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27/09/2017 | FRANCE | N°15/24236

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 27 septembre 2017, 15/24236


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2017



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/24236



Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Septembre 2015 -Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE - RG n° J2014000087





APPELANTE



SARL [Z] [T]

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]
>N° SIRET : 312 909 039 (PARIS)

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentée par Maître François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2017

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/24236

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Septembre 2015 -Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE - RG n° J2014000087

APPELANTE

SARL [Z] [T]

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 312 909 039 (PARIS)

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Ayant pour avocat plaidant Maître Jean-Daniel BRETZNER de l'AARPI BREDIN PRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : T12

INTIMÉES

- SASU MAGASINS GALERIES LAFAYETTE (MGL)

Ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 957 503 931 (PARIS)

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

- SASU IMMOBILIERE DU MARAIS,

anciennement dénommée BAZAR DE L'HOTEL DE VILLE (B.H.V.),

Ayant son siège social [Adresse 3]

[Adresse 3]

N° SIRET : 542 052 865 (PARIS)

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

- SASU GALERIES LAFAYETTE HAUSSMANN - GL HAUSSMANN

Ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

N° SIRET : 572 062 594 (PARIS)

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentées par Maître Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant Maître Claire DECOUX LAROUDIE, avocat au barreau de PARIS, toque L199

PARTIE INTERVENANTE

SASU BHV EXPLOITATION

Ayant son siège social [Adresse 4]

[Adresse 4]

N° SIRET : 572 232 650 (PARIS)

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant Maître Claire DECOUX LAROUDIE, avocat au barreau de PARIS, toque L199

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Juin 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Irène LUC, Présidente de chambre

Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère, rédactrice

Monsieur François THOMAS, Conseiller

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Dominique MOUTHON VIDILLES dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile,

Greffier, lors des débats : Monsieur Vincent BRÉANT

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Irène LUC, Présidente et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société [Z] [T], fondée en 1978, est spécialisée dans la sélection, l'importation et la vente de tapis d'Orient noués à la main, en gros et en détail. Elle dispose d'un magasin situé [Adresse 5].

Le groupe Galeries Lafayette est spécialisé dans la vente de produits haut de gammes exposés par marque. La société Magasins Galeries Lafayette (MGL) qui s'est substituée en 2010 à la Société Anonyme des Galeries Lafayette (SAGL) et a pour activité la gestion et l'exploitation de 53 grands magasins sous l'enseigne «'Galeries Lafayette'» en France Métropolitaine, à l'exclusion du magasin situé [Localité 1], la société Les Galeries Lafayette Haussmann (GLH) qui assure la gestion du magasin [Établissement 1] à [Localité 1], et la société BHV Exploitation qui exploite sous l'enseigne BHV le magasin [Établissement 2] situé [Adresse 6] et vient aux droits de la société Immobilière du Marais anciennement dénommée Bazar de l'Hôtel de ville, sont trois filiales du groupe Galeries Lafayette.

Pendant plusieurs années, la société [Z] [T] a exploité un stand dans deux magasins exploités par la société Magasins Lafayette (MGL) et situés dans le centre commercial [Établissement 3] à [Localité 2] et à [Localité 3], dans le magasin du [Localité 1] géré par la société Les Galeries Lafayette Haussmann (GLH) à [Localité 4] et dans le magasin exploité par la société BHV à [Adresse 6].

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 septembre 2010, la société MGL a résilié le contrat d'exploitation de la société [Z] [T] dans le magasin de [Localité 2] à compter du 30 juin 2011.

Par deux lettres recommandées avec accusé de réception du 18 juillet 2011, sur papier à en-tête de la société BHV, la société [Z] [T] a été informée de la résiliation des contrats de présentation de ses produits dans les magasins de [Localité 1] à effet au 18 juillet 2013 et du [Établissement 4] à effet au 18 avril 2012. Par une troisième lettre recommandée avec accusé de réception du même jour, il lui a été confirmé un accord pour une résiliation du contrat pour le magasin de [Localité 3] à effet au 31 juillet 2011.

Par exploit du 2 août 2011, la société [Z] [T] a assigné la société MGL devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce en indemnisation à hauteur de la somme de 493.000 € pour rupture brutale des relations commerciales établies relatives au magasin de [Établissement 3] à [Localité 2]. Elle a ensuite sollicité, par conclusions additionnelles, l'allocation de cette même somme en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales concernant les quatre stands.

