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25/10/2017 | FRANCE | N°17/01279

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 25 octobre 2017, 17/01279


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 3



ARRET DU 25 OCTOBRE 2017



(n° 664 , 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 17/01279



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Décembre 2016 -Président du TGI de Paris - RG n° 16/59434





APPELANTE



Madame [L] [I]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée et assistée de Me Thierry

VALLAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0069







INTIMEES



SARL GOOGLE FRANCE

[Adresse 4]

[Localité 3]

N° SIRET : 443 061 841



Société GOOGLE INC

[Adresse 1]

[Localité 5]





Représen...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 3

ARRET DU 25 OCTOBRE 2017

(n° 664 , 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 17/01279

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Décembre 2016 -Président du TGI de Paris - RG n° 16/59434

APPELANTE

Madame [L] [I]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée et assistée de Me Thierry VALLAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0069

INTIMEES

SARL GOOGLE FRANCE

[Adresse 4]

[Localité 3]

N° SIRET : 443 061 841

Société GOOGLE INC

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentées par Me Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0738

assistées de Me Florent DESARNAUTS substituant Me Christophe BIGOT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0738

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Juillet 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne-Marie GRIVEL, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Martine ROY-ZENATI, Présidente de chambre

Mme Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Mme Mireille QUENTIN DE GROMARD, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Véronique COUVET

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Martine ROY-ZENATI, président et par Mme Véronique COUVET, greffier.

Mme [L] [I] exerce une activité de conseil en productions audiovisuelles, prestation de services et vente d'accessoires de mode et produits cosmétiques sous le nom commercial de P Communications et est propriétaire de la marque « Maîtresse Patricia ». Elle a sollicité, à plusieurs reprises depuis 2014, les sociétés Google Inc. et Google France afin d'obtenir la suppression des résultats de recherches Google à partir de ses nom et prénom associés avec les termes « Maîtresse Patricia » ou d'autres mots-clefs « adultes ». Le 23 juin 2015, elle a adressé à Google Inc. une notification sur le fondement de l'article 6-1-5 de la loi sur la confiance en l'économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN).

Après saisine de la CNIL, Google France a fait part de sa décision de déréférencer de son moteur de recherche dans les versions européennes le lien URL :

http://74.125.163.19/transparencyreport/removal/copyright/owners/59587/[L]-[I]/.

Un constat d'huissier de justice dressé le 26 novembre 2015 ayant recensé des pages toujours actives, le conseil de Mme [I] a adressé au service juridique de Google France, le 20 juin 2016, une mise en demeure aux fins de voir retirer, dans un délai de huit jours, les pages « transparency » engendrées par les demandes de déréférencement de sa cliente et lui verser une indemnité réparatrice à hauteur de 20.000 euros.

C'est dans ce contexte que Mme [I] a alors assigné les sociétés Google Inc. et Google France devant le juge des référés à ces mêmes fins.

Par ordonnance du 16 décembre 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré irrecevable l'action à l'encontre de la société Google France ;

- dit n'y avoir lieu à référé ;

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.

Par déclaration du 16 janvier 2017, Mme [I] [L] a interjeté appel de cette ordonnance.

Par ses conclusions transmises le 27 juin 2017, elle demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance du 16 décembre 2016 en toutes ses dispositions ;

- dire que les 76 pages sont toujours en ligne depuis presque deux ans en dépit de multiples mises en demeure, formulaires remplis, démarches amiables, et courriels ;

- dire que l'absence de déréférencement et de suppression totale de ces URLs dans son moteur de recherche par la société Google constitue un dommage imminent ;

- dire qu'il n'est pas contestable que son nom et celui de sa société de conseil P Communications associé à des informations fausses, inexplicables, et à des pages et mots clés pornographiques auxquels elle est étrangère est constitutif d'un trouble manifestement illicite ;

- dire qu'il y a urgence à supprimer les pages dans le moteur de recherche et sur https://www.google.com/transparencyreport 76 adresses URLs ;

- dire que l'absence de déréférencement et suppression par les intimées des 76 URLs litigieuses constitue un trouble manifestement illicite ;

- dire qu'il existe un trouble manifestement illicite en raison du fait que la société Google France et/ou Google Inc, en ne désindexant pas ces URLs de son moteur, engage manifestement sa responsabilité sur le fondement de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, de l'article 226-18-1 du code pénal, de l'article 9 du code civil, de l'article 6 de la LCEN et des articles 1240 et suivants du code civil ;

- dire qu'un tel agissement constitue une faute des intimées à son égard ;

En conséquence :

- ordonner aux intimées, sous astreinte solidaire de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision à intervenir, de déréférencer et supprimer de manière totale et définitive du moteur de recherche Google et sur le site https://www.google.com/transparencyreport/ les 76 URLs litigieuses, à savoir :

1.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1111845/

2.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1109874/

3.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1111104/

4.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1103325/

5.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1104239/

6.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1111845/

7.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1109874/

8.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1111104/

9.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1103325/

10.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1104239/

11.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/reporters/37517/maitressepatricia/

12.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1102175/

13.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/searchdata/requests/'id=1117094

https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1101908/

14.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/searchdata/requests/id=1101908

15.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1102175/

16.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1101908/

17.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1101908/

18.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/reporters/37224/P-

communications/

19.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1155554/

20.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1148866/

21.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1145093/

22.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1145077/

23.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1145077/

24.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1131094/

25.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1121959/

26.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/owners/59608/P-communications/

27.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1090929/

28.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/domains/avenue69.fr/

29.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/domains/boutique-sm.fr/

30.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/domains/hotshop-online.fr/

31.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/domains/lingerie-sextoys.eu/ 23/25

32.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/domains/ohlescoquins.com/

33.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/domains/sexhotshop.net/

34.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/domains/adultclassified.com/

35.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/owners/59608/Pcommunications/

36.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/owners/59940/Maitresse-Patricia/

37.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/domains/sexshop-france.com/

38.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/domains/sm-fetish.fr/

39.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/owners/59608/P-communications/

40.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/domains/onatoo.com/

41.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1155554/

42.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1148866/

43.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1145093/

44.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1138855/

45.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/reporters/37549/

46.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1111845/

47.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1109874/

48.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1111104/

49.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1104239/

50.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1103325/

51.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/requests/1148866/

52.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/owners/59940/Maitresse-Patricia/

53.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/domains/toutgratuit.fr/

54.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/owners/59608/P-communications/

55.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/reporters/37224/P-communications/

56.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/requests/1155554/

57.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/requests/1148866/

58.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/searchdata/requests/id=1148866

59.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/requests/1145093/

60.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/domains/avenue69.fr/

61.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/requests/1145077/

62.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/searchdata/requests/id=1145077

63.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/searchdata/requests/id=1155554

64.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/owners/59608/P-communications/

65.http://74.125.163.19/transparencyreport/removals/copyright/domains/francedvdx.com/

66.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/searchdata/requests/id=1111845

67.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/requests/1138855/

68.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/searchdata/requests/id=1138855

69.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/requests/1131094/

70.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/requests/1121959/

71.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/searchdata/reporters/id=37224

72.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/requests/1090929/

73.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/searchdata/requests/id=1090929

74.http://74.125.71.17/transparencyreport/removals/copyright/reporters/37224/P-communications/

75.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/searchdata/owners/id=59608

76.https://www.google.com/transparencyreport/removals/copyright/searchdata/owners/id=68548

- condamner les intimées à une astreinte de 50 euros par jour de retard à chaque demande lors de chaque création de toute nouvelle page en ligne sur le site https://www.google.com/transparencyreport/

- condamner in solidum les intimées à lui verser à titre provisionnel 20.000 euros au titre des préjudices subis ;

- condamner solidairement Google France et Google Inc à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamner aux entiers dépens, qui pourront être recouvrés par Maître Thierry Vallat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile qui comprendront notamment les frais de deux constats d'huissiers, d'assignations dans les deux langues, traductions.

Elle fait valoir :

- que la responsabilité de Google France peut être recherchée car, bien que Google Inc. soit l'exploitant du moteur de recherche, Google France, qui en est une filiale à 100%, assure par l'activité qu'elle déploie, le financement de ce moteur de recherche ;

- que les URLs portent atteinte à sa vie privée et ne sont nullement justifiées par le droit à l'information du public ;

- qu'en refusant à plusieurs reprises de déréférencer les URLs litigieuses, Google a violé les articles 7, 38 et 40 de la loi du 6 janvier 1978, modifiée par la LCEN ;

- que le trouble manifestement illicite résulte des informations fausses et inexactes la concernant et qu'il perdure, ainsi qu'un récent constat d'huissier du 9 janvier 2017 l'établit, dont il ressort l'existence de 11 URLs nouvelles dont elle demande également la suppression.

