Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 22 NOVEMBRE 2017
(n° 451 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/09226
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Février 2016 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/07479
APPELANTES
Madame [Q] [F]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
née le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 1]
SARL FESTINE prise en la personne de Madame [Q] [F]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 401 149 8511
Représentées et plaidant par Me Amaury MADELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0465
INTIMES
Monsieur [H] [C]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 2] (Tunisie)
SA MMA IARD
[Adresse 4]
[Adresse 4]
N° SIRET : 440 048 8822
SA COVEA RISKS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Adresse 5]
N° SIRET : 378 716 419
Représentés et plaidant par Me Denis TALON de l'AARPI TALON MEILLET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : A0428
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 Octobre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Christian HOURS, Président de chambre
Mme Marie-Sophie RICHARD, Conseillère
Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère, chargée du rapport
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR
ARRET :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Christian HOURS, président et par Mme Lydie SUEUR, greffier.
*****
Selon acte établi le 18 avril 2006 par maître [C], avocat, la société Festine a cédé à Mme [M] un fonds de commerce de restauration situé à [Localité 3] pour le prix de 112 000 € payable par un crédit vendeur et un prêt bancaire de 77 000 € que l'acquéreur s'engageait à solliciter au plus tard le 30 septembre 2006. L'acte de cession prévoyait un privilège et un nantissement du fonds de commerce au profit du vendeur et ceux-ci ont été inscrits le 2 mai 2006 à l'égard de Mme [M].
L'acte de vente autorisait Mme [M] à se substituer une société dès lors qu'elle en était associée et en exécution de cette clause, c'est l'eurl Merpaule immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 25 mai 2006, qui est devenue propriétaire du fonds.
Les mensualités du crédit vendeur n'ont plus été réglées à compter du mois de juillet 2006 et la société Merpaule a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire le 3 octobre 2006 qui a été étendue à Mme [M] le 9 mai 2007.
Au mois de novembre 2011, la société Festine a reçu du mandataire liquidateur la somme de 57 679,64 € en paiement d'une partie du prix de vente pour une créance déclarée de
124 905 € dont 104 500 € au titre du prix de vente et 20 405 € au titre des frais de procédure.
Le 16 mai 2014, la société Festine ainsi que sa gérante, Mme [F], ont intenté une action en responsabilité et en garantie contre maître [C] et son assureur, la société Covea Risks, et par un jugement du 24 février 2016, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré l'action recevable comme non prescrite mais a débouté les demanderesses de leur prétentions et les a condamnées à payer à maître [C] et à la société Covea Risks la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Festine et Mme [F] ont formé appel de cette décision, le 20 avril 2016.
Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 13 juillet 2017, les appelantes demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré leurs demandes recevables et de l'infirmer en ce qu'il les en a déboutées, de constater les manquements de maître [C] au titre de ses obligations de rédacteur d'acte, de déclarer recevable l'appel en garantie formé par la société Festine et Mme [F] à l'égard de la société MMAIard venant aux droits de la société Covea Risks en sa qualité d'assureur responsabilité professionnelle de maître [C], de juger que la société MMA sera directement tenue au paiement de l'ensemble des condamnations prononcées, de condamner sur le fondement des articles 1134 et 1147 du code civil, à titre principal solidairement maître [C] et la société MMA à payer la somme de 77 225, 26 € à la société Festine en réparation de son entier préjudice et subsidiairement la somme de
65 000 € au titre de la perte de chance, de condamner sur le fondement de l'article 1382 du code civil, solidairement maître [C] et les MMA à payer à Mme [F] la somme de 80 000 € en réparation de la perte de chance subie, le tout avec intérêts au taux légal à compter de la date des présentes et de condamner solidairement maître [C] et la société MMA à payer la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 16 septembre 2016, maître [C] et la société MMA Iard demandent à la cour de déclarer prescrite l'action des appelantes et en toute hypothèse de les en débouter et de les condamner à payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION :
1 - Sur la recevabilité de l'action :
Il y a lieu de constater que maître [C] et la société MMA Iard tout en sollicitant dans le dispositif de leurs dernières conclusions que l'action de la société Festine et de Mme [F] soit déclarée prescrite, ne développent aucun moyen en ce sens dans le corps de leurs écritures.
Aussi en l'absence de critique motivée du jugement sur ce point, il ya lieu de le confirmer en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par les défendeurs.
2 - Sur le fond :
- Sur les fautes imputées à l'avocat :
Les appelantes soutiennent que le tribunal n'a pas respecté l'article 4 du code de procédure civile en retenant que l'insolvabilité de la société Merpaule résultait notamment de l'existence de multiples dettes nées de la brève exploitation du fonds alors que cette circonstance dont elles contestent la réalité, n'a pas été invoquée par les défenderesses en première instance. Elles sollicitent l'infirmation du jugement à ce titre.
Les appelantes font ensuite valoir que l'avocat qui assistait les deux parties, a manqué à ses obligations de rédacteur d'acte en n'attirant pas l'attention de la venderesse sur les risques liés aux conditions de paiement du prix et à un transfert immédiat de la propriété du fonds, en ne s'inquiétant pas de la capacité financière de Mme [M] et en ne recherchant pas des garanties suffisantes. Elles relèvent ainsi que l'acte aurait pu prévoir une condition suspensive d'obtention d'un prêt ainsi que la caution de Mme [M]. La société Festine et Mme [F] rappellent que l'avocat rédacteur d'actes est tenu de veiller à l'équilibre des intérêts en présence et de conseiller les parties sur la portée et les incidences des engagements souscrits de part et d'autre. Elles indiquent que maître [C] a été condamné à la demande de Mme [M] et du mandataire liquidateur de la société Merpaule au titre de sa responsabilité professionnelle par un jugement définitif.
Les intimés exposent que Mme [M] qui s'était installée dans le sud de la France, était pressée de vendre son fonds dont la valeur s'était dégradée en raison d'une exploitation chaotique. Ils rappellent les précédentes tentatives infructueuses de cession ainsi que les circonstances ayant conduit à l'établissement de l'acte au profit de Mme [M].
Ils soutiennent que, comme l'a retenu le jugement, le fonds a été exploité par Mme [M] et que cette exploitation a effectivement engendré des dettes ainsi qu'il ressort du compte-rendu de fin de mission du mandataire liquidateur de la société Merpaule.
Ils ajoutent que les appelantes ont pris la décision de céder le fonds dans les conditions de l'acte en toute connaissance de cause et qu'un engagement de caution a été signé par Mme [M].
Il est constant que maître [C] a rédigé seul l'acte de cession du fonds de commerce conclu entre la société Festine et Mme [M] après que le conseil de cette dernière eut mis fin à sa mission, compte tenu de son avis défavorable sur le projet de cession en raison d'une surestimation du prix, du caractère imprécis des informations sur le chiffre d'affaires, de l'absence de données chiffrées et du caractère aléatoire du montage financier eu égard aux facultés de sa cliente à tenir ses engagements financiers ainsi qu'il est mentionné dans un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 2 mars 2011.
Maître [C] qui était ainsi le seul avocat intervenant dans la cession, devait assurer la validité et l'efficacité de son acte en veillant à l'équilibre des intérêts en présence et en conseillant les parties sur la portée et les incidences des engagements souscrits de part et d'autre.
L'acte de cession a organisé un transfert immédiat de la propriété du fonds de commerce alors que le paiement du prix en était différé et incertain en grande partie , le prêt bancaire qui devait permettre le paiement du solde de 77 000 €, devant être obtenu avant le 30 décembre 2006, soit plus de sept mois après la conclusion de la cession.
Face à de telles conditions de paiement, il appartenait à l'avocat d'attirer l'attention de la venderesse sur les risques encourus et de lui proposer des solutions permettant de restreindre ces risques ou de les garantir. Cette obligation était d'autant plus pressante que la société Festine désirant vendre rapidement, se trouvait dans une situation qui ne l'incitait pas à être exigeante vis à vis du candidat à l'acquisition.
Maître [C] prétend avoir fait souscrire un engagement de caution à Mme [M] ; néanmoins, l'acte produit concerne un projet de cession antérieur au profit d'une société Celikentz et n'est pas applicable aux obligations nées de l'acte de cession du 18 avril 2004.
Ainsi maître [C] ne justifie pas avoir rempli ses obligations vis à vis de la société Festine en l'informant des risques encourus et en lui proposant des mesures destinées à réduire les risques financiers qui résultaient des conditions de paiement du prix de vente. Il a donc engagé sa responsabilité et doit réparation si ses manquements ont engendré un préjudice.
- sur les préjudices et le lien de causalité :
La société Festine fait valoir que si elle avait été complètement informée, elle n'aurait pas conclu l'acte ou l'aurait conclu à d'autres conditions. Elle expose que par la faute de maître [C] , elle n'a ainsi pas perçu une partie du prix de vente soit 46 820,26 €, et elle a engagé des frais importants pour un montant de 20 405 €, outre les honoraires de l'intimé s'élevant à 10 000 €. Elle réclame donc le montant total de ces sommes. A titre subsidiaire, elle évalue à la somme de 65 000 € la perte de chance subie.
Mme [F] expose qu'elle a souhaité vendre le fonds de la société qu'elle avait créée et qu'elle dirigeait pour s'installer dans le sud de la France et que ses projets d'une nouvelle vie et d'une nouvelle activité professionnelle avec ses perspectives de rémunération, ont été mis à mal par l'absence de perception du prix de vente. Elle ajoute qu'elle a consacré beaucoup de temps et d'énergie à tenter de résoudre les problèmes suscités par la défaillance de la société Merpaule et de Mme [M]. Elle évalue l'indemnisation de la perte de chance qu'elle a subie à 80 000 €.
Les intimés soutiennent que ne peuvent être imputés à maître [C] les comportements malhonnêtes de Mme [M] ni sa défaillance dans le paiement des mensualités fixées par le contrat de cession. Ils ajoutent que grâce au privilège et au nantissement prévus dans cet acte, la société Festine a reçu du mandataire judiciaire la somme de 62 689,19 € de sorte que celui-ci a été efficace.
Les intimés contestent également le préjudice de Mme [F]. Ils déclarent que le fonds était surévalué et que le préjudice financier est nul. Ils font valoir que l'avocat n'est en outre pas responsable des choix de vie de cette dernière et que celle-ci se trouve actuellement à la tête de six SCI.
En l'absence d'une information complète sur les risques que lui faisaient courir la cession immédiate de son fonds sans garantie suffisante pour le paiement du prix, la société Festine a perdu une chance de renoncer à la vente au profit de Mme [M] ou de la conclure dans d'autres conditions.
Si elle avait renoncé à la vente ou l'avait conclue dans d'autres conditions, elle aurait ainsi pu échapper à la défaillance de la société acquéreuse et de Mme [M] ainsi qu'aux manoeuvres de cette dernière pour ne pas régler les mensualités prévues au contrat.
Pour apprécier cette perte de chance, il convient de tenir compte d'une part de la part du prix de vente restée impayée ainsi que des frais engagés pour tenter d'obtenir le versement des sommes dues et d'autre part des circonstances qui auraient pu amener la société Festine à ne pas tenir compte des conseils et mises en garde de maître [C].
Il ressort en effet des débats et des pièces du dossier que Mme [F], déjà installée dans le sud de la France, cherchait à vendre le fonds rapidement et se trouvait ainsi soumise à une pression de nature à l'amener à accepter des conditions de paiement présentant une part de risques. Il y a lieu aussi de tenir compte du fait que Mme [F] connaissait Mme [M] qui était une employée de l'établissement de restauration et qui avait manifesté son engagement pour reprendre l'activité.
Ainsi compte tenu de ces circonstances, la perte de chance subie par la société Festine sera estimée à la somme de 15 000 €. Celle-ci sera majorée de la somme complémentaire de 8 000 € pour tenir compte du préjudice résultant du paiement d'honoraires à maître [C], sans contrepartie des conseils nécessaires à l'opération de cession. Il sera ainsi alloué à la société Festine la somme totale de 23 000 € à titre de dommages-intérêts.
Mme [F] a elle-même subi un préjudice dû à la perte de chance de réaliser ses projets d'une nouvelle vie personnelle et professionnelle dans le sud de la France dans des conditions matérielles plus satisfaisantes et d'échapper aux allers et retours vers la région parisienne rendus nécessaires par les difficultés rencontrées. Il sera ainsi alloué à Mme [F] la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts.
Les sommes allouées à titre de dommages-intérêts porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision qui constate l'existence des créances des appelantes.
La société MMA Iard ne s'oppose pas à la demande tendant à la voir déclarer tenue directement des condamnations prononcées.
Il y a lieu de condamner solidairement maître [C] et la société MMA Iard à payer à Mme [F] la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Donne acte aux parties de ce que la société MMA Iard venant aux droits de la société Covea Risks, intervient volontairement à l'instance ;
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 24 février 2016 sauf en ce qu'il a débouté la société Festine et Mme [F] de leurs demandes et les a condamnées à payer à maître [C] et à la société Covea Risks la somme de
2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau dans ces limites :
Dit que maître [C] a commis des fautes dans l'exécution de sa mission de rédacteur d'acte ;
Condamne solidairement maître [C] et la société MMA Iard à payer à la société Festine la somme de 23 000 € à titre de dommages-intérêts en indemnisation de la perte de chance subie ;
Condamne solidairement maître [C] et la société MMA Iard à payer à Mme [F] la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts en indemnisation de la perte de chance subie ;
Dit que la société MMA Iard sera tenue directement au paiement de l'ensemble des condamnations prononcées ;
Dit que celles-ci porteront intérêt au taux légal à compter de la présente décision ;
Condamne solidairement maître [C] et la société MMA Iard à payer à Mme [F] la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne solidairement maître [C] et la société MMA Iard aux dépens.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,