RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 23 Novembre 2017
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/08641
Décision déférée à la Cour : SUR RENVOI APRES CASSATION du 02 Juillet 2014 concernant un arrêt rendu le 23 Avril 2013 par la Cour d'Appel de Versailles, 6ème chambre RG n° 11/04592 suite au jugement rendu le 14 Novembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VERSAILLES section RG n° 10/00590
APPELANTE:
Madame [U] [Q]
demeurant [Adresse 1]
[Localité 1]
comparante en personne, assistée de Me Abdelaziz MIMOUN, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : C89
INTIMEE:
SAS [R] DISTRIBUTEUR CHAMBOURCY
sise [Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Anne QUENTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0381 substitué par Me Ali ATLAR, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Septembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Marie-Bernard BRETON, Présidente de chambre
Mme [U] MONTAGNE, Conseillère
Madame Emmanuelle BESSONE, Conseillère
qui en ont délibéré
En présence de M. Félix GUINEBRETIERE, élève avocat.
Greffier : Mme Marine BRUNIE, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Marie-Bernard BRETON, Présidente et par Madame Marine BRUNIE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Madame [U] [Q] a été embauchée de 1977 à 1979 puis de 1980 à 1987 par la SAS [R] DISTRIBUTEUR CHAMBOURCY, la salariée ayant démissionné à deux reprises.
La société a réengagé Mme [Q] pour une durée indéterminée à compter du 1er janvier 2000 en qualité de chef comptable.
En mai 2008, la salariée était promue en qualité de Directrice administrative et financière, pour les deux sites de la société : au Chesnay et à [Localité 3].
A compter d'avril 2008, elle percevait un salaire mensuel brut de 10.000 euros.
La relation de travail est régie par la convention collective nationale de l'automobile du 15 janvier 1981. L'entreprise emploie habituellement plus de 10 salariés.
Mme [U] [Q] a été licenciée par courrier du 12 mai 2010, avec un préavis de trois mois.
Le 31 mai 2010, Mme [Q], contestant son licenciement, a saisi le conseil de prud'hommes de [Localité 4] aux fins de solliciter la condamnation de la société à lui verser des indemnités pour rupture injustifiée et vexatoire, et de réclamer le solde de son indemnité conventionnelle de licenciement, ainsi que des rappels de primes et des rappels d'astreinte.
Par jugement en date du 14 novembre 2011, le conseil de prud'hommes de [Localité 4] a jugé que son licenciement était justifié, et l'a déboutée de ses demandes au titre du licenciement. Il a condamné la société à lui verser la somme de 14.188,82 euros au titre des rappels de primes, ainsi que la somme de 2,52 euros au titre du solde de l'indemnité de licenciement.
Le 12 décembre 2011, Mme [Q] a interjeté appel de cette décision.
Par arrêt du 23 avril 2013, la cour d'appel de Versailles a partiellement infirmé le jugement, et condamné la société à verser à la salariée la somme de 2.555,32 euros au titre du solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement. Elle a confirmé le jugement pour le surplus de son dispositif.
La cour d'appel de Versailles a jugé :
- que le licenciement n'était pas nul comme motivé par la volonté d'empêcher Mme [Q] de dénoncer des faits de harcèlement, mais qu'il était fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- que Mme [Q] d'une part pouvait relever du régime du forfait-jours compte-tenu de sa grande autonomie et de la nature de ses fonctions qui ne lui permettaient pas d'être soumise aux horaires collectifs, et d'autre part ne pouvait se prévaloir du défaut de suivi de son activité en forfait-jours, dès lors qu'il lui appartenait justement, en qualité de Directrice administrative et financière, de mettre en place des procédures permettant le contrôle de l'activité des salariés en forfait-jours, ce qu'elle n'a pas fait.
La cour a considéré que l'appelante devait être déboutée de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire et pour travail dissimulé, pour les motifs qu'elle avait développés dans le cadre de son analyse des causes du licenciement, et dans le rejet des demandes d'heures supplémentaires.