Par ses conclusions transmises le 19 juin 2017, la SARL Google France et la société Google Inc demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance de référé rendue le 16 décembre 2016, en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action à l'encontre de la société Google France ;

- dire et juger irrecevable Mme [I] en ses demandes de suppression et de déréférencement de 11 nouvelles URLs, autres que les 66 URLS objet de la première instance, et qui n'ont fait l'objet d'aucune demande auprès de Google Inc,

En conséquence,

- dire n'y avoir lieu à référé ;

Subsidiairement,

- déclarer les demandes de Mme [I] irrecevables et en toutes hypothèses mal fondées ;

En conséquence,

- dire n'y avoir lieu à référé ;

- débouter Mme [I] de l'ensemble de ses demandes et prétentions ;

- débouter l'appelante de toutes demandes plus amples à son encontre ;

En tout état de cause

- condamner l'appelante au paiement d'une somme de 5.000 euros aux sociétés Google France et Google Inc en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elles font valoir :

- que c'est Google Inc. qui est responsable du traitement opéré sur Google.fr, dont elle détermine les finalités et les moyens ;

- que l'appelante n'établit pas la réalité des faits qui fondent sa demande ; qu'il n'est ainsi pas démontré que 53 des adresses URLs en cause auraient été accessibles au public, ni que 23 autres URLs seraient référencées dans la liste des résultats obtenus par une recherche sur la base de ses nom et prénom sur le moteur de recherche Google.fr ou qu'elles donneraient accès à des pages du site google.com/transparency/report sur lesquelles seraient reproduits les nom et prénom de l'appelante ;

- que les demandes tendant à voir déréférencer et supprimer 11 nouveaux URLs sont irrecevables en tant que demandes nouvelles mais aussi au motif que la société Google Inc n'a pas été saisie d'une demande de suppression et de déréférencement relative à ces URLs ;

- que l'intimée n'a pas été mise à même de connaître les contenus illicites et les griefs juridiques formulés dans les conditions prévues par l'article 6-I-5 de la LCEN ;

- que les contenus en cause ne caractérisent aucun trouble manifestement illicite ;

- que les droits de retrait et d'opposition prévus par la loi informatique et libertés ne sont pas opposables à Google Inc. dans le cadre de l'exploitation du site www.google.com/transparencyreport dont l'objet est d'établir un bilan de transparence sur les différentes demandes de suppression de contenus effectués dans le monde ;

- que les liens litigieux rentrent dans le cadre d'une exemption puisqu'ils renvoient vers des demandes de retrait de contenus prétendument contrefaisants et que leur publication vise à assurer la parfaite information des internautes en la matière.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de déréférencement à l'encontre de la société Google France :

Considérant que, conformément à l'article 3 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, modifiée par la loi n°2004-801 du 6 août 2004, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés qui assure la transposition de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, « le responsable d'un traitement de données à caractère personnel est, sauf désignation expresse par les dispositions législatives relatives à ce traitement, la personne, l'autorité publique, le service ou l'organisme qui détermine ses finalités et ses moyens » ;

Considérant que les sociétés Google Inc. et Google France soutiennent que Google Inc. est seule responsable de l'exploitation du moteur de recherche « Google.fr », et que Google France n'a pas la possibilité matérielle de participer à la gestion du moteur de recherche en France ni d'intervenir concrètement pour procéder elle-même à des retraits, son activité réelle consistant essentiellement en une mission de conseil et de marketing ; qu' elles font valoir que l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne en date du 13 mai 2014 (Google Spain SL et Google Inc. c/ Agencia Española de Protección de Datos et [S] [V] [H]) ne se prononce nullement sur l'éventuelle responsabilité des filiales de la société Google Inc. qui exploite seule ledit moteur de recherche, les développements de la cour sur le rôle de la filiale espagnole portant sur une question de droit international privé ;

Considérant que Mme [L] [I] soutient au contraire qu'à la lumière de cet arrêt, les filiales de Google Inc. implantées dans les Etats membres peuvent être poursuivies au titre des activités du moteur de recherche américain dont elles sont les représentantes dans l'Etat concerné et, qu'en finançant le moteur de recherche de Google Inc, Google France participe directement à la promotion et à la diffusion des services litigieux ;

Considérant qu'il n'est pas discuté que la société Google Inc. exploite le moteur de recherche google.fr et google.com/transparencyreport, et est le responsable du traitement des données opéré au moyen de ces moteurs de recherche ;

Que si la société Google France peut être qualifiée d'établissement au sens de l'article 5-1 de la loi précitée, en raison du fait que ses activités relatives aux espaces publicitaires sont indissociablement liées à celles de l'exploitant du moteur de recherche, de sorte que les traitements de données à caractère personnel réalisés par la société Google sont soumis à la loi française, il ne s'en déduit pas que la société Google France participe à l'exploitation directe ou indirecte dudit moteur de recherche et qu'elle a la qualité de responsable du traitement litigieux des données ; qu'en conséquence c'est à juste titre que le premier juge l'a mise hors de cause ;

Sur la demande de déréférencement à l'encontre de la société Google Inc. :

Considérant qu'aux termes de l'article 809 du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Que le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite découle de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit ;

Considérant que selon l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » et selon les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications » et « toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant » ; que l'article 9 du code civil dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée ;

Considérant que l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée par la loi du 6 août 2004 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés prévoit qu'un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions de ce texte, notamment si :

'3° Elles sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs' ;

4° Elles sont exactes, complètes et, si nécessaire, mises à jour ; les mesures appropriées doivent être prises pour que les données inexactes ou incomplètes au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou traitées soient effacées ou rectifiées' ;

Que l'article 7 de ce texte dispose que ' Un traitement de données à caractère personnel doit avoir reçu le consentement de la personne concernée ou satisfaire à l'une des conditions prévues par ce texte et notamment ...

5° La réalisation de l'intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le destinataire, sous réserve de ne pas méconnaître l'intérêt ou les droits et liberté fondamentaux de la personne concernée' ;

Considérant qu'en matière de droit d'accès et de rectification, conformément aux dispositions de l'article 40 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, « toute personne physique... peut exiger du responsable du traitement que soient, selon les cas, rectifiées, complétées, mises à jour, verrouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant, qui sont inexactes, incomplètes, équivoques, périmées, ou dont la collecte, l'utilisation la communication ou la conservation est interdite » ;

Que, s'agissant du droit d'opposition, l'article 38 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée indique que : « toute personne physique a le droit de s'opposer pour des motifs légitimes à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement » ;

Considérant que ces dispositions assurent la transposition de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, qui vise à garantir un niveau élevé de protection des libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, notamment leur vie privée, à l'égard du traitement des données à caractère personnel, spécialement de ses articles 6, 7, 12 et 14 ;

Qu'elles doivent s'interpréter au regard de ce texte et compte tenu de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne, selon laquelle, s'agissant du droit d'accès et de rectification visé à l'article 40 de la loi, le traitement de données exactes ne doit pas devenir avec le temps incompatible avec la directive précitée ; que tel est le cas, lorsque les données ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées, spécialement lorsqu'elles apparaissent inadéquates, qu'elles ne sont pas ou plus pertinentes ou sont excessives au regard de ces finalités et du temps qui s'est écoulé (Cour de justice de l'Union européenne : arrêt du 14 mai 2014 - affaire C6131-12 Google Spain SL, GOOGLE Inc. /AEPD, [V] [H] - cf point 93) ;

Que s'agissant du droit d'opposition visé à l'article 38 de la loi ainsi que l'arrêt susvisé l'a précisé, chaque traitement des données à caractère personnel doit être légitimé pour toute la durée pendant laquelle il est effectué (cf point 95) ;

Considérant qu'il convient, en tout état de cause, de concilier les droits fondamentaux à la vie privée et à la protection des données à caractère personnel avec les droits fondamentaux à la liberté d'expression et d'information énoncés dans les mêmes termes à l'article 10 de la Convention précitée et à l'article 11 de la Chartre des droits fondamentaux de l'Union européennes selon lesquels : « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans que qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières » et rappelés à l'article 9 de la directive précitée ;

Qu'il importe donc de rechercher le juste équilibre entre l'intérêt légitime des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à une information et les droits de la personne concernée (point 81 de l'arrêt du 13 mai 2014 de la CJUE) ; que les droits fondamentaux à la vie privée et à la liberté d'expression ont une valeur normative identique, de sorte que le juge saisi doit rechercher leur équilibre et privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ;