Par ordonnance du 4 octobre 2012, l'affaire a été renvoyée devant le tribunal de commerce de Lille-Métropole. La société [Z] [T] a alors assigné en intervention forcée la société BHV et la société GLH afin de les voir condamner in solidum avec la société MGL à lui verser la somme de 511.795 € pour rupture brutale des relations commerciales établies avec le groupe Galeries Lafayette.

Par jugement du 22 septembre 2015, le tribunal de commerce de Lille-Métropole a':

- débouté la société [Z] [T] de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales avec la sociétés Bazar de l'Hôtel de Ville ' BHV, Galeries Lafayette Haussmann ' GL Haussmann et Magasins Galeries Lafayette,

- condamné la société [Z] [T] à payer aux sociétés Bazar de l'Hôtel de Ville ' BHV, Galeries Lafayette Haussmann ' GL Haussmann et Magasins Galeries Lafayette une indemnité de 5.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société [Z] [T] aux dépens de l'instance.

LA COUR

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 28 juin 2016 par la société [Z] [T], appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de':

- dire recevable et fondé l'appel interjeté par [Z] [T],

y faisant droit,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ces dispositions,

- dire que la relation commerciale nouée par [Z] [T] avec les sociétés Magasins Galeries Lafayette, GL Haussmann et BHV constitue au sens du droit positif une seule et unique relation commerciale établie, dont le point de départ correspond à 1989,

- dire que les quatre ruptures partielles de la relation commerciale litigieuse qui ont été successivement notifiées en l'espèce à [Z] [T] en 2010 et 2011 ont été précédées de préavis insuffisants et constituent par conséquent des ruptures brutales partielles de la relation commerciale établie litigieuse,

- dire que [Z] [T] est fondée à solliciter la réparation des conséquences dommageables de ces ruptures brutales partielles,

en conséquence :

- condamner in solidum les sociétés Magasins Galeries Lafayette, Galeries Lafayette Haussmann et BHV à s'acquitter entre les mains de [Z] [T] d'une somme de 511.795 euros en réparation des préjudices générés par leur comportement fautif,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner in solidum les sociétés Magasins Galeries Lafayette, GL Haussmann et BHV à verser à [Z] [T] la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter les sociétés BHV Exploitation, Magasins Galeries Lafayette, Galeries Lafayette Haussmann de l'intégralité de leurs demandes,

- les condamner in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Maître Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 9 mai 2017 par les sociétés Magasins Galeries Lafayette (MGL), Galeries Lafayette Haussmann (GLH) et BHV, intimées, et la société BHV exploitation, intervenante volontaire, par lesquelles il est demandé à la cour de':

- recevoir les sociétés Immobilière du Marais, anciennement dénommée Bazar de l'Hôtel de Ville - BHV, BHV exploitation, Galeries Lafayette Haussmann ' GL Haussmann et Magasins Galeries Lafayette en leurs conclusions, les en dire bien fondées et, en conséquence :

à titre liminaire

ajoutant au jugement de première instance,

- dire que par l'effet de la transmission universelle de patrimoine intervenue à son profit à effet du 1er janvier 2015, la société BHV exploitation vient aux droits et obligations de la société Immobilière du Marais, anciennement dénommée Bazar de l'Hôtel de Ville ' BHV,

- par conséquent, donner acte à la société BHV exploitation de son intervention volontaire à l'instance et de la constitution, dans son intérêt, de la SELARL LEXAVOUE PARIS - VERSAILLES, prise en la personne de Maître Matthieu Boccon-Gibod,

- prononcer la mise hors de cause de la société Immobilière du Marais, anciennement dénommée Bazar de l'Hôtel de Ville ' BHV.

