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26/10/2017 | FRANCE | N°17/01658

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 7, 26 octobre 2017, 17/01658


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 7



ARRÊT DU 26 OCTOBRE 2017



(n° , 20 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 2017/01658



Décision déférée à la Cour : n° 16-D-28 rendue le 6 Décembre 2016 par L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE









DEMANDERESSE ES AU RECOURS :



La CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS

Elisant domicile au ca

binet de la SCP Jeanne BAECHLIN

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Représentée par Me Joseph VOGEL de la...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 26 OCTOBRE 2017

(n° , 20 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 2017/01658

Décision déférée à la Cour : n° 16-D-28 rendue le 6 Décembre 2016 par L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

DEMANDERESSE ES AU RECOURS :

La CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS

Elisant domicile au cabinet de la SCP Jeanne BAECHLIN

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Représentée par Me Joseph VOGEL de la SELAS VOGEL & VOGEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0151

La société SERVICES CONSEIL EXPERTISES TERRITOIRE (SCET)

Elisant domicile au cabinet de la SCP Jeanne BAECHLIN

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Représentée par Me Joseph VOGEL de la SELAS VOGEL & VOGEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0151

EN PRÉSENCE DE :

L'AUTORITE DE LA CONCURRENCE

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée par M. [L] [T] et Mme [R] [H] munis d'un pouvoir

LE MINISTRE CHARGE DE L'ECONOMIE

[Adresse 3]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté par M. [P] [V] muni d'un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 juin 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Valérie MICHEL-AMSELLEM, Présidente de chambre

M. Olivier DOUVRELEUR, Président de chambre

Mme Laurence FAIVRE, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : M. Benoît TRUET-CALLU

MINISTÈRE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Mme Madeleine GUIDONI, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Valérie MICHEL-AMSELLEM, présidente et par Mme Patricia DARDAS, greffière auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure

Créé en 1998, l'Etablissement public foncier de l'Ouest Rhône-Alpes (ci-après l'EPORA) est habilité à procéder à toutes acquisitions foncières et opérations immobilières et foncières de nature à faciliter l'aménagement, ainsi qu'à effectuer les études et travaux nécessaires à leur accomplissement et, le cas échéant, participer à leur financement. Il exerce cette mission sur le territoire des départements de la Loire, de l'Ardèche, de la Drôme et de certaines communes des départements de l'Isère et du Rhône.

L'EPORA a lancé, le 2 août 2011, un appel d'offres en vue de la conclusion de deux accords-cadres pour des missions d'assistance foncière à maîtrise d'ouvrage (programmation, acquisition, gestion et cession de biens) dans le cadre de procédures de déclaration d'utilité publique mises en 'uvre sur les territoires où il intervient.

Les prestations ont été divisées en deux lots, chacun eux faisant l'objet d'un accord-cadre distinct. Chaque accord-cadre incluait plusieurs marchés subséquents, au nombre total de douze, qui devaient donner lieu à des consultations ultérieures auprès des attributaires.

Les obligations des attributaires des accords-cadres concernant les marchés subséquents étaient ainsi définies par le cahier des clauses administratives particulières : «(...) les titulaires de l'accord-cadre devront déposer une offre à chaque remise en concurrence des marchés fondés sur l'accord-cadre. Pour chaque année, ils sont autorisés à ne pas répondre à trois consultations, au-delà, le pouvoir adjudicateur sera en droit de résilier l'accord-cadre pour le prestataire défaillant et ce sans mise en demeure ni droit à indemnisation ». En ce qui concerne les prix des marchés subséquents, ce même cahier des charges prévoyait que « lors de la passation des marchés conclus sur la base du présent accord-cadre, le titulaire s'engage à limiter, à chaque remise en concurrence, à 20 % l'augmentation des prix détaillés dans le bordereau de prix unitaires ou la DPGF de l'accord-cadre ».

A l'issue de la procédure d'appel d'offres, le lot n° 1 a été attribué à la Société Services Conseil Expertises et Territoires (ci-après la société SCET), qui était une filiale à 100 % de la société SNI, elle-même filiale de la Caisse des dépôts et consignations, et qui est devenue à compter de février 2012, une filiale directe de celle-ci.

Le lot n° 2 a été attribué à la société SETIS, filiale de la société Groupe Degaud.

En juillet 2012, l'EPORA a conclu avec chacun des attributaires un avenant à l'accord-cadre ayant pour objet de modifier l'unité de prix de deux postes de prestations : d'une part, le dossier d'enquête publique, d'autre part, le suivi administratif des enquêtes publiques préalables à la déclaration d'utilité publique. Les prix unitaires, initialement exprimés en nombre de propriétaires concernés par les opérations foncières, ont dès lors été exprimés forfaitairement par dossier.

Les consultations menées d'avril 2012 à janvier 2013 auprès des seules sociétés SETIS et SCET, titulaires des deux accords-cadres, en vue de la passation des douze marchés subséquents, ont abouti à l'attribution, à chacune d'entre elles, de quatre marchés, ces consultations ayant été déclarées infructueuses pour quatre marchés.

Dans le cadre de sa mission de veille concurrentielle, un représentant de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) de la Loire a assisté, le 14 novembre 2012, à une commission interne des achats de l'EPORA relative à quatre marchés subséquents. Considérant que l'analyse des offres reçues mettait en évidence des anomalies permettant de suspecter une entente anticoncurrentielle entre les deux attributaires des accords-cadres, cette direction a mené une enquête afin de vérifier si les sociétés SCET et SETIS s'étaient entendues lors des consultations en vue de la passation des marchés de l'EPORA. Elle a conclu, au terme de cette enquête, à l'existence d'échanges d'informations et de répartition de marchés entre ces sociétés. Son rapport a été transmis au rapporteur général de l'Autorité de la concurrence (ci-après l'Autorité), qui s'est saisi d'office le 26 février 2015.

Le 11 juillet 2016, le rapporteur général de l'Autorité a notifié aux sociétés SCET et SETIS, en tant qu'auteur des pratiques en cause, ainsi qu'aux « personnes morales Groupe Caisse des dépôts et consignations et Groupe Degaud, SARL, en tant que sociétés mères», le grief d'avoir « échangé préalablement à la date de remise des offres, soit entre avril 2012, date de la passation du second marché subséquent, et janvier 2013, date d'attribution du dernier marché subséquent par le maître d'ouvrage, des informations sur leurs offres en vue de la passation du marché d'assistance foncière de l'EPORA, ayant pour conséquence de tromper le maître d'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence sur le marché, pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1, notamment 2° et 4° du code de commerce, prohibant les ententes anticoncurrentielles ». Les rapporteurs se sont appuyés sur plusieurs documents, communiqués par la société SCET, contenant les BPU (bordereaux de prix unitaires) et les DQE (Détail Quantitatif Estimatif) de la société SETIS afférents aux accords-cadres, sur les déclarations des représentants de ces sociétés et sur l'analyse de leurs offres.

Le même jour, le rapporteur général a notifié aux sociétés SCET et SETIS sa décision que l'affaire serait examinée par l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport, conformément à l'article L. 463-3 du code de commerce.

Les sociétés SETIS et Groupe Degaud n'ont pas contesté le grief qui leur avait été notifié et ont demandé l'application des dispositions de l'article L. 464-2 III du code de commerce. Le rapporteur général leur a transmis une proposition de transaction qu'elles ont acceptée par procès-verbal du 22 septembre 2016.

L'Autorité a examiné cette affaire le 3 novembre 2016. Au cours de cette séance, elle a entendu, séparément, d'abord les sociétés SETIS et Groupe Degaud et le commissaire du Gouvernement, puis la société SCET, la Caisse des dépôts et consignations et le commissaire du Gouvernement. A l'issue de son délibéré, l'Autorité a rendu deux décisions distinctes :

' une décision du 2 décembre 2016, qui n'ayant pas fait l'objet d'un recours est aujourd'hui définitive, par laquelle elle a statué sur la proposition de transaction du rapporteur général et infligé, solidairement, aux sociétés SETIS, en tant qu'auteur, et Groupe Degaud, en tant que société mère, une sanction pécuniaire de 40 000 euros (Décision n° 16-D-27 du 2 décembre 2016 relative à des pratiques mises en 'uvre sur le marché de l'assistance foncière de l'établissement public foncier de l'Ouest Rhône-Alpes) ;

' une décision du 6 décembre 2016, qui est l'objet du recours dont la cour est saisie, par laquelle elle a constaté que la société SCET, en tant qu'auteur, et « le Groupe Caisse des Dépôts et Consignations, en tant qu'entité mère», avaient participé à une entente avec la société SETIS lors de la passation du marché d'assistance foncière de l'EPORA, et leur a infligé, solidairement, une sanction pécuniaire de 560 000 euros (décision n° 16-D-28 du 6 décembre 2016 relative à des pratiques mises en 'uvre sur le marché de l'assistance foncière de l'établissement public foncier de l'Ouest Rhône-Alpes).

