La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/10/2017 | FRANCE | N°15/09304

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 10 octobre 2017, 15/09304


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRÊT DU 10 Octobre 2017

(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/09304



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Juin 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU section commerce RG n° 13/01165





APPELANTE



Madame [C] [Q]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne,

assistée de Me Isabelle REYMANN GLASER de la SELEURL Cabinet Reymann - Glaser, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Christophe SARIA, avocat au barreau de PARIS, toque : G0523





I...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRÊT DU 10 Octobre 2017

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/09304

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Juin 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU section commerce RG n° 13/01165

APPELANTE

Madame [C] [Q]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Isabelle REYMANN GLASER de la SELEURL Cabinet Reymann - Glaser, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Christophe SARIA, avocat au barreau de PARIS, toque : G0523

INTIMEE

SAS EATON INDUSTRIES FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

RCS 509 653 176

représentée par Me Pierre-alexis DUMONT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0168

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Juin 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Soleine HUNTER FALCK, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Bruno BLANC, Président

Mme Roselyne GAUTIER, Conseillère

Mme Soleine HUNTER-FALCK, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et prorogé à ce jour

- signé par Monsieur Bruno BLANC, Président, et par Madame Chantal HUTEAU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

[C] [Q], née en 1959, a été engagée par contrat à durée indéterminée par la SA VEECO le 12.09.1986 en qualité de standardiste niveau II 2è échelon à temps complet.

La salariée a rejoint l'équipe Service client sur le site de [Localité 3] à compter de janvier 2012.

Un avenant a été signé avec la SAS EATON INDUSTRIES, son dernier employeur, le 12.07.2013 et [C] [Q] a été promue Assistante administration des ventes services à compter du 1er juillet sur le site des Ulis (91940) et sa rémunération a été portée à 2.363,75 € par mois brut.

En dernier lieu [C] [Q] exerçait pour 4 ans, les mandats d'élue membre collège ETAM du comité d'entreprise depuis le 24.11.2011, et de déléguée du personnel titulaire, depuis le 11.05.2012.

La SAS EATON INDUSTRIES a une activité de vente de produits électriques. L'entreprise est soumise à la convention collective des industries de la métallurgie ; elle comprend plus de 10 salariés. La moyenne mensuelle des salaires de [C] [Q] s'établit à 2.553,70 €.

[C] [Q] a été informée de son transfert à compter du 02.01.2014. sur le site de [Localité 4] par lettre du 23.07.2013.

Cependant par courrier du 03.12.2013, le conseil de [C] [Q] a saisi l'employeur d'une contestation relative à l'exécution de son contrat de travail, son emploi d'Assistante administration des ventes services n'ayant jamais été mis en place et ses tâches d'hôtesse d'accueil service clients lui étant retirées progressivement. Il a été répondu le 13.12.2013 que ces allégations étaient sans fondement et qu'elle n'avait pas été dissuadée de venir sur le site de Eaton à [Localité 4] à l'occasion du prochain transfert.

Par LRAR du 16.12.2013 [C] [Q] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, aucune réponse n'ayant été donné à ses interrogations relative d'une part à l'absence de travail effectif en tant que Assistante administration des ventes services dont les missions qui lui étaient plus particulièrement affectées ont été transférées au sein de l'établissement de [Localité 5], et d'autre part au maintien sur un poste d'hôtesse d'accueil dont les tâches lui ont été progressivement retirées ; le tout dans le contexte d'un prochain déménagement à [Localité 4] qui lui était imposé.

Le CPH de Longjumeau a été saisi par [C] [Q] le 17.12.2013 en indemnisation des préjudices subis et pour diverses demandes liées à l'exécution du contrat de travail.

La cour est saisie de l'appel régulièrement interjeté le 23.09.2015 par [C] [Q] du jugement rendu le 03.06.2015 par le Conseil de Prud'hommes de Longjumeau section Commerce, dit que la prise d'acte devait produire les effets d'une démission et débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

[C] [Q] demande à la cour de :

- Constater que la société EATON Industries France n'a pas exécuté loyalement le contrat de travail qui la liait à [C] [Q] en ce que :

. [C] [Q] n'a jamais exercé les attributions qui lui ont été confi ées par voie d'avenant signé le 12 juillet 2013 et à eff et au 1 er juillet 2013 ;

. elle a été maintenue dans son ancien poste qui a été progressivement vidé de sa substance;

. les conditions de travail de [C] [Q] ont été modifi ées sans son consentement ;

- Constater que ces manquements sont suffi samment graves pour justifier d'une prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur.

En conséquence,

- Infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Longjumeau en date du 3 juin 2015 en ce qu'il a débouté [C] [Q] de ses demandes ;

Et, statuant à nouveau :

- Dire et Juger que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de [C] [Q] doit produire les eff ets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur ;

Partant,

Condamner la société EATON Industries France à verser à [C] [Q] les sommes suivantes :

- Indemnité compensatrice de préavis (2 mois) ' 5.140,70 €

- Indemnité de congés payés y aff érents ' 514,07 €

- Indemnité conventionnelle de licenciement ' 15.679,72 €

- Dommages-intérêts pour violation du statut protecteur (30 mois) ' 76.611 €

- Dommages-intérêts pour licenciement illicite (12 mois) ' 30.294,36 €

- Indemnité compensatrice de jours RTT non pris- 1.406,42 €

- Article 700 du Code de Procédure Civile ' 3.000 €

Intérêts légaux à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes de Longjumeau pour les sommes ayant un caractère de salaire et à compter du prononcé de l'arrêt pour les sommes ayant la nature de dommages et intérêts

- Mettre à la charge exclusive de la société EATON Industries France les dépens comprenant les éventuels frais d'exécution.

De son côté, la SAS EATON INDUSTRIES demande de confirmer le jugement, de débouter l'appelante de toutes ses demandes et de condamner [C] [Q] à payer 5.107,40 € au titre du préavis de démission non effectué et la somme de 3.000 € pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

SUR CE :

Il est expressément fait référence aux explications et conclusions des parties visées à l'audience.

Sur la prise d'acte de rupture et ses effets :

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifient et si les manquements sont suffisamment graves et empêchent la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d'une démission. La rupture du contrat de travail est immédiate et la prise d'acte ne peut être rétractée. L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige. Le juge doit examiner l'ensemble des manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans sa lettre de rupture.

Pour justifier des griefs contenus dans son courrier de rupture du 16.12.2013, [C] [Q] indique que ses fonctions initiales ont évolué vers celles d'hôtesse d'accueil / standardiste, dont les tâches ont été définies dans une fiche de poste qui est produite et dont le contenu est confirmé pour l'essentiel par R. [P], quality manager et software client, le 18.11.2013, mais aussi par S. [W], responsable administrative Service clients le 31.01.2013 lorsque celle ci a défini la répartition des tâches entre les salariés du service.

Après avoir été promue au poste d'Assistante administration des ventes services, elle a reçu une nouvelle fiche de poste, qui est produite, cette mutation étant communiquée par un courriel interne du 15.07.2013 qui précisait que [C] [Q] se voyait confier avec 2 autres collègues la gestion des commandes adhoc au moyen du logiciel Oracle ; elle relève que les documents contractuels ne mentionnent nullement une affectation progressive à ce nouveau poste avec maintien des tâches d'hôtesse d'accueil /standardiste ; et en effet la fiche de poste indique seulement l'accueil téléphonique et l'orientation des clients du département à l'exception du Centre de réparation. [C] [Q] affirme que la gestion des commandes adhoc ne lui auraient pas été attribuées après le déménagement à [Localité 4] et, là encore, l'employeur produit la liste des missions confiées à la salariée qui fait apparaître que le transfert des 'ad'hoc' était programmé pour novembre 2013, ces missions étant 'retirées' à [C] [Q] ; celle ci relève ne pas avoir bénéficié de formation sur le logiciel Oracle et affirme avoir été cantonnée à un simple accueil téléphonique et à la gestion du courrier ce qui relevait de ses anciennes fonctions.

Néanmoins il appartient à l'employeur d'exercer son pouvoir de direction et par suite d'organiser le travail des salariés en fonction de leur qualification.

[C] [Q] ne peut se prévaloir du fait que la gestion des contrats service hors standard dits 'adhoc' a été transférée sur le site de Monbonnot, à la suite du départ de 2 de ses collègues, et seulement fin novembre 2013, avec embauche de deux CDI, alors que l'essentiel de ses tâches lui a été maintenu, ainsi qu'il ressort du tableau comparatif produit par la SAS EATON INDUSTRIES qui fait mention en sus de la mise sous plis et du traitement des factures et avoirs, mais également des courriels dans lesquels il apparaît que [C] [Q] s'occupait bien depuis août 2013 des commandes, un compte ayant été ouvert pour elle en août 2013 ; dans le courriel du 16.12.2013, sa supérieure hiérarchique précise que lui ont été retirées seulement le traitement des commandes clients, saisie et facturation et avoirs ainsi que les achats interne HPO en internal requisition. En outre le 20.11.2013 [C] [Q] constate dans un courriel qu'elle continue, en ce qui concerne la qualité, à effectuer la gestion des QOS services, QOS call center, gestion des EPI techniciens, gestion des réclamations clients pour le service, ces tâches relevant de ses nouvelles fonctions, étant précisé que la fiche de poste dont elle se prévaut ne mentionne pas la gestion des commandes adhoc qu'elle déclare avoir perdue. Ainsi les tâches qui lui étaient dévolues correspondaient d'une part à la 'qualité' et d'autre part à l'administration des ventes. En dernier lieu, [C] [Q] produit certains courriels échangés uniquement avec une socité LAMBDA sur une courte période précédent sa prise d'acte en ce qui concerne ses anciennes fonctions.