à titre principal

confirmant le jugement de première instance,

- dire que les préavis consentis par la société Bazar de l'Hôtel de Ville ' BHV, aux droits et obligations de laquelle se trouve la société BHV exploitation, et par les sociétés Galeries Lafayette Haussmann ' GL Haussmann et Magasins Galeries Lafayette à la société [Z] [T] avant la fermeture des stands exploités par la société [Z] [T] dans les magasins [Établissement 3], à [Localité 2], [Établissement 2] à [Localité 4], et [Établissement 5] à [Localité 4], ont été raisonnables et suffisants au regard de la durée des relations commerciales afférentes à chacun de ces magasins,

- constater que la société [Z] [T] a elle-même mis un terme à la relation commerciale portant sur le stand situé dans le magasin de [Adresse 7],

- constater que la société [Z] [T] n'a pas donné suite à la proposition de la société Magasins Galeries Lafayette tendant à la réouverture d'un stand dans ce magasin,

en conséquence

- dire que la société Bazar de l'Hôtel de Ville ' BHV, aux droits et obligations de laquelle se trouve la société BHV exploitation, et les [Établissement 1] [Établissement 5] ' GL Haussmann et Magasins Galeries Lafayette ont respecté les obligations qui leur incombaient aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et débouter la société [Z] [T] de l'intégralité de ses demandes, en toutes fins, moyens et prétentions qu'elles comportent,

à titre subsidiaire

- constater que l'« estimation du préjudice financier subi par la société [Z] [T] du fait de la rupture des relations contractuelles avec le groupe Galeries Lafayette'» dont se prévaut la société [Z] [T] est non contradictoire,

- dire qu'il y a lieu de tenir compte de la tendance constamment baissière du chiffre des ventes réalisées par la société [Z] [T] et de ne prendre en considération dès lors que ses résultats de 2010,

- constater que rien ne permet d'établir l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les licenciements auxquels a procédé la société [Z] [T] et les prétendues ruptures brutales de relations commerciales établies reprochées à la société Bazar de l'Hôtel de Ville ' BHV, aux droits et obligations de laquelle se trouve la société BHV exploitation, et les sociétés Galeries Lafayette Haussmann ' GL Haussmann et Magasins Galeries Lafayette,

en conséquence

- écarter l'« estimation du préjudice financier subi par la société [Z] [T] du fait de la rupture des relations contractuelles avec le groupe Galeries Lafayette » dont se prévaut la société [Z] [T] et débouter cette dernière de l'intégralité de ses demandes, en toutes fins, moyens et prétentions qu'elles comportent,

en tout état de cause

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société [Z] [T] à payer à la société Bazar de l'Hôtel de Ville ' BHV, aux droits et obligations de laquelle se trouve la société BHV exploitation, et aux sociétés Galeries Lafayette Haussmann ' GL Haussmann et Magasins Galeries Lafayette une indemnité de 5.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

y ajoutant

- condamner la société [Z] [T] à payer aux sociétés BHV exploitation, Galeries Lafayette Haussmann ' GL Haussmann et Magasins Galeries Lafayette la somme de 8.000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel,

- la condamner aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel, dont distraction s'agissant de ces derniers au profit de Maître Matthieu Boccon-Gibod par application de l'article 699 du code de procédure civile ;

SUR CE

Il résulte de l'instruction du dossier les élément suivants :

- dans le cadre d'une convention cadre du 5 juillet 1989 (pièce appelante n°1) conclue avec la société Française des Nouvelles Galeries Réunies, aux droits de laquelle est venue en 1991 la Société anonyme des Galeries Lafayette (SAGL) puis la société Magasins Galeries Lafayette (MGL), et remplacée par un accord de coopération commerciale (contrat cadre) du 15 novembre 1994 (pièce appelante n°2), la société [Z] [T] a exploité un stand d'exposition de tapis d'Orient dans le magasin [Établissement 1] du centre commercial [Établissement 3] situé à [Localité 2] ainsi qu'en 2006, dans le magasin [Établissement 6],

- suivant contrat du 2 avril 1998 (pièce appelante n°4), la société [Z] [T] a obtenu un stand permanent de présentation d'un rayon tapis d'Orient dans le magasin [Établissement 1] du [Localité 1],

- par courrier du 30 avril 2002, la société MGL a notifié à la société [Z] [T] la cessation du contrat d'exploitation du stand de [Localité 2] à compter du 30 mars 2003 du fait de la suppression de l'offre 'Meubles et Maison '; par ordonnance du 11 juin 2003, l'expulsion de la société [Z] [T] a été ordonnée et cette dernière a quitté les lieux jusqu'à sa réintégration, suivant convention du 1er juin 2006, du fait de l'ouverture d'un rayon 'Lafayette Maison',

- le 23 décembre 2009, la société [Z] [T] et la société BHV ont conclu un contrat de commission à la vente pour un stand permanent dans le magasin du [Établissement 2] (pièce appelante n°14),

- bien que ce contrat mentionne que la société BHV agit tant en son nom qu'au nom de la société SAGL et de la société MGL, il ne concerne que le seul magasin [Établissement 2] visé à l'annexe 1 de sorte que c'est à tort que la société [Z] [T] soutient qu'il constituerait le seul et unique contrat l'unissant aux trois sociétés intimées et ce d'autant que les factures qu'elle produit aux débats mentionnent des taux de commission différents pour chaque magasin (31,50 % pour [Établissement 5], 29,90 % pour [Localité 3], 37,08 % pour [Localité 2], 38,28 % pour le [Établissement 2]) et non le taux unique de 38,28 % prévu au contrat du 23 décembre 2009,

- le 20 septembre 2010 (pièce appelante n°15), la société BHV agissant pour le compte de la société MGL a résilié le contrat d'exploitation dans le magasin de [Localité 2] à compter du 30 juin 2011, soit avec un préavis de 9 mois et 10 jours,

- le 18 juillet 2011 (pièce appelante n°16 ter), la société BHV agissant pour le compte de la société GLH a informé [Z] [T] de la résiliation du contrat d'exploitation dans le magasin de [Localité 1] à effet au 18 juillet 2013, soit avec un préavis de 24 mois,

- le 18 juillet 2011 (pièce appelante n°16 bis) la société BHV a informé [Z] [T] de la résiliation du contrat d'exploitation dans le magasin [Établissement 4] à effet au 18 avril 2012, soit avec un préavis de 9 mois, prolongé à 11 mois,

- par lettre du même jour (pièce appelante n°16), elle lui a confirmé son accord pour une résiliation du contrat pour le magasin de [Localité 3] à effet au 31 juillet 2011, soit avec un préavis de 13 jours.

La société [Z] [T] soutient en substance avoir noué avec les entités du Groupe Galeries Lafayette, depuis 1989, en dépit de l'existence de contrats différents avec quatre magasins, une relation commerciale unique établie caractérisée par la durée, la stabilité et l'intensité du flux d'affaires entre les parties, qui était gérée de façon centralisée par une même personne physique, et que les ruptures partielles qui lui ont été successivement notifiées, l'ont rompue de concert et de manière brutale. Elle se réfère au contrat du 23 décembre 2009, rédigé par les sociétés du groupe GL et qui matérialiserait l'existence d'une relation commerciale unique entre les parties en ce qu'il a eu pour objet de définir le cadre unique de la relation entre les parties et traduit l'existence d'une politique concertée entre les sociétés du groupe GL. Elle affirme que les sociétés du groupe GL ont résilié les différents contrats de manière concertée, traduisant ainsi l'existence d'une relation commerciale unique. Elle relève à cet égard que les lettres de résiliation des contrats ont toutes été rédigées et notifiées par Madame [P], sur du papier à en-tête de la société BHV, au nom et pour le compte des trois entités intimées.

Les intimées répliquent qu'il n'existait pas une relation commerciale unique entre les parties mais quatre relations commerciales devant être individualisées magasin par magasin. Elles considèrent que le contrat du 23 décembre 2009 ne s'est pas substitué aux autres contrats unissant les parties. Elles affirment qu'en présence de contrats distincts, les relations entre les parties ne doivent pas s'apprécier de manière globale mais individuelle. Elles ajoutent que la seule exception résidant dans une action concertée n'existe pas en l'espèce. En effet, elles soulignent que les quatre magasins sont exploités et gérés par trois sociétés distinctes, que si la centrale d'achats est commune aux trois sociétés, chacune met en oeuvre sa propre politique commerciale, que les relations commerciales de la société [Z] [T] avec chacune des sociétés du groupe ont débuté et ont pris fin à des dates différentes, que les taux de commission n'étaient pas identiques pour les quatre magasins et que la facturation était effectuée magasin par magasin.

L'article L 442-6, I, 5° du code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement une relation commerciale établie, sans préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale.

