Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 21 NOVEMBRE 2017
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/01855
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Décembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/13561 a accordé l'exequatur du jugement italien du 1er février 2010 rendu par la chambre du conseil de la 7ème chambre du tribunal civil de Turin (Italie)
APPELANTES
Madame [O] [V] née [N] épouse [U]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Luc BROSSOLLET de la SCP d'ANTIN BROSSOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0336
Madame [G] [U] épouse [B]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Luc BROSSOLLET de la SCP d'ANTIN BROSSOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0336
Madame [Y] [U]
[Adresse 2]
[Localité 2]
SUISSE
représentée par Me Luc BROSSOLLET de la SCP d'ANTIN BROSSOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0336
INTIMES
Monsieur [J] [U] [Z] né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 3] (94)
[Adresse 3]
[Localité 4]
ITALIE
représenté par Me Bertrand JANSSENS, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C0156
assisté de Me Maria ONGARO, avocat plaidant du barreau de THONON LES BAINS
Madame [U] [Z] [U] née le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 5] (91)
[Adresse 4]
[Localité 6]
ITALIE
représentée par Me Bertrand JANSSENS, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C0156
assistée de Me Maria ONGARO, avocat plaidant du barreau de THONON LES BAINS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 octobre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Dominique GUIHAL, présidente
Mme Dominique SALVARY, conseillère
M. Jean LECAROZ, conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
Le MINISTÈRE PUBLIC agissant en la personne de Madame le PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'Appel de PARIS
élisant domicile en son parquet au [Adresse 5]
représenté à l'audience par Madame SCHLANGER, avocat général
Avis écrit du parquet en date de 31 mai 2017 par Mme de CHOISEUL PRASLIN, substitut général
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Dominique GUIHAL, présidente et par Mme Mélanie PATE, greffier présent lors du prononcé.
Par jugement du 1er février 2010, la chambre du conseil de la 7ème chambre du tribunal civil de Turin (Italie) a accepté la demande de déclaration de paternité hors mariage formulée par Madame [U] [Z], née le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 5] (91), et Monsieur [J] [Z], né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 3] (94), tous deux de nationalité italienne pour être nés de Mme [L] [Z], de nationalité italienne, et dit en conséquence que Monsieur [T] [U], né à [Localité 7] le [Date naissance 3] 1922, décédé le [Date décès 1] 1987, est leur père.
Cette décision est intervenue, en application de la loi italienne, après que le tribunal italien s'est déclaré compétent et a constaté que Madame [O] [V] [U], veuve de M. [T] [U], ainsi que leurs deux filles issues du mariage, Mme [G] [B], née [U] et Mme [Y] [U] ont refusé de participer à l'expertise ordonnée par le tribunal.
Ces dernières ont toutes trois interjeté appel de cette décision suivant acte du 4 juin 2010 avant de se désister de leur appel.
Le jugement du tribunal civil de Turin a été signifié en France et en Suisse à Mesdames [U] et [B].
Les dernières copies des actes de naissance italiens de [U] [Z] et [J] [Z] mentionnent pour la première '[U] [Z] [U]' et non '[U] [U] [Z]' comme indiqué dans ses conclusions et pour le second [J] [U] [Z].
Sur la saisine de ceux-ci, par acte du 17 juillet 2014, le tribunal de grande instance de Paris a, par jugement contradictoire du 16 décembre 2015, accordé le bénéfice de l'exequatur au jugement italien.
Mesdames [U] et [B] ont formé appel de cette décision par déclaration du 8 janvier 2016.