La cour est saisie des recours formés par la société SCET et la Caisse des dépôts et consignations contre cette dernière décision.

La Cour,

Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 16-D-28 du 6 décembre 2016 relative à des pratiques mises en 'uvre sur le marché de l'assistance foncière de l'établissement public foncier de l'Ouest Rhône-Alpes ;

Vu les déclarations de recours déposées au greffe de la cour le 20 janvier 2017 par la société Services Conseils Expertises Territoires et la Caisse des dépôts et consignations ;

Vu l'exposé des moyens et les observations complémentaires de la société Services Conseils Expertises Territoires déposés les 22 février et 29 mai 2017 ;

Vu l'exposé des moyens et les observations complémentaires déposés par la Caisse des dépôts et consignations les 22 février et 29 mai 2017 ;

Vu les observations écrites déposées par le ministre chargé de l'économie le 11 avril 2017 ;

Vu les observations écrites déposées par l'Autorité de la concurrence le 14 avril 2017 ;

Vu l'avis du Ministère public en date du 26 juin 2017 qui conclut au rejet des recours ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 27 juin 2017 les conseils des requérantes, qui ont été mises en mesure de répliquer, le représentant de l'Autorité de la concurrence, celui du ministre chargé de l'économie et le Ministère public ;

Sur ce,

La société SCET développe, à titre principal ou subsidiaire, plusieurs moyens d'annulation et de réformation, qui ont trait à la légalité externe et à la légalité interne de la décision attaquée.

La Caisse des dépôts et consignations a indiqué dans ses observations écrites qu'elle reprenait à son compte les moyens développés par la société SCET ; elle demande, en conséquence, à bénéficier de toute décision d'annulation ou de réformation qui serait prononcée par la cour. En outre, elle soutient, à titre principal, un moyen d'annulation tiré de ce que la sanction a été infligée à un groupe ne disposant pas de la personnalité morale, à titre subsidiaire, qu'elle n'exerçait aucune influence déterminante sur sa filiale et, à titre infiniment subsidiaire, que le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée, solidairement avec celle-ci, est manifestement disproportionné.

Moyens de légalité externe

La société SCET soutient, à titre principal, que la décision de l'Autorité a été prise en violation du droit à un procès équitable protégé par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (ci-après CESDH). A titre subsidiaire, elle fait valoir que les enquêteurs ont excédé les pouvoirs qu'ils tiraient du cinquième alinéa de l'article L. 450-3 du code de commerce et qu'en tout état de cause, ces dernières dispositions sont contraires aux articles 6 et 8 de la convention précitée.

Sur le procès équitable

La société SCET fait valoir que l'Autorité ayant procédé à un examen séparé de la transaction proposée par le rapporteur général à la suite de la non-contestation par les sociétés SETIS et Groupe Degaud du grief qui leur avait été notifié, il en est résulté une violation des règles du procès équitable, en ce qu'il a été porté atteinte au principe d'impartialité et au principe du contradictoire.

L'atteinte alléguée au principe d'impartialité

La société SCET soutient que, dans sa décision du 2 décembre 2016 condamnant les sociétés SETIS et Groupe Degaud à une sanction pécuniaire, l'Autorité a pris position sur les pratiques qui lui étaient reprochées, en les considérant comme établies, de sorte que les membres de cette formation avaient déjà procédé à un pré-jugement au fond de l'affaire avant de prendre la décision attaquée, manquant ainsi objectivement à l'impartialité requise de leur part.

Sans doute le principe d'impartialité qu'invoque la requérante s'oppose-t-il à ce que les membres de l'Autorité statuent au fond sur les faits qui leur sont soumis et, le cas échéant, les sanctionnent, alors qu'ils se seraient déjà prononcés sur ces mêmes points dans une précédente procédure dans laquelle la partie poursuivie n'était pas présente. Mais tel n'a pas été le cas en l'espèce ; en effet, contrairement à ce qu'allègue la requérante, les pratiques reprochées, d'une part, aux sociétés SETIS et Groupe Degaud et, d'autre part, à la société SCET et au Groupe Caisse des dépôts et consignations n'ont pas été l'objet d'un « traitement différencié », mais ont donné lieu à une seule et même instruction, avant d'être examinées par l'Autorité au cours de la séance qu'elle a tenue le 3 novembre 2016.

Au cours de cette séance, les sociétés SETIS et Groupe Degaud, qui n'avaient pas contesté le grief qui leur avait été notifié, ayant, par procès-verbal du 22 septembre 2016, donné leur accord à la proposition de transaction du rapporteur général, l'Autorité, à laquelle il incombait de statuer sur cette proposition, a, conformément à l'article L. 464-2 III du code de commerce, entendu ces sociétés et le commissaire du Gouvernement ; elle a choisi de procéder à ces auditions hors la présence de la société SCET et de la Caisse des dépôts et consignations, qui contestaient le grief qui leur était reproché, et qu'elle a ensuite entendues.

A l'issue du délibéré qui s'en est suivi, l'Autorité a rendu deux décisions distinctes, l'une et l'autre « relative[s] à des pratiques mises en 'uvre sur le marché de l'assistance foncière de l'établissement public foncier de l'Ouest Rhône-Alpes», par lesquelles elle a, pour la première, prononcé une sanction pécuniaire de 40 000 euros à l'encontre des sociétés SETIS et Groupe Degaud et, pour la seconde, statué sur le grief reproché à la société SCET et au Groupe Caisse des dépôts et consignations et leur a infligé une sanction pécuniaire de 560 000 euros.

Il en ressort que les pratiques mettant en cause les sociétés SETIS et Groupe Degaud, la société SCET et la Caisse des dépôts et consignations ont été examinées au cours d'une même séance et d'un délibéré unique de l'Autorité, de sorte que la publication de deux décisions distinctes n'a emporté aucun préjugement, par ses membres, du grief reproché aux requérantes. A cet égard, la circonstance que ces deux décisions ont été rendues à des dates différentes, les 2 et 6 décembre, et publiées à quelques heures d'intervalle, le 5 décembre au soir et le lendemain matin, est sans incidence et ne peut être considérée comme jetant un doute sur l'impartialité objective des membres de l'Autorité.

Le moyen doit, en conséquence, être rejeté.

L'atteinte alléguée au principe du contradictoire

La société SCET rappelle, en premier lieu, que conformément aux règles du procès équitable et, en particulier, au principe du contradictoire, chaque partie doit être mise en mesure de présenter utilement sa défense sur le grief qui lui est reproché et, pour cela, d'accéder à l'entier dossier et de prendre connaissance des observations déposées par toutes les parties. Elle soutient que tel n'a pas été le cas en l'espèce, puisqu'elle n'a eu accès ni aux éventuelles observations des sociétés SETIS et Groupe Degaud, ni aux échanges qui ont eu lieu, hors sa présence, lors de la séance de l'Autorité, ni au procès-verbal de transaction, ces différents éléments, ayant, selon elle, « directement ou indirectement conduit le Collège à adopter la décision [la] condamnant».

Mais la cour observe, d'une part, que la société SCET et la Caisse des dépôts et consignations ont eu accès à toutes les pièces de la procédure, à l'exception du procès-verbal du 22 septembre 2016 par lequel les sociétés SETIS et Groupe Degaud, qui n'avaient pas contesté le grief, ont accepté la proposition de transaction que leur a soumise le rapporteur général. Or, ce procès-verbal n'avait pas vocation à être porté à la connaissance de tiers à la procédure de transaction, et c'est à juste titre que l'Autorité ne l'a pas communiqué à la requérante. Il n'en résulte, pour autant, aucune atteinte au principe du contradictoire, puisque cet acte ne comporte pas d'examen des pratiques en cause, reprochées tant aux sociétés SETIS et Groupe Degaud qu'à la société SCET et au Groupe Caisse des dépôts et consignations, ni quant à leur réalité, ni quant à leur qualification juridique, et se borne à attester l'accord des intéressées à la proposition de transaction du rapporteur général, laquelle, selon les termes mêmes de l'article L. 464-2 III du code de commerce, a pour seul objet de fixer « le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée».

Il en va de même, d'autre part, des observations orales présentées en séance par les sociétés SETIS et Groupe Degaud ; en effet, ces sociétés ayant été entendues sur la détermination, par l'Autorité, du montant de la sanction pécuniaire qui leur serait infligée dans les limites définies par la proposition du rapporteur général, le débat était étranger à la défense, par la société SCET et la Caisse des dépôts et consignations, de leurs intérêts.

En deuxième lieu, la société SCET fait valoir qu'en traitant séparément la transaction passée avec les sociétés SETIS et Groupe Degaud, l'Autorité a privé la cour d'appel des moyens d'exercer son contrôle sur la décision attaquée.