La société [Z] [T] entend rechercher la responsabilité in solidum de trois sociétés appartenant au Groupe Galeries Lafayette, les sociétés BHV Exploitation, Magasins Galeries Lafayette, Galeries Lafayette Haussmann, comme ayant rompu brutalement et de concert, une relation commerciale unique qu'elle avait nouée avec le groupe Galeries Lafayette depuis 1989.

Mais, c'est par de justes motifs que la cour adopte, aucun moyen nouveau n'étant produit en cause d'appel de nature à remettre en cause l'appréciation faite par le tribunal, que les premiers juges ont considéré que la société [Z] [T] ne pouvait se prévaloir d'une relation seule et unique avec le groupe Galeries Lafayette. En effet, la société [Z] [T] a noué des relations commerciales avec chacune des trois sociétés qui, bien qu'appartenant à un même groupe et ayant la même activité, sont des personnes morales distinctes et autonomes. Ces relations initiées à des époques différentes (1989/2002 puis 1er juin 2006 pour le stand d'exposition de [Localité 2], 1998 pour celui du [Localité 1], 2006 pour celui de [Localité 3], 23 décembre 2009 pour celui du [Établissement 2]), concernaient quatre magasins distincts à [Localité 5], [Localité 3] et [Localité 4] suivant quatre contrats autonomes comportant des conditions d'exploitation spécifiques (emplacements, taux de commission, redevances annuelles, facturation, personnel...) de sorte que l'ancienneté, leur contexte, les lettres de rupture et les préavis accordés sont propres à chacun des magasins, peu important à cet égard que la société BHV Exploitation soit intervenue lors de la notification de la résiliation de deux des quatre contrats en cause ([Localité 1] et [Localité 3]) en qualité de mandataire des sociétés GLH et MGL.

Il sera ajouté que la notion de relation commerciale établie visée à l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce s'entend d'échanges commerciaux conclus directement ou indirectement entre partenaires commerciaux de sorte que c'est bien la qualité de partenaire commercial qui la caractérise et non pas l'enseigne des magasins dans lesquels les produits en cause sont vendus. Il s'en déduit qu'un groupe de sociétés qui n'a pas la personnalité morale (et ne peut donc s'engager par contrat) et qui ne peut être qualifié d'entité unique, ne peut constituer un partenaire commercial au sens du texte susvisé.

Par suite, la société [Z] [T] ne justifie pas de l'existence d'une relation commerciale établie unique qu'elle aurait nouée avec le groupe Galeries Lafayette par l'intermédiaire de sociétés le composant et qui aurait été rompue par la notification de quatre ruptures partielles.

Par ailleurs, il ne ressort d'aucun élément l'existence d'une politique concertée des trois sociétés du groupe Galeries Lafayette comme allégué par la société appelante laquelle, au demeurant, se garde de la caractériser. L'existence d'une centrale d'achats commune, la présence d'interlocuteurs rattachés à une même direction (celle des achats groupe), et le fait que trois des quatre lettres concernant la résiliation des contrats soient intervenues le même jour, ne constituent pas des éléments suffisants à établir une action concertée.

Il en ressort que la rupture des relations commerciales doit être examinée au regard des relations entretenues par la société [Z] [T] avec chacune des trois sociétés.

La société [Z] [T] prétend que le groupe GL a rompu de manière partielle et brutale cette relation commerciale établie. Selon elle, la rupture des contrats présentait un caractère imprévisible en ce qu'elle pouvait légitimement anticiper la poursuite de la relation litigieuse. Elle ajoute qu'elle n'a pas disposé d'un délai suffisant pour rechercher et mettre en 'uvre une solution alternative au regard de l'ancienneté de la relation commerciale et de la fraction très élevée du chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec le groupe GL (50% en 2007, 62 % en 2008, 80 % en 2009, 83 % en 2010 et 2011 et 66 % en 2012). Elle considère que le groupe GL aurait dû lui accorder un préavis de 30 mois pour chacun des magasin de [Localité 3], [Localité 2] et du [Localité 1] et de 15 mois pour celui du [Établissement 2] [Adresse 6].

