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14/09/2017 | FRANCE | N°16/01096

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 14 septembre 2017, 16/01096


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5



ARRÊT DU 14 SEPTEMBRE 2017



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/01096



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Novembre 2015 -Tribunal de Commerce de MELUN - RG n° 2014F00126





APPELANTE





SARL INSTITUT LAETITIA

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRE

T : 485 129 449

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentée par Maître Frédérick JUNGUENET de la SCP DUMONT BORTOLOTTI COMBES JUNGUENET, av...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRÊT DU 14 SEPTEMBRE 2017

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/01096

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Novembre 2015 -Tribunal de Commerce de MELUN - RG n° 2014F00126

APPELANTE

SARL INSTITUT LAETITIA

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : 485 129 449

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Frédérick JUNGUENET de la SCP DUMONT BORTOLOTTI COMBES JUNGUENET, avocat au barreau de MELUN

INTIMÉES

SAS FREE

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 2]

N° SIRET : 421 938 861

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Laurent DOUCHIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0196

SA ORANGE

ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 3]

N° SIRET : 380 129 866

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

Assistée de Maître Patrice PAUPER, avocat au barreau de l'ESSONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Mai 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme Fabienne SCHALLER, conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Fabienne SCHALLER, conseillère faisant fonction de Présidente,

Madame Anne DU BESSET, conseillère

Madame Sylvie CASTERMANS, conseillère appelée d'une autre chambre afin de compléter la Cour en application de l'article R.312-3 du Code de l'Organisation Judiciaire,

qui en ont délibéré,

Greffière, lors des débats : Mme Clémentine GLEMET

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Fabienne SCHALLER, Conseillère faisant fonction de Présidente et par Madame Hortense VITELA, greffière auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Institut Laetitia (ci-après « l'Institut Laetitia ») est un institut de beauté situé à [Localité 1] (77). Elle est abonnée auprès de la société Orange pour sa ligne téléphonique professionnelle.

Le 8 novembre 2012, elle a constaté que sa ligne téléphonique ne fonctionnait plus. Elle a contacté les services d'Orange qui lui ont indiqué que le

7 novembre 2012, la société Free avait fait une demande de dégroupage total d'un numéro de téléphone qui correspondait à celui de la société Institut Laetitia mais avec une adresse distincte de la sienne, ce qui était une erreur. Néanmoins, la ligne téléphonique de l'Institut Laetitia a été coupée et n'a été rétablie que le 14 novembre 2012.

Par courrier du 24 novembre 2012, la société Institut Laetitia a adressé une réclamation auprès du service client de la société France Télécom ' Orange.

Par courrier du 28 novembre 2012, la société Orange a informé l'Institut Laetitia que « l'opérateur Free a injecté une demande de dégroupage total réalisé le 07/11/2012 sur votre ligne. S'agissant d'une erreur de cet opérateur, je vous invite à le contacter directement pour toute réclamation à ce sujet ».

Par courrier du 28 août 2013 puis par courrier recommandé du 7 octobre 2013 adressés à la société Free, le Conseil de la société Institut Laetitia a tenté de trouver une solution amiable au litige.

Par courriers des 27 septembre et 12 novembre 2013, la société Free a informé la société Institut Laetitia que les requêtes liées à des écrasements de ligne non sollicités devaient être formulées auprès de son propre fournisseur d'accès.

C'est dans ces conditions que, par acte du 7 février 2014, la société Institut Laetitia a fait assigner la société Free aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice ainsi que 1 500 euros à titre de dommages et intérêts.

Par acte du 20 juin 2014, la société Institut Laetitia a également assigné la société Orange aux fins de la voir condamner solidairement à lui payer la somme de

6 000 euros en réparation de son préjudice ainsi que la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 9 novembre 2015, le Tribunal de commerce de Melun a :

' Débouté la SARL Institut Laetitia de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

' Rejeté l'ensemble des prétentions, fins et conclusions de la SA Orange et de la SAS Free,

' Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

' Laissé à la charge de la SARL Institut Laetitia tous les dépens dont frais de Greffe liquides à la somme de CENT QUATRE VINGT CINQ EUROS ET SOIXANTE QUATRE CENTIMES T.T.C. (185,64 €uros),

' Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Vu l'appel interjeté le 24 décembre 2015 par la société Institut Laetitia à l'encontre de cette décision,

Vu les dernières conclusions signifiées le 17 mars 2016 par la société Institut Laetitia par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article 1382 du Code Civil,

Vu l'article 455 du Code de Procédure Civile,

Vu l'article 753 du Code de Procédure Civile,

Vu l'article 871 du Code de Procédure Civile,

' Déclarer la SARL Institut Laetitia recevable et bien fondée dans sa demande ;

' Débouter les sociétés Free et France Telecom - Orange en toutes leur demandes, fins et conclusions contraires aux présentes ;

' Infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de MELUN du 9 décembre 2015 ;

' Condamner solidairement les sociétés Free et France Telecom - Orange à payer à l'Institut - Laetitia la somme. de 6.000 euros en réparation des préjudices ci-développés ;

' Condamner solidairement les sociétés Free et France Telecom - Orange à payer à l'Institut Laetitia la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

' Condamner solidairement les sociétés Free et France Telecom - Orange à payer à l'Institut Laetitia la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions signifiées le 14 mai 2016 par la société Free par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1382 et suivants,

' Constater que la SARL Institut Laetitia ne démontre pas que la responsabilité de la société Free soit engagée à son égard.

' Débouter la SARL Institut Laetitia de ses demandes à l'encontre de la société Free.

' Débouter la SA Orange de ses demandes de garantie à l'encontre de la société Free.

' Condamner la SARL Institut Laetitia et la SA Orange à verser chacun à la société Free la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions signifiées le 13 mai 2016 par la société Orange par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles 1134 et suivants du Code Civil,

Vu le code des postes et communications électroniques

Vu l'offre d'accès à la boucle locale

Vu la convention d'accès à la boucle locale de la société Orange et en particulier ses dispositions 15 et 42,

Vu la convention relatives aux changements de lignes non sollicités,

' Voir dire et juger irrecevable et mal fondée la société Institut Laetitia en son appel.

En conséquence l'en débouter ;

' Voir dire et juger que la société Orange n'a commis aucune faute contractuelle à la suite du dégroupage non sollicité du 07 novembre 2012 ;

' Voir rappeler que la société Orange est obligée de permettre aux opérateurs alternatifs l'accès à sa boucle locale, conformément aux dispositions légales et réglementaires ;

' Voir encore rappeler que la société Orange n'a pas le droit de vérifier le mandat entre l'opérateur alternatif et son abonné ;

' Voir par contre rappeler que seule la société Free était tenue d'une obligation de vérification avant d'injecter la commande ;

' Voir en conséquence débouter la société Institut Laetitia de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées contre la société Orange ;

' Subsidiairement, condamner la société Free à garantir et relever indemne la société Orange de toutes condamnations éventuellement prononcées à son encontre ;

' Voir débouter la société Free de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées contre la société Orange ;

' Voir plus subsidiairement dire et juger que la société Institut Laetitia ne justifie pas de ses demandes d'indemnisation ;

En conséquence l'en débouter ;

' Voir condamner tout autre succombant à verser à la société Orange la somme de

3.000,00 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

' Condamner tout succombant aux entiers dépens de première instance et d'appel.

***

Au soutien de son appel, la société Institut Laetitia fait valoir que les premiers juges ont méconnu leur obligation de répondre au dispositif des conclusions en première instance, en contravention des articles 455, 871 et 743 du code de procédure civile. Sur le fond, elle soutient que la coupure de sa ligne téléphonique du 3 au 14 novembre 2012 a engendré une perte de chiffre d'affaires évaluée à 1 717 euros, les prises de rendez-vous se faisant essentiellement par téléphone, même le week-end par répondeur, et les clientes se détournant de l'institut comme l'attestent certaines d'entre elles, ainsi qu'un préjudice « d'image commerciale » estimé à 4.283 euros fondé sur la difficulté qui a été la sienne de rétablir son image après de sa clientèle qui a pu croire que l'établissement était fermé compte tenu de l'impossibilité de la joindre. En outre, elle soutient que les sociétés Free et Orange ont fait preuve de résistance abusive dans la réparation de son préjudice de telle sorte qu'elle a dû prendre en charge les frais bancaires afférents à sa situation et sollicite 1500 euros à cet égard.

En réponse, la société Free fait valoir, sur l'action de la société Institut Laetitia, que la coupure résulte de l'exécution par Orange d'une commande de dégroupage erronée adressée à Orange par la société Free, que la société Orange est liée par un contrat professionnel de téléphonie avec l'Institut Laetitia qui n'est pas produit aux débats, que c'est à Orange qu'il appartient de respecter ses propres engagements auprès de ses clients « pro », notamment l'obligation de vérification préalable avant toute coupure et l'obligation de brefs délais de rétablissement, qu'elle ne peut être tenue du non-respect par Orange desdits engagements.

Elle conteste toute responsabilité délictuelle et soutient que le fait générateur du préjudice subi par l'Institut Laetitia n'est pas la commande de dégroupage mais l'opération physique de coupure de la ligne téléphonique de l'Institut Laetitia par la société Orange sans vérification préalable, que la société Orange est seule responsable et doit garantir Free de toute réclamation directe faite par les clients d'Orange. Elle indique qu'elle assume seule les conséquences des réclamations émanant de ses propres clients et précise que la société Orange fournit en principe une garantie de vérification préalable de toute demande avant intervention et qu'elle est seule responsable à l'égard de ses clients d'un quelconque écrasement de ligne, qu'il appartenait à la société Orange de vérifier la concordance de la commande passée, que l'erreur était décelable par la société Orange lors du traitement de la commande, que la société Institut Laetitia bénéficiait d'un contrat professionnel auprès de la société Orange avec les garanties y afférentes, qu'en tout état de cause, en application de la convention d'accès à la boucle locale, Orange était tenue d'un délai de rétablissement de 3 jours ouvrés maximum, qu'en ne respectant pas ses propres obligations, Orange est seule à l'origine du dommage causé à l'institut Laetitia.

La société Orange fait valoir que le dégroupage est une obligation qui lui est imposée par les pouvoirs publics sur le marché de gros haut débit depuis 2000, qu'elle a signé une convention avec les opérateurs alternatifs intitulée « convention d'accès à la boucle locale de France télécom » qui règle les modalités pratiques en cas d'incidents, que les demandes de dégroupage sont traitées par une plateforme, que l'ARCEP prohibe tout contrôle préalable par la société Orange de l'existence ou la régularité d'un mandat entre l'abonné qui demande le dégroupage et l'opérateur tiers qu'il a choisi, que l'opération est conduite sous la seule responsabilité de l'opérateur tiers qui doit être en possession d'un mandat de commander un accès de son client ; qu'en l'espèce, la société Free était tenue de disposer d'un mandat et de vérifier que son abonné était bien le légitime détenteur de la ligne et du numéro de téléphone ; que cette procédure peut dès lors induire des transcriptions erronées ou sans l'accord du client, constitutives de « dégroupage abusif » ; que pour éviter ces abus, Orange a mis à la disposition des opérateurs tiers une application informatique leur permettant de vérifier la correspondance entre un numéro et l'adresse de la ligne, ce qui leur permet de vérifier la validité du mandat donné par leur client ; qu'Orange ne vérifie absolument pas le fond de la demande ni l'exactitude des informations, mais opère un simple contrôle de conformité du formalisme requis, ce qui a été le cas en l'espèce ; qu'en conséquence, la commande de dégroupage est faite sous la seule responsabilité de la société Free, qui doit être jugée seule et unique responsable du dégroupage abusif subi par la société Institut Laetitia, que l'interruption du service n'est que la conséquence de la demande formée par la société Free qu'elle ne pouvait refuser conformément aux dispositions légales et réglementaires.

La société Orange fait valoir que la coupure n'est pas matérialisée du 3 au 13 novembre mais du 7 au 14 novembre, que dans le cas des écrasements à tort, les opérateurs se sont engagés auprès du ministère de la consommation à une remise en service dans un délai de 7 jours ouvrés maximum à partir du constat de la perte de la ligne, que les contraintes administratives et techniques inhérentes à un écrasement à tort d'une ligne ne peuvent être réalisées dans un délai inférieur à 48 heures, qu'en l'espèce, le client a retrouvé sa connexion dans un délai de 4 jours ouvrés à compter de la perte de la ligne de telle sorte que la responsabilité de la société Orange ne peut être recherchée sur ce point.

Elle sollicite subsidiairement la garantie de la société Free, conformément aux conventions passées, notamment en application de l'article 15.2.1 relatif de la convention d'accès à la boucle locale de France Télécom, et en application de la convention relative aux changements de lignes non sollicités dont l'article 5.1.2 stipule que « par exception, l'opérateur écrasé peut engager une action contre l'opérateur écraseur en cas d'action judiciaire du client final », qu'ainsi Free est conventionnellement tenue de relever et garantir la société Orange de tous dommages, dès lors que le client agit judiciairement.

Plus subsidiairement, la société Orange soutient que, compte tenu des jours d'ouverture de la société Institut Laetitia, l'interruption de ligne n'a été effectivement subie que 4 jours, que la responsabilité civile n'a pas pour vocation de permettre un quelconque enrichissement, que la Cour de cassation refuse toute fixation d'un préjudice en équité à une somme forfaitaire, qu'en l'espèce la société Institut Laetitia a appliqué le système prohibé du forfait, qu'elle est mal fondée en sa demande d'indemnisation ; qu'elle ne produit aucun justificatif sérieux pour étayer sa demande ; qu'il incombait à la société Institut Laetitia de justifier d'une perte subie ou d'un gain manqué, ce qu'elle ne fait pas ; que la demande formée pour résistance abusive doit être rejetée dès lors qu'aucune demande d'indemnisation n'a été formée à l'égard de la société Orange avant l'assignation.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Sur ce, la Cour,

Considérant qu'aux termes des articles 1382 et 1383 (ancien) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que l'interruption du service de la ligne téléphonique professionnelle de l'Institut Laetitia est le résultat d'une demande erronée de la société Free, pour le compte d'un de ses clients ;

Que celle-ci a demandé le dégroupage total le 7 novembre 2012 de la ligne de son propre client, en fournissant un numéro de téléphone erroné, à savoir le numéro de l'Institut Laetitia ;

Qu'en exécution de cette demande, la société Orange a procédé à la coupure de la ligne correspondant au numéro de l'Institut Laetitia, coupure demandée par Free, sans avoir reçu mandat de l'Institut Laetitia pour ce faire ;

Qu'il n'est pas contesté que le numéro de la ligne ne correspondait ni au nom, ni à l'adresse de l'Institut Laetitia ;

Qu'il résulte des dispositions mises en place pour assurer la libre concurrence des opérateurs de téléphonie qu'Orange ne pouvait pas s'opposer à la demande de dégroupage formulée si celle-ci respectait le formalisme prévu par l'accès à la boucle locale, ce qui était le cas en l'espèce ;

Qu'Orange ne pouvait notamment vérifier la réalité du mandat donné par le client de l'opérateur alternatif ;

Que dès lors, il appartenait audit opérateur de s'assurer, avant l'envoi de sa commande de dégroupage à Orange, que l'abonné ne s'était pas trompé lors de son inscription et que le numéro communiqué par l'abonné était bien conforme, indépendamment de toute vérification, par Orange, des correspondances entre le numéro concerné et les données personnelles de ses propres clients;

Que contrairement à ce qu'allègue Free, il n'appartenait pas à Orange de procéder à ce contrôle de concordance qui revenait à opérer une vérification de la réalité du mandat, interdite à Orange ;

Qu'au contraire, par le biais de l'application Setiar mise à disposition des opérateurs alternatifs par Orange pour éviter les dégroupages abusifs, Free pouvait s'assurer de la réalité des informations fournies par son client avant de passer l'ordre de dégroupage, ce qu'elle n'a pas fait, faisant ainsi preuve de négligence au sens des articles susrappelés ;

Qu'il ressort ainsi de ces éléments que Free est seule à l'origine de l'écrasement de la ligne de l'Institut Laetitia et que cet écrasement fautif lui est imputable de telle sorte que le principe de sa responsabilité délictuelle vis à vis de l'Institut Laetitia est établi ;

Considérant qu'en ce qui concerne les appels en garantie entre opérateurs en cas d'écrasement, ces relations sont régies par la Convention d'accès à la Boucle Locale de France Télécom (BLFT) d'une part et par la Convention relative aux Changements de Lignes Non Sollicités (CLNS) d'autre part (ci-après « les Conventions ») ;

Que certes, ainsi que le soutient Free, aux termes de l'article 15.4 de la Convention d'accès à la Boucle Locale de France Télécom (BLFT), chacune des parties assume seule la responsabilité pleine et entière des prestations qu'elle fournit à ses clients dans le cadre des contrats qu'elle passe avec eux et prend à sa charge exclusive les dommages qui peuvent en résulter ;

Que chaque partie s'engage en outre à cet égard à traiter directement toute réclamation y afférent et à garantir l'autre partie contre toute réclamation, recours ou action de quelque nature que ce soit émanant de ses propres clients ;

Qu'il en résulte qu'il appartenait à Orange de traiter directement la réclamation de sa cliente, ce qu'elle n'a pas fait, et qu'il lui incombe d'assumer seule la part de dommages liés à son propre contrat avec son propre client, sans pouvoir se retourner contre Free pour cette partie de sa responsabilité ;

Qu'il lui appartient en outre, aux termes de l'article 4.4.4 de l'Offre d'accès à la Boucle Locale de France Télécom, de proposer une prestation de retour rapide à la situation antérieure, fixée à trois jours ouvrés maximum selon l'article 4.4.4.2 de cette convention, indépendamment de l'obligation d'indemnisation de base fixée par la Convention CLNS à sept jours ;

Que toutefois, sans aucune contradiction avec les articles précédents, contrairement à ce que soutient Free, l'article 15.2.1 de la même convention BLFT prévoit que l'auteur du dégroupage s'engage à indemniser France Télécom des conséquences financières des dommages résultant de la mise en 'uvre du dégroupage de façon indue, tels que préjudices financiers, atteinte à l'image, commercial, moral et perte de chiffres d'affaires ;

Qu'il en résulte que Free doit en principe garantir Orange des conséquences financières mises à sa charge pour l'indemnisation du préjudice subi par le Client final directement lié au dégroupage ;

Considérant qu'en l'espèce, il résulte des éléments du dossier et notamment des engagements d'Orange à l'égard de ses clients professionnels prévus par les conditions générales d'abonnement qui ont évolué et qui bénéficient à tous les clients professionnels d'Orange, qu'elle aurait dû bénéficier d'un rétablissement en 48h ;

Mais considérant qu'à supposer même que ces conditions générales, postérieures à la mise en service initiale de la ligne de l'Institut Laetitia, ne puissent être invoquées en cas de préjudice liée au dégroupage abusif, il n'en demeure pas moins qu'Orange n'a pas respecté son obligation de rétablissement rapide de la ligne prévue par les Conventions, l'Institut Laetitia ayant attendu sept jours avant d'être reconnecté, alors qu'elle aurait dû l'être au maximum en trois jours ouvrés selon les Conventions et offres susrappelées ;

Qu'à ce titre, Orange doit par conséquent être partiellement retenue responsable d'une partie du préjudice subi, liée au retard du rétablissement de la ligne et déboutée de sa demande en garantie contre Free, cette part de responsabilité lui incombant en propre ;

Qu'en outre la responsabilité de l'opérateur tiers, en l'espèce Free, à l'égard de la victime du dégroupage abusif se double de la responsabilité contractuelle d'Orange à l'égard de cette même victime, puisque l'Institut Laetitia était cliente d'Orange et qu'elle a été privée de connexion jusqu'au rétablissement intervenu tardivement ;

Qu'il en résulte que la responsabilité de chaque opérateur est engagée, n'ouvrant droit à une action en garantie de l'un contre l'autre que pour Orange, et dans la limite seulement des conséquences directes du dégroupage abusif, à savoir la coupure de la ligne pendant trois jours, le reste étant à la charge unique d'Orange ;

Qu'il n'est pas contesté que la coupure totale de la ligne a duré du 8 novembre au 13 novembre inclus, la reprise effective ayant été constatée le 14 novembre 2012, soit pendant sept jours dont cinq jours ouvrés ;

Qu'il convient en conséquence de condamner les sociétés Free et Orange à indemniser in solidum la société Institut Laetitia pour la totalité des préjudices subis tant du fait de la responsabilité délictuelle de Free que de la responsabilité contractuelle d'Orange pendant la période concernée, mais de mettre, dans les rapports entre les opérateurs, à la charge d'Orange seule la moitié dudit préjudice puisqu'il n'y avait en réalité que cinq jours ouvrés, et à la charge de Free l'autre moitié, Orange ayant sur cette part seulement une action en garantie contre Free ;

Que le préjudice subi par l'Institut Laetitia du fait de la coupure de ligne générée par le dégroupage abusif et par le non-rétablissement rapide de la ligne, trouve son expression dans la perte de repères de la clientèle qui était dans l'impossibilité de joindre l'Institut Laetitia pendant les jours ouvrés et dans les difficultés auxquelles il a lui-même été confronté professionnellement en ne pouvant pas utiliser sa ligne téléphonique ni son répondeur pour les prises de rendez-vous, y compris pendant les jours non-ouvrés;

Qu'au vu des pièces versées aux débats par l'Institut Laetitia, et notamment ses pièces comptables et les attestations de clientes, et compte tenu de l'existence du système de répondeur téléphonique pendant les jours de fermeture, ce qui permet à des clientes de demander des rendez-vous à distance et même pendant les horaires de fermeture, son préjudice peut justement être fixé à hauteur du chiffre d'affaires perdu en raison de la coupure de la ligne téléphonique pendant sept jours, qui peut s'apprécier par comparaison au chiffre d'affaires de l'année précédente, au cours de la même période, les conditions n'ayant pas changé, et d'un préjudice d'image du fait de l'indisponibilité de la ligne pendant sept jours, qui peut justement être fixé à la somme totale de 6.000 euros sur les bases précises demandées;

Considérant que l'Institut Laetitia établit en outre à juste titre avoir été victime d'un refus abusif d'indemnisation par Orange qui a renvoyé la responsabilité sur Free, alors qu'il résulte des dispositions de la Convention CLNS que le Client Final (en l'espèce l'Institut Laetitia), victime d'un écrasement de sa ligne, doit être indemnisé tant pour l'écrasement subi que pour le retard de rétablissement, Orange devant en principe assurer le rôle de guichet unique pour ses clients à charge pour elle de se retourner contre Free, contrairement à ce qu'elle a fait en adressant un courrier le 28 novembre 2012 à l'Institut Laetitia lui disant de contacter Free pour toute réclamation et en lui proposant uniquement un remboursement des frais de remise en service à hauteur de 55 euros ;

Qu'en effet, la seule possibilité qu'Orange avait d'inviter son client à se retourner contre Free en application de l'article 3.3.2 de la Convention CLNS, aurait été de proposer à son client une indemnisation de base pour le compte de l'écraseur (Free) et, en cas de désaccord de son client de cette proposition, de l'inviter alors seulement à prendre contact avec ledit écraseur, ce qu'Orange n'a pas fait ;

Que la société Institut Laetitia doit par conséquent être déclarée bien fondée à solliciter l'indemnisation de cette réticence abusive contre Orange qui peut justement être fixée à 1.500 euros ;

Que le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions, y compris au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Qu'il y a lieu de condamner in solidum la société Free et la société Orange à payer à l'institut Laetitia la somme de 5.000 euros à ce titre;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

CONDAMNE in solidum les sociétés Orange et Free à payer à la société Institut Laetitia la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

CONDAMNE la société Free à garantir la société Orange de cette condamnation à hauteur de 3.000 euros,

DÉBOUTE la société Orange de toutes ses autres demandes,

CONDAMNE la société Orange à payer à la société Institut Laetitia la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour réticence abusive,

DÉBOUTE les sociétés Free et Orange de leurs demandes contre la société Institut Laetitia,

CONDAMNE les sociétés Free et Orange in solidum à payer à la société Institut Laetitia la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Les condamne aux entiers dépens.

La Greffière La Conseillère faisant fonction de Présidente

Hortense VITELA Fabienne SCHALLER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 16/01096
Date de la décision : 14/09/2017

Références :

Cour d'appel de Paris I5, arrêt n°16/01096 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-09-14;16.01096 ?
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