Madame [Q] a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cette décision.
Par un arrêt en date du 2 juillet 2014, la chambre sociale de la Cour de cassation a partiellement cassé l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 23 avril 2013 en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire, d'heures supplémentaires et congés payés y afférents, et d'indemnité pour travail dissimulé.
La Cour de cassation a considéré que la cour d'appel avait violé l'article 1147 du Code civil, en motivant le rejet de la demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire par renvoi à l'analyse des causes du licenciement, alors que le fondement d'une telle demande est indépendant du fondement de la rupture,.
Elle a en outre considéré que la cour d'appel aurait dû déduire du non-respect des stipulations de la convention collective nationale relative au forfait-jours, que la convention individuelle de forfait jours de Mme [Q] était privée d'effets, et que la salariée pouvait prétendre à paiement d'heures supplémentaires.
La Cour de cassation a en conséquence remis, sur ces deux points, la cause et les parties en l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt du 23 avril 2013, et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris.
Aux termes de ses conclusions du 28 septembre 2017, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet des prétentions et des moyens, reprises oralement à l'audience, sans ajout ni retrait, Mme [U] [Q] formule les demandes suivantes :
- Rappel d'heures supplémentaires pour la période du 1er juin 2005 au 14 août 2010 : 204.384,12 €
- Congés payés afférents : 20.438,41 €
- Contrepartie obligatoire en repos : 85.107,80 €
- Congés payés afférents : 8.510,78 €
- Dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales de travail et de l'atteinte portée à la préservation de la santé de la salariée : 20.000,00 €
- Dommages-intérêts pour travail dissimulé : 99.526,60 €
- Régularisation de la prime de fin d'année : 9.770,01 €
- Indemnité conventionnelle de licenciement : 31.358,73 €
- Dommages-intérêts pour licenciement vexatoire : 60.000,00 €
- Indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile : 10.000,00€.
Elle demande en premier lieu à la cour de la recevoir en ses demandes nouvelles, en application de l'article 638 du code de procédure civile, et conformément au principe de l'unicité de l'instance, ces demandes procédant d'un même contrat de travail.
S'agissant des heures supplémentaires et des demandes qui en sont la conséquence, elle conteste en premier lieu avoir eu le statut de cadre dirigeant, au sens de l'article L3111-2 du code du travail.
Elle fait valoir en second lieu que sa convention individuelle de forfait-jours du 16 juin 2015 est nulle et privée d'effet en raison de l'inobservation par l'employeur des prescriptions de l'article 1.09 de la Convention collective des services de l'automobile, dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait-jours.
Elle fonde sa demande de contrepartie obligatoire en repos sur les articles L3121-11 et D3171-12 du code du travail, et sur l'article 1.09 de la convention collective.
En ce qui concerne l'indemnité pour travail dissimulé, elle invoque les dispositions de l'article L8223-1 du code du travail, et affirme que la SAS NDBM2 a abusé des conventions de forfait-jours, pour contourner les règles applicables à la durée du travail et aux heures supplémentaires.
Sur la prime de fin d'année et l'indemnité conventionnelle de licenciement, Mme [Q] expose ne réclamer que la régularisation de leurs montants en fonction du réhaussement de son salaire, à la suite de l'intégration des heures supplémentaires.
En ce qui concerne sa demande de dommages et intérêts pour non respect des durées maximales de travail, elle invoque une atteinte à la préservation de sa santé en soulignant que son employeur lui a imposé un rythme de travail tel, qu'il a débordé sur sa vie privée et personnelle l'empêchant de 'déconnecter'.
Enfin, Mme [J] expose que son licenciement a été accompagné de procédés vexatoires et irrespectueux mis en oeuvre par l'employeur : éviction immédiate et mise à l'écart de la salariée, plainte pénale déposée à son encontre, enquête interne confiée à un huissier de justice, entretien préalable de plus de 03H30.
