Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 1
ARRET DU 20 SEPTEMBRE 2017
(n° 316 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/23527
Décision déférée à la Cour : Arrêt du 20 Septembre 2016 - Cour d'Appel d'ANGERS - RG n° 14/03038
APPELANT
Monsieur [O] [R]
[Adresse 1]
[Localité 1]
né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 2] (49)
Représenté par Me Erwan LE MORHEDEC de l'AARPI BeLeM, avocat au barreau de PARIS, toque : L0182
INTIMEE
SCP CABINET [Y]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Daniel CHATTELEYN, Avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 Mai 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Jacques BICHARD, Président de chambre
Mme Marie-Sophie RICHARD, Conseillère
Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR
ARRET :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Sophie RICHARD, Conseillère signant en lieu et place du président empêché et par Mme Lydie SUEUR, greffier.
Maître [O] [R] et la SCP [Y] ont conclu, le 19 août 2010, un contrat de collaboration libérale, mis à jour le 4 octobre 2010. La SCP [Y] a informé Me [R] par lettre du 26 décembre 2013 remise en main propre qu'elle entendait mettre fin au contrat à effet au 26 mars 2014.
Par courrier du 24 juin 2014 reçu à l'ordre des avocats d'Angers le 4 juillet 2014, Me [R] a saisi le bâtonnier du barreau d'Angers d'un ensemble de réclamations à l'encontre de la SCP [Y] relatives au contrat de collaboration libérale.
Il sollicitait à titre principal une indemnité de 190 000 € à la SCP [Y] en application de
l'article L 442-6 du code de commerce réprimant les pratiques restrictives de la concurrence à l'origine d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et à titre subsidiaire un manquement aux règles déontologiques de la SCP [Y] sur le fondement des dispositions de l'article 3 du décret du 12 juillet 2015.
Par décision du 23 octobre 2014, le bâtonnier a :
- déclaré Me [R] recevable mais mal fondé en toutes ses demandes à l'exception de celle relative aux jours de repos non pris ;
- condamné la SCP [Y] à verser à Me [R] une indemnité de 200 € au titre de deux jours de repos non pris ;
- débouté Me [R] de ses autres demandes ;
- débouté les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
Me [R] a formé un recours contre cette décision devant la cour d'appel d'Angers par lettre recommandée du 22 novembre 2014.
Par conclusions du 3 août 2016, Me [R] demandait à la cour d'appel
d'Angers,
- à titre principal :
la condamnation de la SCP [Y] à lui payer la somme de 190 000 € à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L 442-6 du code de commerce, pour disproportion manifeste au regard du service rendu ou déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
- subsidiairement,
la condamnation de la SCP [Y] à lui payer la somme de 260 500 € à titre de dommages-
intérêts pour violation de l'obligation de désintéressement de l'avocat sur le fondement de l'article 1147 du code civil et 3 du décret 2005-790 ;
- en tout état de cause,
la condamnation de la SCP [Y] à lui payer :
* 20 000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de collaboration, * 200 € à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de solder les congés
payés,
* 25 000 € à titre de dommages-intérêts pour violation des obligations prévues par les articles 2.2 du Règlement Intérieur National de la profession d'avocat et 5.1.3 du règlement intérieur du barreau d'Angers,
* 25 000 € pour plainte téméraire,
* 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SCP [Y] demandait la confirmation partielle de la décision du bâtonnier du barreau
d'Angers, formait appel incident, concluait au rejet des débats des pièces n° 8 et 9 comme portant atteinte au secret professionnel et réclamait la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La procédure a été transmise au procureur général lequel en a pris connaissance le 1er septembre 2016.
Considérant que la demande à titre principal de Me [R] est fondée sur l'article L 442-6 du code de commerce, et qu'il résulte des dispositions de l'article D. 442-3 du code de commerce que la cour d'appel de Paris a une compétence exclusive pour connaître des litiges relatifs à l'application de l'article L 442-6, la cour d'appel d'Angers a soulevé une fin de non-recevoir d'ordre public, les parties n'ayant présenté aucun argument en opposition à cette décision, s'est déclarée incompétente et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris pour connaître de l'ensemble du litige.
Dans ses conclusions déposées le 17 mai 2017 et soutenues à l'audience maître [R] demande à la cour de :
- à titre principal :
condamner la SCP [Y] à lui payer la somme de 190 000 € à titre de dommages-
intérêts pour disproportion manifeste au regard du service rendu ou déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
- subsidiairement,
condamner la SCP [Y] à lui payer la somme de 260 500 € à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de désintéressement de l'avocat;
- en tout état de cause,
condamner la SCP [Y] à lui payer :
* 20 000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de collaboration, * 200 € à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de solder les congés
payés,
* 25 000 € à titre de dommages-intérêts pour violation des obligations prévues par les articles 2.2 du Règlement Intérieur National de la profession d'avocat et 5.1.3 du règlement intérieur du barreau d'Angers,
* 25 000 € pour plainte téméraire,
* 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Dans ses conclusion déposées le 31 janvier 2017 et soutenues à l'audience, la SCP [Y] demande à la cour de :
- déclarer maître [R] mal fondé en son appel et l'en débouter,
- confirmer la décision entreprise en son principe et en ses dispositions non contraires aux présentes,
- recevoir son appel incident et rejeter des débats les pièces n° 8 et 9 produites par l'appelant comme portant atteinte au secret professionnel,
- condamner maître [R] à lui verser la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclarer maître [R] irrecevable et subsidiairement mal fondé en toutes ses demandes et l'en débouter,
-condamner l'appelant au dépens.
MOTIFS DE LA DECISION :
- Sur l'application de l'article L 442-6 du code de commerce :
M [R] soutient que le droit de la concurrence et en particulier les dispositions de l'article L 442-6 du code de commerce qui sanctionne les pratiques restrictives de concurrence concerne les avocats; que les décisions de la chambre commerciale de la cour de cassation, qui ont retenu que les dispositions de l'article L 442-6 du code de commerce ne s'appliquent pas aux professions libérales et notamment aux avocats, ne concernent que les relations entre ces professions et leurs clients et que ces dispositions visent, indépendamment de son statut juridique, celui qui exerce une activité économique comme le consacre le droit européen qui reconnaît que les avocats exerçant une activité économique constituent une entreprise au sens des articles 85, 86 et 90 du traité et qu'elles ne peuvent donc restreindre le jeu de la concurrence.
La SCP [Y] fait valoir que l'article L 442-6 susvisé ne peut concerner que les partenaires commerciaux et que le collaborateur d'une entreprise, ce qu'elle ne nie pas que constitue l'activité d'avocat, ne peut être considéré comme son partenaire commercial dès lors qu'il oeuvre au sein de l'entreprise et n'en est pas le concurrent. Elle soutient que l'appelant entretient une confusion entre le statut de l'avocat qui peut se voir appliquer le droit de la concurrence dès lors qu'il exerce une activité économique et la notion de partenaire commercial qui ne peut viser le collaborateur qui oeuvre au sein de la même entreprise et non d'une entreprise distincte de sorte que le principe d'égalité de traitement ne peut être revendiqué par l'appelant puisque par nature le contrat de collaboration est exclusif d'une telle égalité ainsi que de toute relation commerciale entre le collaborateur et le cabinet où il oeuvre.
En application des dispositions de l'article L 446-1 du code de commerce: 'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers:
1°) d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu...
2°) de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties...'
En application des dispositions de l'article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991: ' la profession d'avocat est incompatible avec toutes les activités à caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée.'
En vertu des articles 129 et 133 du même décret les conditions de la collaboration sont convenues par les parties dans le cadre déterminé par le règlement intérieur du barreau et le conseil de l'ordre a un pouvoir de contrôle sur la convention d'honoraire.
Ces dispositions excluent que l'avocat collaborateur dont la profession, soumise à des règles déontologiques, est réglementée, notamment en ce qui concerne son contrat de collaboration, puisse exercer dans ce cadre une activité s'apparentant à une activité commerciale et être considéré comme un partenaire commercial du cabinet d'avocat au sein duquel il collabore de sorte que c'est à juste titre que la sentence déférée à la cour a écarté l'application de l'article L 446-1 du code de commerce au présent litige.
- Sur la demande subsidiaire au titre de la violation de l'obligation de désintéressement de l'avocat sur le fondement de l'article 1147 du code civil et 3 du décret 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat :
Maître [R] soutient que l'obligation légale de désintéressement édictée par ce texte s'applique non seulement aux relations entre l'avocat et son client mais également entre avocats y compris dans le cadre d'une collaboration libérale.