Considérant que Mme [I] soutient que, en associant le nom '[L] [I]' avec le nom de son entreprise 'P. Communication' et/ou le nom de sa marque 'Maîtresse Patricia', le moteur de recherche Google permet d'obtenir des pages de résultats de recherches à caractère pornographique, injustifié et malveillant ; que le constat d'huissier du 26 novembre 2015 a relevé le nombre de pages concernées ; que ses demandes de déréférencement ont elles-mêmes généré 76 pages 'transparency' dont elle demande aujourd'hui la suppression et dont la matérialité a été constatée par huissier le 9 janvier 2017 ;

Considérant que la demande de déréférencement formée par [L] [I] au titre des 11 URLs nouvelles en cause d'appel n'est pas irrecevable puisqu'elle tend aux mêmes fins que celle soumise au premier juge ; que les nouvelles URLs ayant été découvertes en cours d'instance, la demande préalable de suppression auprès de Google devenait sans objet ;

Considérant que Google Inc. expose que l'appelante ne démontre pas que les adresses URLs seraient les résultats obtenus à la suite d'une recherche effectuée à partir de ses seuls nom et prénom, donnant accès à des informations relevant de la vie privée et non de la vie professionnelle et que le régime des données à caractère personnel n'a pas pour finalité d'empêcher de citer un nom commercial ou une marque de commerce ;

Considérant que des constats produits par l'appelante, il ne ressort pas que ce soit à partir de ses prénom et nom que les résultats à caractère pornographique, injustifié ou malveillant soient obtenus ; que le constat du 26 novembre 2015 met seulement en évidence qu'une recherche accomplie avec les occurrences '[L] [I] center blog' permet de remonter à deux demandes de suppression référencées '1/09874 -02/04/2014-Maîtresse Patricia' et '1004239-30/03/2014-Maîtresse Patricia' sans autre information ; que les recherches effectuées avec deux autres occurrences le 27 octobre 2016 par la société Google 'transparancy p communication' et 'removals p communications' n'administrent pas non plus cette preuve ;

Considérant au surplus qu'il résulte des constats des 26 novembre 2015 et 9 janvier 2017 que les adresses dont il est sollicité le déréférencement et la suppression sont celles donnant accès aux pages internet relatives à la 'Transparence des informations' du site www.google.com/transparancy report/. ; que la société Google expose que ce site donne accès aux 'données qui font toute la lumière sur la manière dont les lois et les règlements affectent les internautes et le flux d'informations en ligne' ; que sa finalité est de permettre aux internautes qui le souhaitent d'être informés des demandes d'informations ou de retraits qui lui sont adressées et d'avoir ainsi accès aux demandes gouvernementales de suppression de contenu, des administrations concernant les utilisateurs de Google, et aux 'demandes de suppression de résultats de recherche provenant des titulaires de droits d'auteur' 'pour la suppression de pages Web des résultats de recherche Google' ;

Considérant que c'est suite aux demandes de déréférencement adressées par Mme [I] à Google que les adresses litigieuses ont été mises en ligne ; que la cour relève que lorsque la demande émanait de Mme [L] [I] elle-même son nom n'apparaissait pas, seul le terme 'particulier' dans la rubrique 'sender' étant mentionné ; que les demandes de déréférencement ont été faites presque exclusivement aux noms de 'Maîtresse Patricia' ou de P. Communication' sans que son nom y soit associé ; que c'est à partir des URLs désignés par le requérant dont la suppression a été réclamée que les liens litigieux peuvent être consultés ;

Que dès lors, le caractère manifestement illicite du trouble invoqué par Mme [L] [I] en raison du refus de Google Inc de déréférencer ou de supprimer les URLs figurant sur les pages 'transparancyreport' n'est pas établi au regard des textes susvisés destinés à la protection de la vie privée et des données à caractère personnel ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que l'ordonnance sera confirmée qui a dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes de Mme [I], comprenant sa demande de dommages et intérêts ;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; que chaque partie conservera la charge de ses dépens ;

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 17/01279
Date de la décision : 25/10/2017

Références :

Cour d'appel de Paris A3, arrêt n°17/01279 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-10-25;17.01279 ?
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