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29/06/2017 | FRANCE | N°16/12328

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 7, 29 juin 2017, 16/12328


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7



ARRÊT DU 29 JUIN 2017



(n° , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/12328



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Mai 2016 -Juge de l'expropriation de PARIS - RG n° 16/00007





APPELANTE



Madame [H] [F] EPOUSE [V]

née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Loc

alité 2]

Représentée par Me Louis VERMOT de la SCP CORDELIER & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0399







INTIMÉS



LE FONDS D'INDEMNISATION DE LA PROFESSION D'AVOUES

[Adresse 2]

...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 29 JUIN 2017

(n° , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/12328

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Mai 2016 -Juge de l'expropriation de PARIS - RG n° 16/00007

APPELANTE

Madame [H] [F] EPOUSE [V]

née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Louis VERMOT de la SCP CORDELIER & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0399

INTIMÉS

LE FONDS D'INDEMNISATION DE LA PROFESSION D'AVOUES

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Colin MAURICE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2375

MINISTÈRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDU STRIE DAJ-SDDP- AGENT JUDICIAIRE DU TRÉSOR

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Alexandre DE JORNA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0744

COMMISSION NATIONALE D'INDEMNISATION DES AVOUES

[Adresse 2]

[Localité 5]

Non comparante, non représentée, bien que régulièrement convoquée

DIRECTION RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE PARIS

Commissariat du gouvernement

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par M. [Q] [P], en vertu d'un pouvoir général

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Non comparant, non représenté, bien que régulièrement convoquée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 18 Mai 2017, en audience publique, rapport ayant été fait par M. Christian HOURS, président, conformément aux articles 786 et 907 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Christian HOURS, président

Mme Maryse LESAULT, conseillère

M. Marc BAILLY, conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Isabelle THOMAS

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par M. Christian HOURS, président et par Mme Isabelle THOMAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé :

La cour statue sur l'appel formé, le 1er juin 2016, par Mme [H] [F] de la décision du juge de l'expropriation de Paris en date du 4 mai 2016 :

- ayant mis hors de cause l'agent judiciaire de l'Etat ;

- l'ayant déboutée de ses demandes d'indemnisation ;

- ayant dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ayant condamné le Fonds d'indemnisation de la profession des avoués (FIDA) aux dépens.

Mme [H] [F] était avouée auprès de la cour d'appel de Nancy, au sein de la SCP [J] [Y] et [H] [F]. Elle a intégré la magistrature et a été nommée substitut du procureur de la République au mois de novembre 2014.

La SCP [J] [Y] et [H] [F] a accepté une indemnité d'un montant global de 1 252 225 euros, se décomposant comme suit :

- 1 212 317 euros pour la perte du droit de présentation ;

- 30 308 euros pour les frais d'archivage ;

- 9 600 euros pour les conséquences financières d'impératifs d'assurance et de participation au coût de la gestion de la chambre nationale des avoués.

Les demandes personnelles de Mme [H] [F] n'ayant pas fait l'objet d'une offre par la Commission d'indemnisation, elle a saisi le juge de l'expropriation qui a rendu la décision précitée.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures :

- déposées au greffe par Mme [H] [F] les 31 août et 10 novembre 2016, aux termes desquelles elle demande, en définitive, à la cour de reformer le jugement et statuant à nouveau, de :

- fixer les indemnités à son profit à un montant total de 1 348 614 euros se décomposant comme suit :

- 383 032 euros au titre de l'indemnité représentative de 4 années de revenus moyens d'un avocat de plus de 10 ans d'expérience ;

- 957 200 euros au titre de l'indemnisation de la perte du patrimoine immobilier et financier ;

- 8 382 euros au titre de l'indemnisation pour la perte de chance d'obtenir des revenus complémentaires prévisibles une fois les emprunts remboursés ;

- dire que ces indemnités porteront intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance ;

- dire que les intérêts seront capitalisés par périodes annuelles, conformément à l'article 1154 du code civil ;

- condamner le FIDA à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner le FIDA aux entiers dépens de l'instance ;

- déposées au greffe par le FIDA, le 16 septembre 2016, aux termes desquelles il demande à la cour de :

- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel de Mme [H] [F] ;

- déclarer irrecevables les demandes concernant l'indemnisation de la perte du patrimoine immobilier et financier et la perte de chance d'obtenir des revenus complémentaires ;

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté Mme [H] [F] de l'ensemble de ses demandes en indemnisation ;

- condamner Mme [H] [F] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- adressées au greffe par le commissaire du gouvernement, le 23 septembre 2016, aux termes desquelles il demande à la cour d'écarter la totalité des demandes présentées par Mme [H] [F] visant à l'indemnisation des préjudices personnels liés à la suppression de la profession des avoués ;

