RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 12 Octobre 2017
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/14348
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 21 novembre 2014 par le conseil de prud'hommes de PARIS -section encadrement- RG n° 12/12195
APPELANTE
Madame [N] [X]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 1]
représentée par Me Aurélie VIMONT, avocat au barreau de PARIS, E1216
INTIMÉE
SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE DE FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Laurent JAMMET, avocat au barreau de PARIS, K0168 substitué par Me Aurélien WULVERYCK, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 juin 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Benoît HOLLEAUX, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine SOMMÉ, Président
Monsieur Benoît HOLLEAUX, Conseiller
Madame Christine LETHIEC, Conseiller
Greffier : Madame Marine POLLET, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine SOMMÉ, président et par Madame Laurie TEIGELL, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Par arrêt rendu le 23 février 2017, auquel il est renvoyé pour l'exposé des faits et de la procédure, cette cour a :
- dit sans objet la demande nouvelle de résiliation judiciaire du contrat de travail formée par Mme [N] [X] et l'en a déboutée ;
- confirmé le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [X] de ses demandes de rappels de salaires et d'indemnités de congés payés pour la période du 25 mai 2010 au 30 septembre 2014;
-débouté Mme [X] de ses demandes de rappels de salaires et d'indemnités de congés payés pour la période postérieure au 30 septembre 2014 jusqu'au 30 octobre 2017 ;
- ordonné la réouverture des débats pour entendre les parties sur le moyen soulevé d'office par la cour, tiré de la suspension du contrat de travail de Mme [X] par suite du défaut de visite de reprise et en conséquence de la nullité encourue de son licenciement, au visa des dispositions d'ordre public des articles L. 1226-9 et L. 1226-13 et suivants du code du travail ;
- sursis à statuer sur les demandes afférentes au licenciement et sur les demandes indemnitaires pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat et au titre du droit individuel à la formation ;
- renvoyé l'affaire et les parties à l'audience du 22 juin 2017 ;
- fixé un calendrier de procédure ;
- réservé l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Par conclusions visées par le greffier et oralement soutenues à l'audience du 22 juin 2017, Mme [X] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement déféré ;
- de prononcer la nullité du licenciement intervenu le 25 mai 2010 ;
- de constater s'il y a lieu le refus de la banque de réintégrer Mme [X] ;
- de condamner en conséquence la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile-de-France (CEIDF) à lui payer les sommes suivantes :
73 965 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement
24 756 € à titre d'indemnité pour licenciement nul
123 750 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité
18 356 € à titre d'indemnité de préavis
1 835 € à titre de congés payés afférents
1 153 € au titre du droit individuel à la formation
3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
- d'ordonner la remise d'une attestation Pôle emploi, d'un certificat de travail et d'un bulletin rectificatif de fin de contrat, conformes à l'ancienneté de la salariée, sous astreinte de 150 € par document et par jour de retard à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir ;
-de condamner la CEIDF aux dépens.
Reprenant oralement ses conclusions visées par le greffier, la CEIDF demande à la cour de :
- juger que le licenciement de Mme [X] repose sur une faute grave et que les demandes de celle-ci sont mal fondées ;
- débouter Mme [X] de toutes ses demandes ;
- condamner Mme [X] au paiement de la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE LA DECISION
Mme [X] fait valoir que faute d'avoir organisé une visite de reprise à l'issue de son arrêt de travail de plus de huit jours en raison de l'accident du travail qu'elle a subi, son contrat de travail était suspendu, que dès lors l'employeur ne pouvait prononcer son licenciement au motif de son absence prolongée à son poste de travail, de sorte qu'en application de l'article L. 1226-13 du code du travail son licenciement est nul.
La CEIDF soutient qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir organisé de visite de reprise dès lors que la salariée n'avait ni repris le travail, ni demandé l'organisation de la visite de reprise, ni encore ne s'est tenue à la disposition de son employeur.
Aux termes de l'article R. 4624-21 du code du travail, dans sa version applicable au litige, « le salarié bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail ... après une absence d'au moins huit jours pour cause d'accident du travail'.
L'article R. 4624-22 du même code, pris également dans sa version applicable au présent litige, énonce : « L'examen de reprise a pour objet d'apprécier l'aptitude médicale du salarié à reprendre son ancien emploi, la nécessité d'une adaptation des conditions de travail ou d'une réadaptation du salarié ou éventuellement de l'une et de l'autre de ces mesures. Cet examen a lieu lors de la reprise du travail et au plus tard dans un délai de huit jours ».
Seul l'examen pratiqué par le médecin du travail dont doit bénéficier le salarié lors de la reprise du travail met fin à la période de suspension du contrat de travail. Il en est de même lorsque des congés sans solde ou pour autre cause se sont succédés postérieurement à l'arrêt de travail.
Il est constant en l'espèce qu'à la suite de son accident du travail survenu le 23 juin 2004, Mme [X] a été en arrêt de travail de cette date jusqu'au 19 décembre 2006, puis en congés payés et RTT du 19 décembre 2006 au 31 janvier 2007, en congé sabbatique de février à décembre 2007, en congé sans solde de janvier à décembre 2008 et en dernier lieu en congé sans solde à compter du 1er janvier 2009 jusqu'au 31 décembre 2009.
Il est tout aussi constant que la salariée n'a pas bénéficié de visite de reprise à l'issue de son arrêt pour accident du travail d'une durée de plus de huit jours.
Il s'en déduit que le contrat de travail de Mme [X] était suspendu à la date d'engagement de la procédure de licenciement, peu important que la salariée n'ait pas manifesté son intention de voir organiser cette visite de reprise ou de reprendre le travail.
Selon l'article L. 1226-9 du code du travail, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.
En application de l'article L. 1226-13 du même code, toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1226-9 susvisé est nulle.
Pendant la période de suspension du contrat, le salarié est dispensé de son obligation de fournir sa prestation de travail. Dès lors, antérieurement à la visite de reprise, il ne peut être licencié motif pris d'une absence injustifiée à son poste de travail.
En l'espèce la lettre de licenciement du 19 mai 2010, qui fixe les limites du litige, énonce comme seul grief l'absence injustifiée de la salariée depuis le 1er janvier 2010. Cette absence de la salariée ne peut cependant lui être reprochée dès lors que son contrat de travail était suspendu.
En conséquence le licenciement de Mme [X] est nul.
Mme [X] qui ne sollicite pas sa réintégration, a droit à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice né du caractère illicite de la rupture et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail.
Mme [X] soutient que compte tenu du principe 'à travail égal salaire égal' et de l'obligation d'égalité des rémunérations hommes-femmes le dernier salaire qu'elle aurait du percevoir est de 4 125 €.
La CEIDF fait valoir que le salaire mensuel brut de Mme [X] est de 3 449,92 €.
Il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal salaire égal » ou principe d'égalité de traitement, de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération entre des salariés placés dans une situation comparable.
Le salarié qui invoque une discrimination à son encontre pour un des motifs illicites visés à l'article L. 11332-1 du code du travail, doit présenter des éléments de fait laissant présumer cette discrimination.
Mme [X] qui se borne à affirmer qu' 'en 2004, dans la profession bancaire, le salaire de base moyen des femmes était inférieur de 19,6% au salaire de base moyen des hommes', sans produire aucune pièce justifiant d'une inégalité de rémunération entre des salariés placés dans une situation comparable, ni présenter aucun élément de fait laissant présumer l'existence d'une discrimination à raison du sexe dont elle aurait été victime, ne peut qu'être déboutée de sa demande tendant à la fixation d'un salaire mensuel à hauteur de la somme de 4 125 €.
Considérant le montant du salaire mensuel brut de la salariée, qui s'élevait à la somme de
3 449,92 €, l'âge de l'intéressée et son ancienneté au moment de la rupture, il est justifié de lui allouer la somme qu'elle réclame de 24 756 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.
Mme [X] sollicite une indemnité conventionnelle de licenciement de 73 965 € sur le fondement de l'article 26-2 de la convention collective de la banque.
Ainsi que le soutient à juste titre la CEIDF, la convention collective de la banque ne s'applique pas aux relations entre les parties. En effet la CEIDF relève du statut des caisses d'épargne et les caisses d'épargne ne sont pas visées dans le champ d'application de la convention collective de la banque tel qu'il est précisé à l'article 1 de cette convention.
Les périodes de congés sabbatique et sans soldes étant exclues de la période à retenir au titre de l'ancienneté pour le calcul de l'indemnité de licenciement, Mme [X] peut se prévaloir en l'espèce d'une ancienneté de vingt années.
En conséquence l'indemnité de licenciement à laquelle peut prétendre la salariée s'élève à la somme de : 20 x 1/5 x 3 449,92 € + 10 x 1/15 x 3 449,92 € = 16 099,62 €.
Mme [X] est en outre bien fondée en sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis correspondant à trois mois de salaire, soit la somme de
10 349,76 € outre 1 034,97 € pour les congés payés afférents.
Il convient en conséquence, infirmant le jugement déféré en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture, de condamner la CEIDF au paiement des sommes visées ci-dessus.
Sur la demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat
Mme [X] sollicite une indemnité de 123 750 € en faisant valoir que compte tenu de son ancienneté, de son implication dans l'entreprise, des responsabilités qu'elle a assumées, notamment en protégeant le reste du personnel et les clients à l'occasion du vol à main armée au cours duquel elle s'est portée otage volontaire, du défaut de vigilance manifesté par l'employeur qui n'a pas organisé de visite de reprise la concernant, celui-ci a manqué à son obligation de sécurité de résultat.
La CEIDF soutient que la salariée ne saurait demander réparation d'un prétendu préjudice subi du fait de son accident du travail devant le conseil de prud'hommes, qu'en effet cette demande relève de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale.
La juridiction prud'homale est compétente pour statuer sur la demande indemnitaire du salarié fondée sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat. En tout état de cause cette cour est investie d'une plénitude de juridiction tant en matière prud'homale qu'en matière de sécurité sociale.
L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers ses salariés, doit en assurer l'effectivité en application des dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail.
En l'espèce la CEIDF ne justifie pas avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de Mme [X], dont il n'est pas contesté qu'elle a subi un vol à main armée sur le lieu de travail et qu'elle n'a pas bénéficié d'une visite de reprise à l'issue de son arrêt de travail consécutif audit accident.
Il en est résulté pour la salariée un préjudice qui doit être indemnisé par la somme de
10 000 € au paiement de laquelle la CEIDF sera condamnée.
Sur l'indemnité au titre du droit individuel à la formation
Mme [X] qui n'allègue ni ne justifie avoir subi un préjudice relatif au droit individuel à la formation ne peut qu'être déboutée de sa demande d'indemnité à ce titre, par confirmation du jugement déféré sur ce point.
Sur les autres demandes
Il convient d'ordonner à la CEIDF de remettre à Mme [X] un certificat de travail, un bulletin de salaire récapitulatif et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte.
La CEIDF supportera les dépens de première instance et d'appel et sera condamnée en équité à payer à Mme [X] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Vu l'arrêt de cette cour du 23 février 2017;
INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme [N] [X] de ses demandes en nullité de son licenciement et en paiement d'indemnités de rupture, d'indemnité pour licenciement nul et de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;
Statuant à nouveau de ces seul seuls chefs et y ajoutant ;
PRONONCE la nullité du licenciement de Mme [X] ;
CONDAMNE la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile-de-France à payer à Mme [X] les sommes suivantes :
16 099,62 € à titre d'indemnité de licenciement ;
10 349,76 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
1 034,97 € pour les congés payés afférents ;
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation
24 756 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
10 000 € à titre de dommages et intérêt pour violation de l'obligation de sécurité ;
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
ORDONNE à la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile-de-France de remettre à Mme [X] un certificat de travail, un bulletin de paie récapitulatif et une attestation Pôle emploi conformes au présent arrêt ;
CONDAMNE la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile-de-France à payer à Mme [X] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Ile-de-France aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT