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08/11/2017 | FRANCE | N°13/10182

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 08 novembre 2017, 13/10182


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 08 Novembre 2017

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/10182



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Décembre 2012 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage d'EVRY section RG n° 11/00161









APPELANTE

Madame [J] [D]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1968 Ã

  [Localité 2] (MAROC)

comparante en personne, assistée de Me Marie-dominique HYEST, avocat au barreau d'ESSONNE substitué par Me Jérôme CHERUBIN, avocat au barreau d'ESSONNE







INTIMÉ

Monsieur ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 08 Novembre 2017

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/10182

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Décembre 2012 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage d'EVRY section RG n° 11/00161

APPELANTE

Madame [J] [D]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 2] (MAROC)

comparante en personne, assistée de Me Marie-dominique HYEST, avocat au barreau d'ESSONNE substitué par Me Jérôme CHERUBIN, avocat au barreau d'ESSONNE

INTIMÉ

Monsieur [T] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]

né le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 4]

représenté par Me Sophie DELMAS, avocat au barreau d'ESSONNE

PARTIE INTERVENANTE :

Société DE GESTION ET DE TRANSMISSION DES AGENCES SGTA ILE DE FRANCE

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Vincent BOURGEOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0276

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 19 Septembre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Benoît DE CHARRY, Président de chambre, rédacteur,

Mme Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère

Mme Séverine TECHER, Vice-Présidente Placée

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Clémence UEHLI, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Benoît DE CHARRY, Président de chambre et par Madame Clémence UEHLI, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

Madame [J] [D] a été engagée par Monsieur [T] [N] par contrat de travail à durée indéterminée à effet du 2 mai 2006 en qualité de collaboratrice d'agent général.

Madame [J] [D] percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle de 2989,44 euros.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du personnel des agences générales d'assurances.

Le 17 février 2011, Madame [J] [D] a saisi le conseil de prud'hommes d'Évry d'une demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail.

Ce contrat de travail a été transféré à la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE le 13 mars 2012.

À l'issue d'une seconde visite médicale du 27 mars 2012, le médecin du travail a déclaré Madame [J] [D] inapte.

Par jugement en date du 13 décembre 2012 auquel la Cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil des prud'hommes d'Évry a débouté Madame [J] [D] de l'intégralité de ses demandes et a débouté Monsieur [T] [N] de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame [J] [D] a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 1er février 2013.

Par lettre en date du 1er juillet 2013, Madame [J] [D] a été licenciée par la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Madame [J] [D] soutient qu'elle a subi des actes de harcèlement moral, ou à tout le moins que son employeur a commis de graves manquements justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de celui-ci. À titre subsidiaire, elle fait valoir que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En conséquence, elle demande à la cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement du 13 décembre 2012 et de :

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail,

- dire qu'elle a été victime de harcèlement moral,

- condamner solidairement Monsieur [T] [N] et la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE à lui payer :

* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 8968,32 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, et 896,83 euros au titre des congés payés,

* 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

* 14 206,14 euros à titre de rappel de salaire d'avril 2012 à juillet 2013, outre 4783,10 euros au titre des congés payés afférents ;

A titre subsidiaire, elle sollicite la condamnation de la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE à lui payer, au titre du licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse :

* 8968,32 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, et 896,83 euros au titre des congés payés

* 1137,97 euros à titre de rappel sur l'indemnité de licenciement,

* 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

* 14 206,14 euros à titre de rappel de salaire d'avril 2012 à juillet 2013, et 4783,10 euros au titre des congés payés afférents ;

En tout état de cause, elle demande à la cour d'ordonner la remise du certificat de travail, de l'attestation pôle emploi, et des bulletins de paie conformes à l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour et par document, d'assortir les condamnations pécuniaires à intervenir des intérêts au taux légal à compter du jour de la demande, et de condamner solidairement Monsieur [T] [N] et la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE à lui verser 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En réponse, Monsieur [T] [N] fait valoir que les demandes de Madame [J] [D] au titre du harcèlement moral et de résiliation judiciaire du contrat de travail sont infondées.

En conséquence, il sollicite le débouté de l'appelante de l'ensemble de ses demandes et sa condamnation à lui payer 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE fait valoir quant à la demande principale de Madame [J] [D], que si la cour déclare fondée sa demande de résiliation judiciaire au motif du harcèlement moral, Monsieur [T] [N] soit seul condamné à en supporter les conséquences et donc à verser à l'intéressée l'ensemble de ses indemnités de rupture ainsi que les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et qu'il soit condamné à rembourser à SGTA la somme de 4442,31 euros correspondant au montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement. Elle s'oppose à toute demande de condamnation solidaire à son égard à défaut d'une convention conclue entre Monsieur [T] [N] et la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE, et en cas de condamnation solidaire, elle demande que Monsieur [T] [N] soit condamné à lui rembourser intégralement les sommes allouées à Madame [J] [D], augmentées de toute cotisations et contributions sociales, tant salariales que patronales. S'agissant des demandes subsidiaires de Madame [J] [D], elle fait valoir qu'elles sont irrecevables comme prescrites et en tout état de cause, infondées.

Elle réclame le débouté de Madame [J] [D] de l'ensemble de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées contre la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE, ainsi que la condamnation de Monsieur [T] [N], si la cour considère comme bien-fondée l'action en résiliation judiciaire de Madame [J] [D], ou à défaut la condamnation de Madame [J] [D] à lui payer 7000 euros au titre des frais irrépétibles.

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Madame [J] [D] invoque les faits suivants :

- Monsieur [T] [N] l'a fait travailler dans des conditions matérielles inacceptables, caractérisées par le fait qu'elle était contrainte de travailler au milieu d'innombrables classeurs et d'ordures, que son lieu de travail avait été transformé en lieu de vente de meubles et que même son mobilier de bureau, outil indispensable à l'exercice de ses fonctions, avait été mis en vente ;

- Monsieur [T] [N] a mis en 'uvre une politique de déstabilisation caractérisée par la modification de son contrat de travail en ce qui concerne les jours de travail et l'amplitude de la journée de travail, des remarques injustifiées faites sur un ton inapproprié, concernant notamment l'utilisation du chauffage, et par une retenue injustifiée sur salaire pour la journée du 16 décembre 2010 ;

- son médecin lui a prescrit un arrêt de travail et un traitement médicamenteux à compter du 5 janvier 2011 et son arrêt de maladie s'est poursuivi jusqu'au 5 mars 2012.

Pour étayer ses affirmations, Madame [J] [D] produit notamment des photographies de locaux professionnels encombrés et en grand désordre. Toutefois, Madame [J] [D] n'établit pas que ces photographies concernent le bureau dans lequel elle était employée à [Localité 3], alors que Monsieur [T] [N] soutient, attestation de Mademoiselle [R], auteur des photos, à l'appui, que celles-ci ont été prises à l'agence de [Localité 6]. Si d'autres photographies, prises à [Localité 3], font apparaître la mise en vente de mobilier, il n'est pas démontré par Madame [J] [D] que cet état de fait contribuait à détériorer ses conditions de travail, faute de preuve de ce que le matériel qu'elle utilisait était concerné par les ventes.

Madame [J] [D] fait valoir que Monsieur [T] [N] lui a, vers le 24 décembre 2010, demandé de travailler le samedi, ce qu'elle a refusé le 27 décembre suivant, ce qui est justifié par la production du message qu'elle a alors adressé à son employeur, et qu'alors ce dernier lui a imposé un changement de l'amplitude de ses journées de travail dont les horaires sont passés de 9h - 13 h / 14h ' 18h45 à 8h15 ' 12 h / 14h15 ' 19h15, par une note de service qui peut être datée du 1er janvier 2011, confirmée par un courrier du 7 janvier suivant, ce qui n'est pas contesté. Cet allongement de l'amplitude de la journée de travail a généré pour la salariée des désagréments notamment au regard de sa vie familiale. Madame [J] [D] fait valoir que Monsieur [T] [N] lui a reproché de mettre le chauffage. La lecture de la note du 16 décembre 2010 produite aux débats fait apparaître que l'employeur n'a pas reproché à la salariée de chauffer son bureau, mais a seulement rappelé qu'il convenait de ne pas régler le chauffage au maximum, à 30°, et de le mettre au minimum au moment de fermer l'agence. Madame [J] [D] ne verse aux débats aucun élément de nature à établir que Monsieur [T] [N] lui a fait des remarques injustifiées ou sur un ton inapproprié. L'existence d'une retenue sur salaire injustifiée pour la journée du 16 décembre 2010 n'est pas contestée.

Quelques jours après la modification de ses horaires, le 5 janvier 2011, Madame [J] [D] a été placée en arrêt de travail pour maladie. Les documents médicaux produits aux débats font apparaître que cet arrêt résulte d'un stress et d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel, ce qui fait présumer que la pathologie alors apparue chez la patiente est en relation avec les récents événements survenus chez son employeur. L'arrêt de travail de Madame [J] [D] s'est prolongé durant plusieurs mois.

Madame [J] [D] établit ainsi l'existence matérielle d'une pluralité de faits précis et concordants, qui se sont produits entre le mois de décembre 2010 et le mois de janvier 2011, et qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre, qui sont les suivants : une modification de l'amplitude journalière de travail et une retenue sur salaire, générateurs d'une dégradation des conditions de travail, avec des répercussions durables sur l'état de santé de la salariée.

L'employeur fait valoir que la modification de l'amplitude journalière résulte du v'u fait par AXA France de mettre en place une agence dite spécialisée en crédits et services bancaires et que ce type d'agence nécessite un plus large horaire d'ouverture afin de permettre le développement du métier.

Il ne produit aucun document émanant de la société AXA, sa mandante, par lequel cette dernière lui aurait fixé des orientations impliquant une modification des horaires d'ouverture de l'agence. Il ne démontre pas, par ailleurs, que l'activité de celle-ci impliquait d'avancer son heure d'ouverture et de retarder celle de sa fermeture, avec comme corollaire une augmentation de l'amplitude de travail journalier de la salariée affectée à l'établissement. Monsieur [T] [N] ne fournit aucune justification concernant le fait qu'une retenue sur salaire a été opérée pour absence un jour où la salariée était présente à son poste de travail.

L'employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par Madame [J] [D] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le harcèlement moral est établi.

Compte tenu des circonstances du harcèlement subi, de sa durée, et des conséquences dommageables qu'il a eu pour Madame [J] [D] telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies et notamment de l'incidence du comportement de l'employeur sur la santé de la salariée, le préjudice en résultant pour Madame [J] [D] peut être évalué à la somme de 5000 euros.

Sur la demande de résiliation judiciaire

Le salarié peut obtenir du juge la résiliation judiciaire de son contrat de travail en cas de manquement de l'employeur à ses obligations rendant impossible la poursuite du contrat de travail. Si la demande de résiliation est justifiée, elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul. Si le salarié est licencié avant la décision des juges du fond, ces derniers doivent rechercher si la demande de résiliation était justifiée et c'est seulement dans le cas où la demande de résiliation n'est pas justifiée que les juges se prononcent sur le licenciement notifié par l'employeur.

Madame [J] [D] fait valoir que le harcèlement moral dont elle a été victime constitue un manquement suffisamment grave de son employeur pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail et sollicite le prononcé de la résiliation judiciaire de celui-ci.

La commission par l'employeur de faits constitutifs de harcèlement moral est un manquement suffisamment grave à ses obligations qui fait obstacle à la poursuite du contrat de travail.

La résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée et prend effet à la date à laquelle Madame [J] [D] a été licenciée, le 1er juillet 2013.

Sur les conséquences de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur

Madame [J] [D] demande que la résiliation judiciaire produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, Madame [J] [D] est en droit de percevoir les sommes et indemnités suivantes :

Indemnité compensatrice de préavis et indemnité compensatrice de congés payés sur préavis

Aux termes de l'article L.1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont la durée est calculée en fonction de l'ancienneté de services continus dont il justifie chez le même employeur.

Selon l'article L.1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.

L'indemnité compensatrice de préavis due au salarié en application de l'article L.1234-5 du code du travail est égale au salaire brut, assujetti au paiement des cotisations sociales, que le salarié aurait perçu s'il avait travaillé pendant la durée du délai-congé. Ce salaire englobe tous les éléments de rémunération auxquels le salarié aurait pu prétendre s'il avait exécuté normalement son préavis, à l'exclusion des sommes représentant des remboursements de frais.

L'article 46 de la convention collective nationale du personnel des agences générales d'assurances accorde à Madame [D] un préavis de trois mois. Compte tenu du montant du salaire brut de Madame [J] [D], il lui est dû un montant de 8968,32 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis à laquelle s'ajoute une somme de 896,83 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.

Dommages et intérêts pour licenciement abusif

Aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Aux termes de l'article L.1235-5 du code du travail ne sont pas applicables au licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés les dispositions relatives à l'absence de cause réelle et sérieuse prévues à l'article L.1235-3 du même code selon lequel il est octroyé au salarié qui n'est pas réintégré une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, et, en cas de licenciement abusif, le salarié peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice subi.

Madame [J] [D] justifie être restée au chômage jusqu'au mois de septembre 2015.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Madame [J] [D], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-5 du code du travail, une somme de 30 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif.

Sur la demande de condamnation solidaire

Le contrat de travail de Madame [J] [D] avait été transféré à la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE lorsqu'il est intervenu le licenciement à la date duquel la résiliation du contrat de travail prend effet.

Aux termes de l'article L. 1224-2 du code du travail, lorsque la substitution d'employeur intervient dans le cadre d'une convention entre ceux-ci, ce qui est ici le cas, la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE ayant repris l'exploitation de l'agence après la démission de Monsieur [T] [N], dans l'attente de la reprise du portefeuille par un autre agent général AXA, ainsi que cela est exposé par la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE dans son courrier du 22 mars 2012, le nouvel employeur est tenu aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de cette modification et, sauf si la convention en tient compte, le premier employeur est tenu de rembourser les sommes acquittées par le nouvel employeur. Toutefois, les créances de dommages et intérêts sanctionnant une faute de l'ancien employeur ne sont pas transférées.

En conséquence, si Monsieur [T] [N] est seul redevable des dommages et intérêts réparant le harcèlement et le licenciement abusif, Monsieur [T] [N] et la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE sont tenus ensemble des créances résultant du préavis, la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE étant toutefois fondée à obtenir de Monsieur [T] [N], sur le fondement de l'article L. 1224-2 du code du travail, le remboursement de toute somme versée à ce titre.

Sur la demande fondée sur les dispositions de l'article L. 1226-4 du code du travail

Madame [J] [D] fait valoir qu'elle a été déclarée inapte à son poste de travail le 27 mars 2012 de sorte que son employeur devait reprendre le versement du salaire à compter du mois d'avril 2012 jusqu'à son licenciement, au mois de juillet 2013, soit durant 16 mois, ce qu'il n'a fait que très partiellement.

Elle sollicite la condamnation solidaire de Monsieur [T] [N] et de la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE à lui verser la différence.

La Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE répond que cette demande est prescrite, aux motifs qu'elle a été formée plus de trois années après le licenciement, que le principe de l'unicité de l'instance a été abrogé le 1er août 2016 et qu'il ne s'applique qu'au contrat de travail entre les mêmes parties. Elle ajoute que cette demande est radicalement infondée.

Madame [J] [D] soutient que le principe de l'unicité de l'instance, applicable à tout instance introduite avant le 31 juillet 2016 et donc à la présente instance résultant de la saisine du conseil de prud'hommes le 17 février 2011, évince la prescription extinctive.

L'abrogation des dispositions réglementaires relatives à l'unicité de l'instance n'est pas applicable à la présente instance, introduite antérieurement au 1er août 2016, ainsi que l'édicte l'article 45 du décret n°2016-660 du 20 mai 2016.

La demande en justice interrompt le délai de prescription, et, en principe l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent l'exécution du même contrat de travail, de sorte que la saisine de la juridiction prud'homale emporte interruption de la prescription pour l'ensemble des actions nées du même contrat de travail.

En conséquence, Madame [J] [D] est fondée à obtenir de la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE le bénéfice des dispositions résultant de l'article L. 1226-4 du code du travail et il incombe à cette société de démontrer qu'elle y a satisfait.

La Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE n'ayant versé, au vu des éléments produits aux débats, qu'une somme de 33 624,90 euros à Madame [J] [D], alors que celle-ci aurait dû percevoir, sur la base de son salaire mensuel de 2989,44 euros, la somme de 47 831,04 euros entre avril 2012 et juillet 2013, elle reste devoir à l'intéressée la somme de 14 206,14 euros, outre 4783,10 euros au titre des congés payés afférents.

Sur le cours des intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1153 et 1153-1 (anciens) du code civil, recodifiés sous les numéros 1231-6 et 1231-7 du code civil, l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ainsi que le rappel de salaire seront assortis d'intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes soit le 23 février 2011, et les dommages et intérêts alloués seront assortis d'intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Sur la remise de documents

Il sera ordonné à la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE de remettre à Madame [J] [D] un certificat de travail, une attestation POLE EMPLOI et des bulletins de salaire conformes à la présente décision.

Sur les frais irrépétibles

Parties succombantes, Monsieur [T] [N] et la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE sont condamnées à payer in solidum à Madame [J] [D] la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens

Partie succombante, Monsieur [T] [N] et la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE sont condamnées in solidum au paiement des dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions :

Statuant à nouveau et ajoutant,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [J] [D] à la date du 1er juillet 2013 ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [T] [N] et la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE à payer à Madame [J] [D] les sommes de :

- 8968,32 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 896,83 euros bruts à titre d' indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

DIT que Monsieur [T] [N] doit rembourser à la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE toute somme versée par elle à Madame [J] [D] en exécution de la disposition qui précède ;

CONDAMNE la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE à payer à Madame [J] [D] la somme de 14 202,14 euros à titre de rappel de salaire et 4783,10 euros bruts à titre de rappel de congés payés afférents ;

DIT que les condamnations qui précèdent sont assorties d'intérêts au taux légal à compter du 23 février 2011 ;

CONDAMNE Monsieur [T] [N] à payer à Madame [J] [D] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

ORDONNE à la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE de remettre à Madame [J] [D] un certificat de travail, une attestation POLE EMPLOI et des bulletins de salaire conformes à la présente décision ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [T] [N] et la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE à payer à Madame [J] [D] la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [T] [N] et la Société de Gestion et de Transmission des Agences SGTA ILE DE FRANCE aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 13/10182
Date de la décision : 08/11/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°13/10182 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-11-08;13.10182 ?
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