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13/10/2017 | FRANCE | N°14/05019

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 13 octobre 2017, 14/05019


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 13 Octobre 2017

(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/05019



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Avril 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F12/07146





APPELANT

Monsieur [B] [E]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 1]



compara

nt en personne, assisté de Me Pier CORRADO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1587



INTIMEE

SCS BANQUE DELUBAC La SCS BANQUE DELUBAC, [Adresse 2], prise en son établissement de Paris ([A...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 13 Octobre 2017

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/05019

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 Avril 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F12/07146

APPELANT

Monsieur [B] [E]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 1]

comparant en personne, assisté de Me Pier CORRADO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1587

INTIMEE

SCS BANQUE DELUBAC La SCS BANQUE DELUBAC, [Adresse 2], prise en son établissement de Paris ([Adresse 3]), sis [Adresse 3].

[Adresse 4]

[Adresse 4]

N° SIRET : 305 776 890

représentée par Me Frédéric AKNIN, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020, et de Me Laure MARQUES, avocat au barreau de PARIS,

Représentée par Mme [D] [O] (DRH) et de M. [V] [S] (DIRECTEUR JURIDIQUE) muni d'un pouvoir spécial.

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mars 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Jacqueline LESBROS, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Jacqueline LESBROS, faisant fonction de présidente

Monsieur Christophe BACONNIER, conseiller

Madame Jacqueline LESBROS, conseiller

Greffier : Mme Aurélie VARGAS, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Jacqueline LESBROS, faisant fonction de Présidente et par Madame Aurélie VARGAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES

La BANQUE DELUBAC & Cie exerce l'activité de banque et le courtage en assurances, avec l'agrément et sous le contrôle de l'Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP) visée à l'article L.612-1 du code monétaire et financier.

Sa filiale, la société DELUBAC ASSET MANAGEMENT, exerce l'activité de gestion de portefeuilles de valeurs mobilières et de produits financiers pour le compte de ses clients, avec l'agrément et sous le contrôle de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) visée à l'article L.621-1 du code monétaire et financier.

Monsieur [E] a été engagé par la BANQUE DELUBAC & Cie par contrat à durée indéterminée à compter du 1er décembre 1999 pour exercer les fonctions de «RESPONSABLE GESTION PRIVEE HORS CLASSE, chargé de la commercialisation d'OPCVM et autres véhicules d'investissement auprès d'une clientèle privée à constituer, entre autre à travers un réseau d'apporteurs d'affaires à constituer ».

Le 16 mars 2005, Monsieur [E] a été nommé aux fonctions de Directeur Général de la société DELUBAC ASSET MANAGEMENT.

A compter du 20 janvier 2006, Monsieur [E] était nommé Directeur du Service Gestion Privée de la BANQUE DELUBAC & Cie, poste qui correspond à sa dernière activité précédant le licenciement.

La relation de travail relevait de la convention collective nationale de la Banque du 10 janvier 2000 étendue.

Le 29 novembre 2011, par lettre remise en main propre, Monsieur [E] a été mis à pied avec effet immédiat et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 7 décembre 2011.

Par lettre recommandée avec avis de réception datée du 15 décembre 2011, la société BANQUE DELUBAC & Cie notifiait à Monsieur [E] son licenciement pour faute simple pour les motifs suivants:

« Vous exercez dans notre Banque depuis le 1 er décembre 1999 en qualité de Responsable gestion privée, statut cadre hors classe, puis de Directeur depuis le 20 janvier 2006.

Dans le cadre de vos fonctions, vous avez en charge la commercialisation d'OPCVM et autres véhicules d'investissement auprès de la clientèle privée de la Banque DELUBAC. Vous avez également en charge la bonne organisation et la bonne gestion de votre service.

Votre poste impose le respect de la réglementation bancaire et financière édictée par l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) et l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Votre séniorité implique d'ailleurs une parfaite maîtrise de cette réglementation.

Or, le 3 novembre dernier (2011), la société SAPAR vous a rencontré pour évoquer avec vous le mauvais rendement de ses placements financiers. Votre échange ne l'a pas convaincu puisque nous avons reçu le 4 novembre une réclamation de sa part.