Aux termes de ses conclusions du 28 septembre 2017, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet des prétentions et des moyens, reprises oralement à l'audience, sans ajout ni retrait, la société [R] Distributeur Chambourcy demande à la cour de débouter Mme [U] [Q] de l'ensemble de ses demandes, et de la condamner aux dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 5 000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle s'oppose à la demande en paiement d'heures supplémentaires et aux demandes qui en découlent, en faisant valoir d'une part que Mme [U] [Q] occupait des fonctions de cadre dirigeant et était la seule à pouvoir contrôler son temps de travail, et d'autre part que le convention de forfait-jours n'est pas incompatible avec le statut de cadre dirigeant, mais constitue seulement un régime plus favorable au salarié.
Elle soulève la prescription pour ce qui concerne les demandes en paiement présentées par conclusions déposées le 14 novembre 2012 devant la cour d'appel de Versailles, et portant sur une période antérieure au 15 novembre 2007. Elle conteste le décompte d'heures supplémentaires, qui ne repose que sur des documents établis par la salariée elle-même, et qui n'est étayé par aucune pièce probante. Elle conteste enfin avoir demandé à Mme [J] d'accomplir ces heures de travail.
La société NDBM2 soutient que la salariée ne peut à la fois réclamer paiement des heures supplémentaires, et leur contrepartie obligatoire en repos.
Elle fait valoir que Mme [J] ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice lié à l'accomplissement de son travail, sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à sa santé devant être rejetée.
S'agissant des circonstances dans lesquelles est intervenu le licenciement, la SAS NDBM2 expose que les diligences qu'elle a dû accomplir avant et pendant la procédure de licenciement étaient rendues nécessaires par les motifs même de la rupture, et proportionnées à la situation, et qu'elles imposaient que Mme [Q] n'y soit pas associée. MOTIFS
- Sur la demande en paiement d'heures supplémentaires
* Sur la prescription
En application de l'article L3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, l'action en paiement du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour, ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois dernières années précédant la rupture du contrat.
Les dispositions transitoires de la loi du 14 juin 2013 prévoient que lorsqu'une instance a été introduite avant le 16 juin 2013, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne, c'est-à-dire avec un délai de prescription de cinq ans, y compris en appel et en cassation.
L'instance ayant été introduite le 31 mai 2010, le délai de prescription est de cinq ans.
Il n'en demeure pas moins que Mme [Q] n'a réclamé paiement d'heures supplémentaires qu'à compter du 14 novembre 2012, date à laquelle ses conclusions formalisant cette demande nouvelle ont été communiquées à la partie adverse devant la cour d'appel de Versailles.
En effet, devant le conseil de prud'hommes, Mme [Y] [J] ne réclamait qu'un rappel de primes pour la période 2008-2010, et un paiement d'astreintes de week-end.
Or l'effet interruptif attaché à une première demande en justice ne s'étend pas à une seconde demande, différente de la première par son objet.
La salariée n'est donc plus recevable à réclamer le paiement d'heures supplémentaires, et de rappels de salaire liés à cette demande, pour la période antérieure au 14 novembre 2007.
* Sur la qualité de cadre-dirigeant
En application de l'article L3111-2 du code du travail, sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant, les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome, et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.
Les parties ont signé le 16 juin 2005, un avenant au contrat de travail de Mme [Q], qui la soumettait au régime du forfait-jours, et qui mentionnait : 'Votre qualité de cadre et vos fonctions d'adjointe de direction, chef de comptabilité s'exécutent dans le cadre d'une large autonomie. Il apparaît donc évident que dès le début de ce mois de juin 2005 (...) vous soyez placée dans un régime de forfait en nombre de jours travaillés sur l'année de 218 jours'.
Ces stipulations contractuelles excluent la qualité de cadre dirigeant, sans qu'il y ait lieu d'examiner si les conditions réelles de travail de Mme [Q] répondaient aux critères cumulatifs fixés par l'article L3111-2 du code du travail.