Par conclusions du 31 août 2017, elles demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement,
- de constater que l'action en recherche de paternité des consorts [Z] en Italie introduite par une assignation du 23 octobre 2003 était prescrite et frappée de déchéance dans l'ordre public français,
- de constater que la volonté du législateur français est de rechercher la stabilité de la filiation après l'expiration du délai d'action,
- de dire que cette question appartient à l'ordre public international français qui ne saurait être mise en échec par la conception italienne contraire,
- de constater qu'également intentée en violation des règles de prescription française applicables et des règles prévues par la convention franco-italienne du 3 juin 1930, l'action des consorts [Z] devant le tribunal de Turinn constituait en tout état de cause une fraude à la loi française,
En conséquence, de débouter les consorts [Z] de leur demande d'exequatur,
Vu la Convention franco-italienne du 3 juin 1930 et notamment de l'article 11 du titre II, rédigé de manière impérative et en combinaison avec l'article 1er du titre I de ladite convention;
Vu le règlement européen 44/2001,
- de constater que les consorts [Z] ont méconnu l'article 1er du Titre I et de l'article 11 du titre II de la convention précitée en assignant les consorts [U], qui avaient leur domicile en France et en Suisse, devant la juridiction italienne si bien que le jugement de Turin ne peut être transcrit dans l'ordre juridique français,
- de constater que le règlement 44/2001 exclut en son article 1 son application au présent litige et renvoie aux conventions bilatérales antérieures ;
- de constater que le jugement rendu par le tribunal de Turin ne peut pas davantage être transcrit en droit français par application du règlement européen,
- de débouter les consorts [Z] de leurs demandes,
- de condamner les consorts [Z] à payer à Mesdames [U] et [B] la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 25 août 2017, Mme [U] [Z] [U] et M. [J] [U] [Z] demandent à la cour de donner acte à ce dernier de sa nouvelle adresse en Italie, de confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions, de dire que le dispositif de cette décision et celui du jugement à intervenir relatif à la reconnaissance de paternité sera retranscrit sur les registres d'état civil du Ministère des affaires étrangères à Nantes et mentionné en marge de l'acte de naissance des intéressés, à titre subsidiaire, de dire que les actes d'état civil italiens des intimés pourront être transcrits sur les registres d'état civil des communes de naissance, en tout état de cause, de condamner les appelantes à une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel que Me JANSSENS pourra recouvrer directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'affaire a été communiquée au ministère public qui a apposé son visa le 19 avril 2016 et émis le 31 mai 2017 un avis favorable à l'exequatur.
SUR CE
Sur l'exequatur
Considérant que l'article 1 du règlement 44/2001 du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale exclut de son champ d'application l'état et la capacité des personnes physiques ; qu'aux termes de l'article 70.1 de ce règlement, les conventions mentionnées à l'article 69 (au rang desquelles se trouve la convention entre la France et l'Italie sur l'exécution des jugements en matière civile et commerciale signée à Rome le 3 juin 1930) continuent à produire leurs effets dans les matières auxquelles le présent règlement n'est pas applicable ;
Considérant que l'article 1er du Titre Premier de la convention franco-italienne du 3 juin 1930, toujours applicable en l'espèce s'agissant d'une affaire de filiation, prévoit que les décisions rendues en matière civile et commerciale par les juridictions de France ou d'Italie ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre Etat si elles réunissent les conditions suivantes :
- 'que la décision émane d'une juridiction compétente selon les règles du titre II de la présente Convention autant qu'elles soient applicables ou, à défaut, selon les règles admises en la matière par la législation du pays où la décision est invoquée.
- que la décision ne contienne rien de contraire à l'ordre public ou aux principes de droit public du pays où elle est invoquée.
- que la décision soit passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution d'après la loi du pays où elle a été rendue.
- que les parties aient été légalement citées, représentées ou déclarées défaillantes et, en cas de décision par défaut, que le citation ait atteint en temps utile la partie défaillante.
- que la décision ne soit pas en contradiction avec une autre décision déjà prononcée sur le même objet par une juridiction du pays où elle est invoquée, ou que le même litige n'ait pas été porté par les mêmes parties devant une juridiction de ce même pays avant que la décision invoquée ait été rendue';
Que l'article 10 du titre II de cette convention prévoit que les règles de compétence du présent titre n'ont pour objet que l'application du n°1 de l'article 1er ; que l'article 11 précise qu' 'en matière personnelle ou mobilière, dans les contestations entre Français et Italiens sont compétentes les juridictions de celui des deux pays où le défendeur a son domicile, ou, à défaut de domicile dans l'un des deux pays, sa résidence habituelle.