- déposées au greffe par l'Agent Judiciaire de l'Etat, le 28 juillet 2016, aux termes desquelles il demande à la cour de :

- prononcer sa mise hors de cause ;

- confirmer le jugement rendu le 10 mars 2016 en ce qu'il le met hors de cause ;

- condamner Mme [H] [F] à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article700 du code de procédure civile ;

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Motifs de l'arrêt :

Considérant ensuite que l'agent Judiciaire de l'Etat soutient que l'article 38 de la loi du 3 avril 1955 prévoit qu'il n'a mandat pour représenter l'Etat que dans les instances où aucun autre organe n'a été désigné spécifiquement par la loi, or, le FIDA, doté de la personnalité morale, a été instauré par l'article 13 de la loi du 25 janvier 2011 et a compétence exclusive en la matière ;

Considérant que le FIDA indique que la loi du 25 janvier 2011 l'a doté d'une personnalité morale et de l'autonomie financière et l'a chargé du paiement des sommes dues aux avoués ainsi que des sommes dues à leurs salariés, en conséquence, nul n'est recevable à engager de poursuites de ce chef contre d'autres entités que le FIDA ce qui exclut, de facto, la mise en cause de l'Etat, de l'Agent Judiciaire de l'Etat et de la Commission nationale d'indemnisation des avoués ;

Considérant que Mme [H] [F] répond que, si le FIDA dispose de la personnalité morale et d'une autonomie financière, il n'a pas qualité pour formuler, discuter, contester les offres qui relèvent de la seule compétence de la Commission nationale d'indemnisation des avoués ; la présence de la Commission Nationale, de l'Etat et de l'Agent Judiciaire de l'Etat étaient nécessaires dans la présente procédure ;

Considérant qu'il résulte des articles 13 et 19 de la loi du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel qu'il existe un fonds d'indemnisation, doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière, chargé spécialement du paiement des sommes dues aux avoués ;

Considérant qu'eu égard à l'existence d'une personnalité morale spécifique contre laquelle diriger les actions en paiement, il n'y avait pas lieu, s'agissant de la contestation de la décision de la Commission d'indemnisation et d'une demande visant au paiement des indemnités réclamées, d'attraire dans l'instance en indemnisation d'autres personnes que le Fonds d'indemnisation ; que la décision du premier juge ayant mis hors de cause l'agent judiciaire de l'Etat doit être confirmée ;

Considérant que le FIDA fait valoir ensuite que les demandes nouvelles de Mme [H] [F] sont irrecevables au regard de l'article 564 du code de procédure civile ; que sa demande devant le juge de première instance était limitée à l'indemnité au titre des charges exorbitantes résultant de la suppression de la profession (383 032 euros) alors qu'elle demande, en plus, en appel, une indemnisation au titre de la perte du patrimoine immobilier et financier et de la perte de chance d'obtenir des revenus complémentaires prévisibles une fois les emprunts remboursés, soit un total de 1 348 614 euros ;

Considérant que Mme [H] [F] réplique que dans le cadre de l'expropriation, ne sont pas considérées comme des demandes nouvelles toutes celles qui tendent à l'allocation d'indemnités accessoires supplémentaires puisqu'il ne s'agit que de simples modalités d'indemnisation du même préjudice résultant de la dépossession ;

Considérant effectivement que les demandes formulées pour la première fois en appel par Mme [F] tendant, selon elle, à la réparation du préjudice occasionné par la suppression des offices d'avoués, doivent être considérées comme accessoires et sont en conséquence recevables ;

Considérant que Mme [H] [F] fait valoir sur le fond que :

- la Cour de cassation a fait une application critiquable de la décision du Conseil constitutionnel en date du 20 janvier 2011 ; la décision 2010-624 du Conseil constitutionnel ne fait pas obstacle à l'indemnisation de principe de ce préjudice dès lors que les caractère matériel, direct et certain de celui-ci le rendent indemnisable en application des articles L.13-1 à L.13-25 du code de l'expropriation, or l'absence de clientèle personnelle et la difficulté de s'en constituer dans un contexte concurrentiel rendent ce préjudice certain ;

- le dispositif mis en place par la loi est insuffisant à compenser le préjudice subi par les avoués ;

- par application combinée du code de l'expropriation et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH, une réparation intégrale du préjudice subi est due dès lors qu'il est direct, matériel et certain ; la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 2011 ne fait pas obstacle à l'application conforme de ces textes légaux au regard des textes conventionnels ; la jurisprudence conventionnelle assimile à une perte de propriété la privation de la possibilité d'exercer une profession, notamment par la suppression de l'outil de travail (arrêt Lallement, 2002) ;

- la charge exorbitante supportée du fait de la réforme se traduit pour elle par une perte de revenus tirés de l'industrie qui, depuis 2012, est conséquente par rapport à ses revenus antérieurs ; si elle perçoit, de manière différée, les frais dus au titre des procédures ouvertes par la SCP avant la suppression de la profession, la baisse de ses revenus est réelle ; elle a été contrainte de quitter les locaux dont elle était propriétaire et, ne parvenant pas à les louer, elle a été contrainte de les vendre afin de pouvoir assumer ses emprunts immobiliers et ce en baissant substantiellement le prix ; elle a également été contrainte de vendre sa maison d'habitation ; l'appauvrissement du foyer est tel que la famille n'est pas imposable pour l'année 2016 ;

- elle a fait appel à un avocat et à un expert-comptable pour préparer son dossier de demande d'indemnisation devant la Commission et pour la procédure devant le juge de l'expropriation ce qui a généré des dépenses, directement liées à la loi du 25 janvier 2011, qui n'auraient jamais été engagées si la profession n'avait pas disparu ;

Considérant que le FIDA répond que :

- il résulte de la décision 2010-624 du Conseil constitutionnel que l'allocation d'indemnités en réparation des préjudices purement éventuels de carrière, économique ou annexes créait une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques et méconnaissait le principe de bon emploi des deniers publics (considérant n°25), le juge de l'expropriation ne pouvant dès lors statuer que sur le montant de l'indemnité pour perte du droit de présentation et celle concernant les avoués détenant des parts en industrie ;

- selon l'article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel (...) s'imposent (...) à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et la Cour de cassation, dans son arrêt Civ.1ère, 6 juillet 2016, n°15-17.346, a considéré que 'toute demande d'indemnisation du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires, toutes causes confondues, dont la survenance est imputée à la loi, se heurte à l'autorité attachée à la décision du 20 janvier 2011" ;

- la référence à la jurisprudence de la CEDH est dénuée de pertinence car l'article 1er du premier protocole additionnel à la CESDH n'est pas applicable et, à supposer qu'il y ait eu ingérence, celle-ci était justifiée et répondait à l'objectif d'intérêt général de bonne administration de la justice ;

- la présente procédure ne relève pas du droit de l'expropriation puisqu'il n'y a ni droit de propriété sur l'office, ni expropriation dans la mesure où le droit de présentation n'est pas transféré à l'Etat français ; en conséquence, les articles L.13-1 à L.13-25 du code de l'expropriation ne peuvent mettre en échec la loi du 25 janvier 2011 (Civ.1ère, n°15-19.848) ;

- le préjudice de perte de revenus, outre son inconstitutionnalité, est purement éventuel dès lors que rien n'indique que les avoués auraient maintenu un même niveau de revenu et le choix de devenir magistrate relève de la seule responsabilité de Mme [H] [F] qui l'a opéré en connaissance de cause ;

- la demande formulée au titre de l'article 700 n'est pas justifiée, d'autant que le ministère d'avocat n'est pas obligatoire devant la cour ;

- concernant les dépens, à défaut d'expropriation, l'article L.312-1 du code de l'expropriation mettant les dépens à la charge de l'expropriant, ne s'applique pas ;

Considérant que le commissaire du gouvernement observe que :

- toutes les demandes en indemnisation doivent être rejetées puisqu'elles visent des préjudices déclarés contraires au bon emploi des deniers publics et dont l'allocation contreviendrait au principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques selon la décision 2010-624 du Conseil constitutionnel ;

- en tout état de cause, les préjudices liés à la perte de revenus ne sont pas certains car ils reposent sur une estimation de revenus futurs ;

Considérant que les avoués ont été institués par les décrets des 29 janvier et 20 mars 1791 pour représenter en justice les parties à un procès, après la suppression des charges des procureurs royaux dont le ministère était obligatoire depuis 1620 ; qu'ils ont été supprimés en même temps que les avocats par le décret du 24 octobre 1793, avant d'être rétablis par la loi du 18 mars 1800 près les juridictions de première instance, d'appel et de cassation, qui leur attribue un monopole de la postulation, tant en matière civile que pénale, l'Etat fixant leur nombre et leur rémunération;

Considérant que la loi du 18 février 1801 a supprimé la spécialité d'avoué près les tribunaux criminels ; qu'après le rétablissement, également en 1800, de la profession d'avocat, celui-ci étant en charge de la plaidoirie, l'avoué a conservé le monopole de la postulation et du dépôt des conclusions ; que la profession d'avoué a été scindée en celle d'avoué au tribunal et d'avoué à la cour d'appel ;

Considérant que la loi du 28 avril 1816 a consacré la patrimonialité des offices, les avoués étant autorisés à présenter un successeur au roi puis au garde des Sceaux, pourvu qu'il réunisse les qualités ; que ce système a été maintenu, le titulaire de l'office, officier ministériel, jouissant ainsi d'un droit de présentation de son successeur, un traité étant conclu avec celui-ci, fixant un prix de cession, soumis à l'agrément de la Chancellerie ;

Considérant que la patrimonialité des offices d'avoué a été supprimée dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, après la guerre de 1870, sans avoir été rétablie après 1918, les lois du 20 février 1922 et 29 juillet 1928 définissant seulement un régime de postulation spécifique, où les avocats doivent choisir de postuler devant le tribunal de grande instance ou devant la cour d'appel ;

Considérant que les offices d'avoué au tribunal de grande instance et ceux d'avoués près les cours d'appel dans les départements d'outre-mer ont été supprimés par la loi du 31 décembre 1971, les anciens avoués devenant avocats ;

Considérant que les avoués à la cour d'appel ont conservé le monopole de la postulation devant les cours d'appel dans les procédures où la représentation est obligatoire, soit la majorité du contentieux civil, à l'exclusion notable des affaires portées devant les chambres sociales des cours d'appel ; qu'ils peuvent en outre exercer une activité hors monopole de consultation juridique, de rédaction d'actes sous seing privé, de représentation et de plaidoirie dans des contentieux judiciaires ou administratifs où la représentation n'est pas obligatoire ;

Considérant que les avocats, s'ils avaient la possibilité de plaider partout en France, ne pouvaient postuler que devant le tribunal de grande instance dont dépendait leur barreau d'inscription (les avocats des barreaux de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil pouvant eux postuler devant tous ces tribunaux de grande instance, issus de l'ancien tribunal de la Seine) ;

Considérant que les avoués percevaient pour leur activité monopolistique des émoluments tarifés, selon un tarif fixé par le décret du 30 juillet 1980, modifié en 1984, puis en 2003 ;

Considérant qu'à la suite des rapports au Président de la République présentés par MM.[C] (2008) et [N] (2009), remettant en cause le bien-fondé de la dualité d'intervention de l'avoué et de l'avocat, en cause d'appel et compte tenu de la directive 2006/123 relative aux services dans le marché intérieur (directive « services »), un projet de loi a été élaboré, intégrant les avoués dans la profession d'avocat en les inscrivant au barreau près du tribunal de grande instance dans le ressort duquel leur office est situé, avec possibilité de renoncer à devenir avocat ou de choisir un autre barreau ; que, corrélativement, l'activité des avocats a été étendue à la postulation devant la cour d'appel, le tarif de postulation en cause d'appel étant supprimé ;

Considérant que le projet initial prévoyait seulement une indemnisation du droit de présentation des avoués correspondant aux deux tiers de la valeur de la charge, qui sera portée par l'Assemblée nationale à la totalité de cette valeur, le Sénat ajoutant ensuite l'indemnisation des préjudices de carrière, économique, accessoires et désignant le juge de l'expropriation de Paris pour fixer cette indemnisation en cas de désaccord des avoués sur les propositions à eux faites par une commission chargée de statuer sur leurs demandes ;

Considérant que sur le recours de 82 sénateurs, contestant notamment, d'une part, les modalités de l'indemnisation des avoués prévues par la loi déférée, en ce qu'elle n'était pas préalable à la suppression de cette profession, d'autre part, le régime fiscal de cette indemnisation, le Conseil constitutionnel a rejeté ces contestations et, se saisissant d'office, a notamment considéré que le préjudice de carrière était inexistant pour un avoué, que le préjudice économique et les préjudices accessoires toutes clauses confondues étaient purement éventuels, compte tenu des activités qu'ils pouvaient continuer d'exercer et qu'en prévoyant l'allocation d'indemnités correspondant à ces préjudices, les dispositions de l'article 13 de la loi déférée avaient méconnu l'exigence de bon emploi des deniers publics et créé une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;

Considérant qu'en conséquence l'article 13 de la loi déférée, ainsi libellé initialement : "les avoués près les cours d'appel en exercice à la date de la publication de la présente loi ont droit à une indemnité au titre du préjudice correspondant à la perte du droit de présentation, du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues, fixée par le juge de l'expropriation dans les conditions définies par les articles L13-1 à L13-25 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le juge détermine l'indemnité allouée aux avoués exerçant au sein d'une société dont ils détiennent des parts en industrie afin d'assurer, en tenant compte de leur âge, la réparation du préjudice qu'ils subissent du fait de la présente loi..." a été privé par la décision n°2010-624 DC du 20 janvier 2011 des mots "du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues" , de même que des mots " en tenant compte de leur âge" ;

Considérant que l'indemnisation des préjudices économique et accessoires, toutes causes de préjudices confondues, a été déclarée contraire à la Constitution, au regard du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;

Considérant que cette décision et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire ne peuvent être écartés, eu égard aux dispositions impératives de l'article 62 de la Constitution disposant que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours et s'imposent aux pouvoirs publics ainsi qu'à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ;

Considérant que toute demande d'indemnisation du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires, toutes causes confondues, dont la survenance est imputée à la loi, se heurte à l'autorité attachée à la décision du Conseil constitutionnel ;

Considérant dès lors que le préjudice direct, matériel et certain, devant être intégralement indemnisé en application de l'article L13-13 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ne peut être constitué par l'un ou l'autre de ces chefs de préjudice ;

Considérant d'autre part que l'article 1er du Protocole n°1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ;

Considérant qu'il s'ensuit que la mesure d'ingérence emportant privation de propriété doit être justifiée ; qu'elle doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, ce qui suppose un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par la mesure privant de propriété et l'absence de charge spéciale exorbitante ; qu'une privation de propriété implique le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, sans qu'une réparation intégrale soit garantie dans tous les cas, des objectifs légitimes d'utilité publique, comme ceux recherchés par des mesures de réforme économique ou de justice sociale pouvant militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande du bien ;

Considérant que le juge de l'expropriation évalue le préjudice au jour du jugement de première instance, selon une date de référence située au jour de l'application de la loi ; qu'à cette date, l'avoué perdant son monopole de postulation devant la cour d'appel, conserve néanmoins son outil de travail puisqu'il peut continuer d'exercer son activité, fût-ce dans des conditions plus difficiles, puisqu'une très grande partie de sa clientèle était constituée d'avocats, susceptibles de devenir des concurrents ; qu'il doit cependant être observé que de nombreuses parties continuent, eu égard à la spécificité et à la complexité de la procédure devant la cour d'appel, de recourir à un ancien avoué pour la procédure, en plus de leur avocat plaidant ; que des partenariats entre avocats et anciens avoués peuvent être mis en place ; que l'ancien avoué peut également postuler devant le tribunal de grande instance dont il dépend et intervenir pour plaider devant toutes les juridictions ; qu'il peut donner des consultations et rédiger des actes sous seing privé ;

Considérant que l'évolution des revenus des avoués dépend pour une grande part de choix professionnels faits postérieurement à la date de référence et de leurs aptitudes personnelles à s'adapter à la nouvelle situation concurrentielle résultant d'une loi s'inscrivant dans une évolution historique en mettant fin à une situation monopolistique ; qu'ainsi Mme [F] a choisi de devenir magistrat, profession radicalement différente de celle d'avoué ou d'avocat et qui ne peut faire l'objet d'une comparaison strictement financière, qui serait tronquée ;

Considérant que la suppression du monopole de postulation devant la cour était motivée notamment par un but d'intérêt public de simplification de la procédure et d'abaissement de son coût, c'est à dire par le souci d'une meilleure administration de la justice ; qu'elle constituait ainsi une immixtion justifiée, sinon nécessaire, des pouvoirs publics, proportionnée eu égard à l'intervention prévue du juge de l'expropriation susceptible d'indemniser raisonnablement, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, la perte du droit de présentation ;

Considérant que les avoués ne sont dès lors fondés à obtenir aucune somme, au delà de l'indemnisation, pour un montant qui a été accepté, sans que la preuve d'une violence économique soit rapportée, de leur droit de créance résultant de la perte de leur droit de présentation, qui constitue le seul bien en cause au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales auquel la loi nationale contestée n'est pas contraire ;

Considérant en conséquence que Mme [F], qui n'a pas subi une atteinte disproportionnée, doit être déboutée de ses demandes d'indemnisation concernant toutes des préjudices accessoires;

Considérant en définitive que le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant qu'il apparaît équitable de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Considérant en revanche que Mme [F] supportera les dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS, la cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

- confirme en toutes ses dispositions la décision du juge de l'expropriation de Paris du 4 mai 2016 ;

- y ajoutant :

- dit que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

- dit que Mme [F] supportera les dépens d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 16/12328
Date de la décision : 29/06/2017

Références :

Cour d'appel de Paris G7, arrêt n°16/12328 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-06-29;16.12328 ?
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