* Sur la validité de la convention individuelle de forfait-jours
L'article 1.09 de la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle, des activités connexes et du contrôle technique du 15 janvier 1981, prévoit la possibilité de signer des conventions de forfait en jours, pour les cadres qui ne sont pas occupés selon l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auxquels ils sont intégrés, lorsque l'exercice de leurs fonctions nécessite une large autonomie dans l'organisation de leur travail.
Le paragraphe 2 de cet article définit le régime juridique du forfait-jours. Il exige que la convention individuelle de forfait-jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés, au moyen d'un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées travaillées, ainsi que la qualification des jours non travaillés en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail. Ce document de contrôle doit être établi en deux exemplaires, un pour chacune des parties, et complété au fur et à mesure de l'année.
En outre, le salarié ayant conclu une convention de forfait-jours doit bénéficier chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel sont évoquées l'organisation et la charge de travail de l'intéressé, et l'amplitude de ses journées d'activité, lesquelles devront rester raisonnables et assurer une bonne du travail dans le temps.
Ces stipulations de la convention collective, conformes à l'article L3121-39 du code du travail dans sa version applicable à la date des faits, sont de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié.
Si Mme [Q] a signé le 16 juin 2005, un avenant à son contrat de travail, aux termes duquel elle était soumise à un régime de forfait de 218 jours jours travaillés par an, elle ne s'est jamais vu remettre le document de suivi et de contrôle du nombre de jours travaillés. Elle n'a pas non plus été reçue en entretien annuel à ce sujet.
Sa convention individuelle n'est donc pas conforme à l'accord collectif, et se trouve privée d'effet.
La salariée peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires.
* Sur la preuve des heures supplémentaires
S'il résulte de l'article L 3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail n'incombe spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.
Mme [Q] indique qu'elle travaillait 42 heures jusque fin 2007, puis 50 heures par semaine à compter de 2008, et qu'à compter de juillet 2006, date à laquelle l'employeur lui a fourni un accès internet 'business everywhere' elle a également travaillé pendant ses week-end et congés.
Il convient tout d'abord d'exclure la période couverte par la prescription, soit de juin 2005 à la mi-novembre 2007, qui représente dans son décompte une somme réclamée de 31.679,12 euros.
Il convient également d'exclure la période allant du 16 avril 2010 au mois d'août 2010, au cours de laquelle la salariée n'a pas travaillé, étant successivement en arrêt maladie, puis en dispense d'activité dans l'attente de son licenciement.
Pour la période restante, du 14 novembre 2007 au 16 avril 2010, Mme [Q] produit un tableau qu'elle a établi elle-même, et qui récapitule les heures supplémentaires qu'elle dit avoir effectuées, jour par jour.
Ce décompte s'appuie sur la liste des mails professionnels qu'elle a envoyés et reçus à compter d'octobre 2006, et jusqu'en avril 2010.
On constate que les envois de mails commencent souvent avant 08 H du matin, dès 07H35, ce qui vient confirmer l'affirmation de la salariée aux termes de laquelle c'est elle qui ouvrait les locaux de la concession le matin. Par ailleurs, des messages sont souvent envoyés le soir après 18H, souvent après 19H. Enfin, beaucoup de mails sont échangés le samedi, parfois le dimanche.
La société NDBM2 affirme que ces listes de mails peuvent avoir été réalisées par Mme [Q] pour les besoins de la cause. Elle ne produit cependant aucune pièce permettant de le penser, alors même qu'étant restée en possession des ordinateurs, elle est la plus à même de prouver que les heures d'envoi des mails ont été frauduleusement modifiées. L'expertise qu'elle verse aux débats et qui a été réalisée dans le cadre d'une autre instance, ne présente pas de valeur probante en l'espèce.
D'autre part, les listes produites par Mme [Q] comportent plusieurs milliers de mails, et présentent toutes le format et la signalétique des messageries 'outlook', faisant apparaître à chaque fois la date, l'heure, l'adresse du correspondant, et l'objet. Quelques rares mails personnels apparaissent d'ailleurs parmi les mails professionnels, ce qui est contradictoire avec une volonté de falsification. Il n'y a donc pas lieu d'écarter comme fausses ou douteuses, les pièces produites par la salariée.
Elles sont corroborées par les attestations précises et circonstanciés de [K] [Z], de [T] [F] et d'[E] [P], salariés de l'entreprise, qui indiquent qu'elle arrivait tôt le matin, vers 07H15, et qu'elle quittait son poste le soir après 19H00.
Face à ces éléments précis et étayés, l'employeur ne produit aucune pièce justificative des horaires qui ont été effectivement réalisés par la salariée.
Il convient en conséquence de faire droit partiellement à la demande de Mme [Q], et de condamner la SAS NDBM2 à lui payer au titre des heures supplémentaires la somme de 150.402,60 euros bruts pour la période allant du 14.11.2007 au 16.04.2010 (soit 183.738,28 euros montant du premier décompte de Mme [Q] - 31.679,12 euros au titre de la période 01.06.2005 au 14.11.2007 - 1.656,55 euros pour la période du 16 au 30 avril 2010), outre celle de 15.040,26 euros bruts au titre des congés payés y afférents.
- Sur la demande de contre-partie obligatoire en repos des heures supplémentaires
Cette demande n'est pas rendue irrecevable par la précédente, puisque les deux demandes n'ont pas le même objet, ni le même fondement, la contre-partie obligatoire en repos constituant aux termes de l'article L3121-11 du code du travail, la compensation du dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires fixé par l'accord d'entreprise, ou à défaut la convention ou l'accord de branche.
L'article 1.09 bis de la convention collective applicable en l'espèce fixe le contingent annuel d'heures supplémentaires à 220 heures.
L'article 18-IV non codifié de la loi no 2008-789 du 20 août 2008 prévoit que les heures supplémentaires accomplies au delà du contingent annuel, donnent lieu à l'octroi d'un repos correspondant à 50 % des heures supplémentaires effectuées dans les entreprises de 20 salariés au plus, et à 100 % dans les entreprises employant plus de 20 salariés.
La SAS NDBM2 emploie plus de 20 salariés. Mme [Q] peut donc prétendre à une contrepartie obligatoire en repos équivalente à 100% de son salaire, pour les heures accomplies au delà du contingent de 220 heures par an, sur la période réclamée, soit à compter du 1er septembre 2008.
La somme due doit être calculée comme suit :
- Du 01.09.2008 au 31.12.2008
* Contingent : 220 X 4/12 mois = 73,3 heures
* Heures supplémentaires réalisées : 15 H/semaine X 12 semaines = 180
* Dépassement : 180-73,3 heures = 106,67 heures
- Année 2009
* Contingent : 220 heures
* Heures supplémentaires réalisées : 15H/semaine X 46 semaines travaillées (après déduction des jours de congés tels qu'ils apparaissent sur les bulletins de paie) : 690
* Dépassement : 690-220 = 470 heures
- Du 01.01.2010 au 16.04.2010 (date du début de l'absence de Mme [Q] pour maladie, puis en préavis avec dispense d'activité)
* Contingent : 220 X 3,5/12 = 64,16
* Heures supplémentaires réalisées : 15 H/semaine X 16 semaines = 240
* Dépassement : 175,84 heures.
La SAS NBDM2 sera donc condamnée à payer à la salariée sur la base du salaire brut horaire de 65,93 euros qui était celui de Mme [Q] sur la période considérée, la somme de 49.612,98 euros bruts (soit 106,67 + 470 + 175,84 = 752,51 heures X 65,93 euros), outre la somme de 4.961,29 euros bruts au titre des congés payés y afférents.
- Sur les demandes de rappel de prime de fin d'année, et d'indemnité conventionnelle de licenciement
* Rappel de primes de fin d'année
L'avenant au contrat de travail signé entre les parties le 1er août 2010 prévoit le versement d'une prime de fin d'année de 50% d'un salaire moyen perçu au cours de l'année civile.
S'agissant d'une demande liée aux heures supplémentaires, elle se heurte à la prescription quinquennale pour la période antérieure au 14.11.2007.