La SCP [Y] fait valoir que cette obligation ne concerne que les rapports entre l'avocat et son client et en aucune manière le domaine de la gestion du cabinet auquel se rattache la relation de collaboration et qu'en toute hypothèse l'obligation est nécessairement respectée dès lors que la rémunération convenue se situe comme en l'espèce au dessus des minima fixés par le conseil de l'ordre dont le respect de la décision ne peut être considéré comme fautif.
L'obligation de désintéressement dont maître [R] n'indique pas en quoi elle n'aurait pas été respectée par la SCP [Y] ne concerne que la question des honoraires entre un avocat et son client et ne peut être appliquée dans le cadre de la rétrocession d'honoraires entre deux avocats ou de la collaboration visée en l'espèce, sauf à considérer que le contrat de collaboration conclu entre les parties est contraire à la relation de confiance attendue d'un avocat et de son collaborateur ce que ne soutient pas l'appelant.
En conséquence la sentence qui a écarté la demande subsidiaire sera confirmée.
- Sur les autres demandes:
M [R] soutient que le contrat de collaboration le liant au cabinet [Y] a été rompu pour des motifs fallacieux sans mise en demeure préalable, sans lui permettre
de prendre les congés payés auxquels il avait droit et en pratiquant une saisie illicite de documents à son domicile au mépris des règles déontologiques. Il reproche également à la SCP [Y] le dépôt le 13 mai 2014 d'une plainte téméraire contre X du chef d'abus de confiance accompagnée d'un constat d'huissier le concernant et qui a fait l'objet d'un classement sans suite le 26 janvier 2016.
La SCP [Y] fait valoir que la rupture qui n'a pas à être motivée n'a pas été brutale, que le délai de préavis a été respecté alors que M [R] n'a pas respecté ses propres obligations pendant la durée de celui-ci notamment en subtilisant des documents violant le secret professionnel dont la copie a été produite irrégulièrement aux débats.
Elle soutient que l'exécution d'une décision de justice ne peut donner lieu à dommages-intérêts et que la demande relative à la saisie se heurte à l'autorité de chose jugée au regard de l'arrêt confirmant l'ordonnance du 12 juin 2014 qui rejetait la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 8 avril 2014, rendu par la cour d'appel de Rennes le 19 avril 2016.
Elle considère que la demande relative à la plainte abusive présentée pour la première fois en cause d'appel est irrecevable, à tout le moins mal fondée et que le bâtonnier et donc la cour son incompétents pour en connaître.
La demande relative au dépôt de plainte présentée pour la première fois en cause d'appel sera déclarée irrecevable.
C'est par de justes motifs que la cour adopte que la sentence déférée a rejeté la demande tendant à voir écarter des débats les pièces n° 8 et n° 10 versées par M [R].
En effet le secret professionnel ne peut être opposé à l'avocat qui produit des pièces pour les besoins de sa défense.
Au surplus la pièce n° 8 qui n'est qu'une liste d'honoraires, frais et débours n'est pas couverte par le secret professionnel et il n'est pas démontré que la pièce n° 10 ait été obtenue par fraude.
M [R] qui ne démontre pas les conditions abusives de la rupture du contrat de collaboration sera débouté des demandes en dommages-intérêts présentées de ce chef.
En effet, outre que la rupture du contrat de collaboration n'a pas à être motivée, le caractère fallacieux des griefs invoqués qui n'étaient au demeurant pas repris dans la lettre de rupture du contrat de collaboration du 26 décembre 2013, n'est pas établi et il n'est pas soutenu que le délai de préavis de trois mois n'a pas été respecté.
Enfin l'exécution de l'ordonnance autorisant la saisie , confirmée en cause d'appel ne peut ouvrir droit à des dommages-intérêts sauf à démontrer, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, qu'elle s'est déroulée dans des conditions fautives.
En conséquence il sera uniquement fait droit à la demande justifiée et non véritablement contestée au titre du solde des congés payés soit la somme de 200€ et la sentence déférée sera confirmée en toutes ses dispositions.
L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et il sera alloué la somme de 3 000 € à la SCP [Y] de ce chef.
M [R] qui succombe en son appel sera condamné aux dépens de celui-ci.
PAR CES MOTIFS :
- Confirme la sentence déférée en toutes ses dispositions ;
- Déclare irrecevable la demande dommages-intérêts pour plainte téméraire ;
Y ajoutant,
- Condamne M [O] [R] à payer la somme de 3 000 € à la SCP CABINET [Y] en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne M [O] [R] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER,POUR LE PRESIDENT EMPECHE,
Marie-Sophie RICHARD, Conseillère