Dans cette réclamation, ce client déplore l'information que vous lui avez transmise lors de la souscription de ses placements.

Pour mémoire, la société SAPAR est entrée en relation avec votre département en octobre 2010. Vous avez à cette date fait remplir à ce client un questionnaire investisseur (« fiche MIF ») tel qu'imposé par la réglementation AMF en vigueur depuis fin 2007.

Nous avons pris connaissance au moment de la réclamation de la société SAPAR de la fiche MIF remplie par ses soins. Ce client y mentionnait expressément lors de l'entrée en relation, que :

- Il n'avait aucune expérience ni pratique des marchés financiers

- L'investissement recherché excluait tout risque en capital au terme de 3 ans ;

Compte tenu de ces informations, votre devoir de conseil vous imposait de lui proposer un placement financier en adéquation avec sa contrainte de « préservation impérative du capital », c'est-à-dire un placement ne pouvant offrir qu'un taux de rendement peu élevé.

Vous avez au contraire proposé un support financier visant une rentabilité nette de 3,5 à 3,7% par an, engagement qui s'avère incompatible avec un placement financier sans aucun risque en capital. Une telle rentabilité, dans le contexte d'incertitude des marchés financiers actuels et du niveau des taux que nous connaissons depuis 2008, est irréaliste sans prendre de risque sur le capital.

Votre ancienneté dans votre poste, votre expérience professionnelle et votre niveau hiérarchique auraient dû vous conduire à refuser de telles conditions qui engagent la Banque.

Votre prise de risques sur ce dossier a été inconsidérée, et nous déplorons d'ailleurs à ce jour une perte en capital pour ce client de 258.161,87 euros en un an, donc un rendement négatif.

Pour ces faits, vous avez gravement manqué à votre devoir de conseil et avez fait courir à la banque un risque important. Outre cette perte sèche pour la société SAPAR, que nous pourrions être amenés à rembourser à terme, et afin de réparer partiellement votre erreur vous avez de vous-

même sans en référer au comité hebdomadaire, supprimé tous les frais et commissions, impactant durablement le résultat de la Banque.

Lorsque vous avez été sommé de vous expliquer le 8 novembre 2011 auprès de notre délégué à la conformité sur cette situation, vous n'avez pas été en mesure de donner des réponses claires et circonstanciées.

Vous avez agi dans ce dossier en parfaite contradiction avec la réglementation de l'AMF et en contravention flagrante avec notre règlement intérieur qui prévoit en son article 9 l'obligation pour les collaborateurs de la Banque de préserver par priorité les intérêts du client et d'agir dans le respect de l'intégrité dictée par les marchés financiers.

Cette faute est d'autant plus importante que votre ancienneté dans l'entreprise et votre parfaite connaissance de votre poste de travail aurait dû vous conduire à refuser ce type de placement ne garantissant pas le capital investi.

A ce jour, par votre faute, la Banque risque également une condamnation par la commission des sanctions de l'AMF, pour avoir recommandé un placement financier irréaliste et mensonger.

Les condamnations émises par cette autorité étant publiées, nous craignons, si tel devait être le cas, l'écho catastrophique que cela pourrait avoir sur l'image de marque de la Banque et sur sa notoriété auprès de la clientèle.

Vous comprendrez qu'il nous est impossible d'accepter une telle prise de risques de la part de nos collaborateurs, en marge de la réglementation qui vous est applicable et des principes déontologiques qui doivent dicter votre conduite.

Le manque de professionnalisme que nous déplorons aujourd'hui dans la gestion de ce dossier nous

oblige maintenant à vérifier chaque dossier qui vous a été confié.

A cette occasion, dans le cadre de ces vérifications, nous avons pris connaissance de graves anomalies dans les contrats d'assurance vie DELUBAC ORCHESTRAL I et II.

1.Concernant le contrat DELUBAC ORCHESTRAL I, nous vous avons à plusieurs reprises, notamment depuis janvier 2011, demandé de faire en sorte que la compagnie d'assurances nous règle les commissions que vous aviez négociées au titre des 2% de droits d'entrée sur chaque OPCVM et que vous reversiez contractuellement aux intermédiaires, créant de ce fait un déficit structurel.

Vous avez laissé perdurer cette situation et nous déplorons à ce jour une perte financière sur ces contrats de plus de 219.000 euros et des pertes à venir à hauteur de 2% des droits d'entrée sur les arbitrages d'OPCVM que les clients vont être amenés à demander dans le futur.

2.Concernant ensuite le contrat DELUBAC ORCHESTRAL II, présenté à nos prospects depuis le 15 novembre 2011, nous avons relevé deux irrégularités inadmissibles qui vous sont imputables.

D'une part, nous avons constaté que les documents contractuels édités sur vos instructions comportent une rubrique prévoyant un prélèvement à la charge de nos clients à hauteur de 2% pour frais de suivi et d'assistance.

Vous avez de votre propre chef modifié la nature même de ce prélèvement qui correspond en réalité aux droits d'entrée qui étaient prélevés dans le cadre du contrat DELUBAC ORCHESTRAL

I. La modification de la nature du prélèvement dans le contrat DELUBAC ORCHESTRAL II ne résout en rien la situation dans laquelle se trouve la banque et ne résorbe pas le déficit structurel ni la perte constatée dans le cadre de votre gestion du contrat DELUBAC ORCHESTRAL I.

D'autre part, vous avez mis en place de votre propre chef ce nouveau contrat sans solliciter la validation préalable de la direction de la Conformité, conformément à la procédure 51 applicable dans la Banque ».

Le contrat de travail a pris fin le 16 mars 2012, la période de mise à pied conservatoire de 17 jours a été payée ainsi que le préavis de trois mois non effectué. L'ancienneté du salarié à la fin du contrat de travail était de : 12 ans et 3 mois .

Lors de la réunion du 22 décembre 2011, le Conseil de Surveillance de la filiale DELUBAC ASSET MANAGEMENT a décidé la révocation avec effet immédiat des mandats de membre du Directoire et de Directeur Général de Monsieur [E].

Par jugement du 13 novembre 2015, le tribunal de commerce de Paris a déclaré « sans juste motif » la révocation des mandats sociaux de Monsieur [E] et a condamné la SA DELUBAC ASSET MANAGEMENT avec exécution provisoire, à lui la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts. Ce jugement est frappé d'appel.

Contestant les motifs du licenciement, monsieur a saisi le 22 juin 2012 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 14 avril 2014, l'a débouté de ses demandes et condamné aux dépens.

Monsieur [E] a interjeté appel de ce jugement.

A l'audience, les conseils des parties ont soutenu oralement les conclusions visées par le greffe.

A l'issue des plaidoiries, la cour a invité les parties à recevoir une information sur la médiation et après avoir recueilli leur accord a ordonné le 18 mai 2017 une mesure de médiation qui n'a pas abouti, ce dont la cour a été informée le 7 juillet 2017.

Monsieur [E] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau de :

Dire et juger irrégulier, sans cause réelle et sérieuse, brutal et vexatoire son licenciement,

En conséquence,

Condamner la BANQUE DELUBAC & Cie à lui payer :

- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (30 mois): 511.496,00 euros

- Dommages et intérêts pour préjudices distincts résultant des circonstances du licenciement (6mois) : 102.298,86 euros

- Article 700 du Code de Procédure Civile : 8.000,00 euros

Condamner la BANQUE DELUBAC & Cie aux dépens

La BANQUE DELUBAC & Cie demande à la cour :

- ACTER que le licenciement de Monsieur [E] reposait sur une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Paris le 14 avril 2014 en ce qu'il a débouté Monsieur [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- CONDAMNER le salarié à verser la somme de 3.000 euros pour procédure abusive, sur le fondement de l'article L.32-1 du Code de procédure civile,

- LE CONDAMNER à titre reconventionnel au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

- LE CONDAMNER aux entiers dépens.

La cour se réfère expressément aux conclusions des parties pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions qu'elles ont soutenus.

MOTIFS

Sur le licenciement

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Il est reproché en premier lieu Monsieur [E] d'avoir proposé à la société SAPAR un placement de sa trésorerie d'un montant de 3.200.000 euros ne répondant pas aux objectifs de rentabilité fixés par le client et par ailleurs inconciliables comme visant la préservation du capital investi à 3 ans et la garantie d'un rendement annuel de 3,5% ; ce faisant, d'avoir manqué à son obligation de conseil et aux dispositions de l'article 9 du règlement intérieur imposant aux collaborateurs de la banque d'assurer le respect des intérêts de la clientèle et d'avoir également exposé la banque à un risque de sanction de l'AMF et à une action en responsabilité civile du client.

Le 4 novembre 2011, la société SAPAR s'était plainte auprès de la société DELUBAC ASSET MANAGEMENT d'une perte de 258.161,87 euros sur le capital investi et mettait en cause les choix de placement faits dès l'origine sur les conseils de Monsieur [E] avant, selon ce qu'indique selon la BANQUE DELUBAC & Cie, de mettre un terme anticipé en août 2002 du mandat de gestion.

Monsieur [E] objecte d'une part que les actes reprochés dans le cadre du mandat de gestion ne l'ont pas été en sa qualité de salarié de la banque mais de son mandat social de sorte qu'il ne peuvent justifier le licenciement.

Il soutient par ailleurs qu'en raison de la différenciation réglementaire entre dépositaire des actifs et gestionnaire de portefeuilles la BANQUE DELUBAC & Cie n'encourait aucun risque puisqu'elle ne relève pas de l'AMF et n'avait d'ailleurs provisionné aucun risque en 2011 et 2012 sur le dossier SAPAR.

Il conteste toute faute dans la gestion de ce dossier , ce que le tribunal de commerce, saisi par la société DELUBAC ASSET MANAGEMENT, a admis par jugement du 13 novembre 2015 en déboutant la demanderesse de sa demande de sa demande de dommages-intérêts.

Il est constant que la commercialisation de produits de placement auprès de la société SAPAR relevait des attributions de Monsieur [E] dans l'exercice de ses fonctions de Directeur de la gestion privée de la banque et de celles de Monsieur [V] en sa qualité de Directeur Général de la Gestion d'Epargne, de sorte que la faute qui lui est reprochée est à examiner au regard des obligations de son contrat de travail.

L'article L 533-13 du code monétaire et financier impose aux prestataires de services d'investissement de s'enquérir auprès de leurs clients de leurs connaissances et de leur expérience en matière d'investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d'investissement, de manière à pouvoir leur recommander les instruments financiers adaptés ou gérer leur portefeuille de manière adaptée à leur situation.

En l'espèce, le questionnaire renseigné par le Président de la société SAPAR mentionne «Objectif de placement financier des fonds: préservation impérative du capital avec une rentabilité nette annuelle de 3,5 à 3,7% ' cet investissement( placement) constitue le patrimoine famille.»

Cet objectif ne contredit pas la mention portée en page 6 selon laquelle «aucune perte n'est acceptée en capital au terme de 3 ans» et ne permet pas à Monsieur [E] de soutenir que le client acceptait une relative prise de risque sous réserve que le capital soit préservé au bout de 3 ans.

Le client a au contraire écrit le 4 novembre 2011 pour se plaindre de ce que «les objectifs de rendement de 3,5% par an pendant une période de 3 ans ne seront pas atteints, la contre performance constatée dès aujourd'hui handicape l'objectif accepté par Monsieur [E] à la signature du mandat de gestion » et encore : «il est souhaitable de confirmer votre engagement verbal, qui m'a conduit à vous confier cette trésorerie d'entreprise et voir apparaître en page 5 les objectifs de rendement de 3,5% par an pendant une période de 3 ans.»

Dans la fiche de renseignement, le client a indiqué n'avoir aucune expérience et pratique des marchés financiers, des instruments financiers, ni des techniques financières, et n'être pas averti des critères légaux et réglementaires.