Le rappel moyen d'heures supplémentaires, s'établit comme suit du 14.11.2007 jusqu'à la mi-avril 2010 s'établit comme suit :
- 2007 : 213,70 euros
- 2008 : 4.639,21 euros
- 2009 : 5.895,82 euros
- 2010 : 446,24 euros
soit un total de 11.194,97 euros.
La SAS NDBM2 sera donc condamnée à lui payer un rappel de prime de 5.597,48 euros (11.194,97 X 50%) bruts outre une somme de 559,74 euros bruts au titre des congés payés y afférents.
* Rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement
Le salaire brut moyen de Mme [Q] au cours des 12 mois précédant la rupture du contrat de travail s'établit à 16.587,76 euros.
L'article 1.13 de la convention collective impose de prendre en compte pour le calcul de l'ancienneté, non seulement la durée du contrat de travail en cours au moment de la rupture, mais aussi les périodes précédentes que le salarié a passées dans les établissements de l'entreprise.
L'ancienneté de Mme [Q] est donc de 19,5 années.
En application de l'article 2.13 de la convention collective, l'indemnité conventionnelle de licenciement doit être fixée à :
- 33.175,52 euros pour les 10 dernières années (16.587,76 eurosX1/5 X 10)
- 52.002,62 euros pour les 9,5 années suivantes (16.587,76 euros X 1/3 X 9,5)
soit un total de 85.178,14 euros.
Après déduction de la somme totale de 53.819,41 euros déjà perçue à ce titre par la salariée, il convient de condamner la SAS NDBM2 à lui payer le solde dû de 31.358,73 euros bruts.
- Sur la demande de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité
Il résulte des heures d'envoi et de réception de ses mails professionnels que Mme [Q] a travaillé au delà de la durée maximale hebdomadaire du travail, fixée à 48 heures par l'article L3121-35 du code du travail, qu'elle a travaillé le samedi, et parfois le dimanche.
Ce dépassement caractérise un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité à l'égard de la salariée.
Toutefois, Mme [Q] n'a jamais manifesté de malaise ou de signe de fatigue jusqu'à son licenciement. Les seuls certificats d'arrêt de travail pour maladie qu'elle produit datent des 16 et 23 avril 2010, et sont donc concomitants de la convocation à l'entretien préalable, et liés à la rupture mais non pas au déroulement du contrat de travail.
Dans ces circonstances, la brève mention 'burn out' apposée par le médecin auteur de ces deux arrêts de travail ne saurait suffire à établir l'existence d'un véritable syndrôme dit de 'burn out' lié à un surmenage.
Il convient en conséquence de condamner l'employeur à lui payer à ce titre la somme de 1.000 euros à titre de dommages-intérêts.
- Sur la demande de dommages-intérêts pour conditions vexatoires de la rupture
Il résulte des pièces du dossier qu'en mars 2010, l'employeur a été averti que des tensions importantes existaient au sein du service commercial dirigé par M. [K], dont le comportement et le management étaient gravement mis en cause par un certain nombre de salariés.
Les salariés ont d'abord été entendus les 06 et 07 avril 2010 par un huissier de justice mandaté par [D] [R] chef d'entreprise, puis le 15 avril 2010 par un service d'audit désigné par le Groupe BMW France, qui a mis en évidence un lourd malaise, causé par un management non approprié.
Le fait que, selon avis de la CNIL en date du 21 septembre 2010, le recueil d'informations nominatives auprès des salariés aurait dû faire l'objet de formalités préalables auprès de la commission, ne confère pas pour autant un caractère vexatoire à la mesure d'enquête ordonnée.
L'employeur avait en vertu de son obligation de sécurité, le devoir de mettre en oeuvre des mesures d'investigations confiées à des personnes extérieures à l'entreprise, pour déterminer s'il existait des problèmes de santé au travail ou de harcèlement moral, et le cas échéant, y mettre fin.
L'audit constitue une mesure courante qui permet d'améliorer la direction de l'entreprise, notamment en matière de gestion des ressources humaines. Il n'a pas en lui-même de vocation disciplinaire, mais s'il révèle des faits fautifs, il appartient à l'employeur d'en tirer toutes les conséquences nécessaires.
Ni la lettre de convocation à l'entretien préalable, ni la lettre de licenciement ne comportent de termes dégradant ou vexatoires à l'égard de Mme [Q]. Aucune publicité particulière n'y a été donnée.
Cette dernière a fait amener son véhicule personnel par son époux pour réparation à la concession [R] le 29 juillet 2010, soit 12 jours avant l'expiration de son préavis. Une facture lui a été présentée.
Mme [Q] ne rapporte pas la preuve de ce qu'un usage existait dans l'entreprise, consistant à faire bénéficier aux collaborateurs de réparations gratuites sur leurs véhicules, l'avenant au contrat de travail de janvier 2003 n'évoquant que la prise en charge de l'essence et de l'entretien.
Mme [Q] ne rapportant pas la preuve de circonstance vexatoires du licenciement, elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.
- Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé
Le fait que l'employeur ait fait signer à la salariée une convention de forfait-jours non conforme aux prescriptions de la convention collective, n'établit pas qu'il avait l'intention de se soustraire à ses obligations déclaratives prévues à l'article L8221-5 du code du travail.
Si l'avocat de la société NDBM2 indiquait par mail du 13 mai 2009 'il serait souhaitable de tous les passer (les conseillers commerciaux) en forfait-jours à une qualification de cadre avec une nouvelle classification afin d'éviter tout éventuel problème de rappel d'heures supplémentaires', c'était après avoir constaté que le temps de travail des conseillers vente était difficilement contrôlable, et à la condition qu'ils passent au statut cadre avec une nouvelle classification, et surtout une nouvelle rémunération.
Dans ces conditions, ce courrier ne révèle pas d'intention de dissimulation de la part de l'employeur.
Mme [Q] sera donc déboutée de sa demande d'indemnité fondée sur le fondement de l'article L8223-1 du code du travail.
- Sur les frais et dépens
Partie succombante en appel, la SAS NDBM2 devra supporter les dépens d'appel devant la présente cour.
Il n'est pas inéquitable de condamner la SAS NDBM2, partie tenue aux dépens, à payer à Mme [Q] la somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement :
- REFORME partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de [Localité 5] du 14 novembre 2011 en ce qu'il a condamné la SAS NDBM2 à payer à Mme [Q] [U] la somme de 2,52 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement, et celle de 14.188,82 euros à titre de rappel de primes, outre les congés payés y afférents, et statuant à nouveau ;
- CONDAMNE la SAS NBDM2 à payer à Mme [U] [Q] :
- la somme de 31.358,73 euros bruts à titre de complément d'indemnité de licenciement,
- la somme de 5.597,48 euros bruts à titre de rappel de primes pour les années 2008-2009-2010
- la somme de 559,74 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
- [Localité 6] ajoutant, DECLARE irrecevables comme prescrites les demandes de rappel d'heures supplémentaires, de congés payés sur heures supplémentaires, et de rappel de primes de fin d'année pour la période antérieure au 14.11.2007 ;
- CONDAMNE la SAS NBDM2 à Mme [U] [Q] les sommes suivantes:
- 150.402,60 euros bruts à titre de rappel d'heures supplémentaires
- 15.040,26 euros bruts au titre des congés payés sur heures supplémentaires,
- 49.612,98 euros bruts au titre de la contre-partie obligatoire en repos
- 4.961,29 euros bruts au titre des congés payés y afférents,
- 1.000 euros à titre de dommages-intérêts pour dépassement de la durée maximale hebdomadaire de travail ;
- DEBOUTE Mme [U] [Q] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé, et de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ;
- CONDAMNE la SAS NDBM2 à payer à Mme [U] [Q] la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- CONDAMNE la SAS NDBM2 aux dépens d'appel devant la présente cour.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT