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15/09/2017 | FRANCE | N°14/01213

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 15 septembre 2017, 14/01213


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11



ARRET DU 15 SEPTEMBRE 2017



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/01213



Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Novembre 2013 -Tribunal de Commerce de BORDEAUX - RG n° 2010F01303





APPELANTE



SAS SCOMO agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audi

t siège



[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 313 886 285



représentée par Me Marie-Laure BONALDI, avocat postulant du barreau de PARIS, toque: B0936

assis...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11

ARRET DU 15 SEPTEMBRE 2017

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/01213

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Novembre 2013 -Tribunal de Commerce de BORDEAUX - RG n° 2010F01303

APPELANTE

SAS SCOMO agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 313 886 285

représentée par Me Marie-Laure BONALDI, avocat postulant du barreau de PARIS, toque: B0936

assistée de Me Jérome MARFAING DIDIER, avocat plaidant du barreau de TOULOUSE substitué par Me Alexandra SEIZOVA, avocat au barreau de PARIS, toque: C1099

INTIMES

SAS DMG MORI SEIKI FRANCE SAS agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

N° SIRET : 350 618 443

représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477

assistée de Me Françoise GENOT-DELBECQUE de la SCP BUREAU FRANCIS LEFEBVRE, avocat plaidant du barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : NAN701

LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE CIVIL

[Adresse 3]

[Localité 3]

MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES - à titre de simple dénonciation

[Adresse 4]

[Localité 4]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 Mai 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. Patrick BIROLLEAU, Président de la chambre, et Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Patrick BIROLLEAU, Président de la chambre,

Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente de chambre,

M. François THOMAS, Conseiller, désigné par Ordonnance du Premier Président pour compléter la Cour.

Greffier, lors des débats : Mme Patricia DARDAS

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Patrick BIROLLEAU, président et par Mme Saoussen HAKIRI, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure

La société MORI SEIKI France est une filiale du groupe japonais MORI SEIKI, fabricant de machine outils. Ces machines sont importées en France via la société MORI SEIKI France, tandis que les pièces détachées sont importées en Europe par la société MORI SEIKI Gmbh.

La société SCOMO, distributrice de machines outils, a entretenu avec MORI SEIKI France des relations commerciales pendant 25 ans, sans que ne soit accordée d'exclusivité à la société MORI SEIKI. France.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 2 février 2010, la société MORI SEIKI France a informé la société SCOMO qu'elle entendait mettre un terme à leur relation à l'issue d'un préavis de douze mois. Elle a justifié cette rupture par son souci de reprendre en direct la commercialisation de ses matériels dans un contexte de crise économique. La société SCOMO estimant ce préavis insuffisant eu égard à une ancienneté des relations de plus de 25 ans, la société MORI SEIKI a accepté , par courrier du 5 août 2010, de porter le préavis à 15 mois, avec échéance au 2 mai 2011.

Le 29 octobre 2010, la société SCOMO a saisi le président du tribunal de commerce de Toulouse statuant en référé aux fins d'obtenir la fourniture de pièces de rechange nécessaires à son activité de maintenance. Faute de constater un dommage imminent, la société MORI SEIKI France s' étant engagée à livrer ces pièces à la société SCOMO, elle a été déboutée de ses demandes, décision confirmée par la cour d' appel de Toulouse le 6 mars 2012.

La société SCOMO a assigné la société MORI SEIKI devant le tribunal de commerce de Toulouse sur le fondement des articles L 442-6 I 5° du code de commerce et 1382 ancien du code civil aux fins de voir condamner MORI SEIKI au paiement des sommes de 4.843.801 euros au titre du préjudice matériel, de 9.723.122 euros au titre du préjudice économique et de 5.000.000 euros au titre du préjudice moral, outre 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal de commerce de Toulouse s'étant déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Bordeaux, ce dernier, par jugement du 29 novembre 2013, a condamné la société MORI SEIKI à payer à la société SCOMO la somme de 411.000 euros au titre de la rupture partielle et fautive du préavis légitimement accordé et celle de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal a estimé que le délai de préavis de 15 mois était d'une durée raisonnable et que la rupture n'avait pas eu le caractère brutal que la société SCOMO soutenait. Il a néanmoins retenu que la société MORI SEIKI était à l'origine de la rupture partielle et fautive des relations contractuelles en cours de préavis, rendant celui-ci impropre à son usage et a dit que son effectivité a été réduite à un équivalent de 12 mois au lieu des 15 mois effectifs nécessaires.

La société SCOMO a formé appel principal à l'encontre de cette décision. La société MORI SEIKI a formé appel incident.

Prétentions des parties

La société SCOMO, par conclusions signifiées par le RPVA le 27 décembre 2016, demande à la Cour, au visa des articles L 442-6 I 5° du code de commerce et1382 ancien du code civil, de :

- infirmer le jugement entrepris ;

- condamner la société MORI SEIKI à lui payer un montant de 5.958.445 euros au titre du préjudice matériel occasionné par la rupture brutale des relations commerciales, une somme de 9.723.122 euros au titre du préjudice économique du fait de la violation du préavis par des actes de concurrence déloyale et de parasitisme (pillage du fonds de commerce et exploitations du parc machines existant), une somme de 2.645.024 euros au titre de la perte sèche de chiffre d' affaire du fait de la violation du préavis et un montant de 5.000.000 euros au titre du préjudice moral;

En tout état de cause,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société MORI SEIKI de toutes ses demandes ;

- la condamner à lui payer la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Elle soutient qu'un préavis de 15 mois est insuffisant au regard de la durée des relations commerciales entre les parties, qui a engendré une large dépendance économique (66% du chiffre d'affaires au titre de l'année ayant précédé la rupture, représentés par un montant total de 12.696.971 euros d'achats de marchandises en 2009) et des investissements importants de sa part (show- room réalisé à la demande de MORI SEIKI et personnels) pouvant la laisser croire dans la continuité des ces relations. Elle estime que ce préavis aurait dû être de 24 mois.

Elle soutient également que la société MORI SEIKI France s'est livrée à une violation répétée et systématique du préavis de 12 mois qu'elle lui avait initialement accordé en perpétrant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme (captation de clientèle, menaces récurrentes envers SCOMO, dénigrement), ayant pour conséquence la désorganisation de SCOMO (refus d'accès à son site intranet dès janvier 2011, débauchage) et la captation de sa clientèle.

En conséquence, elle sollicite :

- un montant de 5.958.445 euros en réparation du préjudice matériel causé par la rupture brutale des relations commerciales, soit 2.979.223 euros de marge brute annuelle sur les trois dernières années ;

- un montant de 9.723.122 euros en réparation du préjudice économique du fait de la violation du préavis par des actes de concurrence déloyale et de parasitisme ( pillage du fonds de commerce et exploitations du parc de machines existant) ;

- un montant de 2.645.024 euros au titre de la perte sèche de chiffre d'affaires du fait de la violation du préavis ;

- un montant de 5.000.000 euros au titre du préjudice moral.

Elle soutient que l'allocation de dommages et intérêts compensateurs dans le cadre d'une rupture brutale de relations commerciales établies ne fait pas obstacle à ce qu'une indemnisation d'autres préjudices intervienne en réparation de dommages annexes.

Elle conteste tout acte de concurrence déloyale au préjudice de MORI SEIKI alors qu'elle n'était tenue à aucune exclusivité à son égard et rappelle que, MORI SEIKI lui ayant refusé tout accès à son site intranet depuis le 11 janvier 2011, elle n'a plus été en mesure d'exécuter le service après-vente et de maintenance.

La société MORI SEIKI, appelante à titre incident, par conclusions signifiées par le RPVA le 30 novembre 2016, demande de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la rupture des relations commerciales n'a pas été brutale, que la durée de préavis de 15 mois était suffisante et en ce qu'il a rejeté l'état de dépendance économique et tous les préjudices invoqués autres que la perte de marge ;

- le réformer en ce qu'il a considéré que MORI SEIKI était responsable d'une rupture partielle de préavis et en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 411.000 euros ;

- débouter la société SCOMO de l'ensemble de ses demandes ;

- constater la stratégie de SCOMO consistant pendant le préavis, à proposer systématiquement aux clients de MORI SEIKI des machines- outils concurrentes ;

- fixer le chiffre d'affaires transféré par SCOMO sur des machines concurrentes à un montant de 5.943.300 euros ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande reconventionnelle ;

- condamner SCOMO à lui verser la somme de 594.530 euros à titre de dommages et intérêts en réparation d'actes de concurrence déloyale et d'exécution fautive du préavis ;

- lui donner acte de ce qu'elle reconnaît devoir à SCOMO une commission sur deux ventes faites pendant le préavis, pour un montant de 10.410 euros ;

- ordonner la compensation ;

- condamner SCOMO à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que la rupture des relations commerciales établies avec SCOMO n' a pas été brutale, SCOMO ayant été informée à partir de 2005 qu'elle reprendrait en direct la commercialisation de ses machines et alors que SCOMO, distributeur de plusieurs marques, ne pouvait qu'avoir conscience de la précarité de la distribution des produits de MORI SEIKI.

Elle estime qu'un préavis de 15 mois est un préavis raisonnable et conforme aux usages au vu de la durée des relations et de la part relativement peu importante du chiffre d'affaires réalisé avec MORI SEIKI par rapport au chiffre d'affaires global de SCOMO, le préavis raisonnable étant celui qui aurait été nécessaire pour permettre à la victime de la rupture de se réorganiser ; c'est le cas en l'espèce, puisque le chiffre d'affaires de SCOMO n'a fait que progresser depuis la rupture.

Elle conteste par ailleurs le caractère prépondérant et exclusif de la relation, l'activité machines neuves ne représentant qu'environ ¿ de l'activité de SCOMO qui a trouvé une alternative pendant le préavis dans la distribution des machines DOOSAN, SCOMO démontrant ainsi qu'elle avait de nombreuses solutions de rechange et de substitution à la commercialisation des machine de MORI SEIKI. Elle conteste également la situation de dépendance invoquée par SCOMO, les achats auprès de MORI SEIKI ne représentant que 25,42 % des achats totaux de COSMO en 2009, excluant les machines d'occasion achetées à des tiers et le service après-vente qui vise tous les produits confondus ainsi que les investissements en personnel et l'installation d' un show- room qui auraient été réalisés par SCOMO. Elle ajoute n'avoir aucunement abusé d'une position dominante, alors qu'elle ne représente, sur le marché français, qu'une part de 12 à 13 % et, à aucun moment, n'a eu envers SCOMO un comportement susceptible d'affecter la concurrence ou fondé la rupture sur le refus de SCOMO de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Elle soutient n'avoir commis aucune faute dans l'exécution du préavis, estimant que c'est au contraire SCOMO qui l'a exécuté de manière fautive en écartant les équipes de MORI SEIKI dans les interventions auprès des clients de cette dernière et en refusant de respecter son obligation de service après-vente et de garantie, en particulier à l'égard des clients HUESO. De plus, SCOMO a, pendant le préavis, proposé des machines d'autres marques, essayant de détourner la clientèle attachée à MORI SEIKI, et a privilégié les ventes de matériels d'occasion au détriment des matériels neufs, alors que MORI SEIKI ne vend que du matériel neuf. Elle indique qu'en fait, SCOMO a essayé de l'évincer du marché pendant la durée du préavis.

Elle conteste les allégations de désorganisation de SCOMO, de dénigrement, de parasitisme et de position dominante.

Soutenant que, pendant le préavis, elle a perdu les commandes de machines correspondant à un chiffre d'affaires de 5.945.300 euros HT, elle sollicite la somme de 594.530 euros (correspondant à une marge brute de 10 %) en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait des actes de concurrence déloyale dont la société SCOMO s'est rendue coupable durant le préavis.

La société MORI SEIKI France a fait signifier le 2 mai 2016 au ministre de l' économie et des finances ses conclusions déposées le 27 avril 2016.

Madame la procureure générale près la cour d'appel de Paris a, le 20 mai 2016, conclu à l'infirmation du jugement entrepris et au débouté de chacune des parties de l'intégralité de leurs demandes.

Elle estime que le préavis de 12 mois porté à 15 mois apparaît suffisant au regard des relations entre les deux entreprises, qu'il n'y a pas eu de position dominante de la part de MORI SEIKI, qui ne réalisait qu'un pourcentage relativement faible de chiffre d'affaires sur le marché national, qu'il n'est pas établi que la société MORI SEIKI ait abusivement rompu le préavis et les relations commerciales, dès lors qu'il n' est pas prouvé qu'elle ait débauché du personnel de SCOMO, qu'il n' est pas davantage démontré que MORI SEIKI ait accompli des actes de concurrence déloyale puisqu'il s' agissait d'une clientèle commune. Elle ajoute que les actes de concurrence déloyale de SCOMO à l'encontre de MORI SEIKI ne sont pas non plus démontrés.

SUR CE 

Sur les demandes de la société SCOMO 

Considérant que l'article L 442-6 I 5° du code de commerce  dispose qu' 'engage la responsabilité de son auteur et l' oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan : (...) 5°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminé, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ( ...)' ; que l'application de ces dispositions suppose l'existence d'une relation commerciale, qui s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel laissant raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine pérennité dans la continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux; qu'en outre, la rupture doit avoir été brutale, c'est à dire sans préavis écrit, ou avec un délai de préavis trop court ne permettant pas à la partie qui se prétend victime de la rupture de pouvoir dégager des solutions de rechange ou de retrouver un partenaire commercial équivalent ;

Considérant que les parties ne contestent pas la durée de leurs relations commerciales qui ont débuté en 1985 et se sont poursuivies sans discontinuer jusqu' au courrier du 2 février 2010 ; que, dans ce courrier, la société MORI SEIKI France écrit : « (') C'est en toute transparence que nous avons expliqué les raisons pour lesquelles la société MORI SEIKI a décidé de procéder à la réorganisation de la distribution de ses machines dans le sud-ouest de la France. Cela est plus cohérent puisque nous intervenons déjà directement à [Localité 5] et auprès de certains clients qui sont limitrophes de votre région.

Comme vous l'avez compris, MORI SEIKI souhaite rependre en direct la commercialisation dans votre région. Cette décision stratégique de réorganisation s'est imposée à nous compte tenu de différents paramètres, à la fois économiques et techniques.

Compte tenu de la grave crise économique à laquelle nous devons faire face, MORI SEIKI se doit d'être de plus en plus compétitive face à la concurrence afin d'accroître ses parts de marché. Cela ne peut se faire que par la simplification de nos réseaux de vente, de service après-vente et services d'ingénierie.

(')

Cette décision de mettre en 'uvre une nouvelle stratégie a, comme vous le savez, été mûrement et prudemment réfléchi au plus haut niveau de la direction de MORI SEIKI. Vous avez d'ailleurs déjà évoqué cette orientation il y a plusieurs années.

(')

En conséquence, MORI SEIKI a décidé de mettre un terme à sa longue relation commerciale avec SCOMO. Il est clairement de l'intérêt de nos deux sociétés que cela se fasse dans le respect des usages et des intérêts de chacun.

Compte tenu de l'ancienneté de notre relation, MORI SEIKI respectera un préavis de douze mois qui semble être une durée raisonnable pour préserver vos intérêts. Ce préavis viendra donc à expiration le 3 février 2011. » ;

Que devant les observations de SCOMO estimant la durée du préavis insuffisante, la société MORI SEIKI, s'étonnant de la réaction de SCOMO qui selon elle, était consciente depuis 2005 du fait que la stratégie industrielle de MORI SEIKI la conduirait, dans un avenir plus ou moins proche, à reprendre en direct ses marchés, a proposé dans son courrier du 5 août 2010 à SCOMO, un préavis de quinze mois expirant le 2 mai 2011 ; que la société SCOMO soutient que ce préavis de 15 mois était insuffisant eu égard à l'ancienneté des relations et à l'importance du chiffre d'affaires de MORI SEIKI dans son chiffre d'affaires global qui la plaçait en état de dépendance économique vis à vis de MORI SEIKI ;

Considérant que l'article L 420-2 du code de commerce dispose qu' 'est prohibée, dans les conditions prévues à l' article L 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprise d' une positions dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques commerciales discriminatoires visées au I de l' article L 442-6 ou en accords de gamme. »,

que l'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d' une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise;

Considérant qu'en l'absence d'exclusivité des relations commerciales - comme tel est le cas en l'espèce - l'importance du chiffre d'affaires (d'ailleurs contestée par MORI SEIKI) représentée par les produits de la marque du concédant est indifférente dans l'appréciation de la situation de dépendance économique ; que la seule circonstance de réaliser une part importante, voire exclusive, de son activité auprès d'un seul partenaire ne suffit pas à caractériser l'état de dépendance économique ; qu'en l'absence d'obstacle juridique ou factuel à la faculté de diversification, une société ne peut prétendre être en situation de dépendance économique envers son cocontractant ;

Considérant qu'en l'espèce, il ne peut être contesté que SCOMO n'était liée par aucune clause d'exclusivité la liant à MORI SEIKI ; que cette dernière n'a imposé à SCOMO aucun mode de fonctionnement faisant obstacle à la diversification de ses partenaires, sa relation avec MORI SEIKI ayant rendu possible l'émergence de solutions alternatives avec d'autres partenaires tels que HAAS ou DOOSAN ; qu'au surplus, le chiffre d'affaires de SCOMO avec MORI SEIKI s'est élevé à seulement 3.211.700 euros en 2009 selon MORI SEIKI, sur un montant global de 12.629.971 euros ou d'un montant de 5.473.300 euros selon SCOMO (la différence résultant de la prise en compte dans le chiffrage de SCOMO de la vente de machines d'occasion) ; que SCOMO ne peut, dans ces conditions, soutenir s'être trouvée en état de dépendance économique à l'égard de MORI SEIKI ;

Considérant qu'eu égard à l' ancienneté de cette relation de 25 ans et en l'absence de dépendance économique, un délai de 15 mois (préavis réellement effectué et non initialement notifié) apparaît comme suffisant et raisonnable pour permettre à SCOMO de trouver d'autres partenaires économiques, ce que cette dernière a d'ailleurs fait pendant la durée du préavis avec la société DOOSAN, SCOMO ayant vendu des matériels DOOSAN pour un montant d'environ 1.160.000 euros ;

Qu'en outre, la société SCOMO n'établit pas l'importance des investissements qu'elle prétend avoir réalisés au profit de MORI SEIKI, alors que le show-room exposait également des machines d'autres marques et qu'aucun élément ne démontre qu'elle ait envoyé du personnel se former au Japon chez MORI SEIKI comme cette dernière lui avait demandé dans son courrier du 17 décembre 2005 adressé au dirigeant de SCOMO ('Afin d' améliorer les compétences du personnel de SCOMO, tous vos ingénieurs devront participer à une formation offerte par MORI SEIKI, au moins une fois par an') ;

Que la société SCOMO ne peut donc légitimement soutenir qu'elle continuait à croire en la continuité des relations commerciales avec MORI SEIKI comme semble d'ailleurs le reconnaître son dirigeant dans son courrier du 14 juin 2010, soit quatre mois après la lettre de rupture : '(') Nous saisissons cette occasion pour vous dire que nous sommes contrariés par votre décision de mettre un terme à nos relations d'affaires car, aujourd'hui, nous n' avons pas de solution de substitution et allons de voir subir une perte de 50% de notre chiffre d'affaires.

Nous regrettons qu'aucune mesure autre solution n' ait été envisagée dans la mesure où nous sommes un partenaire qui atteint ses objectifs. Nous comprenons que vous souhaitez créer un réseau de vente commun avec DMG et MORI SEIKI et que vous avez éliminé SCOMO en raison de HAAS.' (SCOMO vendant les produits HAAS, concurrent de MORI SEIKI) ; qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris qui a estimé que la rupture des relations commerciales ne pouvait présenter un caractère de brutalité au sens de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce ;

Considérant que la société SCOMO sollicite en outre la réparation d'un préjudice économique du fait de la violation du préavis par des actes de concurrence déloyale et de parasitisme (pillage du fonds de commerce et exploitations du parc machines existant) et d'un préjudice au titre de la perte sèche du chiffre d'affaires du fait de la violation du préavis ;

Considérant que la société SCOMO ne démontre pas l'existence d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme de la part de MORI SEIKI pendant la durée du préavis (la société MORI SEIKI l'accusant elle-même d'actes similaires), aucun élément n'établissant ni le débauchage de son personnel, alors que les effectifs sont restés constants, ni la captation de sa clientèle par MORI SEIKI, étant observé que la clientèle de SCOMO (distributeur) pour les machines MORI SEIKI et celle de MORI SEIKI (fabricant) était commune, certains clients s'adressant directement à MORI SEIKI lorsqu'ils étaient déjà dotés de ses machines (moyennant versement d'une commission par MORI SEIKI à SCOMO) ;

Qu'il en est de même pour les allégations de dénigrement par la mise en place d'une politique de désorganisation en lui refusant toute aide technique qui aurait débouché sur une perte d'image ; que le refus de livraison d' approvisionnement en pièces détachées est en effet intervenu après l'expiration du délai de préavis, comme l'accès informatique au site intranet de MORI SEIKI le 28 avril 2011 quelques jours avant l'expiration de ce dernier ; qu'enfin, SCOMO n'établit aucune perte de son chiffre d'affaires qui n'a connu aucune baisse après la rupture : chiffre d'affaires au 31 décembre 2009 : 15.090.000 euros, au 31 décembre 2010 : 14.779.700 euros, au 31 décembre 2011 : 17.685.400 euros, au 31 décembre 2012 : 19.594.000 euros, au 31 décembre 2013 : 16.207.800 euros ;

Qu'en conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la rupture partielle et fautive de la part de MORIS SEIKI et de débouter la société SCOMO de l'ensemble de ses demandes, y compris celle fondée sur le préjudice moral qui n'est pas démontré et dont elle ne peut justifier dès lors qu'elle a été déboutée de ses demandes principales ;

Sur la demande de la société MORI SEIKI 

Considérant que la société MORI SEIKI, soutenant qu'elle a perdu, pendant le préavis, les commandes de machines correspondant à un chiffre d'affaires de 5.945.300 euros HT, sollicite la somme de 594.530 euros (correspondant à une marge brute de 10 %) au titre du préjudice qu'elle prétend avoir subi du fait des actes de concurrence déloyale dont la société SCOMO se serait rendue coupable durant cette période, ces actes consistant en un non-respect de son obligation de service après-vente et dans le fait de favoriser des ventes de machines d'occasion au détriment des machines neuves ;

Mais considérant que ces faits ne sont pas établis ; que les seuls courriels et le tableau de bord journalier de son représentant (Monsieur [Y]) travaillant au sein des locaux de SCOMO, ne sont pas suffisants pour démontrer que SCOMO s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale à son encontre, cette dernière ayant en fait utilisé le délai du préavis pour trouver des solutions alternatives, ce qu 'elle était en droit de faire ; qu'il convient de rappeler que la société SCOMO n'était pas liée à MORI SEIKI par une exclusivité de mandat et pouvait légitimement vendre des machines d'autres marques sans qu'il ne puisse lui être reproché un manquement à son obligation de loyauté ; que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de MORI SEIKI de ce chef;

Considérant, par ailleurs, que la société MORI SEIKI reconnaît devoir à SCOMO une commission d'un montant de 10.410 euros, sur deux ventes réalisées directement pendant le préavis ; qu'il y a donc lieu de la condamner à payer à la société SCOMO la somme de 10.410 euros ;

Considérant que l' équité n'impose pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement entrepris, sauf sur la demande de la SAS SCOMO tendant à la condamnation de la SAS MORI SEIKI FRANCE pour rupture partielle et fautive du contrat;

STATUANT À NOUVEAU du chef infirmé ;

DÉBOUTE la SAS SCOMO de sa demande de ce chef ;

AJOUTANT au jugement entrepris ;

CONDAMNE la SAS MORI SEIKI FRANCE à payer à la SAS SCOMO la somme de 10.410 euros ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT n'y a voir lieu à l' application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

CONDAMNE la SAS MORI SEIKI FRANCE aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 14/01213
Date de la décision : 15/09/2017

Références :

Cour d'appel de Paris J2, arrêt n°14/01213 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-09-15;14.01213 ?
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