RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRÊT DU 27 Septembre 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/12507 - S 15/12797
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 05 novembre 2015 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY - section industrie - RG n° 14/010222
APPELANT
Monsieur [F] [U] [Q]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1]
né le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 2] (HAITI)
comparant en personne, assisté de Me Caroline GORVITZ, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, 166
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2016/039280 du 09/11/2016 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMEE
Monsieur [C] [O] exerçant sous l'enseigne ENTREPRISE [O] PROJECTION
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Susanne SACK-COULON, avocat au barreau de MELUN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Mai 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Christine LETHIEC, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine SOMMÉ, présidente
Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller
Madame Christine LETHIEC, conseillère
Greffière : Madame Marion AUGER, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine SOMMÉ, présidente et par Madame Laurie TEIGELL, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Faits et prétentions des parties
M. [F] [U] [Q] a été engagé par M. [C] [O], exploitant en son nom personnel sous l'entreprise [O] Projection, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 juillet 2010, pour y exercer les fonctions de manoeuvre, niveau 1, position 1, coefficient 150, en contrepartie d'une rémunération mensuelle brute de 1 548.56 € pour 169 heures de travail, majoration de 25 % comprise pour les quatre heures supplémentaires.
Par courrier recommandé adressé le 29 octobre 2011, le salarié a mis en demeure l'employeur de modifier le contrat de travail en mentionnant sa qualité d'enduiseur au lieu de manoeuvre, sans obtenir gain de cause.
Les 12 septembre et 2 décembre 2011, 23 février et 17 juillet 2012, l'entreprise [O] Projection a notifié, en recommandé, à M. [F] [U] [Q] des avertissements pour des absences injustifiées ou un non-respect des horaires de travail.
Par lettres recommandées des 22 novembre et 9 décembre 2013, l'entreprise [O] Projection a convoqué M. [F] [U] [Q] à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 17 décembre 2013, en lui notifiant, également, une mise à pied à titre conservatoire dans son courrier daté du 9 décembre 2013.
Un licenciement pour faute grave a été notifié à l'intéressé par courrier recommandé du 20 décembre 2013, rédigé en ces termes :
«...Depuis le lundi 9 décembre 2013, vous refusez de vous rendre sur votre lieu de travail à savoir le chantier situé à [Localité 4]), sans autre justification que celle de la distance à laquelle se trouve le chantier.
L'article 4 de votre contrat de travail énonce très clairement :
«M. [Q] [F] [U] exercera ses fonctions sur l'ensemble des chantiers que l'entreprise aura à traiter. A ce titre, M. [Q] [F] [U] pourra être amené à se déplacer en France ou à l'étranger compte tenu de la nature de ses fonctions et des besoins de la société.»
En refusant de vous rendre sur ce lieu de travail, vous ne respectez pas les obligations définies par le contrat de travail que vous avez accepté en toute connaissance de cause.
Votre attitude perturbe l'avancement d'un chantier pour lequel nous avons des impératifs d'achèvement à date déterminée, elle nuit gravement au bon fonctionnement de l'entreprise.
Je considère que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien même temporaire dans l'entreprise. Votre licenciement est donc immédiat, sans préavis ni indemnité de rupture.
Je vous signale à cet égard qu'en raison de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le salaire correspondant à la période pendant laquelle vous avez été mis à pied à titre conservatoire ne vous sera pas versé '».
L'entreprise qui employait, au jour de la rupture, moins de onze salariés, est assujettie à la convention collective «ouvriers du bâtiment de Seine et Marne».
Estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [F] [U] [Q] a saisi, le 25 février 2014, le conseil de prud'hommes de Bobigny de demandes en complément de salaire et indemnisation pour rupture abusive et harcèlement moral, outre des frais irrépétibles.
Par jugement rendu le 5 novembre 2015, le conseil de prud'hommes de Bobigny a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes.
L'entreprise [O] Projection a été déboutée de sa demande reconventionnelle en remboursement de chèques encaissés à deux reprises et les prétentions respectives des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ont été rejetées, le salarié étant condamné aux dépens de l'instance.
Les 2 et 10 décembre 2015, M. [F] [U] [Q] a interjeté appel de cette décision.
Par conclusions visées par le greffe le 30 mai 2017 et soutenues oralement, M. [F] [U] [Q] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de dire que le licenciement notifié le 20 décembre 2013 est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner M. [C] [O] représentant l'entreprise [O] Projection à lui verser les sommes suivantes :
- 36 757.44 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail
- 3 063.12 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
- 306.31 € au titre des congés payés afférents
- 918.93 € au titre de l'indemnité légale de licenciement
- 3 545.85 € à titre de complément de salaire pour la période du 12 juillet 2010 au 31 mai 2013
- 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par conclusions visées par le greffe le 30 mai 2017 et soutenues oralement, M. [C] [O] représentant l'entreprise [O] Projection sollicite la confirmation du jugement entrepris et il forme une demande reconventionnelle de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, le salarié devant supporter la charge des dépens d'appel.
Pour un plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, reprises et complétées oralement lors de l'audience des débats.
SUR QUOI LA COUR
La présente instance ayant fait l'objet de deux enrôlements distincts, il existe un lien tel entre les deux dossiers qu'il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de joindre les instances RG 15/12507 et RG 15/12797, en application de l'article 367 du code de procédure civile.
1/ Sur l'exécution du contrat de travail
M. [F] [U] [Q] reproche à M. [C] [O] représentant l''entreprise [O] Projection de l'avoir rémunéré depuis son embauche, le 12 juillet 2010, jusqu'au mois de mai 2013 en qualité de man'uvre pour un salaire mensuel de 1 430.25 € alors même qu'il a toujours exercé les fonctions d'enduiseur et devait percevoir une rémunération de
1 5 31.56 €
Il sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser la somme de 3 545.85 € à titre de rappel de salaire pour la période litigieuse.
M. [C] [O] représentant l'entreprise [O] Projection, pour sa part, conteste le bien fondé de cette demande, en soutenant que dès le 25 mars 2010, il avait établi un projet de contrat de travail pour M. [F] [U] [Q], en attente d'une régularisation de son titre de séjour l'autorisant à travailler en France et que ce projet a été formalisé le 12 juillet 2010, suite à l'avis favorable du service main d''uvre étrangère de la direction départementale du travail , de l'emploi et de la formation professionnelle de Seine Saint Denis pour employer le salarié en qualité de man'uvre.
L'employeur soulève la prescription de la demande en paiement relative à la période antérieure au 20 décembre 2010. Il fait valoir que le salarié ne justifie ni d'un diplôme, ni d'une activité professionnelle antérieure en qualité d'enduiseur et que ces fonctions spécifiques ne lui ont été confiées qu'à compter du 1er juin 2013, suite à la formation pratique acquise par l'intéressé au sein de l'entreprise.
a) Sur la prescription
Selon les dispositions de l'article L. 3245-1 du code du travail :
« l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de
l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ».
En l'espèce, M. [F] [U] [Q] a été licencié le 20 décembre 2013, de sorte que sa demande en rappel de salaire antérieure au 20 décembre 2010 est prescrite, conformément à ce qu'ont retenu les premiers juges. La demande de rappel de salaire portant sur la période antérieure au 20 décembre 2010 est donc irrecevable.
b) Sur la demande en rappel de salaire non prescrite
M. [F] [U] [Q] affirme avoir exercé, dès son embauche le 12 juillet 2010, les fonctions spécifiques d'enduiseur et non de man'uvre. Il rappelle les termes de ses précédents courriers adressés à l'employeur les 30 septembre, 29 octobre et 16 décembre 2011.
Cependant, le salarié ne justifie ni avoir obtenu un diplôme ou suivi une formation professionnelle pour exercer les fonctions d'enduiseur avant son embauche.
La cour constate que, conformément à l'avis favorable du service main d''uvre étrangère de la direction départementale du travail de l'emploi et de la formation professionnelle de Seine Saint Denis, M. [F] [U] [Q] a été engagé en qualité de man'uvre, que les bulletins de paie de l'intéressé mentionnent cette qualification jusqu'au mois de mai 2013 inclus et que le salarié n'a bénéficié de la qualification d'enduiseur qu'après une formation pratique de trois années dans l'entreprise où il était encadré par des professionnels qualifiés ainsi que le confirme la liste du personnel versée aux débats.
Enfin l'attestation établie par M. [I] [L] [G] est insuffisante à établir que M. [F] [U] [Q] exerçait les fonctions d'enduiseur au sein de l'entreprise avant le 1er juin 2013. Le salarié n'est donc pas fondé en sa demande en rappel de complément de salaire à ce titre pour la période non prescrite, conformément à ce qu'ont retenu les premiers juges dont la décision sera confirmée à ce titre.
2/ Sur la rupture du contrat de travail
L'article L. 1235-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié.
Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il appartient à l'employeur qui invoque la faute grave d' en rapporter la preuve alors même que l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits matériellement vérifiables.
Il convient d'analyser les griefs reprochés à M. [F] [U] [Q] qui sont exposés dans la lettre de licenciement notifiée le 20 décembre 2013, qui fixe les limites du litige et lie les parties et le juge.
