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13/09/2017 | FRANCE | N°15/24309

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 13 septembre 2017, 15/24309


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 2017



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/24309



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Octobre 2015 -Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX - RG n° 11/10398





APPELANTE



SA BORIE MANOUX

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 465 20

2 695

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentée par Maître Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PA...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 13 SEPTEMBRE 2017

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/24309

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Octobre 2015 -Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX - RG n° 11/10398

APPELANTE

SA BORIE MANOUX

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

N° SIRET : 465 202 695

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Marie-Catherine VIGNES de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

Ayant pour avocat plaidant Maître Jean-Claude MARTIN, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS

- Monsieur [Q] [N]

né le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 1]

demeurant [Adresse 2]

[Adresse 2]

- Madame [N] [N] EPOUSE [U]

née le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 2]

demeurant [Adresse 3]

[Adresse 3]

née le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 2]

Représentés par Maître Gayané BALEKIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : J076

Ayant pour avocat plaidant Maître Frédéric DESCOMBES, avocat au barreau de NOUMÉA

- Société [Établissement 1] représentée par Monsieur [B] [A] ès qualités d'administrateur provisoire de la SARL COFICAL, gérante de la SCEA [Établissement 1]

Ayant son siège social [Adresse 4]

[Adresse 4]

N° SIRET : [Établissement 1]

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me My-Kim YANG PAYA de la SCP SEBAN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0498

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Juin 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère, chargée du rapport et Monsieur François THOMAS, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Irène LUC, Présidente de chambre

Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère, rédactrice

Monsieur François THOMAS, Conseiller

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Dominique MOUTHON VIDILLES dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile,

Greffier, lors des débats : Monsieur Vincent BRÉANT

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Irène LUC, Présidente et par Madame Cécile PENG, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

[Établissement 1], domaine viticole situé à [Localité 2] et propriété de la famille [N] depuis le XIXe siècle, produit des vins rouges et blancs sous l'appellation Pessac-Léognan. Leur commercialisation est assurée en exclusivité depuis le millésime 1964 par la société Borie Manoux dirigée par M. [Y] [I] puis par son fils, M. [R] [I].

En 2006, à la suite de la renonciation de l'usufruit par Mme [J] [N], la totalité des parts de la SCEA [Établissement 1] créée en 2002 et dont les quatre enfants [N], M. [Q] [N], Mme [N] [N] épouse [U], Mme [F] [N] épouse de M. [R] [I] et M. [Z] [N] détenaient la nue-propriété, ont été acquises par la société Compagnie financière calédonienne, dite Cofical, cogérée jusqu'en janvier 2010 par Mme [J] [N] et M. [Q] [N] puis à égalité par les quatre enfants [N]. Lors du rachat des parts par la société Cofical, des discussions sont intervenues entre M. [Q] [N], co-gérant, et M. [R] [I], dirigeant de la société Borie Manoux, quant aux modalités de la collaboration entre le domaine [Établissement 1] et la société Borie Manoux dont notamment celle de la fixation du prix des vins et les parties sont parvenues à un accord pour le prix moyen de 6 € par bouteille de vin rouge. A compter de mai 2010, des divergences sont apparues quant à la fixation du prix du millésime 2009 et malgré de nombreux échanges épistolaires intervenus entre mai 2010 et juillet 2011, les parties ne sont pas parvenues à un accord.

Par exploit des 11 et 14 août 2011, soutenant que la SCEA [Établissement 1] avait mis un terme brutalement à 46 années de relations commerciales établies en refusant de lui vendre l'entière récolte du millésime 2009 du [Établissement 1] à des prix conformes au marché suivant offre du 6 juillet 2010, la société Borie Manoux l'a assignée ainsi que M. [Q] [N] et Mme [N] [N] épouse [U] auxquels elle reproche d'être personnellement responsables de la rupture du fait de leur opposition en qualité de co-gérants de la société Cofical alors que les deux autres co-gérants y avaient consenti, devant le tribunal de commerce de Bordeaux afin de les voir condamner in solidum à l'indemniser de la perte de marge qu'elle aurait dû percevoir pendant la durée du préavis qui aurait dû être observé ainsi qu'une somme de 400.000 euros au titre du portage des stocks.

Par exploit du 20 avril 2012, la SCEA [Établissement 1] a assigné en intervention forcée M. [R] [I] afin de le voir condamner solidairement avec la société Borie Manoux à lui payer la somme de 1.564.172 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture des relation commerciales.

Par exploit du même jour, M. [Q] [N] et Mme [N] [N] épouse [U] ont assigné en intervention forcée M. [R] [I] afin de le voir condamner solidairement avec la société Borie Manoux à leur verser la somme de 1 euro symbolique en réparation du préjudice qu'il leur a causé.

Les instances ont été jointes. M. [Z] [N] et de Mme [F] [N] épouse [I] sont intervenus volontairement à l'instance.

M. [B] [A] a été désigné, par ordonnance du 24 mars 2014, comme administrateur provisoire de la société Cofical avec mission d'exercer le mandat de gestion de cette société au sein de la société [Établissement 1] et de représenter ces deux sociétés dans les instances judiciaires en cours.

Par jugement du 15 octobre 2015 le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- déclaré recevable l'intervention volontaire de M. [Z] [N] et de Mme [F] [N] épouse [I],

- débouté la société Borie Manoux et M. [R] [I] de l'ensemble des chefs de leur demande,

- débouté la société SCEA [Établissement 1], prise en la personne de M. [B] [A] en qualité d'administrateur provisoire, de l'ensemble des chefs de sa demande,

- débouté M. [Q] [N] et Mme [N] [N] épouse [U] de leur demande,

- dit que chaque partie conserve à sa charge les frais engagés non compris dans les dépens,

- dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire,

- condamné la société Borie Manoux aux dépens.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Borie Manoux à l'encontre de la SCEA [Établissement 1], de Mme [N] [N] épouse [U] et de M. [Q] [N]. Ces derniers ont formé appel incident.

LA COUR

Vu les dernières conclusions de la société Borie Manoux, appelante, déposées et notifiées le 13 juin 2016 par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles L.442-6, I, 5° du code de commerce et 1134 et 1382 du code civil, de :

- réformer le jugement de première instance et dire la SCEA [Établissement 1] responsable de la rupture des relations commerciales établies depuis 46 années avec la société Borie Manoux,

- dire qu'eu égard à la durée de ces relations, la durée du préavis qu'aurait dû observer la SCEA [Établissement 1] doit être fixée à 3 années,

- condamner in solidum la SCEA [Établissement 1], M. [Q] [N] et Madame [N] [U] à payer à la SA Borie Manoux la somme de 516 000 € en réparation de sa perte de marge pendant la durée du préavis qui aurait du être observé et celle de 400 000 € au titre du portage des stocks le tout avec intérêts de droit à compter du jour de l'assignation et capitalisation des intérêts par années entières conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,

- condamner in solidum la SCEA [Établissement 1], M. [Q] [N] et Madame [N] [U] à payer à la société Borie Manoux une indemnité de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner sous la même solidarité aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions de la SCEA [Établissement 1], intimée ayant formé appelant incident, déposées et notifiées le 7 juin 2016 par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles L 442-6, I, 5° du code de commerce et 1134 du code civil, de :

sur l'appel principal formulé par la société Borie Manoux,

- déclarer la société Borie Manoux irrecevable et en tous les cas mal fondée en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions formulées à l'encontre de la SCEA [Établissement 1],

- débouter la société Borie Manoux de l'intégralité de ses demandes et conclusions formulées à l'encontre de la société [Établissement 1],

- confirmer le jugement du 15 octobre 2015 en ce qu'il a débouté la société Borie Manoux de l'ensemble de ses demandes,

sur l'appel incident formulé par la société [Établissement 1],

- déclarer recevable et bien fondées les demandes formulées à titre incident par la société [Établissement 1],

en conséquence,

- infirmer partiellement le jugement entrepris du 15 octobre 2015 en ce qu'il a débouté la société SCEA [Établissement 1] représentée par son administrateur provisoire, M. [B] [A], de l'ensemble de ses demandes,

- dire la société Borie Manoux responsable sur le fondement de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce de la rupture des relations commerciales entretenues avec la société [Établissement 1],

- condamner la société Borie Manoux à verser à la société [Établissement 1] en réparation de son préjudice la somme de 1.564.272 euros,

- condamner la société Borie Manoux à verser à la société [Établissement 1] la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Borie Manoux aux entiers dépens tant d'appel que de première instance.

Vu les dernières conclusions de M. [Q] [N] et Mme [N] [N] épouse [U], intimés ayant formé appel incident, déposées et notifiées le 14 avril 2016 par lesquelles il est demandé à la cour , au visa des articles 1182 du code civil, L.442-6, I, 5° du code de commerce et 565 du code de procédure civile, de :

sur l'appel principal de Borie Manoux,

- déclarer Borie Manoux irrecevable et en tous les cas mal fondée en l'ensemble de ses demandes, fin et conclusions,

- relever notamment le caractère nouveau de la demande de Borie Manoux tendant à la condamnation solidaire de la SCEA, de [N] [U] et [Q] [N] à réparer le préjudice de Borie Manoux au titre d'une rupture abusive des relations commerciales, sur le fondement de l'article 1134 alinéa 3 du code civil,

- constater, donc, l'irrecevabilité de cette demande,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Borie Manoux et [R] [I] de l'ensemble des chefs de leurs demandes,

sur l'appel incident de [N] [U] et [Q] [N],

- déclarer recevable et bien-fondé [N] [U] et [Q] [N] en leur appel incident,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes reconventionnelles tendant à la condamnation solidaire de la société Borie Manoux et [R] [I] à régler, à chacun d'eux, en réparation du préjudice que leur a causé l'attitude de ces derniers, la somme de 50.000 €, outre le paiement, à chacun d'eux, de la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement Borie Manoux et [R] [I] à régler, à chacun d'eux, en réparation du préjudice que leur a causé l'attitude de ces derniers, la somme de 50.000 €, outre le paiement, à chacun d'eux, de la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes reconventionnelles tendant à la condamnation de la société Borie Manoux à régler, à chacun d'eux, en réparation du préjudice que leur a cause l'attitude de cette dernière, la somme de 50.000 €, outre le paiement, à chacun d'eux, de la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Borie Manoux, seule, à régler, à chacun d'eux, en réparation du préjudice que leur a causé l'attitude de cette dernière, la somme de 50.000 €, outre le paiement, à chacun d'eux, de la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

en tout état de cause,

- condamner Borie Manoux au paiement, à chacun des concluants, de la somme de 12.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et la condamner aux entiers dépens, de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Agnes Ioos-Especel, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

SUR CE

Sur les demandes d'indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

Il ressort de l'instruction du dossier les éléments suivants :

Depuis 1964 jusqu'au millésime 2008, sans qu'aucun contrat écrit ne soit formalisé, la société Borie Manoux était l'acheteur quasi-exclusif de l'intégralité des vins produits par le domaine [Établissement 1] (vin rouge, vin blanc et un second vin rouge dénommé Camparian), qu'elle acquérait en tonneaux et dont elle assurait la mise en bouteilles puis la commercialisation. Aucune des parties ne produit de pièces antérieures à novembre 2005 de sorte qu'aucune ne justifie des modalités d'exécution des relations commerciales pré-existantes à cette période et notamment pas de la méthode à laquelle elles recouraient pour fixer le prix des vins. L'affirmation des intimées quant à l'intervention d'un ou plusieurs courtiers chargés de donner leur avis n'est toutefois pas discutée par l'appelante. Les parties reconnaissent s'être toujours accordées jusqu'au transfert de la propriété en 2006 à la société Cofical gérée dans un premier temps par M. [Q] [N] et Mme [N] [N] épouse [U] lesquels se sont alors enquis des modalités d'exécution de la vente des vins (fixation du prix, prix des coûts de mise en bouteille...). De novembre 2005 à mai 2006, des discussions sont intervenues sur le prix moyen de la bouteille que M. [Q] [N] souhaitait ne pas voir inférieur à 6 € pour le rouge, ce que M. [I] accepté. Il apparaît que l'intermédiation d'un courtier a alors été supprimée et que les parties sont parvenues à un accord pour les millésimes suivants jusqu'à ce que des divergences apparaissent à propos du prix du millésime 2009 dont la récolte a été vinifiée le 6 juillet 2010. Par courrier du 21 mai 2010, la société Borie Manoux a sollicité de la société Cofical une offre de prix (pièce appelante n°9) puis par courrier du 6 juillet 2010 (pièce appelante n°10), elle a elle-même proposé ' pour essayer de faire avancer ce dossier... ' le prix de 7,60 € pour le ' grand 'vin rouge et le blanc et de 5,60 € pour le Camparian. A compter du 20 juillet 2010 jusqu'au 18 juillet 2011, M. [Q] [N] n'a cessé de solliciter des explications sur les modalités exactes des négociations pour les prix antérieurs ('comment se négociait le prix des vins entre [Établissement 1] et vous -même (la société Borie Manoux) et ce, sur ces cinq dernières années...') et des détails sur le coût de la mise en bouteille, considérant que l'augmentation de prix pour ce millésime que les parties s'accordent à reconnaître comme exceptionnel, ne pouvait être inférieure à 25 % ( pièces appelante n°12, 13, 15, 16, 17,18, 19, 20, 22, 26, 27, 30). L'expert-comptable de la SCEA a indiqué que cette dernière n'avait même pas ' connaissance de la façon dont les prix sont fixés..'. La société Borie Manoux n'a pas répondu aux demandes d'explications, exposant notamment ne pas voir ' l'intérêt de fouilles archéologiques.. ' et a maintenu son offre qui a finalement été acceptée par deux co-gérants de la société Cofical (M. [Z] [N] et [F] [N] épouse [I]) et refusée par les deux autres co-gérants (M. [Q] [N] et Mme [N] [N] épouse [U]) qui ont notamment proposé de soumettre la question à un collège de courtiers, sans que cette proposition ne soit mise en oeuvre bien que la société Borie Manoux ait également envisagé de se rapprocher d'une ' autorité '. En définitive, dans une lettre du 18 juillet 2011 adressée à M. [I], M. [Q] [N] a constaté que 'nous n'avons pas réussi à trouver un accord sur le prix des vins de baret, notamment du millésime 2009...', marqué son incompréhension devant le refus de recourir comme il l'avait préconisé à l'arbitrage d'un ou plusieurs courtiers, maintenu que le prix de 8 € s'inscrivait dans la logique de ce millésime, mentionné l'impossibilité de rester dans cette situation de blocage, fait état de l'absence de débat engagé sur le millésime 2010, proposé de ' solder notre différent et de débloquer la situation ' en offrant le prix de 7,50 € la bouteille de vin rouge et blanc 2009 et 8 € celle de 2010 sous certaines réserves et ajouté qu'il conviendra par la suite d'ouvrir les discussions pour établir un contrat de prestations et une règle de reporting concernant la gestion de la propriété ainsi que de ' fixer une règle de fixation du prix, soit en nous calant sur des critères techniques et commerciaux particuliers soit en renouant avec le ministère d'un courtier '. La société Borie Manoux n'a pas répondu et les relations commerciales ont cessé.

La société Borie Manoux et la SCEA [Établissement 1] qui admettent l'existence d'une relation commerciale établie entre elles depuis 1964 et sa rupture sollicitent chacune l'application de l'article L 442-6,1,5° du code de commerce qui dispose :'Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (..) de rompre brutalement , même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels...'

La société Borie Manoux soutient en substance que la SCEA [Établissement 1] (devenue Cofical) est responsable de la rupture des relations commerciales en refusant d'accepter son offre de prix conformes au marché (7,60 € la bouteille pour le grand vin rouge et le blanc et 5,60 € pour le second vin) qu'elle a formulée le 6 juillet 2010 pour l'entière récolte du millésime 2009. Elle précise que ces prix avaient été acceptés par deux des co-gérants, M. [Z] [U] et Mme [F] [N] épouse [I] mais que le marché n'a pas été finalisé en raison de l'obstruction aveugle des deux autres co-gérants, M. [Q] [N] et Mme [N] [N] épouse [U]. Elle affirme que des discussions entre partenaires commerciaux ne peuvent être assimilées à un préavis préalable de rupture et qu'une résiliation à effet immédiat présente un caractère nécessairement brutal.

La SCEA [Établissement 1] réplique que les relations commerciales ont été rompues unilatéralement et sans préavis par la société Borie Manoux qui a refusé d'acheter le millésime 2009 et de répondre aux interrogations concernant ses tarifs.

M. [Q] [N] et Mme [N] [N] épouse [U] s'associent à cette argumentation et ajoutent qu'en juillet 2011, ils ont accepté l'offre à un prix contraint par la société Borie Manoux mais que cette dernière a refusé de procéder à l'achat. Ils estiment que le prix du vin a été très largement sous-évalué par la société Borie Manoux et soutiennent que cette sous-évaluation provenait du fait que M. [I] était à la fois acheteur et vendeur de sorte qu'il fixait les prix dans son seul intérêt avant que des explications lui soient demandées, qu'il s'est gardé de fournir.

Mais, c'est par des motifs pertinents résultant d'une juste analyse des éléments du dossier, notamment des nombreux mails et courriers échangés entre les parties, et adoptés par la cour et ce d'autant qu'aucun élément nouveau n'étant produit en cause d'appel de nature à remettre en cause l'appréciation faite par le tribunal, que les premiers juges ont rejeté les demandes réciproques en indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales en considérant que la preuve de la brutalité de la rupture au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce n'était pas rapportée.

En effet, il résulte de l'ensemble des pièces versées aux débats dont notamment les mails et courriers échangés entre les parties examinés ci-dessus et de leur chronologie que la rupture est intervenue au terme d'une période qui s'est écoulée sur une année, entre les premières difficultés apparues dès juillet 2010 sur le prix de commercialisation du millésime 2009 et le mois de juillet 2011, date de la cessation des relations commerciales, et au cours de laquelle chacun des dirigeants respectifs des deux sociétés se sont longuement entretenus sur la fixation du prix des vins sans parvenir à un accord pour le millésime 2009 et a fortiori sur celui de 2010 pour lequel elles n'ont entamé aucune négociation, chacune des parties campant sur ses positions. La rupture ne présentait donc aucun caractère d'imprévisibilité, de soudaineté et de violence nécessaire à caractériser la brutalité au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. Il sera ajouté qu'à défaut de parvenir à un accord sur le millésime 2009, aucune des parties ne pouvait raisonnablement anticiper une continuité des relations commerciales pour l'avenir, ce qui est corroboré par le fait qu'elles n'avaient entamé aucune négociation pour le millésime 2010.

Par suite, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté tant la société Borie Manoux que la SCEA [Établissement 1] de leurs demandes respectives formées au titre de la rupture brutale des relations commerciales.

Sur la demande en indemnisation pour rupture abusive des relations commerciales,

A titre préliminaire, la cour constate qu'elle n'est saisie d'une demande en indemnisation pour rupture abusive sur le fondement de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable, que par la seule société Borie Manoux. En effet, il ressort du dispositif des écritures de la SCEA [Établissement 1] qui seul lie la cour, que dans le cadre de son appel incident, comme devant le tribunal, cette dernière n'entend rechercher la responsabilité de la société Borie Manoux que sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

La société Borie Manoux rappelle que le recours aux dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce ne la prive pas d'invoquer celles de l'article 1134 du code civil. Elle soutient que la rupture unilatérale d'un contrat à durée indéterminée n'est possible qu'avec un préavis d'une durée suffisante et sans abus.

La société SCEA [Établissement 1] réplique que l'article L.442-6 étant d'ordre public, la société Borie Manoux ne saurait invoquer les dispositions de l'article 1134 du code civil pour la première fois en appel, et ce d'autant plus qu'elle se trouverait à l'origine de la rupture.

M. [Q] [N] et Mme [N] [U] considèrent également qu'il s'agit d'une demande nouvelle en appel au sens de l'article 565 du code civil si bien qu'elle doit être déclarée irrecevable. Ils ajoutent que l'auteur de la rupture est la société Borie Manoux sous l'égide de M. [I] et que s'il y a eu rupture brutale et abusive, c'est bien du fait de ces derniers. Ils sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il les a déboutés des demandes formées à ce titre.

' sur l'exception d'irrecevabilité de la demande comme étant nouvelle en appel

Il est constant qu'en première instance, la société Borie Manoux a fondé sa demande d'indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et qu'en appel, elle fonde également sa demande d'indemnisation sur les dispositions de l'article 1134 du code civil pour rupture abusive.

Aux termes de l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

En l'espèce, la demande d'indemnisation formée en appel au titre de la rupture abusive et celle formée en première instance au titre de la rupture brutale tendent toutes deux à la réparation du préjudice subi du fait de la rupture des relations commerciales établies, même si leur fondement juridique est différent de sorte que la demande formée en cause d'appel n'est pas nouvelle au sens de l'article 565 du code de procédure civile; dès lors, l'exception d'irrecevabilité sera rejetée.

' sur la rupture abusive

Il a été vu ci-dessus que la rupture était due à un défaut d'accord entre les parties sur la fixation du prix de vente du millésime 2009 et a fortiori du millésime 2010. La société Borie Manoux qui a refusé de répondre aux demandes légitimes d'explications de M. [Q] [N], nouveau co-gérant de la société Cofical, quant aux modalités de fixation des prix antérieurement convenues, qui ne produit aux débats aucun document à cet égard susceptible de démontrer que le processus précédemment mis en place pour parvenir à un accord n'avait pas été respecté par le ou les nouveaux co-gérants, qui a maintenu son offre de prix avec une grande certitude alors que les pièces produites attestent que ces prix étaient inférieurs aux prix obtenus lors de la commercialisation par la société Cofical des millésimes 2009 (pièces intimés M. [Q] [N] et [N] [N] épouse [U] n° 56 à 60), ne justifie pas que le refus de la SCEA (Cofical) d'accepter le prix qu'elle a proposé le 6 juillet 2010 soit abusif. Elle ne justifie pas plus des raisons pour lesquelles elle a refusé de recourir à l'arbitrage d'un collège de courtiers, comme préconisé par M. [Q] [N]. Par suite, sa demande d'indemnisation pour rupture abusive sur le fondement de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable sera rejetée.

Sur la demande de condamnation in solidum formée par la société Borie Manoux à l'encontre de M. [Q] [N] et de Mme [N] [N] épouse [U] sur le fondement de l'article 1382 du code civil,

La société Borie Manoux estime qu'elle est fondée à rechercher la responsabilité personnelle des deux cogérants de la société Cofical, M. [Q] [N] et Mme [N] [U] sur le fondement de l'article 1382 du code civil en raison de leur attitude dès lors qu'ils ont brutalement et fautivement interrompu les relations commerciales.

Toutefois, faute de démontrer aucune faute personnelle de deux co-gérants, M. [N] et de Mme [N] [U] épouse [N], le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a débouté la société Borie Manoux des demandes formées à ce titre.

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts formée à l'encontre de la société Borie Manoux et de M. [I] par M. [Q] [N] et Mme [N] [N],

M. [Q] [N] et Mme [N] [N] sollicitent l'infirmation du jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts à l'encontre des demandeurs en excipant de la mauvaise foi et de l'inertie volontaire de ces derniers ainsi que du refus injustifié de la société Borie Manoux d'acheter le millésime 2008 du second vin Camparian.

Mais, ils ne justifient d'aucun préjudice subi personnellement du fait de l'attitude qu'ils dénoncent. Par suite, le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes,

Le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a condamné la société Borie Manoux, demandeur qui succombe, aux dépens de première instance et en équité a rejeté les demandes formées par les défendeurs au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Pour la même raison, la société Borie Manoux supportera les dépens d'appel et en équité les demandes supplémentaires formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront également rejetées.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

et y ajoutant,

DÉCLARE recevable la demande d'indemnisation formée par la société Borie Manoux au titre de la rupture abusive sur le fondement de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable mais au fond, l'en déboute ;

CONDAMNE la société Borie Manoux aux dépens de l'appel ;

AUTORISE Maître Agnès IOOS-ESPECEL, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GreffierLa Présidente

Cécile PENG Irène LUC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 15/24309
Date de la décision : 13/09/2017

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°15/24309 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-09-13;15.24309 ?
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