Les sociétés intimées répliquent que les préavis qui ont été accordés à la société [Z] [T] ont une durée suffisante au regard de la relation commerciale entre les parties (pour le magasin [Établissement 3], préavis de 9 mois et 10 jours pour une relation commerciale de quatre ans et quatre mois, pour le [Établissement 2] préavis de 11 mois et 10 jours pour une relation commerciale d'un an et 7 mois, pour le magasin du [Localité 1], préavis de 24 mois pour une relation commerciale de 13 ans et 3 mois) et que concernant le magasin de [Localité 3], c'est la société [Z] [T] qui est à l'origine de la rupture des relations commerciales.

***

Il ressort de l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.

' La société GLH

Concernant le magasin du [Localité 1], il a été vu ci-dessus qu'en 1998, la société [Z] [T] y a obtenu un stand permanent et que le 18 juillet 2011, la société BHV agissant pour le compte de la société GLH, l'a informée de la résiliation du contrat d'exploitation, à effet au 18 juillet 2013, soit avec un préavis de 24 mois pour des relations commerciales établies d'une durée de 14 ans. La société [Z] [T] soutient que ce préavis a été dans les faits ' vidé de sa substance ' puisqu'au cours de ce préavis, un déplacement de son stand afin de le rendre peu visible et difficilement accessible lui été imposé. Elle se prévaut à cet égard de deux pièces. Or, la pièce n°19 fait seulement état d'un projet de déplacement vers un autre emplacement et il ressort de la pièce n°20 qui est constituée d'un constat d'huissier auquel sont annexées des photographies, que le stand demeure au même endroit et n'a donc pas été déplacé. Si ce constat atteste que l'environnement du stand a changé, en ce que le stand est peu visible de l'allée qui y mène et que l'accès au stand se fait en passant par deux autres stands et /ou bureaux, ces circonstances ne constituent pas une modification substantielle des conditions d'exécution du contrat d'exploitation, lors du préavis octroyé. Par suite, il y a lieu de retenir la réalisation d'un préavis effectif de 24 mois.

Par ailleurs, il ne ressort d'aucun élément que la société [Z] [T] ait pu raisonnablement croire à une continuité des relations commerciales pour l'avenir et c'est à juste titre que les premiers juges, relevant que son chiffre d'affaires a nettement et régulièrement décru dans chacun des magasins en raison des tendances lourdes du marché de l'ameublement et du tapis et qu'elle avait été alertée, dans un courriel du 28 décembre 2010, sur le risque encouru du fait de cette chute quant à la poursuite des relations commerciales, ont considéré que la rupture ne présentait aucun caractère d'imprévisibilité.

Compte tenu de la durée des relations commerciales entre les parties de 14 ans, du volume d'affaires généré non sérieusement contesté, de l'existence de relations d'exclusivité réciproques (vente et approvisionnement- article 12 du contrat du 2 avril 1998) et du secteur d'activité concerné, la cour estime que le préavis de 24 mois octroyé par la société GLH, est suffisant pour permettre à la société [Z] [T] de trouver des solutions de remplacement et par suite, prive la rupture de caractère brutal. Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

' La société BHV Exploitation

Le 23 décembre 2009, la société [Z] [T] et la société BHV ont conclu un contrat de commission à la vente pour un stand permanent dans le magasin du [Établissement 2], à compter du 1er janvier 2010. Le 18 juillet 2011, la société BHV Exploitation a informé la société [Z] [T] de la résiliation du contrat à effet au 18 avril 2012. Il a donc été accordé un préavis de 11 mois pour une relation commerciale de 19 mois et 18 jours.

Compte tenu des pièces produites et eu égard à l'ancienneté des relations commerciales d'une durée de 19 mois et 18 jours, au volume d'affaires généré, à la réalité du marché concerné mais en l'absence d'accord d'exclusivité entre les parties (le contrat du 23 décembre 2009 ne fait aucunement état d'un accord d'exclusivité) et à défaut de justification d'une dépendance économique imposée par l'intimée, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que le préavis octroyé de 11 mois, dont l'exécution n'est pas contestée, était suffisant afin de pallier les incidences de la perte du contrat d'exploitation. Le jugement entrepris sera donc également confirmé sur ce point.

' La société MGL

Dans le cadre de conventions conclues successivement les 5 juillet 1989 et 15 novembre 1994 avec la société MGL, la société [Z] [T] a exploité deux stands d'exposition de tapis d'Orient dans deux magasins situés à [Localité 2] et à [Localité 3].