Dès lors, le fait de laisser le client opter pour une gestion discrétionnaire d'une durée de 36 mois en engageant jusqu'à 100% des actifs confiés impliquant des risques élevés de perte en capital, en contradiction avec l'objectif de placement recherché, risque qui s'est réalisé dès la première année, constitue un manquement fautif au devoir de conseil de Monsieur [E].

Toutefois, ce fait isolé reproché certes à un cadre de haut niveau mais auquel aucun reproche n'a été adressé dans le cadre de ses fonctions de conseil en gestion privée en 12 ans de carrière ne peut justifier à lui seul le licenciement même pour faute simple, d'autant que la banque ne démontre pas avoir perdu le mandat de gestion de ce client.

Il est ensuite reproché à Monsieur [E] d'avoir négligé de renégocier le contrat d'assurance DELUBAC ORCHESTRAL I concernant les frais d'entrée auprès de la société NATIXIS Assurances malgré plusieurs relances de la banque au cours de l'année 2011, occasionnant un préjudice financier pour son employeur de plus de 200.000 euros.

La BANQUE DELUBAC & Cie explique qu'elle a mis en place en décembre 2004, en partenariat avec la Société Foncier Assurances un produit d'assurance- vie dénommé « Delubac Orchestral», dont elle assurait la distribution par le biais d'un réseau d'indicateurs, de courtiers et de mandataires. La société NATIXIS ASSURANCES qui a succédé à la Société Foncier Assurances a refusé à partir du 1er mai 2009 de prélever sur les nouveaux contrats souscrits les frais d'entrée de 2% qu'elle lui reversait et que la banque était tenue de verser à son réseau d'apporteurs à titre de commissions.

Elle indique que malgré plusieurs relances depuis janvier 2011, Monsieur [E] qui avait mis en place le contrat de partenaire d'origine a négligé de poursuivre auprès de la compagnie d'assurance les modifications nécessaires afin de pouvoir obtenir le règlement des commissions de 2%, exposant la banque à une perte financière de 219.000 euros qu'elle n'a pu récupérer qu'à l'issue d'une procédure judiciaire.

Monsieur [E] réplique qu'il n'y pas eu de négligence dans le suivi de ce dossier pour lequel il était en relation avec l'assureur depuis 2009, et que le retard apporté au règlement des rétrocessions de 2% a été exclusivement imputable à l'inertie administrative de la société NATIXIS ASSURANCES ainsi que l'a reconnu son représentant [Z] [F] dans un email; que contrairement à ce qui lui est reproché, il a assuré un suivi régulier du montant des rétrocessions de 2 % à recevoir de la Compagnie NATIXIS ASSURANCES, en lien avec le Back Office de la banque qui était parfaitement informé , qu'il a eu de nombreux contacts sur cette question avec la Compagnie d'assurances, depuis mai 2009 jusqu'à sa mise à pied le 29/11/11, cette situation étant bien connue de la BANQUE DELUBAC & Cie depuis mai 2009.

Il ajoute qu'en dépit de ce problème, la BANQUE DELUBAC & Cie a poursuivi sa relation d'affaires avec la Compagnie NATIXIS ASSURANCES dont elle était un client important qui avait plusieurs dizaines de millions d'euros de stocks en assurance chez elle, justifiant que la question des arriérés face l'objet d'une gestion souple et intelligente du problème qui devait être réglé par la mise en place du contrat ORCHESTRAL II .

Il résulte d'échanges de mails que Monsieur [E] est intervenu en octobre 2009 auprès de Monsieur [F], Directeur général la société NATIXIS ASSURANCES, pour le règlement des frais d'entrée; Monsieur [F] concédait dans un mail du 26 novembre 2009 : «Je plaide coupable. Aucune excuse ne sera valable.» et promettait que «les aspects financiers seront réglés selon nos précédents échanges. Nous relançons effectivement la juriste pour avoir très vite la nouvelle version des CG [conditions générales] et nous organisons un nouveau rendez-vous dès votre analyse sur le nouveau document.» , le document final n'étant produit en définitive que deux ans plus tard.

Pour pallier cette difficulté, Monsieur [E] proposait dans un mail du 26 janvier 2010 d'émettre des factures mensuelles des frais à passer en «produits à recevoir» que la société NATIXIS ASSURANCES refusera ensuite de payer en l'absence de contrat écrit et dont la BANQUE DELUBAC & Cie poursuivra le paiement en justice pour la somme de 209.769 euros au titre des rétrocessions depuis mai 2009.

La cour considère au vu de ces éléments que Monsieur [V] et Monsieur [E] ne peuvent être tenus pour responsables du retard pris dans le traitement de ce dossier et de la situation créée par la société NATIXIS ASSURANCES qui n'a pas, en raison de problèmes techniques qui la concernait, honoré le calendrier qu'elle avait fixé pour la mise en place du contrat ORCHESTRAL 2 qui devait permettre d'apurer la situation, ni les engagements qu'elle avait pris pour le règlement de l'arriéré.

Au regard des circonstances, du renom de la société NATIXIS ASSURANCES dont la BANQUE DELUBAC&CIE était un client important détenant plusieurs dizaines de millions d'euros de stock en assurance et dont il n'y avait a priori aucune raison de penser qu'elle ne tiendrait ses engagements, du montant relativement modeste des commissions impayées rapporté au montant total des commissions perçues pour l'activité banque-assurance , la cour considère qu'il n'y a pas eu de gestion fautive de ce dossier par Monsieur [V] et Monsieur [E] et que le grief ne peut justifier le licenciement.

Il est encore reproché à Monsieur [E] d'avoir introduit dans le contrat DELUBAC ORCHESTRAL II des frais de suivi et d'assistance ne correspondant à aucune prestation existante, sans informer la banque, nuisant à son image et l'exposant à des réclamations de clients, et qui de surcroît ne permettait pas de régler le problème des pertes enregistrées dans le contrat DELUBAC ORCHESTRAL I; il lui est aussi fait grief d'avoir mis en place de son propre chef le contrat global, sans respecter la procédure de conformité interne.

Monsieur [E] objecte qu'il n'avait aucun pouvoir pour intervenir dans la rédaction du contrat établi par les services juridiques de la société NATIXIS ASSURANCES pour se conformer aux exigences de son autorité de tutelle, la BANQUE DELUBAC & Cie n'étant que le distributeur du contrat ; il assure que la modification consistant à verser les frais de suivi et d'assistance de 2% au titre de l'assistance directement au courtier plutôt qu'à la banque qui en faisait l'avance était neutre pour elle et sans conséquence sur le remboursement des commissions de 2% en souffrance.

De ce seul fait, le grief est insuffisamment établi.

Concernant le défaut de validation préalable du contrat ORCHESTRAL II selon la procédure interne 51, Monsieur [E] fait observer à juste titre que cette procédure établie en application du règlement CRBF 97.02 qui définit le risque de non-conformité comme celui « ' qui naît du non respect de dispositions propres aux activités bancaires et financières ' » (cf. article 1 Préambule de la procédure n°51) n'avait pas vocation à s'appliquer à un contrat de la société NATIXIS ASSURANCES régi par le code des assurances, auquel la Banque DELUBAC & Cie a adhéré et non à un produit de la banque et que la Direction de la conformité n'avait ni la qualité ni le pouvoir de « valider ».

Il fait d'ailleurs observer que le contrat ORCHESTRAL I, commercialisé jusqu'en mai 2009 n'a jamais été soumis à une quelconque validation préalable de la Direction de la Conformité et que la BANQUE DELUBAC & Cie a distribué durant plus de 10 ans des contrats de plusieurs compagnies d'assurances (Axa, ESCA, AIG, SwissLife, AXERIA, Foncier Assurances devenue Natixis Assurances) sans que jamais un responsable de la conformité ou un quelconque audit ou contrôleur ait affirmé ou exigé que les contrats d'assurance soient soumis à une procédure d'approbation de la banque.

Le grief n'est donc pas suffisamment établi et ne pouvait justifier la décision de licencier.

Au vu de ce qui précède, la cour estime donc que les motifs invoqués à l'appui du licenciement ne sont pas justifiés ou insuffisamment caractérisés pour constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement à l'égard de Monsieur [E]. Le jugement sera donc infirmé.

Sur les conséquences du licenciement

Dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Monsieur [E] sollicite à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse la somme de 511.496 euros correspondant à 30 mois de salaire (salaire de référence des douze derniers mois: 17.049,81euros).

Il résulte du dossier que Monsieur [E] était âgé de 58 ans lors de son licenciement et avait 12 ans d'ancienneté au sein de la banque. Il a été au chômage du 16 mars 2012 au 1er juillet 2016, date de liquidation de sa retraite. Il a crée en 2014 avec Monsieur [V] une société de courtage d'assurance RAPHAEL GESTION qui fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire.

Au vu de ces éléments, la cour estime la juste réparation du préjudice à la somme de 204.600 euros.

Dommages-intérêts pour préjudice moral

Monsieur [E] demande réparation du préjudice résultant des circonstances fautives de son licenciement, à savoir son éviction brutale et vexatoire par une mise à pied et une dispense de préavis donnant à son licenciement un caractère de gravité injustifié .

Il reproche également à la BANQUE DELUBAC & Cie d'avoir tenter de faire pression sur lui pour qu'il abandonne son instance prud'homale en déposant de mauvaise foi trois plaintes pénales pour des faits imaginaires qualifiés de faux et usage, plaintes qui ont été classées sans suite, mais traduisant la volonté de la banque de lui nuire en empêchant son retour dans le secteur de la banque et de la bourse où il était bien connu, s'agissant d'activités réglementées pour l'exercice desquelles la loi impose une parfaite honorabilité, et ayant effectivement compromis son retour à l'emploi. Il évoque également l'action intentée par la banque devant le tribunal de commerce pour les mêmes faits que ceux ayant donné lieu à son licenciement.

La BANQUE DELUBAC & Cie fait valoir au contraire que les faits justifiaient les actions entreprises et le licenciement de Monsieur [E] dont elle indique qu'il dénigre publiquement son ancien employeur depuis son licenciement.

Il ressort des pièces produites que la BANQUE DELUBAC & Cie a déposé une plainte contre X le 13 novembre 2012 pour faux et usage de faux pour des faits non visés dans la lettre de licenciement ; le 20 février 2014, pour des faits de faux et usage et escroquerie à l'occasion de l'ouverture d'un compte de tiers; le 15 novembre 2012, la banque a assigné Monsieur [E] devant le tribunal de commerce pour obtenir sa condamnation pour des fais identiques à ceux visés dans la lettre de licenciement.

Ces différentes plaintes sont postérieures au licenciement et concernent des faits distincts sans incidence sur la procédure prud'homale.

En revanche, la mise à pied et l'éviction brutale de Monsieur [E] ne se justifiaient pas au regard des faits reprochés et de la qualification que leur a donné l'employeur qui ne lui reprochait pas une faute grave, de sorte que les conditions du licenciement sont effectivement vexatoires. Il sera alloué à Monsieur [E] en réparation la somme de 10.000 euros.

Sur la demande de dommages et intérêts de la BANQUE DELUBRAC & Cie - article 32-1 du Code de procédure civile

La Cour faisant droit à la demande principale de Monsieur [E], la demande sera rejetée.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La BANQUE DELUBAC & Cie est condamnée à payer à Monsieur [E] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement.

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de Monsieur [E] est sans cause réelle et sérieuse.

Condamne la BANQUE DELUBAC & Cie à payer à Monsieur [E] la somme de 204.600 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Condamne la BANQUE DELUBAC & Cie à payer à Monsieur [E] la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.

Déboute la BANQUE DELUBRAC & Cie de sa demande au titre de l'article 32-1 du Code de procédure civile.

Condamne la BANQUE DELUBAC & Cie à payer à Monsieur [E] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la BANQUE DELUBAC & Cie aux dépens.

LE GREFFIERLA CONSEILLERE FAISANT FONCTION DE PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 14/05019
Date de la décision : 13/10/2017

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°14/05019 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-10-13;14.05019 ?
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