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20/09/2017 | FRANCE | N°15/18379

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 20 septembre 2017, 15/18379


Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRET DU 20 SEPTEMBRE 2017



(n° 315 , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/18379



Décision déférée à la Cour : Décision du 05 Décembre 2013 -Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS - RG n°





APPELANTE

Madame [O] [A] [K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Miche

l HENRY de la SCP MICHEL HENRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0099





INTIMEES

NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP, prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Rep...

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRET DU 20 SEPTEMBRE 2017

(n° 315 , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/18379

Décision déférée à la Cour : Décision du 05 Décembre 2013 -Bâtonnier de l'ordre des avocats de PARIS - RG n°

APPELANTE

Madame [O] [A] [K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Michel HENRY de la SCP MICHEL HENRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0099

INTIMEES

NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP, prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Frederick DAVIS du LLP DEBEVOISE & PLIMPTON LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J016

Ayant pour avocat plaidant par Me Fanny GAUTHIER du LLP DEBEVOISE & PLIMPTON LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J016

NIXON PEABODY LLP, prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Frederick DAVIS du LLP DEBEVOISE & PLIMPTON LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J016

Ayant pour avocat plaidant par Me Fanny GAUTHIER du LLP DEBEVOISE & PLIMPTON LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J016

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 Mai 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jacques BICHARD, Président de chambre

Mme Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Sophie RICHARD, Conseillère signant en lieu et place du président empêché et par Mme Lydie SUEUR, greffier.

*****

Le 9 janvier 2014, Mme [K] a formé appel contre une sentence du bâtonnier de Paris du 5 décembre 2013 saisi du différend l'opposant aux partnerships américain NIXON PEABODY LLP et anglais NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP, qui a :

- dit que Mme [K] n'a pas fait l'objet d'une discrimination ou d'une différence de traitement dépourvue de motifs objectifs en ce qui concerne sa rémunération,

- en conséquence, débouté Mme [K] de sa demande en paiement de la somme de 1 378 425, 29 € comme de sa demande de prise en charge par Nixon Peabody des conséquences sociales et fiscales de ce rattrapage de rémunération,

- débouté Mme [K] de sa demande en paiement de la somme de 20 000 € à titre de préjudice moral au motif de son exclusion discrétionnaire des négociations et décisions élaborées aux fins de tenter de restaurer le bureau de Paris,

- dit que NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP n'ont pas permis à Mme [K] de bénéficier d'un délai de prévenance efficient après la notification de la rupture de son contrat d'association le 11 janvier 2013,

- en conséquence, condamné solidairement NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP à payer à Mme [K] la somme de 237 500 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier et celle de 25 000 € au titre de son préjudice moral,

- condamné NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP à verser à Mme [K] la somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les frais du présent arbitrage étant à la charge de l'ordre des avocats du barreau de Paris,

- dit qu'à l'exception de la condamnation au paiement de la somme de 62 745 €, les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la notification de la sentence,

- dit que toutes les condamnations emporteront capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1554 du code civil,

- débouté Mme [K] de ses demandes plus amples ou contraires,

- débouté NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente ordonnance au titre des dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice financier et du remboursement de la participation au capital de Mme [K], sans constitution de garantie.

Dans des conclusions déposées et soutenues à l'audience, Mme [K] demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, d'infirmer partiellement la décision en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande en réparation du préjudice résultant des discriminations dont elle a fait l'objet en matière de rémunération et d'évolution de carrière et statuant à nouveau de constater que NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP Paris pris en la personne de son liquidateur amiable maître [F] [I], NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP n'ont pas justifié par des raisons objectives et pertinentes les écarts de traitement et leur caractère non discriminatoire à raison du sexe et des origines de la concluante, de condamner NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP Paris pris en la personne de son liquidateur amiable maître [F] [I], NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP à payer solidairement à Mme [K] en réparation du préjudice dont elle a fait l'objet en matière de rémunération la somme de 3 147 622 € à titre de dommages-intérêts, subsidiairement la somme de 1 124 148 € et très subsidiairement la somme de 944 123 € et en réparation du préjudice moral résultant des discriminations la somme de 100 000 €, de débouter NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP Paris pris en la personne de son liquidateur amiable maître [F] [I], NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP de leur demandes formées dans le cadre de leur appel incident, de condamner les mêmes personnes solidairement à payer la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans des conclusions déposées le12 mai 2017 et soutenues à l'audience, NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP sollicitent la confirmation de la sentence du bâtonnier en ce qu'elle a rejeté la demande de réparation de Mme [K] fondée sur une discrimination en matière de rémunération d'un montant de 1 378 425,09 €, a rejeté sa demande de réparation fondée sur une prétendue 'mise à l'écart' injustifiée des discussions relatives aux tentatives de sauvetage du bureau de Paris d'un montant de 200 000 €, a rejeté ses demandes de versement d'une quote-part des honoraires de résultat perçus par NIXON PEABODY dans le cadre d 'une action de groupe lancée aux Etats-Unis (le JUA case) et l'infirmation de la sentence en ce qu'elle a considéré que NIXON PEABODY n'a pas respecté l'usage de la profession d'avocat en matière de délai de prévenance et a condamné NIXON PEABODY avec exécution provisoire à payer une somme de 237 500 € en réparation de son préjudice matériel et 25 000 € en réparation de son préjudice moral, et la condamnation de Mme [K] à lui reverser la somme de 237 500€ payée suite à la sentence et à payer la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de 1ère instance et d'appel.