Si dans les contestations prévues au paragraphe précédent il y a plusieurs défendeurs, le demandeur peut, à son choix, porter son action devant les juridictions du pays du domicile, ou, à défaut de domicile dans l'un des deux pays, devant les juridictions du pays de la résidence habituelle de l'un d'eux' ;
Qu'aux termes de l'article 3 de cette convention, ' l'exequatur est accordé à la demande de toute partie intéressée par l'autorité compétente d'après la loi du pays où il est requis.
Cette autorité doit se borner à vérifier si les conditions prévues à l'article 1er sont remplies: elle procédera d'office à cet examen et devra en constater le résultat dans son jugement';
Sur les pièces produites à l'appui de la demande d'exequatur
Considérant que sont produites aux débats, conformément aux exigences de l'article 4 de la convention, une expédition de la décision rendue contradictoirement réunissant les conditions nécessaires à son authenticité, l'original des exploits de sa signification aux défenderesses, en Suisse et en France, une attestation du greffier du tribunal de Turin selon laquelle la décision est passée en force de chose jugée, le tout régulièrement traduit ;
Sur la condition tenant à la compétence de la juridiction dont émane la décision italienne
Considérant que Mme [O] [U], Mme [G] [B] et Mme [Y] [U] font valoir, au visa de la convention franco-italienne du 3 juin 1930, qu'il appartenait aux premiers juges de vérifier si les règles du titre II de cette convention étaient applicables et, à défaut, de démontrer en quoi les règles admises en la matière par la législation française permettaient le prononcé de l'exequatur, ce qui n'a pas été fait ;
Considérant que Mme [U] [Z] [U] et M. [J] [U] [Z] opposent que la règle de l'article 11 de la convention franco-italienne est une règle spécifique qui aurait dû être soulevée par les appelantes lors de la procédure devant les juges de Turin et que cette disposition ne présentant pas de caractère impératif pour ceux-ci, le juge de l'exequatur ne saurait aujourd'hui revenir sur cette question. Ils font valoir également que la décision du 1er février 2010 émane d'une juridiction compétente selon les règles italiennes et françaises, étant observé que les appelantes avaient en tout état de cause élu domicile auprès de leur conseil italien, Me [B] [P]. Ils rappellent enfin que la compétence indirecte du jugement étranger résulte de l'existence d'un lien caractérisé avec la juridiction saisie;
Considérant qu'il n'est pas contesté qu'au jour de la saisine du tribunal de Turin, les défenderesses étaient domiciliées en Suisse et en France, peu important qu'elles aient pu élire domicile au cabinet de leur avocat italien pour les besoins de la procédure ; que dans ces conditions, il appartient au juge de l'exequatur de vérifier, conformément à l'alternative prévue aux articles 1er et 10 de la convention lorsque la décision n'émane pas du pays du domicile ou de la résidence habituelle de l'une des défenderesses, si la décision italienne émane d'une juridiction compétente 'selon les règles admises en la matière par la législation du pays où la décision est invoquée', à savoir la législation française ;
Considérant que les règles de compétence édictées par la convention franco-italienne du 3 juin 1930, notamment pour l'exequatur d'un jugement relatif à la filiation, concernent exclusivement la compétence internationale indirecte ; que selon les règles admises en la matière en France, le contrôle de la compétence internationale indirecte du juge étranger est fondée sur le rattachement du litige au juge saisi ;
Considérant que le lien de rattachement du litige avec le juge italien résulte en l'espèce de la nationalité italienne de Mme [U] [Z] [U] et M. [J] [U] [Z] ;
Que la première condition tenant à la compétence indirecte du juge italien est donc remplie ;
Sur la condition tenant à l'absence de contrariété à l'ordre public ou aux principes de droit public du pays où la décision est invoquée et sur le grief de la fraude invoqué par les appelantes
Considérant que les appelantes font valoir que la prescription de l'action en recherche de paternité intentée par les consorts [Z] était acquise depuis longtemps au regard de la loi française et que la saisine de la juridiction italienne n'a eu pour objectif que d'éviter cette fin de non-recevoir devant les juridictions françaises, en violation de l'ordre public français qui est de rechercher la stabilité de la filiation après l'expiration d'un délai d'action ;
Mais considérant que le caractère imprescriptible de l'action en recherche de paternité dans la loi italienne ne caractérise pas à lui seul une contrariété à l'ordre public international français ;
Que par ailleurs la fraude n'est pas établie alors que la saisine de la juridiction italienne était justifiée par la nationalité des demandeurs et que, comme le relève à bon droit le ministère public, la recherche de paternité, selon la règle de conflit de lois française prévue par l'article 311-14 du code civil, est soumise à la loi de la mère au jour de la naissance, soit en l'espèce la loi italienne ;
Que la deuxième condition prévue par l'article 1er de la convention franco-italienne est donc remplie ;
Sur la condition tenant à ce que la décision soit passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution d'après la loi du pays où elle a été rendue
Considérant que les pièces produites établissent que le jugement du tribunal de Turin est passé en force de chose jugée et qu'il est susceptible d'exécution en Italie ; que l'état civil des intimés, selon les dernières copies d'acte de naissance communiquées, a d'ailleurs été modifié avec, pour chacun d'eux, l'adjonction du nom de [U] à leur nom de naissance ;
Sur la condition tenant à ce que les parties aient été légalement citées, représentées ou déclarées défaillantes et, en cas de décision par défaut, que la citation ait atteint en temps utile la partie défaillante
Considérant que le jugement litigieux a été rendu contradictoirement, toutes les parties ayant été régulièrement citées et représentées par un avocat ;
Sur la condition tenant à ce que la décision ne soit pas en contradiction avec une autre décision déjà prononcée sur le même objet par une juridiction du pays où elle est invoquée, ou que le même litige n'ait pas été porté par les mêmes parties devant une juridiction de ce même pays avant que la décision invoquée ait été rendue
Considérant qu'aucune décision n'a été prononcée en France sur le même objet qui contredirait le jugement italien visé par la demande d'exequatur ; qu'aucun litige relativement à la filiation des intéressés n'avait été porté en France par les mêmes parties avant que la décision italienne ait été rendue ;
Considérant que le jugement sera donc confirmé pour ces motifs substitués ;
Sur les demandes de publicité
Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention franco-italienne du 3 juin 1930, en accordant l'exequatur, le jugement ordonne, s'il y a lieu, les mesures nécessaires pour que la décision étrangère reçoive la même publicité que si elle avait été prononcée dans le ressort où elle a été rendue exécutoire ;
Considérant qu'il sera donc ordonné que le dispositif du jugement du tribunal de Turin du 1er février 2010 en ce qu'il a dit que M. [T] [U], né à Paris le [Date naissance 3]1922 est le père de [U] [Z] née le [Date naissance 2]1950 à [Localité 5] et de [J] [Z], né le [Date naissance 1] 1952 à [Localité 3] soit porté en marge des actes de naissance des intéressés établis en France ;
Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Considérant que les appelantes, qui succombent en cause d'appel, supporteront la charge des dépens ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 16 décembre 2015 ;
Ordonne en conséquence que mention du dispositif du jugement du tribunal de Turin en date du 1er février 2010 en ce qu'il a dit que M. [T] [U], né à [Localité 7] le [Date naissance 3]1922 est le père de [U] [Z] née le [Date naissance 2]1950 à [Localité 5], dans l'Essone [Localité 5] et de [J] [Z], né le [Date naissance 1]. 1952 à [Localité 3], dans leVal-de-Marne [Localité 3] soit portée sur les actes de naissance respectifs des intéressés ;
Dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne in solidum Mme [O] [U], Mme [G] [B] et Mme [Y] [U] aux dépens avec distraction au profit de Me Bertrand JANSSENS sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE