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29/06/2017 | FRANCE | N°16/13135

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 7, 29 juin 2017, 16/13135


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7



ARRÊT DU 29 JUIN 2017



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/13135



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Avril 2016 -Juge de l'expropriation de PARIS - RG n° 15/00089





APPELANTE



Madame [Y] [H] EPOUSE [I]

née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[A

dresse 1]

Ayant pour avocate, Me [Y] [H], avocat au barreau de CAEN







INTIMES



FONDS D'INDEMNISATION DE LA PROFESSION D'AVOUES

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DACS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représe...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 29 JUIN 2017

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/13135

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Avril 2016 -Juge de l'expropriation de PARIS - RG n° 15/00089

APPELANTE

Madame [Y] [H] EPOUSE [I]

née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Ayant pour avocate, Me [Y] [H], avocat au barreau de CAEN

INTIMES

FONDS D'INDEMNISATION DE LA PROFESSION D'AVOUES

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DACS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Colin MAURICE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2375

DIRECTION RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE PARIS

Commissariat du gouvernement

[Adresse 3]

[Adresse 2]

Représentée par M. [J] en vertu d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 01 Juin 2017, en audience publique, rapport ayant été fait par M. Christian HOURS, président, conformément aux articles 786 et 907 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Christian HOURS, président

Mme Maryse LESAULT, conseiller

M. Marc BAILLY, conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Isabelle THOMAS

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Christian HOURS, président et par Mme Isabelle THOMAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé :

La cour statue sur l'appel formé, le 10 juin 2016, par Mme [Y] [H] de la décision du juge de l'expropriation de Paris en date du 7 avril 2016 :

- l'ayant déclarée irrecevable en ses demandes ;

- ayant dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ayant condamné le FIDA aux dépens.

Mme [Y] [H] était avouée auprès de la cour d'appel de Caen, au sein de la SCP [M] [X] [H] [G], dont elle détenait 16,66% des parts en capital.

La SCP [M] [X] [H] [G] n'a pas accepté l'offre d'indemnisation faite par la commission d'un montant global de 1 566 527 euros, se décomposant comme suit :

- 1 509 587 euros au titre de la perte du droit de présentation ;

- 37 740 euros pour les frais d'archivage ;

- 19 200 euros pour les conséquences financières d'impératifs d'assurance et de participation aux coûts de gestion de la Chambre nationale des avoués.

Seule la somme de 65 324 euros a été proposée et accordée par Mme [H] au titre d'une discordance de 4,17% entre la répartition des bénéfices par rapport à la participation au capital social. Les autres demandes personnelles de Mme [Y] [H] n'ont pas fait l'objet d'une offre d'indemnisation.

Mme [H] a saisi de ses prétentions le juge de l'expropriation qui a rendu la décision précitée.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures :

- adressées au greffe par Mme [Y] [H], le 6 septembre 2016, aux termes desquelles elle demande à la cour de réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déclarée irrecevable en sa demande, et statuant à nouveau, de :

- recevoir sa demande et la dire bien fondée ;

- fixer les indemnités à son profit à un montant total de 2 144 155 euros, se décomposant comme suit :

- 349 610 euros au titre de la perte de revenus tirés de son industrie au sein de la SCP ;

- 1 644 545 euros au titre des préjudices de perte de revenus et de trouble professionnel, soit la moyenne de ses revenus des trois dernières années jusqu'à la retraite ;

- 640 526 euros au titre de la perte des droits à la retraite ;

- 150 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence ;

- condamner le FIDA à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner le FIDA aux entiers dépens de l'instance ;

- déposées au greffe par le FIDA, le 22 décembre 2016 aux termes desquelles il demande à la cour de :

- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel Mme [Y] [H] ;

- confirmer l'ensemble de dispositions du jugement dont appel et, en conséquence, de déclarer irrecevables le recours et les demandes de Mme [Y] [H] ;

- subsidiairement, débouter Mme [Y] [H] de ses demandes ;

- en tout état de cause, condamner Mme [Y] [H] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- adressées au greffe par le commissaire du gouvernement, le 13 décembre 2016, aux termes desquelles il demande à la cour d'écarter l'ensemble des demandes d'indemnisation présentées par Mme [Y] [H].

Motifs de l'arrêt :

Considérant que le FIDA soutient que Mme [Y] [H] est irrecevable à demander une indemnisation, ayant accepté la proposition d'indemnisation de la perte de revenus tirés de son industrie (non pas de la perte du droit de présentation) dans des termes dénués de toute ambiguïté sur sa renonciation à solliciter ultérieurement une indemnité complémentaire ; que considérer que l'acceptation de l'offre n'emporterait pas renonciation expresse et sans équivoque à toute contestation ultérieure remettrait en cause le principe de sécurité juridique des accords ;

Considérant que Mme [Y] [H] réplique qu'elle n'a pas renoncé aux autres postes de préjudice dans la mesure où une renonciation ne se présume pas ;

Considérant que Mme [H], ayant accepté sans réserves les offres d'indemnisation faites par la commission d'indemnisation au titre de la perte de revenus tirés de son industrie, a nécessairement renoncé à remettre en cause l'indemnisation de ce poste ; que la décision d'irrecevabilité du premier juge doit en conséquence être confirmée s'agissant de la perte de revenus tirés de son industrie au sein de la SCP ;

Considérant que, malgré le fait que Mme [H] ait énuméré dans sa supplique à la commission d'indemnisation tous les préjudices dont elle entendait se prévaloir et que la position de la commission consistant à ne lui faire une offre que sur le droit de présentation et certains postes devait être comprise comme un refus de sa part de faire droit à ses demandes portant sur les autres postes, il reste que la formulation de la commission disant n'y avoir lieu à offre sur les autres préjudices n'était pas suffisamment claire, de sorte qu'il ne doit pas être considéré que l'acceptation sans réserve par l'appelante de l'indemnité offerte au titre de la perte de revenus tirés de son industrie valait renonciation à demander en justice l'indemnisation des autres préjudices ; qu'en conséquence, il convient de déclarer recevables les demandes de Mme [H] sur les chefs de préjudice qu'elle n'a pas expressément acceptés ; que le jugement doit être infirmé sur ce point ;

Considérant que Mme [Y] [H] fait valoir sur le fond que :

- il appartient au juge de l'expropriation de réparer intégralement les préjudices engendrés par la loi sans se retrancher derrière une décision du Conseil constitutionnel pour refuser d'examiner la conventionalité des dispositions relatives à l'indemnisation des avoués ;

- les règles du droit de l'expropriation sont applicables et commandent la réparation intégrale du préjudice subi ; selon ce principe, l'indemnité couvre la valeur vénale du bien exproprié et tous ses accessoires conformément aux exigences européennes ;

- la possibilité d'exercer la profession d'avocat ne répare pas, de manière effective, les préjudices personnels subis et cette possibilité est indifférente au regard du droit européen (CEDH, 11 avril 2002, Lallement c/ France) ; la spécialisation en procédure d'appel est rendue purement symbolique par la généralisation de la communication électronique et la concurrence des avocats désormais tous admis à postuler en appel ; l'admission des anciens avoués au sein d'une communauté d'avocats autrement plus nombreuse et aux revenus notablement inférieurs pour près de 90 % d'entre eux, leur réserve une chute inéluctable et durable de revenus ; la période de transition de trois mois prévue par la loi est illusoire ;

- la chute des revenus ne permettant pas de cotiser à la même hauteur et la perte de l'affiliation à la CAVOM entraîne une importante perte de droits à la retraite ;

- une indemnisation au titre du préjudice moral est également due en raison des conditions dans lesquelles est intervenue la réforme, et notamment la dégradation des conditions d'indemnisation entre le texte initial et le texte actuel, et son impact sur sa vie professionnelle et familiale, d'autant qu'elle commence une carrière contrainte d'avocat à l'âge de 52 ans sans espoir d'avoir des revenus supérieurs à ceux de la moyenne des jeunes avocats avec des crédits à rembourser, notamment pour ses parts de SCP, et accordés au regard de revenus qu'elle n'a plus ;

Considérant que le FIDA répond que :

- il résulte de la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 2011 que l'allocation d'indemnités en réparation des préjudices de carrière, économique ou annexes créait une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques et méconnaissait le principe de bon emploi des deniers publics (considérant n°25), le juge de l'expropriation ne pouvant dès lors statuer que sur le montant de l'indemnité pour perte du droit de présentation et celle concernant les avoués détenant des parts en industrie ;

- selon l'article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel (...) s'imposent (...) à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et que la Cour de cassation, dans son arrêt Civ.1ère, 6 juillet 2016, n°15-17.346, a considéré que 'toute demande d'indemnisation du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires, toutes causes confondues, dont la survenance est imputée à la loi, se heurte à l'autorité attachée à la décision du 20 janvier 2011" ;

- la référence à la jurisprudence de la CEDH est dénuée de pertinence car l'article 1er du premier protocole additionnel à la CESDH n'est pas applicable et, à supposer qu'il y ait eu ingérence, celle-ci était justifiée et répondait à l'objectif d'intérêt général de bonne administration de la justice ;

- la présente procédure ne relève pas du droit de l'expropriation puisqu'il n'y a ni droit de propriété sur l'office ni expropriation dans la mesure où le droit de présentation n'est pas transféré à l'Etat ; en conséquence, les articles L.13-1 à L.13-25 du code de l'expropriation ne peuvent mettre en échec la loi du 25 janvier 2011 (Civ.1ère, n°15-19.848) ;

- les préjudices invoqués sont purement éventuels dès lors que rien n'indique que les avoués auraient maintenu un même niveau de revenu et que le revenu actuel, en tant qu'avocat, tient à des paramètres aléatoires (Civ.1ère, 6 juillet 2016, n°15-17.346) ;

- la loi du 25 janvier 2011 exclut, en son principe, la réparation d'un préjudice moral, ce que constitue le préjudice au titre des troubles dans les conditions d'existence qui doit donc être écarté ;

- la demande formulée au titre de l'article 700 n'est pas justifiée, d'autant que le ministère d'avocat n'est pas obligatoire devant la cour ;

- concernant les dépens, à défaut d'expropriation, l'article L.13-5 du code de l'expropriation mettant les dépens à la charge de 'l'expropriant', ne s'applique pas ;

Considérant que le commissaire du gouvernement observe que :

- la question de l'application du droit européen et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme est laissée à l'appréciation souveraine des juridictions compétentes ;

- le juge de l'expropriation est incompétent pour connaître de la demande en réparation de préjudices autres que ceux expressément visés par la loi ; or, la loi du 25 janvier 2011 ne vise que ceux découlant de la perte du droit de présentation et de la perte en industrie ;

- la demande en indemnisation doit être rejetée puisqu'elle vise des préjudices déclarés contraires au bon emploi des deniers publics et dont l'allocation contreviendrait au principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques selon la décision 2010-624 du Conseil constitutionnel ;

- en tout état de cause, le mode de calcul induisant le montant de l'indemnité pour perte de revenus repose sur des éléments éventuels qui ne peuvent être reçus dans le cadre des dispositions prévues par l'article L.321-1 (L.13-13 ancien) du code de l'expropriation ;

- la réparation d'un préjudice moral est exclue ;

Considérant que les avoués ont été institués par les décrets des 29 janvier et 20 mars 1791 pour représenter en justice les parties à un procès, après la suppression des charges des procureurs royaux dont le ministère était obligatoire depuis 1620 ; qu'ils ont été supprimés en même temps que les avocats par le décret du 24 octobre 1793, avant d'être rétablis par la loi du 18 mars 1800 près les juridictions de première instance, d'appel et de cassation, qui leur attribue un monopole de la postulation, tant en matière civile que pénale, l'Etat fixant leur nombre et leur rémunération ;

Considérant que la loi du 18 février 1801 a supprimé la spécialité d'avoué près les tribunaux criminels ; qu'après le rétablissement, également en 1800, de la profession d'avocat, celui-ci étant en charge de la plaidoirie, l'avoué a conservé le monopole de la postulation et du dépôt des conclusions ; que la profession d'avoué a été scindée en celle d'avoué au tribunal et d'avoué à la cour d'appel ;

Considérant que la loi du 28 avril 1816 a consacré la patrimonialité des offices, les avoués étant autorisés à présenter un successeur au roi puis au garde des Sceaux, pourvu qu'il réunisse les qualités ; que ce système a été maintenu, le titulaire de l'office, officier ministériel, jouissant ainsi d'un droit de présentation de son successeur, un traité étant conclu avec celui-ci, fixant un prix de cession, soumis à l'agrément de la Chancellerie ;

Considérant que la patrimonialité des offices d'avoué a été supprimée dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, après la guerre de 1870, sans avoir été rétablie après 1918, les lois du 20 février 1922 et 29 juillet 1928 définissant seulement un régime de postulation spécifique, où les avocats doivent choisir de postuler devant le tribunal de grande instance ou devant la cour d'appel ;

Considérant que les offices d'avoué au tribunal de grande instance et ceux d'avoués près les cours d'appel dans les départements d'outre-mer ont été supprimés par la loi du 31 décembre 1971, les anciens avoués devenant avocats ;

Considérant que les avoués à la cour d'appel ont conservé le monopole de la postulation devant les cours d'appel dans les procédures où la représentation est obligatoire, soit la majorité du contentieux civil, à l'exclusion notable des affaires portées devant les chambres sociales des cours d'appel ; qu'ils peuvent en outre exercer une activité hors monopole de consultation juridique, de rédaction d'actes sous seing privé, de représentation et de plaidoirie dans des contentieux judiciaires ou administratifs où la représentation n'est pas obligatoire ;

Considérant que les avocats, s'ils avaient la possibilité de plaider partout en France, ne pouvaient postuler que devant le tribunal de grande instance dont dépendait leur barreau d'inscription (les avocats des barreaux de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil pouvant eux postuler devant tous ces tribunaux de grande instance, issus de l'ancien tribunal de la Seine) ;

Considérant que les avoués percevaient pour leur activité monopolistique des émoluments tarifés, selon un tarif fixé par le décret du 30 juillet 1980, modifié en 1984, puis en 2003 ;

Considérant qu'à la suite des rapports au Président de la République présentés par MM.[D] (2008) et [F] (2009), remettant en cause le bien-fondé de la dualité d'intervention de l'avoué et de l'avocat, en cause d'appel et compte tenu de la directive 2006/123 relative aux services dans le marché intérieur (directive « services »), un projet de loi a été élaboré, intégrant les avoués dans la profession d'avocat en les inscrivant au barreau près du tribunal de grande instance dans le ressort duquel leur office est situé, avec possibilité de renoncer à devenir avocat ou de choisir un autre barreau ; que, corrélativement, l'activité des avocats a été étendue à la postulation devant la cour d'appel, le tarif de postulation en cause d'appel étant supprimé ;

Considérant que le projet initial prévoyait seulement une indemnisation du droit de présentation des avoués correspondant aux deux tiers de la valeur de la charge, qui sera portée par l'Assemblée nationale à la totalité de cette valeur, le Sénat ajoutant ensuite l'indemnisation des préjudices de carrière, économique, accessoires et désignant le juge de l'expropriation de Paris pour fixer cette indemnisation en cas de désaccord des avoués sur les propositions à eux faites par une commission chargée de statuer sur leurs demandes ;

Considérant que sur le recours de 82 sénateurs, contestant notamment, d'une part, les modalités de l'indemnisation des avoués prévues par la loi déférée, en ce qu'elle n'était pas préalable à la suppression de cette profession, d'autre part, le régime fiscal de cette indemnisation, le Conseil constitutionnel a rejeté ces contestations et, se saisissant d'office, a notamment considéré que le préjudice de carrière était inexistant pour un avoué, que le préjudice économique et les préjudices accessoires toutes clauses confondues étaient purement éventuels, compte tenu des activités qu'ils pouvaient continuer d'exercer et qu'en prévoyant l'allocation d'indemnités correspondant à ces préjudices, les dispositions de l'article 13 de la loi déférée avaient méconnu l'exigence de bon emploi des deniers publics et créé une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;

Considérant qu'en conséquence l'article 13 de la loi déférée, ainsi libellé initialement : "les avoués près les cours d'appel en exercice à la date de la publication de la présente loi ont droit à une indemnité au titre du préjudice correspondant à la perte du droit de présentation, du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues, fixée par le juge de l'expropriation dans les conditions définies par les articles L13-1 à L13-25 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le juge détermine l'indemnité allouée aux avoués exerçant au sein d'une société dont ils détiennent des parts en industrie afin d'assurer, en tenant compte de leur âge, la réparation du préjudice qu'ils subissent du fait de la présente loi..." a été privé par la décision n°2010-624 DC du 20 janvier 2011 des mots "du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues" , de même que des mots " en tenant compte de leur âge" ;

Considérant que l'indemnisation des préjudices économique et accessoires, toutes causes de préjudices confondues, a été déclarée contraire à la Constitution, au regard du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;

Considérant que cette décision et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire ne peuvent être écartés, eu égard aux dispositions impératives de l'article 62 de la Constitution disposant que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours et s'imposent aux pouvoirs publics ainsi qu'à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ;

Considérant que toute demande d'indemnisation du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires, toutes causes confondues, dont la survenance est imputée à la loi, se heurte à l'autorité attachée à la décision du Conseil constitutionnel ;

Considérant dès lors que le préjudice direct, matériel et certain, devant être intégralement indemnisé en application de l'article L13-13 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ne peut être constitué par l'un ou l'autre de ces chefs de préjudice ;

Considérant d'autre part que l'article 1er du Protocole n°1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ;

Considérant qu'il s'ensuit que la mesure d'ingérence emportant privation de propriété doit être justifiée ; qu'elle doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, ce qui suppose un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par la mesure privant de propriété et l'absence de charge spéciale exorbitante ; qu'une privation de propriété implique le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, sans qu'une réparation intégrale soit garantie dans tous les cas, des objectifs légitimes d'utilité publique, comme ceux recherchés par des mesures de réforme économique ou de justice sociale pouvant militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande du bien ;

Considérant que le juge de l'expropriation évalue le préjudice au jour du jugement de première instance, selon une date de référence située au jour de l'application de la loi ; qu'à cette date, l'avoué perdant son monopole de postulation devant la cour d'appel, conserve néanmoins son outil de travail puisqu'il peut continuer d'exercer son activité, fût-ce dans des conditions plus difficiles, puisqu'une très grande partie de sa clientèle était constituée d'avocats, susceptibles de devenir des concurrents ; qu'il doit cependant être observé que de nombreuses parties continuent, eu égard à la spécificité et à la complexité de la procédure devant la cour d'appel, de recourir à un ancien avoué pour la procédure, en plus de leur avocat plaidant ; que des partenariats entre avocats et anciens avoués peuvent être mis en place ; que l'ancien avoué peut également postuler devant le tribunal de grande instance dont il dépend et intervenir pour plaider devant toutes les juridictions ; qu'il peut donner des consultations et rédiger des actes sous seing privé ;

Considérant que l'évolution des revenus des avoués dépend pour une grande part de choix professionnels faits postérieurement à la date de référence et de leurs aptitudes personnelles à s'adapter à la nouvelle situation concurrentielle résultant d'une loi s'inscrivant dans une évolution historique en mettant fin à une situation monopolistique ;

Considérant que la suppression du monopole de postulation devant la cour était motivée notamment par un but d'intérêt public de simplification de la procédure et d'abaissement de son coût, c'est à dire par le souci d'une meilleure administration de la justice ; qu'elle constituait ainsi une immixtion justifiée, sinon nécessaire, des pouvoirs publics, proportionnée eu égard à l'intervention prévue du juge de l'expropriation susceptible d'indemniser raisonnablement, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, la perte du droit de présentation ;

Considérant que les avoués ne sont dès lors fondés à obtenir aucune somme, au delà de l'indemnisation, pour un montant qui a été accepté, sans que la preuve d'une violence économique soit rapportée, de leur droit de créance résultant de la perte de leur droit de présentation, qui constitue le seul bien en cause au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales auquel la loi nationale contestée n'est pas contraire ;

Considérant en conséquence que Mme [H], qui n'a pas subi une atteinte disproportionnée, doit être déboutée de ses demandes d'indemnisation concernant des préjudices accessoires ;

Considérant en définitive que les dispositions du jugement afférentes à l'irrecevabilité des demandes d'indemnisation afférentes au droit de présentation, des préjudices tirés des frais d'archivage, des conséquences financières d'impératifs d'assurance et de participation au coût de gestion de la chambre nationale des avoués, celles relatives aux frais irrépétibles, ainsi qu'à la charge des dépens doivent être confirmées, le surplus de la décision étant infirmé ;

Considérant qu'il apparaît équitable de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Considérant en revanche que Mme [H] supportera les dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS, la cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

- confirme les dispositions de la décision du juge de l'expropriation de Paris du 7 avril 2016, relatives :

- à l'irrecevabilité de la demande d'indemnisation afférente à l'indemnisation de la perte de revenus tirés de son industrie ;

- aux frais irrépétibles et à la charge des dépens ;

- l'infirme sur le surplus et, statuant à nouveau :

- déclare recevable le surplus des demandes de Mme [H] ;

- au fond, l'en déboute ;

- y ajoutant :

- dit que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

- dit que Mme [H] supportera les dépens d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 16/13135
Date de la décision : 29/06/2017

Références :

Cour d'appel de Paris G7, arrêt n°16/13135 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-06-29;16.13135 ?
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