Mais la cour n'étant saisie, par l'effet du recours de la société SCET et de la Caisse des dépôts et consignations, que de la seule décision du 6 décembre 2016, il lui incombe d'en apprécier la légalité formelle et le bien-fondé au vu des seuls éléments du dossier et, le cas échéant, au cas où ces éléments s'avéreraient insuffisants, d'en tirer toutes les conséquences quant à son annulation ou sa réformation, sans qu'elle ait à rechercher dans une autre procédure les moyens de remplir cet office. Dès lors, le fait que l'Autorité se soit prononcée, par une décision distincte, sur la transaction proposée par le rapporteur général aux sociétés SETIS et Groupe Degaud et acceptée par celles-ci, en leur infligeant une sanction pécuniaire dans les limites prévues par cette transaction, ne fait pas obstacle à ce que la cour statue sur la réalité des pratiques reprochées à la société SCET et à la Caisse des dépôts et consignations et sur leur qualification juridique, en appréciant, en particulier, le bien-fondé des moyens et arguments qu'elles développent.

En troisième lieu, la société SCET considère que l'annulation par la cour de la décision attaquée serait incompatible avec la décision par laquelle l'Autorité a statué sur la transaction proposée par le rapporteur général et acceptée par les sociétés SETIS et Groupe Degaud et qui, n'ayant pas fait l'objet d'un recours, établit, de manière selon elle définitive, la participation de la société SETIS à une entente anticoncurrentielle avec elle.

Cet argument, pas plus que le précédent, ne saurait être retenu, puisqu'il incombe à la cour de statuer sur l'ensemble des demandes et moyens dont elle est saisie, sans que l'existence d'une autre décision, qu'il ne lui appartient pas d'examiner, fasse obstacle à l'exercice, dans toute sa plénitude, de son contrôle. C'est ainsi que, quoique les sociétés SETIS et Groupe Degaud n'aient pas contesté le grief qui leur avait été notifié, la cour examinera l'ensemble des moyens d'annulation et de réformation des requérantes et, si elle les estime fondés, en tirera toutes les conséquences.

Sur la régularité des investigations des enquêteurs

Les enquêteurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du ministère de l'Economie (DGCCRF) ont accédé le 3 avril 2014 aux locaux de l'agence de Dijon de la société SCET et, sur le fondement de l'article L. 450-3 du code de commerce, ont pris copie d'un ensemble de documents numériques.

La société SCET considère que, ce faisant, les enquêteurs ont excédé les pouvoirs que leur donne l'article L. 450-3 précité, en n'ayant pas, comme ils en ont l'obligation, préalablement identifié et spécifiquement demandé les documents dont ils ont pris copie ; elle précise, à cet égard, que ces enquêteurs n'auraient, en réalité, demandé la communication que des documents numérotés de 1 à 8 dans le procès-verbal de prise de documents, mais non des 200 documents figurant dans l'inventaire annexé à ce même procès-verbal.

Les dispositions de l'article L. 450-3 alinéa 4 et 5 du code de commerce, dans sa version résultant de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, sur la base desquelles les enquêteurs ont obtenu communication et pris copie des documents en cause, sont ainsi rédigées : « Les agents peuvent exiger la communication des livres, factures et autres documents professionnels et obtenir ou prendre copie de ces documents par tout moyen et sur tout support. Ils peuvent également recueillir, sur place ou sur convocation, tout renseignement, document ou toute justification, nécessaires au contrôle.

Pour le contrôle des opérations faisant appel à l'informatique, ils ont accès aux logiciels et aux données stockées ainsi qu'à la restitution en clair des informations propres à faciliter l'accomplissement de leurs missions. Ils peuvent en demander la transcription par tout traitement approprié des documents directement utilisables pour les besoins du contrôle ».

Il est de principe que ces dispositions ne permettent pas aux enquêteurs de demander la communication, d'une manière générale et imprécise, de tous les documents se trouvant dans les postes informatiques de l'entreprise ; mais cette limite aux pouvoirs des enquêteurs ne saurait être interprétée comme exigeant de leur part qu'ils connaissent a priori l'existence et la dénomination de chacun des documents communiqués, ces informations n'étant, par définition, connues que du seul utilisateur du poste informatique. Il convient, en revanche, que, comme cela a été le cas en l'espèce, les documents intéressant les enquêteurs aient été identifiés par eux comme étant les documents relatifs aux consultations menées par l'EPORA en vue de la passation des marchés d'assistance foncière.

Enfin, la société SCET soutient que les enquêteurs ont procédé eux-mêmes aux recherches de documents sur le poste informatique de son agence ou, à tout le moins, que le procès-verbal des opérations ne permet pas de s'assurer que tel n'a pas été le cas.

Cette allégation, cependant, est contredite par les termes mêmes de ce procès-verbal, qui retrace ainsi le déroulement des opérations : « En la présence de M. F... [consultant foncier au sein de la SCET] nous procédons au formatage d'une clé USB d'une capacité de 8 GO que nous lui remettons afin de permettre la communication des fichiers informatiques » (cote 85). Il ressort sans équivoque de cette mention du procès-verbal, qui fait foi jusqu'à preuve contraire, que les fichiers informatiques stockés dans l'ordinateur de la société SCET ont été remis en copie par un de ses collaborateurs aux enquêteurs, sans que ceux-ci se livrent eux-mêmes à aucune recherche, aucun autre élément ne démontrant l'inverse.

En conséquence, les moyens de la société SCET tirés de la prétendue irrégularité des investigations auxquelles les enquêteurs ont procédé seront rejetés.

Sur la conformité des dispositions de l'article L. 450-3 alinéa 5 du code de commerce à la CESDH

La société SCET soutient qu'en tout état de cause, les dispositions du cinquième alinéa de l'article L.450-3 du code de commerce, sur la base desquelles les enquêteurs ont, le 3 avril 2014, obtenu communication et pris copie des documents trouvés dans l'ordinateur de son agence de Dijon, sont contraires aux articles 6 et 8 de la CESDH. En conséquence, elle demande à la cour d'annuler ces actes d'enquête, ainsi que les actes ultérieurs, et de retirer de la procédure le procès-verbal concerné.

En premier lieu, la société SCET fait valoir que les dispositions en cause ne prévoient pas la possibilité d'un recours juridictionnel effectif, immédiat et autonome par rapport au traitement de l'affaire au fond, permettant aux entreprises concernées de contester la régularité des mesures d'enquête dont elles font l'objet, et elle en conclut qu'elles ne sont donc pas conformes à l'article 6 § 1 de la CESDH.

Mais, ainsi que le relève l'Autorité, ce que la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après la CEDH) condamne, comme contraire au droit au juge prévu par l'article 6, c'est l'impossibilité pour les personnes concernées d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif des mesures dont elles sont l'objet. Or, tel n'est pas le cas s'agissant des mesures prises sur le fondement de l'article L. 450-3 du code de commerce. En effet, le droit de communication prévu par ces dispositions - outre qu'il s'exerce sans coercition, les enquêteurs ne pouvant surmonter le refus de la personne concernée et s'emparer eux-mêmes des documents demandés -, peut être contesté, par voie d'exception, dans le cadre du recours de pleine juridiction dont, comme en l'espèce, la cour d'appel, statuant en droit et en fait, peut être saisie et qui présente toutes les garanties d'un recours juridictionnel effectif au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH. Dans ces conditions, l'absence d'immédiateté de ce recours n'est pas de nature à en diminuer l'effectivité, compte tenu de ce que les pouvoirs mis en oeuvre par les enquêteurs sont dépourvus de toute force coercitive.

En second lieu, la société SCET rappelle que la CEDH a jugé qu'il résulte de l'article 8 de la CESDH un droit des sociétés au respect de leur siège social, de leur agence ou de leurs locaux professionnels, et elle soutient que l'article L. 450-3 ne garantit pas ce droit en ce que, faute, selon elle, de prévoir un recours juridictionnel effectif, il ne permet pas de prévenir les détournements de pouvoir des enquêteurs.

Mais la cour ayant précédemment constaté que le recours dont les mesures prises en application de l'article L. 450-3 peuvent être l'objet satisfaisait aux exigences de l'article 6 § 1 de la CESDH qu'invoque la requérante, celle-ci ne démontre pas en quoi ce même article porterait atteinte au droit au respect de la vie privée, du domicile et des correspondances protégé par l'article 8 de cette même convention.

Le moyen de la société SCET tendant à ce que la cour juge non conformes à la CESDH les dispositions de l'article L. 450-3 du code de commerce sera, en conséquence, rejeté.

Moyen de nullité tiré de la condamnation du « Groupe Caisse des Dépôts et Consignations»

L'Autorité a imputé les pratiques en cause à la société SCET, « en tant qu'auteur», et au « Groupe Caisse des Dépôts et Consignations», « en tant qu'entité mère», en relevant, d'une part, que celui-ci constituait « une entité économique au sens du droit de la concurrence» et, d'autre part, que la présomption d'influence déterminante sur sa filiale, résultant de ce qu'il en détenait 100 % du capital, n'était pas renversée. En conséquence, la sanction pécuniaire de 560 000 euros qu'elle a prononcée a été infligée solidairement à la société SCET et au Groupe Caisse des dépôts et consignations.