En l'espèce, l'entreprise [O] Projection reproche au salarié de refuser, depuis le
9 décembre, de se rendre sur son lieu de travail à [Localité 4] où l'entreprise travaille, en qualité de sous-traitante, sur un chantier de rénovation de l'hôtel [Établissement 1], en invoquant aucun autre motif que la distance alors même que le contrat de travail stipule une clause de mobilité.
M. [F] [U] [Q] relève l'erreur affectant la lettre de licenciement dans la mesure où le chantier s'est déroulé du 19 au 28 novembre 2013 et que, le 9 décembre 2013, il avait, déjà, fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire, de sorte que l'abandon de poste du 9 décembre 2013 invoqué dans la lettre de licenciement n'est pas caractérisé.
Subsidiairement il fait valoir qu'il avait prévenu son employeur qu'il serait absent le
26 novembre 2013, étant convoqué devant le conseil de prud'hommes de Bobigny. Il affirme en outre avoir toujours respecté les consignes de l'entreprise.
L'article 4 du contrat de travail signé des parties dispose :
«M. [F] [U] [Q] exercera ses fonctions sur l'ensemble des chantiers que l'entreprise aura à traiter.
A ce titre, il sera amené à se déplacer en France ou à l'étranger compte tenu de la nature de ses fonctions et des besoins de la société».
Les éléments de ce dossier établissent que la société COBATIR a conclu, le 2 novembre 2013, un contrat de sous-traitance avec l'entreprise [O] Projection, concernant un chantier de rénovation à [Localité 4] d'un montant TTC de 120 064.65 € pour une durée initiale du 19 novembre au 28 novembre 2013, qui a été retardée. Il était convenu de la réalisation de chantier selon le planning fixé, sous peine de pénalités financières correspondant à 1/500 par jour du montant de la commande. L'employeur verse aux débats les justificatifs de location d'un véhicule Toyota Yaris pour assurer les transports du personnel pendant la durée du chantier jusqu'au mois de décembre 2013.
Par courrier recommandé adressé au salarié le 22 novembre 2013 et distribué le 28 novembre 2013, l'employeur a convoqué le salarié à un premier entretien préalable fixé au 6 décembre 2013 pour absence de l'intéressé de nature à désorganiser le planning dès lors que l'intéressé l'avait informé, le même jour, qu'il rentrait à son domicile en région parisienne compte tenu d'un rendez-vous important le mardi 26 novembre et que de ce fait, il ne travaillerait ni le lundi, ni le mardi.
M. [F] [U] [Q] ne démontre pas avoir prévenu, par avance, son employeur de son absence du chantier les lundi 25 et mardi 26 novembre 2013 et avoir informé ce dernier de sa convocation devant le conseil de prud'hommes de Bobigny dans le cadre d'un litige l'opposant à la société ART FACADE BATIMENT où il a travaillé en qualité de man'uvre du 7 août au 6 octobre 2012.
Aux termes d'un deuxième courrier recommandé adressé le 9 décembre 2013 et réceptionné par le salarié le 10 décembre 2013, l'entreprise [O] Projection a convoqué M. [F] [U] [Q] à un nouvel entretien préalable en vue de fournir des explications sur ses absences et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire dont il a été avisé le 10 décembre 2013.
Il en résulte que le salarié n'était toujours pas présent sur le chantier à [Localité 4] le 9 décembre 2013, alors même que la mise à pied à titre conservatoire ne lui avait pas encore été notifiée.
La cour déduit de l'ensemble de ces éléments que la nouvelle absence sur le chantier d'[Localité 4], le 9 décembre 2013, de M. [F] [U] [Q] qui s'était déjà vu notifier trois avertissements pour des absences injustifiées ou le non-respect des horaires de travail dont il n'a pas demandé l'annulation, est constitutif, peu important son ancienneté, d'une faute grave, dès lors qu'elle désorganisait le fonctionnement de cette entreprise à effectif réduit et l'exposait aux pénalités de retard contractuelles, de sorte qu'elle rendait impossible son maintien dans la société et la poursuite de la relation contractuelle de travail.
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris qui a dit que le licenciement notifié à M. [F] [U] [Q] était fondé sur une faute grave et l'a débouté de ses demandes en indemnisation pour rupture abusive, indemnité légale, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents.
3/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
L'équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais non répétibles, M. [F] [U] [Q] dont l'argumentation est écartée supportant la charge des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
JOINT les instances RG 15/12507 et RG 15/12797 ;
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
DEBOUTE les parties de leurs prétentions respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE M. [F] [U] [Q] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE