Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 06 novembre 2017
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/18202
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Septembre 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/12547
APPELANT
Monsieur [V] [Y]
demeurant [Adresse 1]
[Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 1]
Représenté par Me Marc PELLETIER de l'ASSOCIATION FRENKEL ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
Représenté par Me. Astrid MARIONNEAU de L'ASSOCIATION FRENKEL ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIME
MONSIEUR LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE [Localité 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
agissant sous l'autorité de Monsieur le Directeur Général des Finances Publiques, [Adresse 3]
Représentée par Me Pascale NABOUDET-VOGEL de la SCP NABOUDET - HATET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0046
Représenté par M. [L] [B] Inspecteur des finances publiques muni d'un pouvoir spécial
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Juin 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Conseillère
Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Edouard LOOS, président et par Madame Cyrielle BURBAN, greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte en date du 20 décembre 1988, [V], [H] et [B] [Y] ont consenti à leur père, [Y] [Y], producteur de cinéma, un prêt remboursable à terme à hauteur de 9 millions de francs.
Le 7 décembre 2001, monsieur [V] [Y] a déposé ses déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune au titre des années 1992 à 2001, la créance correspondant au prêt consenti à son père étant reportée pour un montant symbolique de 1 franc au titre de ces années, à l'exception des années 1996, 1999 et 2000 pour lesquelles elle a été intégralement omise.
Monsieur [V] [Y] s'est vu notifier une proposition de rectification en date du 7 août 2002, portant réintégration au titre de l'ISF de la valeur nominale du prêt (9 millions de francs) au titre des années 1992 à 2001. Un avis de mise en recouvrement d'un montant de 108 326 € en droits et 52 593 € d'intérêts de retard a été émis le 25 mars 2003. La réclamation de monsieur [V] [Y] adressée le 28 avril 2003 a fait l'objet d'une décision de rejet notifiée le 5 septembre 2003.
Le tribunal de grande instance de Paris, saisi par assignation du 7 novembre 2003, a débouté monsieur [V] [Y] de ses demandes à l'encontre de cette décision, dans son jugement rendu le 13 décembre 2004, confirmé par la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 9 février 2007.
Suite au décès de monsieur [Y] [Y] le 22 juillet 2003, monsieur [V] [Y] a formé une nouvelle réclamation le 7 décembre 2007, aux fins d'obtenir la décharge des impositions contestées, considérant que la créance au titre du prêt consenti à son père n'avait pu être recouvrée en totalité. La décision de rejet de l'administration fiscale notifiée le 31 janvier 2008 a été portée par assignation du 2 avril 2008 devant le tribunal de grande instance de Paris, qui a à nouveau débouté monsieur [V] [Y] de ses demandes par jugement rendu le 26 mai 2009, également confirmé par la cour d'appel de Paris le 30 novembre 2010, cette décision étant devenue définitive.
Les rappels d'ISF ainsi que les intérêts afférents ont été soldés le 15 mai 2012 au terme d'un plan de règlement.
Monsieur [V] [Y] a introduit une troisième réclamation par courrier du 19 décembre 2011, également rejetée par l'administration fiscale suivant décision du 19 juin 2012. Il a saisi le tribunal de grande instance de Paris par assignation en date du 6 août 2012, demandant à ce que la créance au titre du prêt consenti à son père soit retenue pour un montant qui ne saurait être supérieur à 43% de sa valeur nominale, pour solliciter la restitution d'une somme 107 909 € au titre des droits et 46 102 € au titre des intérêts de retard.
Par jugement rendu le 12 septembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a :
- débouté M. [V] [Y] de toutes ses demandes ;
- condamné M. [V] [Y] aux entiers dépens ;
- rappelé que la décision est exécutoire par provision de plein droit.
Monsieur [Y] a relevé appel de ce jugement le 7 septembre 2015.
Par conclusions signifiées le 19 décembre 2016, Monsieur [Y] demande à la cour de :
Viser la décision n° 2014-436 QPC du Conseil constitutionnel du 15 janvier 2015 et l'autorité absolue qui s'attache aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif, tels que «la valeur réelle d'une créance dépend de sa valeur nominale et de la probabilité de son recouvrement» et «les dispositions du deuxième alinéa de l'article 760 permettent au créancier d'un débiteur non soumis aux dispositions du livre VI du code de commerce de voir sa créance imposée d'après sa déclaration estimative lorsqu'il est en mesure de prouver par tout moyen que le débiteur est dans l'impossibilité manifeste de faire face à l'ensemble de ses dettes échues ou à échoir au moment du fait générateur de l'impôt» ;
' en déduire que l'appelant est fondé à établir par tout moyen que [Y] [Y] était dans l'impossibilité manifeste de faire face à l'ensemble de ses dettes échues ou à échoir au moment du fait générateur de l'impôt de chacune des années en litige ;
' dire que M. [V] [Y] était fondé à recourir à la valeur estimative de sa créance pour un montant qui ne saurait être supérieur au montant effectivement perçu dans la succession ;
' déclarer en conséquence M. [V] [Y] recevable et bien fondé en son appel ;
Y faisant droit,
' infirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 12 novembre 2013 en toutes ses dispositions ;
' constater, conformément aux calculs effectués par M. [V] [Y] et non sérieusement contestés par le Directeur, qu'il n'était redevable que d'un ISF d'un montant total de 36.232 euros, assortis de 15 143 euros d'intérêts de retard, de 1.099 euros de majoration de 10 % et de 536 euros d'intérêts de retard sur cette majoration ;
' ordonner, en conséquence, la décharge de l'impôt sur la fortune mis à la charge de M. [V] [Y] au titre des années 1992 à 2001 à hauteur de 72.094 euros de droits en principal, ainsi que des intérêts et pénalités afférents ;
Subsidiairement,
' constater la violation du droit au respect des biens garanti par l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, induite par l'article 760 du CGI tel qu'interprété par la Direction des services fiscaux de [Localité 2]-Sud ;
' constater la violation des dispositions combinées des articles 14 et 1er du premier Protocole additionnel à la CESDH, induite par l'article 760 du CGI tel qu'interprété par la Direction des services fiscaux de [Localité 2]-Sud ;
' constater, conformément aux calculs effectués par M. [V] [Y] et non sérieusement contestés par le Directeur, qu'il n'était redevable que d'un ISF d'un montant total de 36.232 euros, assortis de 15 143 euros d'intérêts de retard, de 1.099 euros de majoration de 10 % et de 536 euros d'intérêts de retard sur cette majoration ;
' ordonner, en conséquence, la décharge de l'impôt sur la fortune mis à la charge de M. [V] [Y] au titre des années 1992 à 2001 à hauteur de 72 094 euros de droits en principal, ainsi que des intérêts et pénalités afférents ;
En tout état de cause,
' condamner la Direction régionale des Finances publiques d'Ile-de-France et du département de [Localité 2] à payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions en date du 15 janvier 2016, Monsieur le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 2] demande à la cour de dire et juger Monsieur [V] [Y] mal fondé en son appel, de l'en débouter ainsi que de toutes ses demandes, et de confirmer le jugement entrepris.
Il prie la cour de juger mal fondée la demande de dégrèvement de monsieur [V] [Y] et de rejeter sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et de le le condamner à lui payer une indemnité de procédure de 2 000 € ainsi qu'en tous les dépens de l'instance.
La clôture est intervenue par ordonnance rendue le 29 mai 2017.
SUR CE,
Sur les modalités d'évaluation de la créance et sa valeur au titre de l'ISF 1992 à 2001
Monsieur [V] [Y] fait valoir à titre principal que le Conseil constitutionnel, dans une décision n°2014-436 QPC du 15 janvier 2015 rendue dans une instance concernant sa s'ur, [H] [Y], a posé pour principe que « la valeur réelle d'une créance dépend de sa valeur nominale et de la probabilité de son recouvrement » (considérant n° 7), ce qui implique une réserve d'interprétation ou une déclaration d'inconstitutionnalité partielle de l'article 760 du code général des impôts en ce qu'il ne vise que la valeur nominale d'une créance, sans la pondérer au regard de la probabilité de recouvrement. Il ajoute que cette décision a également substitué à la notion de déconfiture celle de surendettement, précisant que cet état doit pouvoir être prouvé par tout moyen.
L'appelant indique que dans un arrêt du 27 mai 2015, la Cour de cassation a censuré l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 novembre 2013 rendu à l'égard de sa s'ur, [H] [Y], au motif qu'il s'était fondé sur des dispositions déclarées inconstitutionnelles suite à la décision du Conseil constitutionnel précitée. Il déduit de ces décisions que le recours à la valeur estimative d'une créance à terme n'est pas limité aux cas dans lesquels le débiteur fait l'objet d'une procédure collective ou est en situation de déconfiture, mais que le créancier peut, par tout moyen, justifier qu'il est fondé à recourir à la valeur estimative de sa créance et, par l'exercice de son droit de réclamation, se prévaloir d'éléments obtenus postérieurement au fait générateur de l'imposition litigieuse, tel notamment que le montant recouvré.
Monsieur [V] [Y] expose que le coûteux train de vie de [Y] [Y] et ses échecs professionnels ne laissaient en effet présager qu'une détérioration de sa situation financière et cela, dès l'année 1992. Il souligne que les sociétés de production cinématographiques de son père ne généraient plus de recette importantes et étaient déficitaires ; que les comptes courants ne révélaient plus aucune plus value latente. Il invoque le passif de succession de 4 513 811,45 euros supérieur à l'actif de 2 418 170,96 euros qui incluait notamment la nue propriété d'un immeuble acquis le 22 décembre 2013, sis [Adresse 4] pour lequel l'application de l'ancien barème de 80 % de la valeur en pleine propriété n'est plus de mise et alors qu'il convenait d'appliquer la valeur économique de la nue propriété par la méthode des flux actualisés corrigeant l'évaluation à un taux de 52,42 % et non plus 80 % ramenant la quote-part de chacun de co-héritiers à 1 950 2019 euros
Considérant qu'il n'a pu recouvrer sa créance qu'à hauteur de 43% de sa valeur nominale suite au décès de son père, l'appelant soutient qu'il convient de recalculer l'assiette de l'ISF sur la base de cette valeur, en l'actualisant année par année selon la table fournie par la doctrine administrative. Il en conclut qu'il était ainsi redevable d'un ISF d'un montant total de 36 232 €, assortis de 15 143 € d'intérêts de retard, de 1 099 € de majoration de 10 % et de 536 € d'intérêts de retard sur cette majoration.
L'administration fiscale réplique que le prêt consenti par acte du 20 décembre 1988 à monsieur [Y] [Y], remboursable au plus tard à son décès, s'analyse comme une créance à terme pour monsieur [V] [Y], ce qui doit en principe emporter une taxation à hauteur du capital exprimé dans l'acte en application de l'article 760 alinéa 1er du code général des impôts, qui n'a pas été déclaré inconstitutionnel contrairement à l'alinéa 3.
L'intimée indique que l'état dé déconfiture de monsieur [Y] [Y], seul cas permettant de retenir la créance pour sa valeur estimative, n'est pas démontré, considérant que les éléments évoqués par l'appelant attestent de difficultés financières mais n'établissent pas une situation irrémédiablement compromise rendant vain le recouvrement de la créance et que l'état du patrimoine à la date du décès ne permet pas d'apprécier de façon rétroactive la situation financière au titre des années litigieuses.
L'administration fiscale considère que l'état de déconfiture est incompatible avec l'assujettissement régulier à l'ISF et le train de vie de monsieur [Y] [Y] reconnu par l'appelant. Elle ajoute qu'il ne saurait être soutenu que les déclarations remplies par ce dernier étaient entachées d'erreurs d'évaluation ou de liquidation pour les années 1996 à 2001, prescrites à compter de 2011.
Ceci étant exposé, il résulte des dispositions de l'article 760 alinéa 1er du code général des impôts qui n'a pas été déclaré inconstitutionnel, que le prêt consenti par acte du 20 décembre 1988 à monsieur [Y] [Y], remboursable au plus tard à son décès, s'analyse comme une créance à terme pour monsieur [V] [Y], ce qui doit en principe emporter une taxation à hauteur du capital et que compte tenu de la réserve d'interprétation émise par le Conseil Constitutionnel, le recours à la valeur estimative d'une créance à terme n'est pas limité aux cas dans lesquels le débiteur fait l'objet d'une procédure collective ou est en situation de déconfiture. Le créancier peut, par tout moyen, justifier qu'il est fondé à recourir à la valeur estimative de sa créance et, par l'exercice de son droit de réclamation, se prévaloir d'éléments obtenus postérieurement au fait générateur de l'imposition litigieuse, tel notamment que le montant recouvré. La valeur réelle d'une créance dépend de sa valeur nominale et de la probabilité de son recouvrement. Il n'y a pas lieu dès lors de statuer sur le moyen soulevé par l'appelant et tiré de la violation du droit au respect des biens et le caractère discriminatoire de l'article 760 (art. 1 du premier protocole additionnel et art. 14 de la CESDH).
En l'espèce, Monsieur [V] [Y] s'est vu notifier une proposition de rectification en date du 7 août 2002, portant réintégration au titre de l'ISF de la valeur nominale du prêt (9 millions de francs) au titre des années 1992 à 2001.
Il résulte des déclarations d'ISF remplies par Monsieur [Y] [Y] pour les années 1996 à 2001 et qui ne peuvent plus être remises en cause en raison de la prescription acquise à compter de 2011qui est opposable tant à l'administration qu'au redevable ou à ses ayants-droit. M. [V] [Y] ès qualités d'héritier est donc mal fondé à invoquer des éventuelles erreurs d'évaluation qu'aurait commises son père.
Monsieur [Y] est mal fondé à invoquer l'état de déconfiture ou la situation irrémédiablement compromise de son père, cet état étant incompatible tant avec l'assujettissement du redevable à l'ISF qu'avec le train de vie de ce dernier, reconnu par l'appelant. Ni le fait que la consistance de l'actif successoral au décès de M. [Y], plusieurs années après le fait générateur de l'ISF de l'appelant, ni le fait que la somme empruntée à M. [V] [Y] à titre personnel et non en tant que dirigeant des sociétés de production cinématographiques, même si elle a alimenté les comptes courants de son père dans ces sociétés qui connaissaient des difficultés financières, ne justifient l'existence d'une situation irrémédiablement compromise de M. [Y] à titre personnel, rendant vaines toutes poursuites aux fins de recouvrement.
Monsieur [V] [Y] est mal fondé également, en l'absence de pièces justificatives, à invoquer l'existence de difficultés telles que le recouvrement de la créance aurait été, au titre des années d'impositions objets de la rectification, limité à 43 % de la valeur nominale du prêt, le fait que les héritiers créanciers n'aient pu recouvrer 43 % de leur créance suite au décès de leur père survenu le 22 juillet 2003 ne permettant pas en lui-même d'en déduire que la valeur estimative de la créance au titre des années antérieures vérifiées était de 43 %. Il est ajouté que M. [V] [Y] qui soutient que la créance à terme qu'il détenait sur son père a toujours été inférieure à son montant nominal l'a cependant déclarée au passif successoral de son père au montant nominal qu'il conteste.
Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] [Y] de toutes ses demandes ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens.
Monsieur [Y] succombant en son appel sera condamné aux dépens d'appel et débouté de sa demande d'indemnité de procédure. Il sera condamné, sur ce même fondement, à payer à l'intimé, la somme de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 12 septembre 2013 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE Monsieur [V] [Y] aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP Naboudet-Hatet conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
DEBOUTE Monsieur [V] [Y] de sa demande d'indemnité de procédure ;
CONDAMNE Monsieur [V] [Y] à payer à Monsieur le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 2] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
C. BURBAN E. LOOS