La caisse des dépôts et consignations soulève sur ce point un moyen de nullité de la décision, en faisant valoir que le « Groupe Caisse des Dépôts et Consignations» est dépourvue de la personnalité morale et ne peut donc se voir imputer aucune pratique ni sanctionner, pas plus en qualité d'auteur qu'en qualité d'entité mère.

L'Autorité s'oppose à ce moyen en faisant valoir que l'article L. 518-2 du code monétaire et financier fait de l'ensemble formé par la Caisse des Dépôts et Consignations et ses filiales un « un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique du pays » ; elle ajoute que la Caisse détient 100 % du capital de la société SCET et constitue avec celle-ci une « entité économique au sens du droit de la concurrence ». En tout état de cause, elle demande à la cour, dans le cas où elle considèrerait que les pratiques ont été imputées à tort au « Groupe Caisse des Dépôts et Consignations», de réformer sur ce point la décision, en rectifiant ce qui n'est à ses yeux qu'une « erreur matérielle», puisqu'elle entendait imputer ces pratiques à la société SCET et à la Caisse des dépôts et consignations.

La cour observe que l'Autorité peut, au vu des circonstances de l'espèce, considérer que la Caisse des dépôts et consignations constitue avec sa filiale, la société SCET, dont elle détient 100 % du capital, un groupe formant une « entité économique au sens du droit de la concurrence».

Mais, en toute état de cause, les sanctions prévues par l'article L. 464-2 du code de commerce ne peuvent, par définition, être prononcées qu'à l'encontre de personnes physiques ou d'entreprises ou d'organismes pourvus de la personnalité juridique ; or, tel n'est pas le cas du «Groupe Caisse des Dépôts et Consignations» visé par la décision.

Sans doute, la loi prend-elle en compte l'existence du groupe formé par la Caisse des Dépôts et Consignations et ses filiales ; c'est ainsi que l'article L. 518-2 précité dispose que « ([l]a Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique du pays. Ce groupe remplit des missions d'intérêt général en appui des politiques publiques conduites par l'État et les collectivités territoriales et peut exercer des activités concurrentielles ». Mais, pour autant, il ne ressort pas de ces dispositions que le législateur aurait érigé ce groupe en sujet de droit, apte à être titulaire de droits et d'obligations et à l'encontre duquel, par conséquent, pourraient être prononcées les sanctions pécuniaires prévues par l'article L. 464-2 du code de commerce, cette qualité n'étant conférée qu'à la Caisse des dépôts et consignations et à ses filiales.

C'est donc improprement que la décision attaquée a attribué la qualité d'« entité mère » de la société SCET au « Groupe Caisse des dépôts et consignations » et lui a, en conséquence, imputé les pratiques en cause, et il en ressort clairement que l'Autorité visait en réalité la Caisse des dépôts et consignations, qui détient 100 % du capital de cette société, et qui, représentée par son directeur général et un conseil, a été destinataire de tous les actes de procédure et a présenté des observations écrites et orales en défense de ses intérêts. La décision sera dès lors réformée sur ce point, ainsi qu'il sera fait au dispositif.

Moyens de légalité interne

Sur le grief

L'Autorité a considéré qu'il ressortait du dossier un « faisceau d'indices suffisamment graves, précis et concordants» démontrant la participation de la société SCET à une entente anticoncurrentielle avec la société SETIS, dont l'objet était de se répartir les marchés subséquents aux deux accords-cadres. Les indices qu'elle a relevés, à ce titre, sont au nombre de trois : des échanges d'informations entre les sociétés SETIS et SCET à partir d'avril 2012, la découverte dans les locaux de la société SCET des BPU de la société SETIS et, enfin, l'analyse des offres remises par ces sociétés en réponses aux consultations de l'EPORA pour la passation des marchés subséquents.

La société SCET conteste la force probante de chacun de ces indices et soutient qu'aucun d'entre eux n'établit ni l'échange d'informations, ni le partage de marchés qui lui sont reprochés. Elle considère que le grief d'entente est, en conséquence, « infondé en droit comme en fait» et que la décision attaquée doit être annulée.

Les échanges d'informations entre les sociétés SCET et SETIS

S'appuyant sur les déclarations de M. Z..., co-gérant de la société SETIS, et de Mme B..., directrice des agences de Lyon et Dijon de la société SCET, l'Autorité a considéré qu'il en résulte des indices que ces deux sociétés s'étaient concertées, à partir du mois d'avril 2012, pour échanger des informations précises sur leur intérêt respectif à l'attribution des marchés subséquents aux accords-cadres.

La société SCET le conteste et reproche à l'Autorité de s'attacher à des déclarations « éparses et imprécises», dont elle ferait une « analyse partielle et erronée», et qui, selon elle, « ne permettent pas d'établir l'existence d'un accord de répartition géographique» puisqu'elles « ne font pas pas état d'un quelconque accord de répartition».

Mais force est de constater que, contrairement à ce que soutient la requérante, il ressort sans équivoque des déclarations en cause que les sociétés SETIS et SCET se sont informées réciproquement sur l'intérêt qu'elles portaient aux différentes consultations de l'EPORA.

Cet échange d'informations a pris la forme, notamment, d'une conversation téléphonique, dont M. Z...a ainsi décrit la teneur dans ses déclarations recueillies par les enquêteurs les 3 avril et 30 juin 2014 : « A l'issue de l'attribution de l'accord-cadre, l'autre attributaire, la SCET, par le biais de Mme B..., nous a appelés pour se présenter, connaître ma société, son positionnement et voir si des secteurs intéressaient davantage ma société pour le marché de l'EPORA et sur l'ensemble des marchés fonciers. Je lui ai expliqué comment ma société se positionnait de manière générale sur l'ensemble des marchés fonciers (...) Nous savions à ce moment là que nous n'étions plus que deux et nous pouvions discuter pour voir qui allait travailler sur quelle zone afin de mieux satisfaire le client. J'ai indiqué à Mme B... que je n'allais pas casser les prix et que je n'allais pas répondre au-delà de mes lignes (tout sauf Nord-Ouest Rhodanien à l'exception de Roanne) et en fonction du volume des dossiers confiés par l'EPORA» (cote 2015), « Je lui ai également parlé au téléphone à l'issue de l'attribution de l'accord-cadre de l'EPORA» (cote 2381). La réalité de cet échange n'est pas contestée par Mme B... qui a déclaré que »[j]'ai du appeler M. Z... suite au premier marché qui a été passé en avril 2012 mais je ne me souviens pas vraiment. Je l'ai contacté par démarche commerciale» (cote 1900).

Ces mêmes déclarations révèlent que les intéressés se sont ensuite rencontrés et ont évoqué les marchés de l'EPORA. Ainsi, M. Z... a-t-il déclaré le 30 juin 2014 que »[j]'ai rencontré Mme B... une fois dans mon entreprise, peu après son installation à Dijon (...) Lorsque j'ai vu Mme B... je lui ai signifié les territoires sur lesquels je répondrai (ceux près de mes bases) afin de pouvoir agir dans les temps.(...) La SCET devait être d'accord pour nous laisser Roanne (...) J'ai indiqué à Mme B... que je ne répondrai pas pour les territoires du Nord Ouest Rhodanien que je connais mal» (cote 2 381). Mme B... a, dans ses déclarations du 9 juillet 2014, confirmé cette rencontre et ces conversations dans les termes suivants : « Nous nous sommes contactés par la suite pour parler de l'avenant à l'accord-cadre. J'ai déclaré précédemment que nous avons abordé ensemble les secteurs géographiques du marché. En effet, nous avons discuté de ces secteurs afin d'échanger sur ce qu'il y avait comme opération, comme nombre de dossiers par secteur » (cote 1 900).

Ces échanges de déclarations d'intérêts se sont poursuivis tout au long de l'année 2012, comme cela ressort des déclarations suivantes de Mme B... en date du 9 juillet 2014 : « Nous savions que nous étions en concurrence avec SETIS. Ne sachant plus comment répondre, dans la panique, nous avons échangé nos prix avec SETIS. Par contre, nous n'en avons pas tenu compte pour fixer nos prix par la suite. Je savais que c'était interdit mais je ne pensais pas à mal » (cote 1900). M. Z...a, pour sa part, fait le 30 juin 2014 des déclarations allant dans le même sens : « Vous m'informez du fait que vous avez trouvé dans les documents informatiques de la SCET des mentions indiquant « pour SETIS » sur des marchés de l'EPORA. Ceci est sûrement du au fait que nous nous sommes mis d'accord sur le principe de privilégier nos territoires » (cote 2 381).

Cependant, la société SCET fait valoir que ces déclarations ne font état d'aucun rapprochement ou échange en vue de l'attribution des consultations relatives aux marchés subséquents et qu'elles n'établissent pas qu'elle aurait passé avec la société SETIS un accord de répartition des marchés.

Sans doute ne résulte-t-il pas des déclarations ci-dessus rappelées que les sociétés SETIS et SCET auraient formalisé un accord précis de partage des marchés ; mais il en ressort sans équivoque qu'elles se sont mutuellement fait connaître leurs intérêts respectifs pour les différents marchés de l'EPORA et que ces échanges d'informations ont altéré le libre jeu de la concurrence, en limitant l'indépendance des différentes offres. C'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré que ces échanges constituaient un indice pertinent, dont la réunion avec les autres indices relevés rapportait la preuve de la participation de la société SCET à l'entente qui lui est reprochée.

Les BPU et DQE de la société SETIS

Comme la cour l'a rappelé plus haut, lors de leur intervention le 3 avril 2014 dans les locaux de l'agence de Dijon de la société SCET, les enquêteurs ont obtenu communication et copie des dossiers numériques relatifs au marché de l'EPORA. Parmi ces documents, figurent trois fichiers contenant les BPU et les DQE de la société SETIS pour les lots 1 et 2 de l'accord-cadre. L'examen des propriétés de ces fichiers ayant montré que le document Excel avait été modifié, en dernier lieu, le 23 novembre 2012 par une assistante de direction de la société SCET, l'Autorité en a déduit que cette société avait donc eu connaissance, au plus tard à cette date, des prix de son concurrent, soit antérieurement à la passation de deux marchés subséquents sur un total de douze.

Interrogé sur ce point lors de son audition par les enquêteurs le 9 juillet 2014, Mme B... a, par la déclaration suivante, expressément reconnu avoir eu connaissance des prix de son concurrent SETIS figurant dans ces documents : « Vous m'informez que vous avez trouvé les BPU de l'accord cadre de SETIS dans mon agence de Dijon. Effectivement, j'ai pris connaissance des prix de SETIS fin novembre 2012 (...) L'échange de prix s'est réalisé fin novembre 2012. Vous me précisez que la dernière modification des BPU SETIS trouvés dans nos ordinateurs datent d'octobre 2012 » (cote 1900). De son côté, M. Z... a, dans ses déclarations recueilles le 30 juin 2014, indiqué qu'il n'expliquait pas la présence des BPU de sa société dans un ordinateur de la société SCET, mais en a reconnu les conséquences : « Je n'ai aucune explication. Je suis très étonné. Cela signifie que depuis 2012 la SCET connaît nos prix (...) Je maintiens ne pas savoir que mes BPU avaient été transmis à la SCET. Je pense qu'il y a eu méprise» (cote 2 381).

La société SCET soutient, en premier lieu, qu'on ne peut tirer de la découverte de ces fichiers aucune conséquence quant à la preuve du grief qui lui est reproché.

Elle souligne, d'une part, que ces bordereaux avaient été déposés par la société SETIS en 2011 dans le cadre de la consultation pour la passation des accords-cadres et qu'elle n'en avait eu connaissance, à supposer que cela soit le cas, qu'en novembre 2012, soit après la conclusion, à la fin de l'année 2011, de ces accords, et, d'autre part, que ces bordereaux ne concernaient pas les marchés subséquents et, de surcroît, n'étaient pas pertinents, puisque des avenants aux accords-cadres, passés en juillet 2012, en avaient modifié les conditions financières. Enfin, elle fait valoir qu'en novembre 2012, date à laquelle elle est supposée avoir eu connaissance des BPU de la société SETIS, il ne restait que deux marchés subséquents à passer. Elle en conclut que cette connaissance n'a eu ni objet ni effet anticoncurrentiel sur la passation des marchés subséquents.

La cour observe, d'abord, que la réalité de la connaissance qu'avait la société SCET des prix de la société SETIS ne peut être sérieusement contestée, puisqu'elle résulte tant de la découverte dans l'un des ordinateurs de son agence de Dijon de fichiers contenant les BPU et le DQE transmis par la SETIS à l'EPORA, que des déclarations, ci-dessus rappelées, de Mme B... et de M. Z..... Elle rappelle ensuite que l'Autorité n'a, dans la décision attaquée, nullement considéré que la transmission des bordereaux des BPU avait eu, à elle seule, un objet ou un effet anticoncurrentiel ; l'Autorité, en revanche, y a vu, à juste titre, un indice dont le rapprochement avec les autres indices qu'elle a relevés apportait la démonstration de l'entente anticoncurrentielle reprochée à la société SCET.

En deuxième lieu, la société SCET considère que l'Autorité a écarté d'une manière totalement injustifiée l'hypothèse d'une transmission accidentelle des bordereaux et elle affirme apporter des « éléments de contexte pertinents» qui rendent « crédible et même probable» une telle hypothèse. C'est ainsi, d'une part, qu'elle fait valoir que les consultations ont été menées par l'EPORA dans des « conditions particulièrement difficiles et confuses» et que des erreurs ont été commises, « y compris par l'EPORA lui-même».

Mais quoi qu'il en soit du bien-fondé du jugement porté par la société SCET sur le déroulement des consultations en cause, l'Autorité s'étant au demeurant fait l'écho, aux paragraphes 64 à 71 de sa décision, des difficultés dans la gestion de ces marchés, il est établi que les bordereaux n'ont pas été transmis par l'EPORA. En effet, comme l'Autorité l'a rappelé dans la décision attaquée, la comparaison des empreintes numériques des bordereaux pris en copie auprès de chaque société prouve que ces documents proviennent effectivement de la société SETIS, étant rappelé, de surcroît, que cette société avait répondu à l'appel d'offres de façon non dématérialisée et qu'elle n'avait communiqué à l'EPORA ses bordereaux de prix que sur support papier.

La société SCET, d'autre part, rappelle qu'en réponse à d'autres appels d'offres, elle est intervenue dans le cadre de groupements aux côtés de la société SETIS, laquelle était alors pour elle non un concurrent, mais un partenaire, et qu'il est possible que les bordereaux lui aient alors été transmis par suite d'une confusion entre différentes consultations. Mais, outre que cette explication n'est étayée par aucun élément qui la rendrait crédible, il n'en reste pas moins qu'il est établi non seulement que la société SCET disposait des BPU de la société SETIS, mais qu'elle en a pris connaissance, ainsi que Mme B... l'a reconnu dans les déclarations ci-dessus rappelées.

L'analyse des offres

L'Autorité a considéré que la réalité des échanges d'informations entre les sociétés SETIS et SCET en vue d'une répartition des marchés subséquents était confortée par l'analyse des offres qu'elles avaient remises dans le cadre des consultations menées par l'EPORA. Elle a récapitulé les résultats de ces consultations dans un tableau figurant au paragraphe 19 de sa décision, d'où il ressort, sans que cela soit contesté, que ces sociétés avaient, à plusieurs reprises, déposé des offres irrégulières, en ne remettant pas l'acte d'engagement, ou inacceptables, en ne respectant pas les conditions financières de l'accord-cadre, ou s'étaient abstenues de déposer une offre. Les sociétés SCET et SETIS ayant, chacune, remporté quatre marchés, en utilisant la majoration de prix maximale prévue par les accords-cadres, elle en a conclu qu'elles avaient bénéficié de l'absence d'offre ou des offres irrégulières ou inacceptables de leur concurrent, qu'elle a analysées comme des offres de couverture.

La société SCET s'oppose à cette conclusion et fait valoir que la simple constatation que certaines consultations aient donné lieu, de sa part ou de celle de la société SETIS, à des offres irrégulières ou inacceptables, ou à des absences d'offre, ne suffit pas à rapporter la preuve d'un accord de répartition et elle considère que dans ce dernier cas, l'Autorité a posé une « présomption d'illicéité».

Mais les conclusions que l'Autorité tire de l'analyse des offres à laquelle elle a procédé sont corroborées par les déclarations de M. Z...et de Mme B....

Ainsi, s'agissant du secteur 1A (Roanne, Couronne, Périphérie des Monts de la Madeleine), M. Z...a déclaré aux enquêteurs le 3 avril 2014 : « J'ai indiqué à Mme B... que (...) je n'allais pas répondre au-delà de mes lignes (tout sauf Nord-Ouest Rhodanien à l'exception de Roanne)» (cote 2 015), cette communication étant ainsi confirmée par Mme B... : « J'ai dû seulement indiquer à M. Z...que je n'allais pas répondre sur le secteur de Roanne car il y était déjà présent» (cote 1 900). Les offres finalement déposées confirment cet échange de déclarations d'intérêts, puisque la société SCET, dans le cadre des consultations pour les marchés n° 12-132 et 12-133, a déposé des offres qui se sont avérées irrégulières, faute de remise de l'acte d'engagement, et que, lors des consultations n° 13-005 et 13-006 pour la relance de ces mêmes marchés, elle n'a pas remis d'offre (tableau § 19 de la décision), de sorte que la société SETIS a emporté ces deux marchés, correspondant audit secteur 1A.