MOTIFS DE LA DECISION :

Mme [K] forme des demandes de condamnation de NIXON PEABODY LLP France représenté par son liquidateur amiable.

Pour une bonne compréhension du litige, il convient de rappeler que le partnership NIXON PEABODY LLP ayant une filiale à Londres dénommée NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP, a voulu créer un bureau d'avocats à Paris en 2008 et qu'ainsi, NIXON PEABODY LLP a proposé à des avocats français dont Mme [K], une association de type 'capital partnership' dans les conditions exposées dans un accord bilatéral d'association. NIXON PEABODY LLP a décidé de fermer le bureau parisien en décembre 2012 en raison de ses mauvaises performances.

Il ne ressort pas des éléments versés aux débats que la mise en place de ce bureau parisien a donné lieu à la création d'une personne morale de droit français distincte de NIXON PEABODY LLP ou de NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP.

Ainsi dans la sentence entreprise, le bâtonnier qui a déclaré que le bureau de Paris dénommé NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP avait fait l'objet d'une radiation du conseil de l'ordre du 16 avril 2016 entérinant sa fermeture, a retenu que sa décision serait rendue uniquement à l'égard de NIXON PEABODY LLP et de NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP, sa filiale londonienne.

Compte tenu des circonstances susmentionnées, il y a lieu de confirmer la sentence sur ce point et de rejeter comme irrecevables les demandes de Mme [K] en ce qu'elles sont dirigées contre NIXON PEABODY LLP France représenté par son 'liquidateur amiable', lequel au demeurant, n'est pas présent à l'instance, n'a fait l'objet d'aucune convocation et n'a pas reçu les écritures contenant les demandes formées à son encontre.

Par ailleurs bien que l'appel n'ait pas été limité initialement, il convient de relever que les dispositions de la sentence déférée relatives au remboursement du capital investi par Mme [K] ainsi que celle relative à l'honoraire de résultat de l'affaire JDA (non reprise dans le dispositif) ne font l'objet d'aucune discussion ni contestation. Elles seront donc confirmées.

1 - Sur la discrimination :

Mme [K] invoque les textes constitutionnels qui prohibent les discriminations de toute nature, les textes européens et spécialement la directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 sur la discrimination raciale, et la directive 2010/41/UE du 7 juillet 2010 sur la discrimination selon le sexe. Elle soutient que c'est à NIXON PEABODY de prouver dès lors qu'un écart inexpliqué est constaté dans un système de rémunération opaque, le caractère objectif et pertinent de la différence de traitement entre les différents equity partners. Elle conclut qu'en l'absence de justification de modalités de fixation de la rémunération des associés claires et pertinentes, le traitement défavorable qui lui a été appliqué, fait la preuve de la discrimination à son égard.

Elle se fonde sur sept éléments laissant supposer une discrimination, tenant aux disparités des rémunérations dont les intimés avaient conscience, à l'opacité et l'incohérence des modalités de leur fixation, au manque de transparence y compris dans le cadre de l'instance. Elle fait également état d'un blocage anormal dans l'évolution de sa carrière par le refus qui a été opposé à sa demande de devenir 'office managing partner' (OMP).

Mme [K] fait en outre valoir que la rupture des relations contractuelles est également intervenue dans des conditions discriminatoires. Elle expose ainsi que les dirigeants américains de NIXON PEABODY lui ont notifié la cessation des relations contractuelles le 11 janvier 2013 sans solliciter le vote des equity partners en violation de l'article 8.02 du contrat d'association.

NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP contestent l'existence d'actes de discrimination à l'encontre de Mme [K] dans la fixation de sa rémunération en rappelant que celle-ci a été déterminée contractuellement lors de la création du bureau parisien. Les intimés contestent également le caractère opaque du processus de détermination des rémunérations et la conscience qu'ils auraient eu des conditions discriminatoires subies par l'appelante ainsi qu'une volonté de dissimuler des informations au cours de la procédure. S'agissant de la désignation d'un OMP, ils rappellent l'intuitu personae qui y préside. Ils déclarent également qu'aucun associé n'a été exclu du cabinet mais qu'il a été procédé à la fermeture du bureau, ce qui ne relève pas de l'article 8.02 du partnership agreement et que Mme [K] a rejoint un autre cabinet dès le mois de février 2013.

- le cadre légal :

Outre les textes constitutionnels français qui prônent le principe de l'égalité des droits, la directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 interdit toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l'origine ethnique. Elle s'applique à toutes les personnes tant pour le secteur public que pour le secteur privé en ce qui concerne les conditions d'accès à l'emploi, aux activités non salariées ou au travail quelle que soit la branche d'activités et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle ainsi qu'aux conditions d'emploi et de travail y compris les conditions de licenciement et de rémunération. Elle impose aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires conformément à leur système judiciaire afin que dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit devant une juridiction ou une autre autorité compétente des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement.

Par ailleurs l'article 141 du traité de création de la communauté européenne instaure l'égalité de rémunération pour un même travail ou un travail de valeur égale. La directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 sur l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d'emploi et de travail contient des dispositions destinées à mettre en oeuvre ce principe en ce qui concerne l'accès à l'emploi, les conditions de travail y compris les rémunérations , elle s'applique à la population active y compris les travailleurs indépendants. Elle comporte une règle sur la charge de la preuve identique à celle de la directive 2000/43/CE.

Il ressort de ces différentes règles qu'il incombe à Mme [K] d'apporter la preuve d'éléments de nature à faire présumer l'existence d'une discrimination et cette preuve étant rapportée, aux intimés de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement.

Les éléments permettant de retenir une présomption de discrimination sont notamment l'existence de distorsions de rémunération entre des personnes travaillant dans les mêmes conditions, l'absence de critères objectifs permettant de rendre compte des distorsions constatées et l'opacité des conditions de fixation des rémunérations.

- le cadre contractuel :

Les modalités de la rémunération de Mme [K] ont été fixées dans un contrat conclu le 24 juillet 2008 , lequel prévoyait :

* pour les années 2008, 2009, et 2010, une rémunération fixe mensuelle de 25 000 €, avec un montant annuel additionnel de 15 000 € payable le 1er jour ouvrable du mois de juillet, avec paiement par le cabinet des cotisations au barreau de Paris, au CNBF, des droits de plaidoirie et de la taxe professionnelle + un bonus annuel de 100 000 € en cas de résultat positif du bureau de Paris, supérieur aux seuils de rentabilité définis,

* pour les années suivantes à compter du 1er janvier 2011, une indemnisation identique à celle des autres associés en capital de NIXON PEABODY.

Mme [K] a été rémunérée selon cette convention pendant les 3 premières années de sa présence dans le cabinet parisien avec en plus la perception d'un bonus de 50 000 USD en 2010 et de 15 000 USD en 2011.

A compter du 31 janvier 2011, Mme [K] a été rémunérée comme les autres associés en capital de NIXON PEABODY , selon un système de points dont la valeur dépend des résultats globaux du partnership, le nombre de points après discussion entre les parties étant attribué à chaque associé par le 'compensation committee'. Mme [K] s'est ainsi vue attribuer 4 750 points et après contestation de sa part, 6 220 points, ce qui a correspondu à une rémunération d'environ 678 000 USD pour l'année 2011.

- les griefs de distorsions :

Tout d'abord, s'agissant de son absence de nomination aux fonctions d'office managing partner (OMP), Mme [K] fait valoir que son profil était plus adéquat que celui de M. [R], néanmoins la désignation d'un dirigeant repose sur la prise en compte d'un nombre important de critères et relève de l'intuitu personnae et en l'espèce, il n'existe pas d'élément objectif permettant de retenir une présomption de discrimination fondée sur l'origine ethnique ou le sexe dans cette décision individuelle concernant des avocats ayant des personnalités propres et des expériences professionnelles différentes. Par ailleurs si Mme [K] n'a pas été choisie en 2011 comme OMP elle a cependant été appelée dans des organes de décision du LLP tels que le 'policy committee'.

Ensuite, Mme [K] reproche aux intimés d'avoir rompu son contrat sans avoir mis en oeuvre le processus propre aux equity partners; néanmoins même si le LLP n' avait pas valablement appliqué ses procédures internes, il ne peut s'en déduire l'existence d'un acte discriminatoire fondé sur l'origine ethnique ou le sexe dès lors que l'appelante se trouvait être la seule associée en capital dans cette situation, les autres associés ayant accepté les propositions qui leur avaient été faites, et qu'il n'a donc pu exister une inégalité de

traitement dans la rupture du contrat d'association en l'absence de personnes placées dans une situation identique.

Mme [K] se plaint enfin de distorsions concernant sa rémunération résultant de l'importance de sa part variable (a) et du ratio rémunération/ chiffre d'affaires apporté (b), qui seraient moins favorables que ceux de ses confrères.

Il convient tout d'abord de préciser avec quelle catégorie d'avocats travaillant au sein du bureau parisien NIXON PEABODY la comparaisons des conditions de rémunération doit être effectuée pour déterminer ou non l'existence de distorsions.

Les intimés proposent de retenir aussi bien les 'equity partners' (associés en capital) que les 'non equity partners' (associés en revenus) selon les catégories anglosaxonnes, en faisant valoir que l'importance des rémunérations versées n'est pas liée au statut.

Néanmoins, Mme [K] étant 'equity partner' soit associée en capital, il y a lieu d'examiner sa situation au regard du sort des autres associés en capital dans la mesure où notamment à compter de 2011, sa rémunération est constituée par une part des profits de la firme.

Il n'y aura pas lieu néanmoins de tenir compte de la rémunération de M [J] qui a joué un rôle particulier dans la création du bureau parisien en recrutant ses confrères et qui a exercé les fonctions d''office managing partner', circonstances qui ont entraîné une déconnection de sa rémunération par rapport à celles des autres associés.

a) - Le versement de la part variable de la rémunération était soumis à une condition de rentabilité du bureau parisien de sorte que celle-ci n'ayant jamais été atteinte, cette part n'a pas été perçue par Mme [K] qui a donc vu sa rémunération être limitée à sa partie fixe qui était inférieure à celle des autres associés en capital.

La situation des différents associés en capital se résume ainsi pour les 3 premières années selon les données du mémorandum de 2008 relatif au projet d'ouverture du bureau parisien:

rémunération fixe garantie

bonus aléatoire

rémunération totale

ratio

total/fixe

DE CHAZEAUX

320

50

370

13,51 %

DELERIS

376

80

456

17,54 %

[Y]

572

240

812

29,60 %

[K]

315

100

415

24,10 %

[S]

350

80

430

18,60 %

Ce tableau fait apparaître que Mme [K] supporte une part de risque plus importante que ses confrères, mis à part M.[Y] qui bénéficiait cependant d'une rémunération fixe plus élevée et qui en définitive n'a pas rejoint le projet.

b) - Mme [K] se plaint en second lieu de ce que le ratio rémunération/chiffre d'affaires apporté lui est défavorable. Cette donnée ressort spécialement du rapport effectué par le cabinet BIGNON DE KAYSER mandaté par NIXON PEABODY en 2011. Ainsi en reprenant les mêmes associés que ci-dessus, est obtenu un ratio de rémunération 2011/ encaissements MBA 2010 de :

[K] : 441 250 / 1 736 121 = 25 %

[S]: 437 000 / 943 561 = 46 %

DE CHAZEAUX: 320 000 / 479 000 = 67 %,

étant précisé que le ratio des autres associés énumérés dans le rapport est toujours plus important que celui de Mme [K], le plus faible après le sien étant celui de M. [S] à 46%.

Les intimés font valoir que ce ratio n'était pas déterminant dans le mode de fixation des rémunérations des associés lors de la création du bureau parisien. Ils exposent que celui-ci tenait compte de leur ancienneté, de leurs performances professionnelles et de leurs perspectives d'évolution avec l'espoir et l'objectif de bâtir une équipe cohérente. Ils font état d'un tableau des factures de plus de 45 000 € établies dans leur précédent cabinet par les avocats qu'ils ont recrutés; cependant Mme [K] qui conteste la pertinence de ce critère, justifie par la production d'un mail datée du 25 septembre 2008 (pièce 53), qu'elle avait adressé à NIXON PEABODY le montant de l'ensemble de ses facturations de sorte que le cabinet disposait des éléments lui permettant d'avoir une vue globale de ses performances.

Par ailleurs il n'est pas contesté par NIXON PEABODY que Mme [K] s'est impliquée dans le développement du bureau parisien et la reconnaissance de son activité s'est d'ailleurs manifestée par sa nomination dans différentes instances de NIXON PEABODY dont le 'policy committee' chargé de la gouvernance mondiale.

Les intimés font ressortir que Mme [K] était la 3eme associée la mieux payée du bureau parisien, néanmoins, cette circonstance est indifférente dès lors qu'il existe une différence de traitement avec les autres associés en capital qui malgré une facturation moindre, disposaient des conditions de fixation de leur rémunération plus favorables.

Néanmoins à compter du 31 janvier 2011, la rémunération de Mme [K] a été fixée conformément au processus appliqué à l'ensemble des associés en capital de NIXON PEABODY suivant un système de points. Il n'existe donc pas d'inégalité de traitement dans les modalités de la fixation de la rémunération à partir de cette date.

Mme [K] après s'être vu attribuer 4750 points, a obtenu que ceux-ci soient portés à 5 500. Le ratio rémunération/encaissements s'élève pour 2012 à 67% . Il ne ressort pas de ces éléments de différence de traitement pour cette période dans la mise en oeuvre des modalités de fixation de la rémunération de Mme [K].

Ainsi doivent être retenues des distorsions de rémunération révélées par une part variable de rémunération et un ratio rémunération/ chiffre d'affaires défavorables par rapport aux autres equity partners, uniquement pour la période du 1er septembre 2008 au 31 janvier 2011.

Néanmoins, les modalités de fixation de la rémunération pendant la période transitoire étaient celles qui donnaient lieu à la négociation individuelle et Mme [K] avait la possibilité dans ce cadre d'accepter une exposition au risque plus importante que les autres avocats, contrebalancée par un bonus plus élevé si la rentabilité du cabinet était acquise dès le mois de mai 2009 ainsi qu'il avait été prévu dans le budget prévisionnel. Il convient en effet d'observer que si le bureau parisien avait atteint ses objectifs de rentabilité, la rémunération de Mme [K] en incluant le bonus aurait été une des plus importantes de celles des equity partners, mis à part celle de M.[J] exerçant les fonctions d'OMP. Il convient également de noter que si le seuil de rentabilité avait été atteint, le ratio rémunération incluant le bonus/chiffre d'affaires en aurait également été affecté.

Mme [K] se plaint de l'opacité dans la fixation des rémunérations qui constitue selon elle une circonstance susceptible de favoriser la discrimination. Elle n'a pas eu connaissance du mémorandum relatif au projet de création du bureau parisien exposant la rémunération des différents associés lors de la signature de son contrat mais au plus tard au mois d'avril 2009 et ensuite entre le mois de mars et le mois de mai de chaque année, elle avait communication des rémunérations de tous les associés du cabinet par la diffusion de memorandi annuels ainsi que l'a relevé la décision du bâtonnier . Le processus ne peut donc être considéré comme opaque même si Mme [K] en critique la cohérence.

Enfin de manière générale le NIXON PEABODY LL est présenté comme menant aux Etats Unis, une politique favorable à la diversité. Par ailleurs, aucun élément ne vient établir que les autres femmes equity partners au sein du groupe ou du bureau parisien aient fait l'objet d'une discrimination, Mme [K] comparant sa situation à celles de l'ensemble des autres associés sans distinction de sexe et non pas à celles des associés hommes.

Ainsi il ressort de l'ensemble de ces éléments des distorsions entre la rémunération de Mme [K] et celles des autres associés en capital en général, que néanmoins ces distorsions n'ont existé que pendant la période transitoire pour laquelle la définition de la rémunération était la plus soumise à la négociation individuelle, que la réalisation de ces distorsions a été liée au contexte économique défavorable, qu'enfin le choix d'un autre candidat pour les fonctions d'OMP et les conditions du départ de Mme [K] du cabinet ne sont pas eux-mêmes révélateurs d'une discrimination fondée sur l'origine ethnique et/ou le sexe.

Aussi il y a lieu de retenir qu'il n'existe pas d'indices suffisants d'une discrimination fondée sur l'origine ethnique ou le sexe pour que la charge de la preuve soit inversée et supportée par les intimés.

En conséquence la décision du bâtonnier sera confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes de Mme [K] fondées sur l'existence d'une discrimination raciale ou sexuelle.

2 - Sur le non respect du délai de prévenance :

Mme [K] expose qu'elle a été informée officiellement le 26 décembre 2012 que le policy committee avait pris la décision le 13 décembre précédent, de fermer le bureau parisien et qu'à partir du 7 janvier 2013, date d'expiration du délai de préavis des salariés et collaborateurs du cabinet, elle a été dans l'impossibilité de se maintenir dans des bureaux vides ne comportant plus aucun moyen professionnel, étant précisé que les autres associés avaient négocié leur départ et perçu une indemnité correspondant à 6 mois de rémunération avec prise en charge des cotisations ordinales. Elle fait valoir que prévenue le 26 décembre, elle aurait dû bénéficier d'un délai de prévenance de 6 mois selon les règles du barreau parisien.

Les intimés sollicitent l'infirmation de la sentence qui a alloué à Mme [K] une somme de 237 500 € en indemnisation de son préjudice matériel résultant du non -respect du délai de prévenance et 25 000 € en indemnisation de son préjudice moral.Ils font valoir qu'ils n'ont violé aucune règle du barreau de Paris. Ils exposent que Mme [K] a refusé la proposition amiable qu'elle a reçue comme les autres associés et qu'elle a elle-même démissionné pour rejoindre un autre cabinet peu de temps après que la fermeture du bureau lui eut été annoncée et alors que cette annonce était accompagnée d'une offre de maintien pendant 6 mois pour assurer la transition de ses dossiers. Ils ajoutent que Mme [K] était informée depuis longtemps de la perspective de fermeture du bureau parisien et qu'elle n'a subi aucun préjudice.

La sentence du bâtonnier rappelle qu'il n'existe pas de règle dans le Règlement Intérieur National et le Règlement Intérieur du Barreau de Paris sur l'existence d'un délai de prévenance lors de la fermeture de l'établissement secondaire d'un cabinet mais qu'il est d'usage de respecter un délai de prévenance raisonnable au regard des principes essentiels de la profession et notamment de la confraternité.

La sentence du bâtonnier sera confirmée en ce qu'elle retient une durée de 6 mois pour ce délai reposant sur les principes essentiels de la profession.

Comme l'a relevé ensuite la sentence, à partir de la semaine du 7 janvier 2013, Mme [K] ne disposait plus des salariés et collaborateurs lui assurant l'assistance nécessaire à l'exercice de sa profession. Elle s'est donc trouvée contrainte de mettre fin brutalement à son activité au sein du bureau parisien de NIXON PEABODY .

Le fait qu'elle ait pu dès le mois de février suivant, intégrer un autre cabinet en apportant ses dossiers est néanmoins de nature à modérer le préjudice matériel résultant de la brutalité de cette rupture.

Il sera ainsi alloué à Mme [K] la somme de 210 000 € au titre de son préjudice matériel et la sentence sera infirmée en ce sens.

La décision sera en revanche confirmée en ce qui concerne le préjudice moral.

Il sera alloué à NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP ensemble la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Confirme la décision du bâtonnier sauf en ce qu'il a condamné solidairement NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP à payer à Mme [K] la somme de 237 500 € au titre du préjudice matériel résultant d'une absence de délai de prévenance efficient,

Statuant à nouveau dans cette limite,

Condamne solidairement NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP à payer à Mme [K] la somme de 210 000 € au titre du préjudice matériel résultant d'une absence de délai de prévenance efficient,

Condamne Mme [K] à payer à NIXON PEABODY LLP et NIXON PEABODY INTERNATIONAL LLP la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [K] aux dépens de l'appel.

LE GREFFIER, POUR LE LE PRESIDENT EMPECHE,

Marie-Sophie RICHARD, Conseillère


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 15/18379
Date de la décision : 20/09/2017

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°15/18379 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-09-20;15.18379 ?
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