Sur le maintien de [C] [Q] sur un poste d'hôtesse d'accueil / standardiste, les éléments produits auxquels il a été fait référence démontrent le changement effectif de fonctions de la salariée, indépendamment du maintien temporaire sur l'ancien site de certaines tâches liées à l'accueil et pour son propre service.

L'avenant du 12.07.2013 a été signé par [C] [Q] qui a par suite accepté les modifications apportées à ses conditions de travail qui ont été effectives.

Néanmoins par ailleurs, [C] [Q] invoque le changement de lieu de travail sans son consentement, alors que la modification du contrat de travail du salarié protégé doit être acceptée explicitement.

La salariée bénéficiait au moment du transfert projeté de deux mandats non contestés ; le projet de réorganisation, qui prévoyait notamment le regroupement des sites de région parisienne à [Localité 4], a été certes soumis à l'avis des institutions représentatives, dont la salariée était membre, en mai 2013, qui en ont accepté les conséquences sociales en juillet 2013. Si l'avenant signé entre les parties le 12.07.2013 a prévu très clairement la promotion de [C] [Q], cette mutation devait se faire sur place sur le site de [Localité 3] (91) ; le courrier adressé par l'employeur le 23.07.2013 s'est borné à faire état de la mutation géographique de la salariée sans pour autant lui demander explicitement son accord : il lui était demandé 'pour la bonne forme' d'accuser réception du courrier, ce qui n'a pas été fait par écrit, et il n'y a donc pas eu d'accord express de la part de [C] [Q] préalablement à la mise en oeuvre effective de la mesure.

En conséquence [C] [Q] était bien fondée à prendre acte de la rupture de son contrat de travail sur ce seul motif, indépendamment des motifs allégués par ailleurs qui ne sont pas fondés.

En conséquence la prise d'acte étant justifiée par les faits et griefs mentionnés dans la lettre de rupture émanant du salarié et constituant des manquements de la part de l'employeur suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat et caractériser une rupture imputable à l'employeur il y a lieu de constater la rupture des relations contractuelles aux torts de celui ci, qui produit les effets d'un licenciement nul eu égard à la situation de salariée protégée de [C] [Q].

En conséquence, dès lors que l'indemnité pour violation du statut protecteur due par l'employeur est égale au montant de la rémunération qui aurait été perçue depuis la date de la rupture illégale jusqu'à l'expiration de la période légale de protection en cours, la SAS EATON INDUSTRIES doit être condamnée au paiement de 76.611 € chiffre sur lequel s'accordent les parties, et la SAS EATON INDUSTRIES doit être déboutée de sa demande de remboursement du préavis de démission.

En outre, au titre de l'indemnité pour licenciement illicite, [C] [Q] se verra accorder, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée, de l'âge de [C] [Q], de son ancienneté dans l'entreprise, de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces communiquées et des explications fournies à la cour, la somme de 10.000 €.

Enfin, la SAS EATON INDUSTRIES sera condamnée à verser à la salariée les indemnités de rupture ainsi qu'il est précisé au dispositif. Le jugement rendu sera infirmé.

Sur les autres demandes :

[C] [Q] forme une réclamation concernant les 11,93 jours RTT acquis en janvier 2014 ainsi qu'il ressort du bulletin de paie, sur laquelle la SAS EATON INDUSTRIES ne forme aucune observation.

Il serait inéquitable que [C] [Q] supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la SAS EATON INDUSTRIES qui succombe doit en être déboutée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement contradictoirement :

Déclare l'appel recevable ;

Infirme dans son intégralité le jugement rendu le 03.06.2015 par le Conseil de Prud'hommes de Longjumeau section Commerce ;

Statuant à nouveau,

Dit que la prise d'acte de rupture du 16.12.2013 produit les effets d'un licenciement nul ;

Condamne la SAS EATON INDUSTRIES à payer à [C] [Q] les sommes de :

- Indemnité compensatrice de préavis : 5.140,70 €

- Indemnité de congés payés y afférents : 514,07 €

- Indemnité conventionnelle de licenciement : 15.679,72 €

- Dommages-intérêts pour violation du statut protecteur : 76.611 €

- Dommages-intérêts pour licenciement illicite 10.000 €

- Indemnité compensatrice de jours RTT non pris : 1.406,42 € ;

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire, à compter du présent arrêt ;

Rejette les autres demandes ;

Condamne la SAS EATON INDUSTRIES aux dépens d'appel, et à payer à [C] [Q] la somme de 2.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 15/09304
Date de la décision : 10/10/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K4, arrêt n°15/09304 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-10-10;15.09304 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award