S'agissant du secteur 2 (Nord-Ouest Rhodanien), la communication d'informations sur le désintérêt de la SETIS pour ce secteur a été reconnu par son co-gérant dans les termes suivants : » J'ai indiqué à Mme B... que je ne répondrai pas pour les territoires du Nord Ouest Rhodanien que je connais mal.» (cote 2 381). Force est de constater que, sur les marchés n° 12-123 et 12-125 correspondants à ce secteur, la société SETIS n'a pas déposé d'offres, permettant ainsi à la société SCET de les emporter.

S'agissant du secteur 3A (Saint-Étienne, Vallée de l'Ondaine, Vallée du Gier, Plaine du Forez), la société SETIS connaissait l'intérêt que son concurrent lui portait, ainsi que l'a indiqué Mme B... : « Il savait que je voulais le secteur de St-Étienne compte tenu du fait que j'étais précédemment employée à l'EPORA et que je suis stéphanoise mais je ne lui ai pas dit ouvertement» (cote 1 900). De fait, dans les deux marchés n° 12-130 et 12-131 correspondants, la société SETIS a déposé des offres inacceptables, car contraires aux conditions financières de l'accord-cadre, et la société SCET a emporté les marchés en augmentant ses prix.

La société SCET, cependant, voit dans le dépôt d'offres irrégulières ou inacceptable et dans l'absence d'offres, de simples « carences formelles», qu'elle impute aux conditions dans lesquelles les consultations de l'EPORA se sont déroulées. C'est ainsi qu'elle souligne que ces consultations se sont tenues dans des délais très brefs, l'obligeant, par exemple, à en traiter, au mois d'octobre 2012, huit en seulement onze jours ouvrables. Elle considère que ce contexte explique que des erreurs ont été commises par son personnel et elle rappelle que l'EPORA a commis lui-même des erreurs dans le traitement des réponses à ses consultations, ainsi en invalidant à tort deux d'entre elles.

Mais cette explication ne peut être retenue ; elle est, en effet, contredite par les déclarations, ci-dessus rappelées, des représentants des sociétés en cause, d'où il ressort, par comparaison avec les résultats des consultations, que les prétendues « erreurs» qu'aurait commises la société SCET correspondent aux échanges de déclarations d'intérêts auxquels elle s'est livrée avec la société SETIS.

De l'ensemble des ces constatations, il ressort que c'est à juste titre que l'Autorité a considéré qu'un faisceau d'indices suffisamment graves, précis et concordants démontrait la participation de la société SCET à une entente anticoncurrentielle avec la société SETIS. Son moyen d'annulation sera, en conséquence, rejeté.

Sur l'imputabilité à la Caisse des dépôts et consignations des pratiques de la société SCET

Dans sa décision, l'Autorité a rappelé que la Caisse des Dépôts et Consignations détenait, depuis mars 2012, soit antérieurement au début des pratiques, 100 % du capital de la société SCET et elle en a conclu qu'elle était présumée exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Elle a considéré qu'aucun des arguments développés par la Caisse n'était de nature à renverser cette présomption et, en conséquence, elle lui a imputé les pratiques dont sa filiale était l'auteur et l'a condamnée, solidairement avec celle-ci, au paiement de la sanction pécuniaire de 560 000 euros. La Caisse des dépôts et consignations prétend, à l'inverse, qu'elle apporte des éléments propres à renverser cette présomption et à démontrer qu'elle n'a exercé aucune influence déterminante sur le comportement de la société SCET.

La cour constate, au préalable, que l'Autorité n'a, dans la décision attaquée, relevé aucune preuve ou indice d'où il résulterait que la Caisse des dépôts et consignations aurait participé, d'une façon ou d'une autre, aux pratiques mises en 'uvre par la société SCET ou aurait influencé celle-ci ; pour lui imputer ces pratiques, elle s'est exclusivement fondée sur le constat qu'elle détenait, depuis mars 2012, tout le capital de cette société (§ 142 de la décision attaquée), appliquant ainsi la présomption, consacrée en jurisprudence tant communautaire que nationale, selon laquelle la société qui détient, directement ou indirectement, la totalité du capital d'une filiale est présumée exercer sur elle une influence déterminante.

De fait, il ne ressort du dossier - et, en particulier, des explications circonstanciées des représentants des sociétés SCET et SETIS, auxquelles la cour s'est référée plus haut à plusieurs reprises, pas plus que des documents communiqués par eux aux enquêteurs - aucun élément qui démontrerait que la Caisse des dépôts et consignations serait intervenue, à un stade quelconque et sous quelque forme que ce soit, dans la participation de la société SCET aux appels d'offres lancés par l'EPORA, ni même en aurait été informée.

Il convient donc de déterminer si, la charge de la preuve étant renversée par le jeu de la présomption, dont le principe n'est pas ici mis en cause, la Caisse des dépôts et consignations apporte des éléments propres à établir qu'elle n'a pas exercé d'influence déterminante sur le comportement de la société SCET dans le cadre des appels d'offres de l'EPORA.

A cet égard, et en premier lieu, la Caisse des dépôts et consignations rappelle que la loi la soumet à un statut particulier et soutient que celui-ci empêche de considérer qu'elle constituerait, avec la société SCET, une même unité économique à laquelle pourraient être imputées les pratiques en cause. Elle souligne, à cet égard, que ce statut prévoit, en particulier, une stricte séparation entre ses activités propres, d'intérêt général, et les activités commerciales de ses filiales, auxquelles elle ne peut pas prendre part.

Mais si ces dispositions instaurent ainsi une séparation organique entre les activités d'intérêts général de la Caisse et les activités commerciales et concurrentielles de ses filiales, on ne saurait considérer qu'il en résulte, d'une façon générale, l'impossibilité pour la première d'exercer une influence sur les secondes, et en particulier une influence déterminante. L'existence de ce dispositif n'est donc pas de nature à éarter la présomption.

En deuxième lieu, la Caisse des dépôts et consignations fait valoir que, du fait de ce statut légal particulier, elle entretient avec ses filiales des liens spécifiques, d'ordre organisationnel, économique et juridique, différents de ceux qui ont cours dans les groupes privés de sociétés, et dont témoigne, par exemple, sa soumission, en tant que pouvoir adjudicateur, aux règles de la commande publique prévues par l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative au marchés publics. Elle précise que ces règles s'imposent à elle, même dans ses relations avec ses filiales, de sorte que celles-ci ne peuvent lui fournir des prestations que si elles ont été sélectionnées, à l'issue d'une procédure les ayant mises en concurrence avec des sociétés extérieures au groupe, voire avec d'autres de ses filiales.

Cependant, le constat de l'application des règles de la commande publique est ici sans effet sur le jeu de la présomption, puisque les appels d'offres n'ont pas été lancés par la Caisse des dépôts et consignations.

En troisième lieu, la Caisse des dépôts et consignations expose que sa structure atypique et la taille de son groupe font obstacle à ce qu'elle ait effectivement exercé une influence déterminante sur la société SCET. Elle rappelle que le nombre de ses filiales directes et de 150, dont plusieurs sont des sociétés holdings à la tête de groupe importants, et elle affirme que, dans ses conditions, il ne lui serait pas matériellement possible d'exercer une influence sur la conduite de leurs affaires, sauf à disposer de représentants au sein de leurs organes définissant leur politique commerciale, ce qui n'est pas le cas.

Cet argument, cependant, n'est pas de nature à écarter la présomption que la Caisse des dépôts et consignations a exercé une influence déterminante sur la société SCET. En effet, cette présomption est fondée sur la détention de la totalité du capital d'une société filiale et, par voie de conséquence, sur le pouvoir, qui en résulte, d'orienter sa gestion, de sorte que le fait que le groupe en cause est composé de nombreuses filiales est inopérant à inverser la présomption.

En quatrième lieu, la Caisse des dépôts et consignations fait valoir que la politique de la société SCET relevait du comité de direction de celle-ci, dont tous les membres étaient issus de cette société et n'avaient pas de lien organique avec elle-même

Mais, ainsi que le rappelle l'Autorité dans ses observations, le fait qu'une filiale dispose de sa propre direction locale et de ses propres moyens ne prouve pas, en soi, qu'elle définit son comportement sur le marché de manière autonome par rapport à l'entité qui en est la mère.

Il ressort de ces constatations que la Caisse des dépôts et consignations n'apporte pas d'élément propre à écarter la présomption qu'elle a exercé une influence déterminante sur la comportement de la société SCET et qu'il convient donc de lui imputer les pratiques mises en 'uvre par celle-ci.

Sur la sanction

Pour déterminer le montant de la sanction, l'Autorité a appliqué son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après le communiqué sanctions), et en particulier les paragraphes 67 et 68 de celui-ci, lesquels prévoient, lorsque, comme en l'espèce, les pratiques ont été mises en 'uvre dans le cadre d'un appel d'offres ponctuel ne relevant pas d'une infraction complexe et continue, une méthode spécifique de calcul du montant de base, différente de la méthode générale fondée sur la valeur des ventes, laquelle « ne constitue pas un indicateur approprié de l'ampleur économique de ces pratiques, qui revêtent un caractère instantané, et du poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y prend part, en particulier lorsque leur implication consiste à réaliser des offres de couverture ou à s'abstenir de soumissionner.»

Cette méthode consiste à appliquer au chiffre d'affaires total réalisé en France par l'entreprise en cause pendant l'exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l'infraction, un coefficient déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie et tenant compte, selon le communiqué, de ce que ce type de pratiques, qui visent à tromper les maîtres d'ouvrage sur l'effectivité même de la procédure d'appel d'offres, se rangent par leur nature même parmi les infractions les plus graves aux règles de concurrence et sont parmi les plus difficiles à détecter en raison de leur caractère secret.

Au cas d'espèce, l'Autorité a retenu un coefficient de 0,8 % du chiffre d'affaires total réalisé par la société SCET en 2012, aboutissant ainsi à un montant de base de 517 986 euros. Enfin, au titre des circonstances propres à l'intéressée, elle a considéré que son appartenance au groupe Caisse des dépôts et consignations justifiait de majorer de 10 % la sanction infligée, qui a donc été portée au montant de 560 000 euros.

La société SCET soutient que l'Autorité a fondé, à tort, le mode de calcul de la sanction sur le communiqué sanctions, qui aurait dû être écarté et dont l'application «mécanique» a, selon elle, conduit au prononcé d'une sanction pécuniaire d'un montant disproportionné, en violation des principes énoncés par l'article L. 464-2 du code de commerce.

La cour rappelle que le communiqué sanctions est opposable à l'Autorité et s'impose à elle, sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné. C'est donc à juste titre que l'Autorité, constatant implicitement l'absence, en l'espèce, de telles circonstances particulières ou raisons d'intérêt général, qui ne sont ni établies ni invoquées, a fait application de ce communiqué. En conséquence, il reste à déterminer si l'Autorité a justement apprécié les circonstances de l'espèce au regard de ce communiqué et dans le respect du principe de proportionnalité prévu par l'article L. 464-2 précité.

Sur l'assiette de la sanction

En premier lieu, la société SCET fait valoir que son chiffre d'affaires a chuté d'une manière très significative depuis l'époque des pratiques en cause, puisqu'il est passé, de 2012 à 2015, de 64 748 300 euros à 34 482 604 euros, soit une baisse de près de 50 %, au point qu'elle se trouverait aujourd'hui dans une situation financière très délicate. Elle considère que, dans ces conditions, le chiffre d'affaires 2012 que l'Autorité a retenu, ne constitue pas une base pertinente de détermination du montant de la sanction et qu'il est contraire à l'exigence de proportionnalité qu'impose l'article L. 464-2 du code de commerce.

Mais, ainsi que le rappelle le ministre chargé de l'économie dans ses observations, la prise en compte, comme le prévoit le communiqué sanctions, du chiffre d'affaires réalisé pendant l'exercice au cours duquel les pratiques en cause ont été commises, soit en l'espèce l'exercice 2012, est une référence appropriée et objective pour proportionner l'assiette de la sanction, d'une part, à l'ampleur économique de ces pratiques et, d'autre part, au poids relatif de l'entreprise en cause. En revanche, c'est au stade ultérieur de l'individualisation de la sanction que la diminution, postérieurement aux pratiques sanctionnées, du chiffre d'affaires peut être examinée, au titre des éventuelles difficultés financières qui en résulteraient pour l'entreprise et de leur impact sur ses capacités contributives, étant observé que la requérante ne formule sur ce point ni moyen, ni demande.

En second lieu, la société SCET reproche à l'Autorité d'avoir retenu comme assiette de la sanction son chiffre d'affaires total. Elle fait valoir que la pratique en cause n'avait qu'une dimension locale et ne concernait que son agence de Lyon, dont le chiffre d'affaires ' 263 468 euros ' représentait moins de 1 % de son chiffre d'affaires total ; elle ajoute que l'activité « Foncier aménagement» de cette agence, dont relevait le marché de l'EPORA, n'a généré en 2012 qu'un chiffre d'affaires de 35 566 euros. Elle en conclut que l'Autorité n'aurait dû retenir comme base de la sanction que le chiffre d'affaires de cette seule activité de son agence de Lyon ou, tout au plus, le chiffre d'affaires total de celle-ci.

Mais l'agence de la société SCET ne constituant pas une entité juridique autonome, et le montant de base de la sanction n'étant pas calculé sur la valeur des ventes, c'est à juste titre que l'Autorité, conformément à son communiqué, a retenu le chiffre d'affaires total réalisé par cette société, proportionnant ainsi la sanction au poids relatif de cette entreprise dans le secteur de l'assistance foncière.

Sur la gravité des faits

La société SCET souligne, d'une part, que l'échange d'informations qui lui est reproché a porté non sur les prix qui seraient proposés dans le cadre des consultations à venir en vue de la conclusion des marchés subséquents, mais sur les prix qui avaient été antérieurement pratiqués dans le cadre de l'attribution des accords-cadres. Elle rappelle, par ailleurs, que cet échange serait intervenu, selon la décision attaquée, en novembre 2012, soit après l'attribution de ces accords-cadres et après la conclusion, en juillet 2012, des avenants qui en ont bouleversé les conditions financières, et qu'il n'a donc pu réduire de manière significative l'incertitude entourant le comportement de son concurrent. Elle en conclut que, dès lors, la gravité des pratiques doit être « largement relativisée».

Sans doute l'Autorité a-t-elle considéré, au vu des éléments d'enquête à sa disposition, que les BPU de la société SETIS avaient été transmis à la société SCET, non d'ailleurs en novembre 2012, mais « au plus tard» à cette date, soit après que les conditions financières fixées à l'origine dans les accords-cadres avaient été modifiées par les avenants passés en juillet 2012. Mais elle a, par ailleurs, relevé, comme la cour l'a rappelé plus haut, que les sociétés SCET et SETIS s'étaient mutuellement et explicitement informées, à partir d'avril 2012, sur leurs intérêts respectifs quant à l'attribution des onze marchés subséquents restant à conclure et qu'il en était résulté une répartition entre elles de ces marchés, confirmée par l'analyse des offres, faussant ainsi le libre jeu de la concurrence. Dès lors, le simple fait que la transmission des BPU soit postérieure à la conclusion des accords-cadres et de leur avenant n'est pas de nature à atténuer la gravité des pratiques en cause.

D'autre part, la société SCET soutient que sont apparues, dans la gestion des marchés de l'EPORA, plusieurs « anomalies et difficultés», qui atténuent la gravité des faits reprochés. Elle fait valoir, à ce titre, que le mode d'attribution des marchés, consistant à passer d'abord des accords-cadres puis des marchés subséquents, s'est avéré complexe à gérer, l'EPORA ayant lui-même commis des erreurs significatives dans le traitement des dossiers, ainsi en invalidant à tort deux consultations subséquentes, que seuls deux attributaires ont été retenus pour les accord-cadres, alors que « normalement» on retient au moins trois attributaires, que les attributaires n'ont pu anticiper les besoins matériels et humains nécessaires à l'exécution des marchés subséquents, faute de visibilité sur le calendrier des consultations et sur les caractéristiques des opérations envisagées, que l'avenant de juillet 2012 a bouleversé l'économie du contrat-cadre, en augmentant les coûts, et, enfin, que l'EPORA a lancé huit marchés sur une période de onze jours, empêchant les attributaires de candidater à tous ces marchés. Elle considère que ces difficultés sont de nature à atténuer la gravité des faits reprochés.

Mais il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que, loin de méconnaître la réalité de ces difficultés, l'Autorité en a expressément fait mention aux § 64 à 71 (« 3. Les difficultés dans la gestion des marchés de l'EPORA») et les a prises en compte comme facteur d'atténuation de la gravité des pratiques. Elle a, en particulier, relevé que l'EPORA avait lui-même confirmé dans les termes suivants la complexité de ses marchés et la difficulté en résultant pour les attributaires des accords-cadres dans l'anticipation de leur plan de charge : « Une autre raison de la variété des prix est peut être que lorsque nous avons passé nos marchés subséquents, les opérations n'étaient pas connues des attributaires. (...) Nous savons que les moyens d'ingénierie de la SCET et de SETIS pour répondre à nos missions sont limités. De plus, ils ne pouvaient pas présupposer du plan de charge que le marché à bons de commandes allait générer. Cette incertitude pouvait être matière à prendre des précautions financières » (§ 70 de la décision attaquée). L'Autorité a, par ailleurs, considéré qu'en ne retenant que deux attributaires des accords-cadres, « au lieu d'au moins trois comme le veut la pratique», l'EPORA avait contribué « à restreindre la concurrence lors de la passation des marchés d'application de ces accords-cadres et à faciliter les échanges d'informations sensibles entre les deux seules sociétés admises à présenter des offres » (§ 167 de la décision attaquée). Dans ces conditions, elle a conclu qu'il convenait de tenir compte du comportement de l'EPORA «comme étant de nature à tempérer la gravité des faits en cause» (ibid.).

Enfin, la société SCET fait valoir que les pratiques qui lui sont reprochées, à les supposer établies, ne résultent d'aucune directive, stratégie ou politique d'entreprise de sa part, mais qu'elles ont été mises en 'uvre de manière isolée, en dehors de tout cadre hiérarchique, par Mme B..., directrice des agences de Lyon et de Dijon, laquelle disposait d'une grande autonomie dans la gestion des marchés concernés.

Mais quand bien même le constat d'une telle autonomie serait-il avéré, il n'en résulterait aucune conséquence sur la gravité objective des pratiques, lesquelles, en toute hypothèse, sont imputables à la société SCET, qui est la seule entité juridique relevant des dispositions de l'article L. 464-2 du code de commerce et dont l'agence locale de Lyon ne constitue en aucune façon une « entreprise» au sens de cet article.

Sur le dommage à l'économie

L'Autorité a, d'abord, rappelé qu'afin d'apprécier le dommage causé à l'économie - dommage que, selon une jurisprudence constante, elle n'est pas tenue de chiffrer précisément - elle tenait compte, notamment, de l'ampleur de l'infraction, au vu de sa couverture géographique et de la part de marché de l'entreprise mise en cause, de ses conséquences conjoncturelles et structurelles sur le marché, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur ou du marché concernés et que, s'agissant, comme en l'espèce, d'une entente portant sur un appel d'offres, elle retenait comme éléments de cette appréciation le montant des marchés affectés et la mise en 'uvre ou non des pratiques, leur durée, leur taille et la position des entreprises concernées sur le secteur.

Elle a ensuite relevé qu'en l'espèce, les appels d'offres pour l'attribution des marchés subséquents, à l'exception du premier d'entre eux qui était antérieur aux pratiques anticoncurrentielles, avaient été privés d'effet, puisque l'EPORA n'avait pu arbitrer entre des offres régulièrement émises, et qu'en outre, ces marchés avaient tous été attribués à des prix proches du haut de la fourchette prévue par les accords-cadres. Elle a, par ailleurs, souligné le caractère local de ces marchés ainsi que leur taille et a considéré que ces éléments étaient de nature à modérer l'importance du dommage causé à l'économie, qu'elle a, dans ces conditions, qualifié de « certain mais modéré».

La société SCET soutient que cette analyse doit être « nuancée» et que le dommage, « s'il existe», n'est que « minime». C'est ainsi qu'elle fait valoir, en premier lieu, la dimension locale des marchés et leur taille modeste.

Mais, force est de constater que, comme la cour vient de le rappeler, ces caractères propres des marchés en cause n'ont nullement été ignorés par l'Autorité et ont, au contraire, été expressément pris en compte par elle. L'Autorité a ainsi relevé, au paragraphe 174 de sa décision, que « le marché de l'assistance foncière de l'EPORA concerné par les pratiques [était] de dimension locale» et que « son montant estimatif total s'élev[ait] à 414 000 euros et les prestations qui ont été effectivement facturées [étaient] inférieures» à ce montant, et elle en conclu que ces constatations étaient de nature à « modérer l'importance du dommage causé à l'économie».

En second lieu, la société SCET soutient qu'elle aurait été contrainte, même en l'absence de pratiques, d'augmenter ses prix dans la limite de 20 % prévue par l'accord-cadre. À l'appui de cette allégation, elle fait valoir que les avenants aux accords-cadres avaient modifié leur équilibre et les perspectives financières des co-attributaires, que les augmentations de l'ordre de 18 à 20 % étaient intervenues après la conclusion de ces avenants et qu'au moment des appels d'offres en vue de la conclusion de ces accords, les candidats n'avaient pas connaissance du plan de charge qui serait généré par les consultations subséquentes. Elle conteste, en conséquence, que les pratiques en cause aient pu entraîner un surprix et elle en déduit que le dommage à l'économie est « très faible voire inexistant».

La cour, qui rappelle que l'évaluation chiffrée d'un surprix n'est pas nécessaire à la prise en compte d'un dommage à l'économie, observe que l'hypothèse défendue par la société SCET - une augmentation des prix même en l'absence de pratiques - ne peut cependant être considérée comme démontrée, la mise en cause elle-même indiquant que ses prix auraient « très probablement» été augmentés. Elle relève, en outre, que les pratiques d'échange d'informations ont réduit l'incertitude de la société SCET quant au comportement de son concurrent dans le cadre des consultations, et qu'il a, en conséquence, été porté atteinte au principe d'indépendance des offres, entrainant nécessairement par là un effet sur les prix, de sorte que les procédures lancées par l'EPORA ont été privées de tout effet.

En troisième lieu, la société SCET fait valoir qu'en retenant un surprix de 18 à 20 %, son montant aurait alors été de l'ordre de 10 000 euros, puisque les montants qu'elle a facturés à l'EPORA n'ont représenté qu'une somme totale de 57 176 euros.

Cependant, cette constatation objective, qu'il n'y a pas lieu de récuser, n'est nullement discordante avec l'appréciation portée sur le dommage à l'économie par l'Autorité, celle-ci ayant considéré qu'il était certain, mais « modéré».

De ces constatations, il résulte que l'Autorité a fait une juste appréciation du dommage causé à l'économie par l'entente à laquelle la société SCET a pris part.

Sur l'appartenance de la société SCET à un groupe

Après avoir fixé le montant de base de la sanction à 517 986 euros, compte tenu du coefficient de 0,8 % appliqué au chiffre d'affaires réalisé en France au cours de l'exercice 2012 par la société SCET, l'Autorité a majoré ce montant de 10 % au motif que celle-ci appartenait au « Groupe Caisse des Dépôts et Consignations», dont le produit net bancaire consolidé s'était élevé à 3,65 milliards d'euros en 2013. Elle a justifié cette majoration en relevant que les pratiques en cause avaient été imputées à ce groupe et que celui-ci constituait « une entité économique unique au sens du droit de la concurrence» et qu'il était donc « à ce titre, réputé exercer une influence déterminante sur sa filiale».

La société SCET soutient que cette majoration est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation et de la cour d'appel, d'où il ressortirait que le simple constat de l'appartenance à un groupe ne peut conduire à relever le montant de la sanction infligée à l'auteur de pratiques anticoncurrentielles et qu'en l'espèce, l'Autorité n'a exposé aucun élément qui démontrerait que son comportement aurait été influencé ou facilité par une telle appartenance.

Mais la cour a jugé plus haut que la Caisse des dépôts et consignations était présumée avoir exercé une influence déterminante sur le comportement de la société SCET et que, pour cette raison, les pratiques mises en 'uvre par celle-ci devaient lui être imputées. Il s'en déduit, par définition, que l'appartenance de la société SCET au groupe à la tête duquel se trouve placée la Caisse des dépôts et consignations, qui en détient 100 % du capital, a joué un rôle dans la mise en 'uvre de ces pratiques. C'est donc à juste titre que l'Autorité, prenant en compte la taille de ce groupe, qui a réalisé en 2013 un produit net bancaire de 3,65 milliards d'euros, a majoré de 10 % le montant de la sanction pécuniaire qu'elle a prononcée.

PAR CES MOTIFS

REFORME la décision de l'Autorité de la concurrence n° 16-D-28 du 6 décembre 2016, mais seulement en ce qu'elle a imputé les pratiques au "Groupe Caisse des Dépôts et Consignations" et prononcé une sanction pécuniaire à son encontre ;

Statuant à nouveau de ce chef,

DIT que la Société Services Conseils Expertises et Territoires, en tant qu'auteure, et la Caisse des dépôts et consignations, en tant qu'entité mère, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce en participant à une entente avec la société SETIS lors de la passation du marché d'assistance foncière de l'EPORA et leur inflige solidairement une sanction pécuniaire de 560 000 euros ;

CONDAMNE la Société Services Conseils Expertises et Territoires et la Caisse des dépôts et consignations aux dépens de l'instance.

LA GREFFIÈRE,

Patricia DARDAS

LA PRÉSIDENTE,

Valérie MICHEL-AMSELLEM


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 17/01658
Date de la décision : 26/10/2017

Références :

Cour d'appel de Paris I7, arrêt n°17/01658 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-10-26;17.01658 ?
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