- [Établissement 3] à [Localité 2]

Il a été rappelé ci-dessus qu'initiée en 1989, l'exploitation d'un stand dans ce magasin a cessé du 30 mars 2003 au 1er juin 2006 du fait de la suppression de l'offre 'Meubles et Maison'. Elle a repris suivant convention du 13 mai 2006. Par lettre recommandée du 20 septembre 2010 dont Monsieur [Z] a accusé réception, la société [Z] [T] a été informée, sans ambiguïté, de la résiliation du contrat d'exploitation par la société à compter du 30 juin 2011, peu important à cet égard que la lettre soit parvenue au siège social de la société Centre Français des Tapis d'Orient dont Monsieur [Z] est également le gérant et qui abrite le principal point de vente exploité par la société [Z] [T] La durée des relations à prendre en compte est de 4 ans et 4 mois et le préavis accordé de 9 mois et 10 jours. Il n'est pas justifié que ce délai de préavis n'ait pas été effectif, la preuve que le nouvel emplacement, attribué en février 2011, soit, comme la société [Z] [T] l'affirme, 'encloisonné'et que par suite, il manque de visibilité n'étant pas rapportée, l'unique pièce produite au soutien de cette affirmation (pièce appelante n°18) étant insuffisante à cet égard.

Au vu de ce qui précède, compte tenu de la durée des relations commerciales entre les parties, du volume d'affaires généré, de l'absence de relation d'exclusivité réciproque et du défaut de justification de dépendance économique imposée par l'intimée et du secteur d'activité concerné, et à défaut de justification d'une dépendance économique imposée par l'intimée, le préavis de 9 mois et 10 jours octroyé apparaît suffisant de sorte qu'il prive la rupture de caractère brutal.

- [Localité 3]

L'exploitation de ce stand a commencé en mai 2006. Les parties sont en désaccord sur la fin des relations commerciales. Selon la société [Z] [T], c'est la société MGL qui est à l'initiative de la rupture et qui a résilié le contrat avec un préavis de 2 semaines par courrier du 18 juillet 2011. Selon la société MGL, c'est la société [Z] [T] qui a souhaité mettre fin aux relations commerciales entre les parties en lui faisait part, quelques jours plus tôt, de sa volonté de quitter ce magasin compte tenu des résultats désastreux qu'elle y enregistrait, ce dont elle aurait pris acte dans son courrier du 18 juillet 2011.

C'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que compte tenu de la faible activité enregistrée dans ce stand, la société [Z] [T] avait décidé de cesser de l'exploiter antérieurement au courrier du 18 juillet 2011, de sorte que la société MGL n'était pas à l'initiative de la rupture. En effet, d'une part, ce courrier fait état d'un entretien du 9 juin 2011, dont l'existence n'est pas contestée par la société appelante, au cours duquel la société [Z] [T] a fait part de sa décision de mettre fin à la présentation de ses produits dans ce magasin à effet au 31 juillet 2011, et d'autre part, en l'état des pièces produites aux débats, le manque de rentabilité de ce stand est démontré par la faiblesse du chiffre d'affaires que la société [Z] [T] y a réalisé en 2010 (45.000 €). Par suite, et peu important à cet égard que par lettre du 29 juillet 2011, elle ait refusé la fermeture du stand ' dans un délai si court ', la société [Z] [T] n'est pas fondée à soutenir l'existence d'une rupture brutale des relations commerciales par la société MGL.

En définitive le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions. La société [Z] [T] qui succombe en appel, en supportera les dépens et devra verser à chacune des sociétés, MGL, GLH et BHV Exploitation, la somme supplémentaire de 2.500 €.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONSTATE l'intervention volontaire de la société BHV Exploitation venant aux droits de la société Immobilière du Marais, anciennement dénommée Bazar de l'Hôtel de Ville-BHV ;

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

et y ajoutant,

CONDAMNE la société [Z] [T] aux dépens de l'appel ;

AUTORISE Maître Matthieu Boccon-Gibod, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société [Z] [T] à verser à chacune des sociétés Magasins Galeries Lafayette, Galeries Lafayette Haussmann et BHV Exploitation, la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GreffierLa Présidente

Cécile PENG Irène LUC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 15/24236
Date de la décision : 27/09/2017

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°15/24236 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-09-27;15.24236 ?
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