise d'un chèque d'un montant de 122,22 euros à titre de rappel de salaire, de l'infirmer en ce qu'il a condamné la société La Financière Responsable à lui payer la somme de 12 664 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive et de condamner cette dernière à lui payer les sommes suivantes :
- 50 666 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul, à tout le moins abusif, avec intérêts au taux légal à compter du jugement déféré,
- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du harcèlement moral subi, à tout le moins pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat,
- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour comportement fautif de l'employeur dans les circonstances de la rupture et pendant le préavis,
- 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions déposées le 16 octobre 2017, visées par le greffier et développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, la société La Financière Responsable sollicite l'irrecevabilité de la demande de nullité du licenciement pour cause de harcèlement moral, le rejet, au fond, de toutes les demandes de M. [K] et la condamnation de ce dernier à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de ses frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
MOTIFS
La cour précise, à titre liminaire, que la prise d'acte par une juridiction ne produit aucun effet juridique.
Il n'y a donc lieu ni à infirmation ni à confirmation de ce chef, étant observé que la remise d'un chèque d'un montant de 122,22 euros n'a pas été mise en cause par l'intimée dans le cadre de la présente instance.
Sur la rupture du contrat de travail
La lettre de licenciement énonce les faits suivants :
'Vous êtes en charge d'effectuer l'analyse ISR et de rédiger l'Empreinte Ecosociale qui appuient nos propositions d'investissements auprès de chacun de nos clients et prospects.
Votre fonction est essentielle dans la mesure où, dans l'univers concurrentiel qui est le nôtre, nos clients ne peuvent se prononcer que sur des propositions fondées sur des études dont vous êtes chargé, mettant en avance notre différence et notre caractère novateur dans notre activité.
De plus, notre surveillance des pratiques extra-financières des entreprises dans lesquelles nos fonds sont investis n'est plus assurée.
Notre entreprise de petite taille (7 salariés) n'est pas en mesure de vous substituer dans cette fonction.
Votre absence se traduit par l'impossibilité de fournir à nos clients les critères d'investissements qu'ils attendent. Cela se traduit par une paralysie de notre démarche commerciale.
Il est dès lors impératif que je puisse vous remplacer, et je me vois contraint de vous notifier la présente notification de licenciement pour cause réelle et sérieuse'.
M. [K] conteste le licenciement dont il a fait l'objet.
Il soutient, en premier lieu, que son licenciement est nul. Il prétend avoir été victime de faits de harcèlement moral comme suit :
- fixation de délais extrêmement brefs pour rendre ses rapports et intensification de sa charge de travail,
- injonctions de refaire un travail bien fait et de corriger des fautes inexistantes,
- procédures d'évaluation incohérentes, avertissement et licenciement injustifiés,
- comportement autoritaire, irrespectueux et dégradant de M. [A], directeur général, vis-à-vis de ses collaborateurs,
- dégradation de son état de santé en lien avec les agissements de son employeur.
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il n'est pas exigé du salarié qui se plaint, devant le juge, de faits de harcèlement moral qu'il ait, préalablement à son action en justice, fait part de ses doléances à son employeur et/ou déposé plainte pour ces faits.
C'est donc vainement que la société La Financière Responsable invoque l'irrecevabilité de la demande d'annulation du licenciement pour cause de tardiveté.
Au vu des pièces versées au débat, M. [K] établit :
- qu'il a été contraint de reprendre, à la demande de son supérieur hiérarchique, M. [N] [A], la rédaction d'un rapport important, 'empreinte écosociale', tant sur la forme que sur le fond, entre le 2 février 2012 et le 15 février 2012, alors que ce rapport avait été remis le 16 décembre 2011 et avait déjà fait l'objet de corrections les 13 et 17 janvier 2012 à la demande de M. [A] lui-même,
- que, dans ce cadre, M. [K] a annulé sa demande de congé pour une journée et travaillé à des heures avancées de la nuit,
- que M. [A] était très exigeant avec lui sur la finalisation du rapport 'empreinte écosociale', comme cela résulte du témoignage d'une ancienne stagiaire, et que, sur le rapport de 2011, il lui a donné des consignes contradictoires, comme cela ressort de l'attestation établie par une salariée qui a travaillé avec lui sur la formalisation dudit rapport,
- qu'un médecin psychiatre lui a prescrit plusieurs arrêts de travail, avant licenciement, le premier entre le 16 février 2012 et le 2 mars 2012 pour les motifs suivants : amaigrissement, asthénie majeure, 'burn out' et troubles du sommeil, le second entre le 9 mars 2012 et le 9 avril 2012 pour les motifs suivants : 'dépression majeure caractérisée secondaire à stress professionnel', avec prescription médicamenteuse, puis après le licenciement,
- et que, le 9 mars 2012, le médecin du travail a délivré un avis d'aptitude en précisant que le salarié était à revoir dans trois mois et qu'il a adressé l'intéressé à un autre médecin en indiquant qu'il était en souffrance.
M. [K] établit, au regard des éléments ainsi recueillis, l'existence matérielle de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.
La société La Financière Responsable se contente de critiquer les pièces communiquées par M. [K] au soutien de ses allégations.
À aucun moment elle ne démontre que les faits dénoncés par M. [K] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le harcèlement moral est donc établi.
En application de l'article L. 1152-3 du code du travail, le licenciement intervenu dans ce contexte est nul.
Le jugement déféré est donc infirmé en son appréciation sur ce point.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul
L'article L. 1235-5 du code du travail, applicable au regard de l'effectif de l'entreprise, énonce, notamment, que ne sont pas applicables au licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, les dispositions relatives à l'absence de cause réelle et sérieuse, prévues à l'article L. 1235-3, et au remboursement des indemnités de chômage, prévues à l'article L. 1235-4, le salarié ne pouvant prétendre, en cas de licenciement abusif, qu'à une indemnité correspondant au préjudice subi.
Compte tenu de l'ancienneté du salarié, soit 3 ans et près de 2 mois, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération brute versée à M. [K] chaque mois, soit 3 166,67 euros, de son âge, soit 31 ans, et des conséquences de la rupture à son égard, telles qu'elles résultent notamment des justificatifs relatifs à sa prise en charge par le Pôle emploi, ainsi qu'à ses périodes d'activité d'abord, en 2013, en contrat de travail à durée déterminée puis, depuis le 1er juillet 2014, en contrat de travail à durée indéterminée, il est alloué à M. [K] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Le jugement déféré est donc infirmé dans le quantum des dommages et intérêts octroyés de ce chef.
Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral
Compte tenu des circonstances du harcèlement subi par M. [K], de sa durée et des conséquences dommageables qu'il a eues pour lui, telles qu'elles ressortent, notamment, des pièces médicales et témoignages de son entourage, le préjudice en résultant pour M. [K] doit être réparé par l'allocation de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Sur les dommages et intérêts pour comportement fautif de l'employeur dans les circonstances de la rupture et pendant le préavis
M. [K] soutient que l'employeur a organisé son licenciement sans aucun égard pour son état psychique et qu'il a subi le mépris et les reproches de son supérieur hiérarchique pendant la durée de son préavis.
Néanmoins, il ne démontre pas l'existence d'un préjudice distinct de celui d'ores et déjà réparé par suite de la rupture de son contrat de travail, dont les circonstances, en ce incluse la période du préavis, ont intégralement été prises en compte.
Il ne peut, en conséquence, revendiquer une indemnisation supplémentaire.
Sa demande de ce chef, nouvelle en cause d'appel, est donc rejetée.
Sur les autres demandes
La société La Financière Responsable succombant principalement à l'instance, il est justifié de la condamner aux dépens d'appel et à payer à M. [K] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles dont il serait inéquitable de lui laisser la charge.
La demande qu'elle a présentée de ce dernier chef est rejetée.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société La Financière Responsable au titre des frais irrépétibles et des dépens ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
DÉCLARE le licenciement notifié à M. [K] le 4 avril 2012 nul ;
CONDAMNE la société La Financière Responsable à payer à M. [K] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt :
- 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- et 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
Ajoutant,
CONDAMNE la société La Financière Responsable à payer à M. [K] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande ;
CONDAMNE la société La Financière Responsable aux dépens d'appel.
LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE