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29/06/2017 | FRANCE | N°16/14383

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 7, 29 juin 2017, 16/14383


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7



ARRÊT DU 29 JUIN 2017



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/14383 (RG 16/16313)



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Avril 2016 -Juge de l'expropriation de PARIS - RG n° 15/00086





APPELANTE (RG 16/14383)

ET INTIMÉE A TITRE INCIDENT (RG 16/16313)



SCP [K] [R] [H] [G]

[Adresse 1]>
[Adresse 1]

Ayant pour avocat, Me [H] [H], avocat au barreau de CAEN







INTIMÉ (RG 16/14383)

ET APPELANT A TITRE INCIDENT (RG 16/16313)



FONDS D'INDEMNISATION DE LA PROFESSION D'...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 29 JUIN 2017

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/14383 (RG 16/16313)

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Avril 2016 -Juge de l'expropriation de PARIS - RG n° 15/00086

APPELANTE (RG 16/14383)

ET INTIMÉE A TITRE INCIDENT (RG 16/16313)

SCP [K] [R] [H] [G]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Ayant pour avocat, Me [H] [H], avocat au barreau de CAEN

INTIMÉ (RG 16/14383)

ET APPELANT A TITRE INCIDENT (RG 16/16313)

FONDS D'INDEMNISATION DE LA PROFESSION D'AVOUES

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DACS

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Colin MAURICE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2375

INTIMÉE

DIRECTION RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE [Localité 2]

Commissariat du gouvernement

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par M. [A] en vertu d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 01 Juin 2017, en audience publique, rapport ayant été fait par M. Christian HOURS, président, conformément aux articles 786 et 907 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Christian HOURS, président

Mme Maryse LESAULT, conseiller

M. Marc BAILLY, conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Isabelle THOMAS

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Christian HOURS, président et par Mme Isabelle THOMAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé :

La cour statue sur les appels croisés formés, le 10 juin 2016, par la SCP [K] [R] [H] [G] (RG 16-14383) et, le 2 août 2016, par le FIDA (RG 16-16313), de la décision du juge de l'expropriation de Paris en date du 7 avril 2016 :

- ayant fixé à cette date, l'indemnité due par le FIDA à la SCP [K] [R] [H] [G] au titre de la suppression de la profession d'avoué, à la somme de 1 597 629 euros au titre de la perte du droit de présentation ;

[739 643 euros de produit demi-net moyen sur la période 2005-2009 x coefficient de 2,16]

- l'ayant déboutée du surplus de sa demande ;

- ayant condamné le FIDA au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ayant condamné le FIDA aux dépens.

La SCP [K] [R] [H] [G], composée de M.[A] [G] (33,33% du capital), M. [T] [R] (33,33% du capital), Mme [H] [H] (16,16% du capital) et M.[Z] [G] (16,16% du capital), était titulaire d'un office d'avoué auprès de la cour d'appel de Caen.

Elle n'a pas accepté l'offre d'indemnisation d'un montant global de 1 566 527 euros, se décomposant comme suit :

- 1 509 587 euros au titre de la perte du droit de présentation ;

- 37 740 euros pour les frais d'archivage ;

- 19 200 euros pour les conséquences financières d'impératifs d'assurance et de participation aux coûts de gestion de la Chambre nationale des avoués.

La SCP [K] [R] [H] [G] a saisi de ses demandes le juge de l'expropriation qui a rendu la décision précitée.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures :

- adressées au greffe par la SCP [K] [R] [H] [G], le 6 septembre 2016 (RG 16-14383) et le 09 décembre 2016 (16-16313), aux termes desquelles elle demande en définitive à la cour de :

- rejeter comme irrecevable et mal fondé l'appel du FIDA ;

- débouter le FIDA de toutes ses demandes ;

- juger qu'il sera statué sur la liquidation de l'indemnisation de la perte de son droit de présentation dans le cadre de l'appel principal formé par elle sous la référence 16-14383 ;

- recevoir son appel et le dire bien fondé ;

- condamner le FIDA à lui verser les sommes suivantes au titre de l'indemnisation de son droit de présentation :

- 1 701 179 euros, valeur du droit de présentation ;

- 340 235,80 euros au titre de l'indemnité de remploi ;

- 4 374,09 euros au titre des frais de licenciements restés à charge ;

- 42 529,47 euros au titre des frais d'archivage ;

- 43 773,60 euros TTC au titre des frais de liquidation ;

- 185 104 euros au titre de déséquilibre d'exploitation ;

- 699 220 euros au titre des parts en industrie ;

- 215 000 euros au titre des frais de déménagement ;

- 19 200 euros au titre des frais d'assurance subséquente ;

- 7 396 430 euros au titre de la perte de revenus ;

- condamner le FIDA à lui payer la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner le FIDA aux entiers dépens de l'instance ;

- faire application de l'article 699 du code de procédure civile ;

- déposées au greffe par le FIDA, les 18 octobre 2016 et 20 mars 2017 (16-16313) et le 22 décembre 2016 (16-14383), aux termes desquelles il demande en définitive, à la cour :

- de le dire bien fondé en son appel incident et principal (RG n°16-16313) ;

- de statuer ce que de droit sur l'appel de la SCP [K] [R] [H] [G] ;

- de joindre les dossiers enregistrés sous les références RG 16/14383 et RG 16/16313 pour une bonne administration de la justice ;

- d'infirmer les dispositions du jugement entrepris et, statuant de nouveau :

- de fixer l'indemnité sollicitée par la SCP [K] [R] [H] [G] au titre de la perte de son droit de présentation à la somme de 1 509 587 euros ;

- d'ordonner la restitution par la SCP [K] [R] [H] [G] du complément d'indemnisation accordé à titre provisoire par le juge des référés par ordonnance du 26 juillet 2012 ;

- de débouter la SCP [K] [R] [H] [G] du surplus de ses demandes ;

- de condamner la SCP [K] [R] [H] [G] aux entiers dépens ;

- adressées au greffe par le commissaire du gouvernement, le 16 décembre 2016 sous la référence 16-16313, aux termes desquelles il demande à la cour de confirmer le jugement dont appel.

Motifs de l'arrêt :

Considérant que le FIDA demande la jonction des procédures suivies sous les numéros RG 16-14383 et 16-16313, qui sont toutes relatives aux appels concernant le litige l'opposant à la SCP [K] [R] [H] [G] ; qu'il fait valoir que son appel, critiquant notamment la méthode d'évaluation employée dans le jugement, est recevable ;

Considérant que la SCP [K] [R] [H] [G] s'oppose à la jonction de ces procédures en raison de l'irrecevabilité de l'appel du FIDA et demande qu'il soit statué sur la liquidation de l'indemnisation de la perte de son droit de présentation dans le cadre de l'appel principal formé par elle sous la référence 16-14383 ;

Considérant que l'appel du FIDA qui conteste l'évaluation faite par le premier juge de l'indemnité compensant la perte du droit de présentation est recevable, tout comme l'est l'appel de la SCP ;

Considérant que, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient d'ordonner la jonction des affaires connexes 16-14383 et 16-16313 qui sont relatives aux appels croisés faits respectivement par la SCP et le FIDA contre la même décision du juge de l'expropriation, l'affaire étant désormais suivie sous le seul numéro 16-14383 ;

Considérant que la SCP [K] [R] [H] [G] fait valoir sur le fond que :

- il appartient au juge de l'expropriation de réparer intégralement les préjudices engendrés par la loi sans se retrancher derrière une décision du Conseil constitutionnel pour refuser d'examiner la conventionnalité des dispositions relatives à l'indemnisation des avoués ;

- aucun barème ne peut être imposé au juge de l'expropriation, fût-celui prévu par l'article 6 du décret du 1er avril 2011, applicable à la seule commission d'indemnisation (CA Paris, 2 avril 2015, RG 13-00022) ;

- les règles du droit de l'expropriation sont applicables et commandent la réparation intégrale du préjudice subi ;

- la méthode du demi-net est justifiée ; l'étude était gérée sur la base de la méthode dénommée au dossier terminé, c'est-à-dire que les prévisions n'étaient pas enregistrées en recettes, mais en provisions et l'étude bénéficiait d'une trésorerie importante correspondant à ces provisions ; tout acquéreur de part était assuré de percevoir un revenu ; en conséquence, le coefficient appliqué lors des cessions était plus élevé que les coefficients moyens retenus lors des autres cessions au sein du ressort de la même cour d'appel ; un coefficient de 2,30 est donc justifié ;

- à l'inverse des associés en industrie qui ont pu être indemnisés par la commission à titre personnel sur le fondement de l'article13 alinéa 2, certains des associés qui se sont endettés pour acquérir leur étude ont reçu une offre de remboursement à minima de leurs parts sans droit à indemnisation personnelle, ce qui crée une inégalité de traitement à leur détriment ;

- l'article R.322-5 du code de l'expropriation impose l'allocation d'une indemnité de remploi même en l'absence de preuve d'une acquisition d'un bien équivalent et même en cas de cessation d'activité de l'exproprié ;

- elle a fait appel à un avocat et à un expert-comptable pour préparer son dossier de demande d'indemnisation devant la commission et pour la procédure devant le juge de l'expropriation ce qui a généré des dépenses, directement liées à la loi du 25 janvier 2011, qui n'auraient jamais été engagées si la profession n'avait pas disparu ;

- en raison de la disparition de la profession et des conséquences fiscales et économiques de la loi, une diminution du chiffre d'affaires a été imposée aux associés ;

Considérant que le FIDA répond que :

- il résulte de la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 2011 que l'allocation d'indemnités en réparation des préjudices de carrière, économique ou annexes créait une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques et méconnaissait le principe de bon emploi des deniers publics (considérant n°25), le juge de l'expropriation ne pouvant dès lors statuer que sur le montant de l'indemnité pour perte du droit de présentation et celle concernant les avoués détenant des parts en industrie ;

- selon l'article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel (...) s'imposent (...) à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et que la Cour de cassation, dans son arrêt Civ.1ère, 6 juillet 2016, n°15-17.346, a considéré que 'toute demande d'indemnisation du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires, toutes causes confondues, dont la survenance est imputée à la loi, se heurte à l'autorité attachée à la décision du 20 janvier 2011" ;

- la référence à la conventionalité de la loi est dénuée de pertinence car l'article 1er du premier protocole additionnel à la CESDH n'est pas applicable et, à supposer qu'il y ait eu ingérence, celle-ci était justifiée et répondait à l'objectif d'intérêt général de bonne administration de la justice ;

- la présente procédure ne relève pas du droit de l'expropriation puisqu'il n'y a ni droit de propriété sur l'office ni expropriation dans la mesure où le droit de présentation n'est pas transféré à l'Etat ; en conséquence, les articles L.13-1 à L.13-25 du code de l'expropriation ne peuvent mettre en échec la loi du 25 janvier 2011 (Civ.1ère, n°15-19.848) ;

- à défaut d'expropriation, les usages et les méthodes d'indemnisation de l'expropriation ne sont pas applicables en l'espèce; excluant ainsi l'indemnité de remploi qui est par ailleurs inconstitutionnelle et non-justifiée au regard des mécanismes et principes du droit commun ;

- la méthode du demi-net doit être rejetée car elle a été abandonnée par la Chancellerie pour l'évaluation des offices depuis la circulaire du 26 juin 2006 au profit d'une méthode comptable avec la recette nette et le solde d'exploitation faisant mieux ressortir les différents éléments du résultat et apporte une meilleure appréciation de la dynamique de l'office sur la période considérée ;

- l'indemnisation de la perte du droit de présentation doit reposer sur une base objective et uniforme pour tous les avoués, ce que l'article 6 du décret du 1er avril 2011 permet ; le choix d'une autre méthode aboutirait à une rupture d'égalité ;

- hormis le fait qu'une telle indemnisation est écartée par le Conseil constitutionnel, une partie des frais de licenciement, dont le droit individuel à la formation, pèse sur l'employeur indépendamment de la situation de son salarié ;

- le montant offert par la commission dans un contexte amiable au titre des frais d'archivage n'est pas opposable aujourd'hui ; une telle indemnisation a été déclarée contraire à la Constitution ;

- le prise en charge des frais de conseil n'est pas prévue dans les textes, d'autant que la SCP disposait des compétences nécessaires pour traiter son dossier et que le recours à l'avocat est facultatif ;

- le déséquilibre d'exploitation, les frais de déménagement et de réinstallation, les frais d'assurance subséquente, sont des préjudices déclarés contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;

- la demande d'indemnisation pour perte de revenus, outre son inconstitutionnalité, fait double emploi avec la baisse de revenus invoquée par chacun des anciens associés ;

- la demande formulée au titre de l'article 700 n'est pas justifiée, d'autant que le ministère d'avocat n'est pas obligatoire devant la cour ;

Considérant que le commissaire du gouvernement fait valoir que :

- le mode de calcul retenu dans le jugement doit être maintenu ;

- le juge de l'expropriation est incompétent pour connaître de la demande en réparation de préjudices autres que ceux expressément visés par la loi ; or, la loi du 25 janvier 2011 ne vise que ceux découlant de la perte du droit de présentation et de la perte en industrie ;

- la demande en indemnisation des autres préjudices doit être rejetée puisqu'elle vise des préjudices déclarés contraires au bon emploi des deniers publics et dont l'allocation contreviendrait au principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques selon la décision 2010-624 du Conseil constitutionnel ;

- la demande d'indemnisation pour perte de revenus, outre son inconstitutionnalité, fait double emploi avec la baisse de revenus invoquée par chacun des anciens associés ; en tout état de cause, le mode de calcul induisant le montant de l'indemnité pour perte de revenus repose sur des éléments éventuels qui ne peuvent être reçus dans le cadre des dispositions prévues par l'article L.321-1 (L.13-13 ancien) du code de l'expropriation ;

Considérant que les avoués ont été institués par les décrets des 29 janvier et 20 mars 1791 pour représenter en justice les parties à un procès, après la suppression des charges des procureurs royaux dont le ministère était obligatoire depuis 1620 ; qu'ils ont été supprimés en même temps que les avocats par le décret du 24 octobre 1793, avant d'être rétablis par la loi du 18 mars 1800 près les juridictions de première instance, d'appel et de cassation, qui leur attribue un monopole de la postulation, tant en matière civile que pénale, l'Etat fixant leur nombre et leur rémunération ;

Considérant que la loi du 18 février 1801 a supprimé la spécialité d'avoué près les tribunaux criminels ; qu'après le rétablissement, également en 1800, de la profession d'avocat, celui-ci étant en charge de la plaidoirie, l'avoué a conservé le monopole de la postulation et du dépôt des conclusions ; que la profession d'avoué a été scindée en celle d'avoué au tribunal et d'avoué à la cour d'appel ;

Considérant que la loi du 28 avril 1816 a consacré la patrimonialité des offices, les avoués étant autorisés à présenter un successeur au roi puis au garde des Sceaux, pourvu qu'il réunisse les qualités ; que ce système a été maintenu, le titulaire de l'office, officier ministériel, jouissant ainsi d'un droit de présentation de son successeur, un traité étant conclu avec celui-ci, fixant un prix de cession, soumis à l'agrément de la Chancellerie ;

Considérant que la patrimonialité des offices d'avoué a été supprimée dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, après la guerre de 1870, sans avoir été rétablie après 1918, les lois du 20 février 1922 et 29 juillet 1928 définissant seulement un régime de postulation spécifique, où les avocats doivent choisir de postuler devant le tribunal de grande instance ou devant la cour d'appel ;

Considérant que les offices d'avoué au tribunal de grande instance et ceux d'avoués près les cours d'appel dans les départements d'outre-mer ont été supprimés par la loi du 31 décembre 1971, les anciens avoués devenant avocats ;

Considérant que les avoués à la cour d'appel ont conservé le monopole de la postulation devant les cours d'appel dans les procédures où la représentation est obligatoire, soit la majorité du contentieux civil, à l'exclusion notable des affaires portées devant les chambres sociales des cours d'appel ; qu'ils peuvent en outre exercer une activité hors monopole de consultation juridique, de rédaction d'actes sous seing privé, de représentation et de plaidoirie dans des contentieux judiciaires ou administratifs où la représentation n'est pas obligatoire ;

Considérant que les avocats, s'ils avaient la possibilité de plaider partout en France, ne pouvaient postuler que devant le tribunal de grande instance dont dépendait leur barreau d'inscription (les avocats des barreaux de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil pouvant eux postuler devant tous ces tribunaux de grande instance, issus de l'ancien tribunal de la Seine) ;

Considérant que les avoués percevaient pour leur activité monopolistique des émoluments tarifés, selon un tarif fixé par le décret du 30 juillet 1980, modifié en 1984, puis en 2003 ;

Considérant qu'à la suite des rapports au Président de la République présentés par MM.[Q] (2008) et [U] (2009), remettant en cause le bien-fondé de la dualité d'intervention de l'avoué et de l'avocat, en cause d'appel et compte tenu de la directive 2006/123 relative aux services dans le marché intérieur (directive « services »), un projet de loi a été élaboré, intégrant les avoués dans la profession d'avocat en les inscrivant au barreau près du tribunal de grande instance dans le ressort duquel leur office est situé, avec possibilité de renoncer à devenir avocat ou de choisir un autre barreau ; que, corrélativement, l'activité des avocats a été étendue à la postulation devant la cour d'appel, le tarif de postulation en cause d'appel étant supprimé ;

Considérant que le projet initial prévoyait seulement une indemnisation du droit de présentation des avoués correspondant aux deux tiers de la valeur de la charge, qui sera portée par l'Assemblée nationale à la totalité de cette valeur, le Sénat ajoutant ensuite l'indemnisation des préjudices de carrière, économique, accessoires et désignant le juge de l'expropriation de Paris pour fixer cette indemnisation en cas de désaccord des avoués sur les propositions à eux faites par une commission chargée de statuer sur leurs demandes ;

Considérant que sur le recours de 82 sénateurs, contestant notamment, d'une part, les modalités de l'indemnisation des avoués prévues par la loi déférée, en ce qu'elle n'était pas préalable à la suppression de cette profession, d'autre part, le régime fiscal de cette indemnisation, le Conseil constitutionnel a rejeté ces contestations et, se saisissant d'office, a notamment considéré que le préjudice de carrière était inexistant pour un avoué, que le préjudice économique et les préjudices accessoires toutes clauses confondues étaient purement éventuels, compte tenu des activités qu'ils pouvaient continuer d'exercer et qu'en prévoyant l'allocation d'indemnités correspondant à ces préjudices, les dispositions de l'article 13 de la loi déférée avaient méconnu l'exigence de bon emploi des deniers publics et créé une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;

Considérant qu'en conséquence l'article 13 de la loi déférée, ainsi libellé initialement : "les avoués près les cours d'appel en exercice à la date de la publication de la présente loi ont droit à une indemnité au titre du préjudice correspondant à la perte du droit de présentation, du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues, fixée par le juge de l'expropriation dans les conditions définies par les articles L13-1 à L13-25 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le juge détermine l'indemnité allouée aux avoués exerçant au sein d'une société dont ils détiennent des parts en industrie afin d'assurer, en tenant compte de leur âge, la réparation du préjudice qu'ils subissent du fait de la présente loi..." a été privé par la décision n°2010-624 DC du 20 janvier 2011 des mots "du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues" , de même que des mots " en tenant compte de leur âge" ;

Considérant que l'indemnisation des préjudices économique et accessoires, toutes causes de préjudices confondues, a été déclarée contraire à la Constitution, au regard du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;

Considérant que cette décision et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire ne peuvent être écartés, eu égard aux dispositions impératives de l'article 62 de la Constitution disposant que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours et s'imposent aux pouvoirs publics ainsi qu'à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ;

Considérant que toute demande d'indemnisation du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires, toutes causes confondues, dont la survenance est imputée à la loi, se heurte à l'autorité attachée à la décision du Conseil constitutionnel ;

Considérant dès lors que le préjudice direct, matériel et certain, devant être intégralement indemnisé en application de l'article L13-13 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ne peut être constitué par l'un ou l'autre de ces chefs de préjudice ;

Considérant d'autre part que l'article 1er du Protocole n°1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ;

Considérant qu'il s'ensuit que la mesure d'ingérence emportant privation de propriété doit être justifiée ; qu'elle doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, ce qui suppose un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par la mesure privant de propriété et l'absence de charge spéciale exorbitante ; qu'une privation de propriété implique le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, sans qu'une réparation intégrale soit garantie dans tous les cas, des objectifs légitimes d'utilité publique, comme ceux recherchés par des mesures de réforme économique ou de justice sociale pouvant militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande du bien ;

Considérant que le juge de l'expropriation évalue le préjudice au jour du jugement de première instance, selon une date de référence située au jour de l'application de la loi ; qu'à cette date, l'avoué perdant son monopole de postulation devant la cour d'appel, conserve néanmoins son outil de travail puisqu'il peut continuer d'exercer son activité, quand bien-même une très grande partie de sa clientèle était constituée d'avocats, susceptibles de devenir des concurrents ; qu'il doit cependant être observé à cet égard que de nombreuses parties continuent, eu égard à la spécificité et à la complexité de la procédure devant la cour d'appel, de recourir à un ancien avoué pour la procédure, en plus de leur avocat plaidant ; que des partenariats entre avocats et anciens avoués peuvent être mis en place ; que l'ancien avoué peut également postuler devant le tribunal de grande instance dont il dépend et intervenir pour plaider devant toutes les juridictions ; qu'il peut donner des consultations et rédiger des actes sous seing privé ;

Considérant que l'évolution des revenus des avoués dépend pour une grande part de choix professionnels faits postérieurement à la date de référence et de leurs aptitudes personnelles à s'adapter à la nouvelle situation concurrentielle résultant d'une loi s'inscrivant dans une évolution historique en mettant fin à une situation monopolistique ;

Considérant que la suppression du monopole de postulation devant la cour était motivée notamment par un but d'intérêt public de simplification de la procédure et d'abaissement de son coût, c'est à dire par le souci d'une meilleure administration de la justice ; qu'elle constituait ainsi une immixtion justifiée, sinon nécessaire, des pouvoirs publics, proportionnée eu égard à l'intervention prévue du juge de l'expropriation susceptible d'indemniser raisonnablement, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, la perte du droit de présentation ;

Considérant que les avoués ne sont dès lors fondés à obtenir aucune somme, au delà de l'indemnisation, sans que la preuve d'une violence économique soit rapportée, de leur droit de créance résultant de la perte de leur droit de présentation, qui constitue le seul bien en cause au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales auquel la loi nationale contestée n'est pas contraire ;

Considérant en conséquence que la SCP, qui n'a pas subi une atteinte disproportionnée, doit être déboutée de toutes ses demandes d'indemnisation qui concernent des préjudices accessoires au droit de présentation, étant observé que le poste perte des revenus de l'outil de travail fait double emploi avec les baisses de revenus invoqués par chacun des quatre anciens associés qui présentent des demandes dans des dossiers distincts ;

Considérant s'agissant de ce seul droit de présentation que le législateur a confié au juge de l'expropriation le soin de fixer l'indemnisation compensant sa perte, conformément aux dispositions des articles alors libellés L13-1 à L13-25 du code de l'expropriation ;

Considérant s'agissant de la valeur du droit de présentation que le juge de l'expropriation est libre de choisir la méthode qui lui apparaît la plus appropriée pour la déterminer ; qu'il ne saurait lui être imposé de se conformer à un barème ;

Considérant que la valeur de la charge doit être déterminée, ainsi d'ailleurs que le prévoit la circulaire de la direction des affaires civiles et du sceau, relative à la constitution des dossiers de cessions des offices publics et/ou ministériels, conformément aux usages de la profession et aux considérations économiques, c'est à dire selon la loi du marché ; qu'ainsi, l'indemnité doit être égale à la somme qui aurait été perçue par l'avoué si le droit de présentation avait été cédé dans le cadre d'une cession ordinaire ;

Considérant qu'il est suffisamment établi par les attestations versées aux débats que les cessions de charges d'avoué ont été faites, depuis de nombreuses années, partout où les avoués existaient en France, essentiellement selon la méthode dite du produit demi-net (moyenne sur cinq ans des différences entre le produit brut de l'office et certaines charges limitativement énumérées, à savoir loyers des locaux professionnels, salaires et charges sociales ou encore taxe professionnelle) avec application d'un coefficient dit de cour, tenant aux conditions économiques dans la cour d'appel à laquelle appartient l'avoué ; qu'il n'est pas démontré que la Chancellerie aurait, à l'occasion des cessions intervenues, refusé le prix ainsi obtenu ;

Considérant qu'il convient par ailleurs de prendre en considération les données sur la période la plus récente précédant la mise en oeuvre de la loi ;

Considérant qu'au vu de l'attestation du 6 décembre 2011 de la présidente de la chambre des avoués près la cour d'appel de Caen, il convient de retenir un coefficient de cour de 2,16 et de confirmer le calcul effectué par le premier juge ;

Considérant en définitive que le jugement entrepris doit être confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant qu'il convient d'ordonner la restitution par la SCP au FIDA du trop-versé à la suite de l'ordonnance de référé du 26 juillet 2012 ;

Considérant qu'il apparaît équitable de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Considérant en revanche que la SCP supportera les dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS, la cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

- déclare recevables les appels du FIDA et de la SCP [K] [R] [H] [G] ;

- ordonne la jonction des affaires suivies sous les numéros de rôle 16-14383 et 16-16313 qui seront désormais suivies sous le seul numéro 16-14383 ;

- confirme en toutes ses dispositions la décision du juge de l'expropriation de Paris du 7 avril 2016 ;

- y ajoutant :

- ordonne la restitution par la SCP [K] [R] [H] [G] au FIDA du trop-versé à la suite de l'ordonnance de référé du 26 juillet 2012 ;

- dit que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

- dit que la SCP [K] [R] [H] [G] supportera les dépens d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 16/14383
Date de la décision : 29/06/2017

Références :

Cour d'appel de Paris G7, arrêt n°16/14383 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-06-29;16.14383 ?
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